Séance du vendredi 28 février 2020 à 14h
2e législature - 2e année - 10e session - 54e séance

M 2380-A
Rapport de la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) chargée d'étudier la proposition de motion de MM. Thomas Bläsi, Stéphane Florey, Christo Ivanov, Bernhard Riedweg, Marc Falquet, Norbert Maendly, André Pfeffer, Michel Baud, Eric Leyvraz : Curatelles : priorité à la famille !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 27 et 28 février 2020.
Rapport de M. Marc Falquet (UDC)
M 2616
Proposition de motion de Mmes et MM. Marc Falquet, Cyril Mizrahi, Patrick Dimier, Diego Esteban, Yves de Matteis, Christina Meissner, Philippe Morel, Françoise Nyffeler, Céline Zuber-Roy pour une amélioration du système des curatelles
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 27 et 28 février 2020.

Débat

Le président. Le point suivant est constitué de deux objets. Le rapport sur la M 2380-A est de M. Marc Falquet, à qui je passe la parole.

M. Marc Falquet (UDC), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, ce rapport concernant les curatelles est très important, et c'est dommage que le Conseil d'Etat ne soit pas là, car le sujet est vraiment essentiel au vu des plaintes récurrentes et des dysfonctionnements généralisés du système des curatelles. Depuis des années on entend des gens qui en sont victimes; soit leur argent est spolié, soit ils ne se sentent pas respectés par les institutions - qu'il s'agisse du SPAd, de la justice, etc. - ou même dans le cadre de leur famille.

A l'époque, l'UDC avait reçu des plaignants et suite à cela M. Thomas Bläsi - à qui je rends hommage - s'était chargé de déposer une motion en 2017. Elle avait été traitée par la commission judiciaire, qui avait procédé à une seule audition, je crois, celle du TPAE - le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant - dont le représentant avait dit que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Or, au vu des dysfonctionnements, chacun sait que ce n'est pas du tout le cas ! A l'issue de cette audition la commission judiciaire n'avait pas rendu son rapport dans les délais, si bien que cet objet avait été réinscrit à l'ordre du jour. Je tiens d'ailleurs à remercier M. Cyril Mizrahi, parce que c'est lui qui avait demandé son renvoi à la commission des Droits de l'Homme lors de son traitement en plénière. Cette commission s'est penchée sur le sujet de manière très consciencieuse, et je voudrais adresser mes remerciements à tous ses membres, parce que nous avons travaillé dans l'intérêt général, sans but partisan, et je crois que le résultat est là.

Ce qu'on souhaiterait, évidemment, c'est une amélioration du système des curatelles, notamment au niveau du SPAd, le service de protection de l'adulte. Mais au fond que faut-il réformer dans ce système ? C'est en réalité l'état d'esprit qu'il faut changer, parce que les gens, à la base, ne se sentent pas forcément respectés. Dans le système des curatelles, on enlève des droits fondamentaux à celles et ceux qui ont besoin d'aide. Quand une personne n'arrive pas à gérer ses affaires, à gérer ses factures, à gérer sa vie, et qu'elle demande finalement de l'aide parce qu'elle en a besoin, l'Etat intervient fréquemment de façon disproportionnée en lui enlevant carrément toutes ses possibilités d'action, souvent avec mépris. Oui, ce qui est souvent ressenti par les gens sous curatelle, c'est le mépris avec lequel ils sont considérés, alors que ce sont des personnes qui aimeraient bien être respectées.

Il existe aussi un esprit de contrôle et de judiciarisation: on commence à contrôler les gens, alors qu'en général ils ont simplement besoin de soutien. Ils n'ont pas besoin d'être judiciarisés, voire psychiatrisés ! Il y a une emprise de l'institution, et on voudrait bien que cette mentalité change, car cela provoque trop de dégâts pour celles et ceux qui viennent demander de l'aide.

La commission des Droits de l'Homme a donc émis une série de propositions à l'intention du Conseil d'Etat en vue d'améliorer notamment le fonctionnement du SPAd. Ce dernier avait également fait l'objet d'une inspection de la part de la Cour des comptes, qui avait formulé de nombreuses recommandations visant à le rendre plus efficient.

Ce que nous demandons, c'est que les gens soient entendus, écoutés, et qu'on ne prenne pas de décisions complètement disproportionnées en leur enlevant totalement leurs droits parce qu'ils n'arrivent pas à gérer leurs affaires. On ne veut plus de contrôles sur ces personnes: l'Etat n'a pas à les contrôler ! On ne veut plus de judiciarisation et de psychiatrisation de la population. Le service de protection de l'adulte a le devoir de respecter les gens, tout comme pour notre part nous aimerions être respectés. Si nous avons besoin d'aide, nous ne voulons pas qu'on nous contrôle et qu'on nous retire nos droits; nous avons envie d'être respectés, entendus, et que l'on fasse preuve d'une bienveillance proportionnée à nos besoins.

C'est dans ce sens que la commission des Droits de l'Homme a oeuvré. Elle a accompli un magnifique travail et nous comptons sur le Conseil d'Etat pour que les institutions concernées prennent en considération toutes les invites de cette motion - surtout le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant, qui affirme toujours que tout va bien, ce qui est totalement inexact. Merci encore à la commission des Droits de l'Homme pour son travail !

Une voix. Très bien !

M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs, chers collègues, j'aimerais ajouter quelques éléments pour compléter ce qui vient d'être dit par le rapporteur, M. Falquet, que je remercie également. La commission a voulu élargir un peu le propos de la motion initiale - qui a eu le mérite de lancer le débat - dont le but était vraiment de donner la priorité à la famille. Nous avons constaté que c'était souhaitable sur le principe, mais pas toujours possible, et que dans ce processus de protection de l'adulte il fallait en tous les cas mettre au centre la volonté des personnes directement concernées, mais aussi des proches, qui certaines fois peuvent prendre en charge ces mesures de curatelle alors que d'autres fois, pour diverses raisons, ils ne sont pas à même de le faire.

Nous avons également voulu mettre l'accent sur ce que l'on appelle la prise de décision assistée, plutôt que celle qui intervient à la place de la personne concernée. Dans le système actuel, les personnes touchées par ces mesures sont bien souvent complètement dépossédées de la gestion de leur vie et, au lieu de les aider, on agit à leur place. Il est très préoccupant de constater que les gens dont le mandat est confié au SPAd ne reçoivent plus aucune information... (Brouhaha.) Monsieur le président, est-ce que je peux me permettre de demander un tout petit peu de silence ? Avec ce brouhaha ambiant, il est plus difficile de s'exprimer, mais j'entends bien que certaines et certains ne s'intéressent pas forcément à cette problématique. Je disais donc qu'il était réellement préoccupant de constater que ces personnes sont totalement dépossédées de la gestion de leur vie, qu'elles n'ont plus accès à leur dossier et qu'elles ne détiennent même plus de compte en banque. Quand j'en ai parlé avec mes collègues d'Inclusion Handicap de Suisse alémanique, ils ont complètement halluciné en apprenant que tous les gains des bénéficiaires de ces mesures du SPAd arrivaient simplement sur un seul gros compte de ce service. Les personnes en question n'ont même plus le droit d'avoir un compte en banque pour recevoir leurs ressources mensuelles, c'est un véritable scandale !

Nous avons aussi voulu donner un signal en faveur de la réforme qui a été menée dans le canton de Vaud, avec une place plus large pour les curateurs et curatrices volontaires, indemnisés. Par ailleurs, nous avons souhaité suggérer dans cette motion qu'une place soit accordée aux associations et organisations sans but lucratif, qui pourraient également jouer un rôle plus important dans l'assistance des personnes concernées.

Nous avons en outre proposé - comme l'avait déjà fait la Cour des comptes - que le nombre de dossiers par collaborateur et collaboratrice du SPAd soit plafonné, parce qu'actuellement il est bien trop important, ce qui conduit fréquemment le TPAE à renoncer à une mesure, même dans des situations difficiles. En effet, voyant le manque de moyens du SPAd et son incapacité à prendre en charge les dossiers, le TPAE préfère bien souvent laisser les choses telles qu'elles sont, même si le contexte n'est pas souhaitable, plutôt que de demander au SPAd d'exécuter des mesures qui ne vont pas pouvoir être appliquées, avec le risque par exemple que les paiements ne soient pas effectués et qu'au final la situation se dégrade encore.

Cet état de fait est donc très préoccupant ! Ce texte a bien sûr obtenu un consensus, ce dont je me réjouis, et j'espère que l'ensemble du parlement le soutiendra lors du vote. Je me dois cependant de mettre le doigt sur une certaine contradiction, même si c'est un peu moins consensuel: le gouvernement est venu demander des postes pour le SPAd dans le cadre du budget, il les a redemandés par le biais de crédits complémentaires, or on voit aujourd'hui qu'aucun poste n'a été accordé. Je pense qu'il y a là quand même une certaine incohérence ! Il existe une volonté, également à gauche, de réformer ce système, mais sans moyens supplémentaires cette réforme est tout simplement vouée à l'échec.

Mesdames et Messieurs, chers collègues, je vous recommande donc bien entendu de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat afin d'approfondir la volonté de réforme de ce secteur - que nous avons perçue au sein du département de la cohésion sociale - dans le sens d'un respect accru des droits fondamentaux. Par la suite, je vous inviterai également à octroyer les moyens complémentaires lorsqu'ils seront demandés dans le cadre de ces réformes, parce qu'ils seront nécessaires. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. J'imagine que le renvoi au Conseil d'Etat concerne la M 2616, soit la motion de commission ? Vous ne l'avez pas mentionné ! (M. Cyril Mizrahi acquiesce.) Merci ! La parole est à M. Pierre Bayenet.

M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Merci, Monsieur le président. Le groupe Ensemble à Gauche invite également le Grand Conseil à renvoyer la M 2616 au Conseil d'Etat. Il faut rappeler qu'il y a quelques années, avant l'instauration du nouveau droit de la curatelle, le système de tutelle conduisait de manière quasiment systématique à une privation totale des droits de toutes celles et de tous ceux qui étaient placés sous tutelle. C'était la norme. Habituellement, dès que les personnes concernées possédaient un peu d'argent ou un bien immobilier - petit ou gros - elles étaient privées de tous leurs droits et placées sous la tutelle d'un avocat. Et si elles n'avaient pas de moyens financiers, elles se retrouvaient sous la tutelle d'employés du service de protection de l'adulte. Voilà en général comment les choses se passaient.

Le droit a ensuite évolué, mais force est de constater que cette évolution juridique a peu été suivie dans la pratique et qu'il a fallu beaucoup de temps pour que les juges ainsi que le personnel du SPAd prennent conscience de la nécessité de donner autant que faire se peut aux personnes partiellement privées de leurs droits la possibilité de collaborer à l'organisation de leur propre vie. On est donc resté pour beaucoup dans cette culture où c'est finalement le curateur qui décide de ce que fait son protégé; il le consulte peut-être de temps en temps par politesse, mais en gros il lui donne peu voix au chapitre.

Or cette motion, qui contient de nombreux aspects extrêmement positifs, vise notamment à redonner du poids à la parole des personnes placées sous protection. Il y a là un chantier, c'est un processus qui doit être lancé et poursuivi. La population vieillit, nous serons tous âgés un jour, à moins de mourir prématurément, et le vieillissement va aller en s'accroissant. Il faut donc économiser les ressources, car on ne pourra pas placer sous curatelle toutes les personnes âgées ainsi que toutes celles qui ont des difficultés à gérer leurs propres affaires. Tous ces gens ne pourront pas être gérés entièrement par l'Etat ou par des avocats, ce serait la ruine ! Il convient dès lors de trouver d'autres solutions pour agir de manière subtile en restant toujours à l'écoute des besoins et des souhaits des personnes qui nécessitent une protection. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci bien. S'il n'y a pas d'autre demande de parole, nous passons aux votes sur ces deux propositions de motions. Je rappelle que la première a été refusée par la commission, tandis que la seconde - la motion de commission - a été renvoyée au Conseil d'Etat.

Mise aux voix, la proposition de motion 2380 est rejetée par 65 non contre 6 oui et 2 abstentions.

Mise aux voix, la motion 2616 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 75 oui (unanimité des votants). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Motion 2616