Séance du
vendredi 13 septembre 2019 à
16h
2e
législature -
2e
année -
4e
session -
20e
séance
M 2526-A et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Nous poursuivons avec les objets liés M 2526-A, P 2066-A et M 2524-A, pour lesquels l'urgence a été votée hier. Nous les traiterons en catégorie II, soixante minutes. Je laisse les rapporteurs s'installer et, pendant ce temps, je prie Mme Delphine Bachmann de bien vouloir lire le courrier 3892, comme on l'a demandé hier. (Applaudissements à la fin de la lecture.)
Le président. Merci. La parole est à Mme la députée Léna Strasser.
Mme Léna Strasser (S), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous venez d'entendre la lettre des enfants relative à la pétition. Je vais de mon côté vous présenter les deux rapports de commission sur les motions qui l'accompagnent. En préambule, j'aimerais remercier les nombreuses personnes auditionnées à propos de ces objets dans un contexte difficile, vous l'avez entendu, pour ceux qu'il touche. Je tiens particulièrement à remercier les jeunes qui ont osé s'adresser à nous, dans un niveau de français salué par de nombreux commissaires, et nous ont parlé de leur vie quotidienne, de leurs craintes pour l'avenir, de leur envie de construire un projet ici - de s'investir dans nos entreprises et nos institutions - de leur désir de travailler, de contribuer à notre société; de leur désir simple d'être reconnus et d'exister.
La M 2526 demande de trouver une solution à un non-sens dont voici l'histoire - je vais en partie répéter ce qui a été dit dans la lettre. Après avoir fui la guerre ou un Etat où le futur se résume à obéir, à se faire discret sous peine de disparaître, vous traversez des pays, des déserts. En route, vous perdez des proches, des amis, vous êtes torturé. Vous traversez la mer et vous survivez. Vous arrivez enfin en Europe, puis à Genève. Vous faites une demande d'asile. La procédure dure longtemps. Vous nourrissez l'espoir d'une vie ici et vous faites des efforts, beaucoup d'efforts: vous apprenez la langue, vous vous investissez dans ce nouveau chez-vous. Et un jour, après avoir lutté pour ça, vous trouvez enfin, malgré votre permis N, un travail ou une place d'apprentissage. Enfin vous gagnez votre vie, enfin vous êtes dans les mêmes classes que les jeunes d'ici pour apprendre un métier. Votre désir d'être autonome et libre semble enfin se concrétiser.
Puis, vous recevez de Berne, du Secrétariat d'Etat aux migrations, une réponse négative à votre demande d'asile. Négative ! Suit un délai de départ; on vous retire votre permis pour vous donner une feuille de papier à faire tamponner régulièrement par les autorités. Votre patron le regrette, mais il ne peut pas vous garder car vous n'avez plus d'autorisation de travail. Vous retrouvez votre assistant social, qui, il le regrette, ne peut plus rien à part vous octroyer l'aide d'urgence. L'avenir qui s'ouvrait devant vous devient un mur. Le non-sens de tout cela, c'est que vous ne pouvez plus travailler: vous êtes à nouveau à la charge de notre canton et on vous somme de partir. Mais, Mesdames et Messieurs, où ?
Partir où ? Dans votre pays d'origine ? Pour vous, c'est impensable - vous savez pourquoi vous avez fui - et, de plus, la Suisse ne peut pas vous renvoyer car il n'y a pas d'accord de réadmission. Partir ailleurs en Europe ? Vous serez rapidement de retour à Genève au vu des procédures Dublin, qui permettent aux Etats de renvoyer les requérants d'asile dans le pays où ils sont arrivés en premier. La Suisse frisait d'ailleurs, il y a peu, la première place au championnat européen des personnes renvoyées via «Dublin-out», de la Suisse vers l'Italie notamment. Maintenant, elle est bientôt championne européenne du nombre de personnes de retour en Suisse via «Dublin-in» ! Retour à la case départ ! Un vrai jeu de l'oie, avec des trappes, des escaliers en colimaçon et parfois une case prison pour détention administrative ! C'est une torture pour celles et ceux qui le vivent, Mesdames et Messieurs les députés, et cela n'a rien d'un jeu.
Genève est pour certains comme une prison à ciel ouvert et il est temps que cela cesse. Pour que Yodit puisse garder son emploi malgré une décision négative, bénéficier dans quelques années d'une admission pour cas de rigueur et faire vivre sa famille sans dépendre de l'aide sociale. Pour que Jacques puisse garder son apprenti Ali, un jeune homme motivé, souriant et engagé, qu'il a déjà formé durant près d'une année et qui a de bons résultats scolaires. Et pour qu'Ali puisse rester ici, autonome et formé, ou alors rentrer dans son pays d'origine plus tard, riche des compétences acquises. C'est pour mettre fin à ces situations kafkaïennes et à ce non-sens administratif que je vous remercie de suivre la commission des affaires sociales et d'accepter cette première motion.
La deuxième motion, dont je suis également le rapporteur, la M 2524, que la commission des affaires sociales a votée à une grande majorité, sans opposition et avec quelques abstentions, demande de prolonger un suivi spécifique pour les requérants d'asile et réfugiés mineurs et non accompagnés devenus majeurs. Aujourd'hui, ce suivi plus rapproché s'arrête à leurs 18 ans alors que, vous l'avez entendu dans la lettre, 18 ans, c'est là que tout commence. La motion propose simplement de poursuivre l'accompagnement de ces jeunes mineurs devenus majeurs jusqu'à l'obtention d'une formation certifiante ou jusqu'à leurs 25 ans. Cela nous permettra, Mesdames et Messieurs les députés, de soutenir leur autonomie tant sociale que financière.
Je me permets ici de citer un jeune entendu dans le cadre des auditions, un ex-RMNA, apprenti employé de commerce en deuxième année, qui dit la chose suivante: «Actuellement, j'ai 19 ans. Je souhaite dire qu'il est important que les jeunes soient écoutés et que le temps soit pris pour tous les arrivants, majeurs ou mineurs, car c'est difficile de comprendre le système. J'essaie de donner de l'aide à toutes les personnes qui me le demandent, mais après mon travail. J'ai une vie en dehors de mon apprentissage et je suis prêt à aider car j'ai été aidé.» Ce même jeune homme remarquait que, s'il a réussi son insertion sociale et professionnelle, c'est parce qu'il a été entouré de façon continue, et ce depuis son arrivée. Il a également créé des liens avec ses éducateurs du foyer Blue Sky, avec les autres résidents, avec d'autres personnes proches, notamment les familles-relais dont certaines, je crois, sont aujourd'hui dans la salle; c'est un réseau qu'il qualifie de familial. C'est vers cet objectif que tend la M 2524, que je vous remercie de soutenir comme l'a soutenue la majorité de notre commission. (Applaudissements.)
Mme Frédérique Perler (Ve), rapporteuse. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la P 2066, largement signée par la population, demande que les Erythréennes et les Erythréens puissent rester. Cette pétition est un cri d'alarme de la Coordination asile, pétitionnaire, sur la situation des Erythréens qui ont demandé l'asile en Suisse et voient désormais leur demande rejetée. Elle formule quatre demandes:
«- De ne pas exclure de l'aide sociale cette population jeune et pleine de perspectives. L'aide d'urgence les précarisera, quelle que soit l'issue de leur procédure.
- D'autoriser les Erythréennes et Erythréens déboutés à poursuivre leur formation dans le canton.
- De permettre aux Erythréennes et Erythréens déboutés d'exercer un travail rémunéré à Genève.
- De s'engager auprès du SEM afin qu'il suspende les levées d'admissions provisoires; qu'il accorde aux Erythréennes et Erythréens le droit de rester en Suisse, avec un permis F ou un permis B, avec effet immédiat et rétroactif; qu'il sollicite le SEM pour mettre en place une action de régularisation extraordinaire.»
En outre, les députés ont reçu une lettre des enfants des familles-relais, annexée au rapport, et une nouvelle lettre est arrivée, qui vous a été lue au début de ce débat. Ces lettres, vous l'aurez constaté, mettent l'accent sur les droits de l'enfant et implorent les autorités d'accorder à ces jeunes migrants les mêmes droits dont ils bénéficient eux-mêmes.
Il faut dire que la situation en Erythrée n'a pas changé: il s'agit d'une dictature, où chacun court un risque élevé d'être persécuté quand bien même la guerre est terminée. Les droits humains y sont violés de manière répétée; toutes les organisations internationales et tous les pays le reconnaissent excepté la Suisse, seul pays à ne plus accorder de protection à cette population. La pratique du Secrétariat d'Etat aux migrations et les décisions du Tribunal fédéral vont dans le sens d'un durcissement en rendant des décisions négatives sur l'asile assorties de renvois exécutoires.
Cette pratique est d'autant plus incompréhensible que sur le site du SEM, dans la «foire aux questions», que j'ai consultée, on peut lire ce qui suit: «Le gouvernement érythréen considère le service national comme un projet visant à remettre l'Etat sur pied et auquel chaque citoyen doit apporter sa contribution. C'est pourquoi ceux qui désertent ou refusent de servir sont considérés comme des "traîtres à la nation" et sanctionnés avec une dureté démesurée.» Plus loin: «Les principaux motifs d'émigration des Erythréens sont les violations des droits de l'homme, la durée illimitée du service national, l'absence de perspectives qui en découle et l'oppression de la liberté d'expression.» Dans le service militaire, les recrues subissent la volonté de leurs supérieurs et «toute critique et tout manque de discipline sont durement sanctionnés (détention arbitraire, torture)». Les déserteurs retournés en Erythrée étaient par le passé régulièrement victimes de ces pratiques. «Les Erythréens obtiennent l'asile non pas à cause de la situation économique dans leur pays, mais parce qu'ils y sont exposés à des sanctions excessives et d'ordre politique s'ils y retournent après avoir déserté ou refusé d'y servir.» Je crois que tout est dit sur le site du Secrétariat d'Etat aux migrations - cela semble assez clair !
Ce durcissement des pratiques condamne les Erythréennes et les Erythréens à l'angoisse d'un renvoi alors que, sans accord de réadmission, aucun renvoi forcé n'est possible vers leur pays. Cela les plonge dans la précarité du fait de l'exclusion de l'aide sociale et tous leurs efforts d'intégration sont alors anéantis. Les témoignages dont ma préopinante, Mme Strasser, vous a délivré quelques extraits ont illustré avec pertinence, durant les travaux de commission, le désespoir causé par ces décisions: elles ruinent leurs efforts d'intégration et leur détermination à devenir indépendants et à construire leur vie en Suisse.
Il y a donc toute une population, dont bon nombre de jeunes, qui vit en Suisse depuis des années, dont le renvoi ne peut pas être exécuté - et ne pourra certainement pas l'être ces prochaines années - qui se retrouve désormais condamnée à l'aide d'urgence ! Cette situation est très difficile sur les plans humain et social; l'asile leur est refusé et ils ne peuvent pas retourner dans leur pays. Ces jeunes sont en Suisse et vont y rester, mais sans aucune perspective.
Au fond, il s'agissait de savoir, durant nos travaux de commission, si nous décidions de leur donner les moyens de vivre dignement ou si nous les condamnions à vivre de l'aide d'urgence. Concrètement, en pratique, ils sont déboutés mais ne peuvent pas être renvoyés. Il pourrait y avoir un moyen de sortir les jeunes de cette situation de no man's land absurde, pour autant que le Conseil d'Etat décide de leur offrir des perspectives d'avenir.
La commission des affaires sociales a considéré cette situation indigne de notre tradition humanitaire suisse, et genevoise en particulier. Elle a considéré qu'il ne fallait pas se voiler la face devant cette situation où le devoir d'humanité prime sur des pratiques et des lois absurdes. C'est pourquoi la majorité vous invite à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Marc Fuhrmann (UDC), rapporteur de minorité. Je vais commencer, en tant que rapporteur de minorité, par parler de la M 2526, qui porte notamment sur l'octroi d'un permis de séjour aux personnes déboutées de l'asile mais dont le renvoi n'est pas réalisable. L'idée est donc de prolonger les permis de travail donnés à ces requérants déboutés; depuis que leur demande d'asile a été refusée, leur permis de travail leur a été enlevé. En toute logique, une demande d'asile rejetée - ce qui, selon la loi, annule le permis de travail octroyé temporairement - aboutit à un départ de la Suisse de la personne ayant déposé cette demande; ça, c'est quand tout va bien.
Il y a deux angles à cette problématique, à savoir d'une part une loi sur l'asile, qui est claire: une demande rejetée exige le départ du pays de la personne. D'autre part, nos accords internationaux comportent une lacune: la Suisse n'a effectivement pas d'accord de renvoi avec certains pays, ce qui rend le renvoi difficile, voire irréalisable. Pour la minorité, il s'agit de ne pas considérer que le rejet de la demande d'un ressortissant d'un pays où le renvoi n'est pas possible équivaut automatiquement, dans les faits, à une acceptation tacite de cette demande d'asile. Une demande d'asile rejetée l'est rarement sans motifs.
La loi est assez claire et permet de faire la différence entre une demande légitime et une demande non fondée - rassurez-vous, je ne suis pas de ceux qui les examinent: ce sont, je pense, des gens avec un peu plus d'empathie, qui comprennent les situations des personnes qu'ils examinent. La loi permet aussi aux cantons des dérogations et il convient évidemment de ne pas automatiser celles-ci. Ces personnes reçoivent une admission provisoire, ce qui les régularise d'une certaine façon, sans pour autant leur donner un permis de travail. Prolonger leur permis de travail reviendrait à rejeter nos procédures d'octroi d'asile et ouvrirait la porte à une augmentation massive des demandes provenant de pays où l'on ne peut pas renvoyer les requérants déboutés: demande acceptée ou non, ça ne ferait finalement plus de différence, l'essentiel étant de provenir d'un pays «non renvoyable» !
La dénomination «demande d'asile» est claire: il ne s'agit pas de venir s'établir en Suisse dans l'espoir de poursuivre une vie meilleure, ce qui est évidemment compréhensible pour l'essentiel des personnes de certains pays ! Une demande d'asile est une demande de protection suite à la fuite d'un pays où la personne est, ou serait, persécutée. Si l'asile est refusé, la Suisse - Genève - ne peut pas fermer les yeux et octroyer des facilités qui sont finalement non avenues. La situation est claire ! Une demande rejetée est sans équivoque: le requérant ne remplit pas les conditions de notre déjà très généreuse politique d'asile et ne peut donc pas rester.
Il serait absurde, selon la minorité, de simplement oublier la requête rejetée en faisant en sorte que la personne reçoive de facto une forme d'asile. Les solutions sont à trouver ailleurs, notamment dans la conclusion d'accords internationaux de renvoi avec les pays avec lesquels ils font encore défaut; le solde serait alors réglé par des dérogations mais en aucun cas par un automatisme comme préconisé par cette motion. Le droit se doit d'être clair - et il l'est ! Ne pas annuler les permis de travail délivrés aux personnes déboutées reviendrait à ce que la procédure d'asile n'ait finalement plus aucun sens et ne serve plus à rien du tout. Nous, membres de la minorité de la commission, nous invoquons les éléments ci-dessus pour rejeter la M 2526.
Quelques mots maintenant sur la M 2524 sur la prise en charge jusqu'à 25 ans des RMNA. Là aussi, la minorité estime qu'il n'y a pas à faire de différence entre les catégories de population: à partir de 18 ans, vous êtes majeur et devez être considéré comme tel. L'objectif n'est pas d'en faire des «assistés», entre guillemets, ad vitam aeternam, j'ai presque envie de dire. Certaines aides peuvent évidemment continuer sans pour autant qu'on crée un statut spécial qui ferait la différence entre le local, qui à 19 ans est un adulte, et puis le jeune RMNA, qui à 20 ou 21 ans reste, lui, considéré comme ayant encore besoin d'aide ou comme un jeune, pourrait-on dire. Nous voyons là une contradiction avec l'Etat de droit; il y a des possibilités pour aider ces gens, peut-être différentes une fois qu'ils sont adultes, certes, mais ces possibilités existent. Voilà: en quelques mots, la minorité rejette la M 2524 et la M 2526 et vous enjoint de faire de même. Merci.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord de saluer la décision de lier ces trois objets parlementaires: cela souligne les enjeux qui concernent ces personnes. Quelles personnes ? La M 2524 se focalise sur les ex-RMNA, des ex-requérants d'asile mineurs non accompagnés, c'est-à-dire des jeunes arrivés mineurs à Genève et qui viennent d'atteindre leur majorité. Son objectif est de mettre en place un accompagnement socio-éducatif et sociopédagogique sur la durée, conformément à l'amendement voté en commission. Autrement dit, elle demande non seulement une collaboration interdépartementale, mais également la mise en application d'une politique cohérente jusqu'à l'âge de 25 ans pour ces jeunes relevant de l'asile. Pourquoi ? Parce que toutes les recommandations vont dans ce sens, que ce soient celles de la Cour des comptes dans son rapport 136, celles de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales de 2016 ou encore celles du SSI. Pourquoi ? Parce que cela concerne plusieurs départements, à savoir le département de l'instruction publique à travers la prise en charge du SPMi et de l'école inclusive et le département de la cohésion sociale à travers l'Hospice général notamment.
Enfin, il est important, avant d'entrer dans le vif du sujet, de mettre en exergue qu'il est question d'enfants, de jeunes, avant d'être question de migrants. Ils ont dû tout quitter, même leur propre famille, et ont pour la plupart des parcours traumatiques de par leur voyage et leur situation. Il est donc fondamental de leur apporter plus que de l'aide, en complétant celle-ci avec un accompagnement adéquat et cohérent. Pourquoi ? Parce qu'il est courant que ces jeunes, arrivés tardivement à Genève, aient des besoins spécifiques mais aussi qu'il leur faille du temps. Que ce soit dans le contexte de l'école inclusive ou dans le suivi d'une formation, l'accompagnement est fondamental pour viser un objectif d'intégration.
Rester ! S'ils restent, quel avenir auront-ils s'ils ne savent pas parler français ? S'ils n'ont pas pu finir leur formation en raison de leur âge ou encore de leurs conditions d'hébergement ? Est-ce que nous souhaitons les assister à long terme et les faire bénéficier d'une aide sociale tout en leur imposant l'oisiveté ? Ou voulons-nous les aider à reconstruire leur avenir et leur intégration en leur octroyant plus de temps ? Selon l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé, la formation est un facteur clé de la santé. Il est donc primordial que tous les jeunes - mineurs, RMNA, ex-RMNA - ayant des besoins spécifiques puissent bénéficier d'une politique cohérente, qui a du sens, pour leur avenir; dès lors, la balle est dans le camp du Conseil d'Etat.
Au-delà de ces considérations sur les permis, qu'ils soient N, F ou autres, la proposition de motion 2526 de mon collègue Vert David Martin demande de faciliter l'insertion professionnelle et l'octroi d'un permis de travail aux personnes déboutées de l'asile dont le renvoi n'est pas réalisable. Je répète: leur renvoi n'est pas réalisable ! Passons à la cohérence: il est préférable que ces personnes se forment et travaillent plutôt que de les faire dépendre des finances de la collectivité. Il y a des jeunes qui sont en apprentissage, qui ont un patron, et puis tout s'arrête suite à une décision. Ils tombent à l'aide d'urgence, ce qui est une aberration pour nous, les Vertes et les Verts.
Toutes ces questions d'accompagnement, de formation, d'insertion professionnelle et d'octroi de permis de travail concernent une grande majorité d'Erythréens et d'Erythréennes, que l'on ne peut pas renvoyer. La P 2066, intitulée «Droit de rester pour les Erythréennes et Erythréens !», met en lumière ces paradoxes politiques: il n'est pas possible de les renvoyer ! La pétition, largement soutenue par une partie de la population, rappelle que, selon le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, l'Erythrée est encore une dictature où le risque de persécution est élevé. A l'aube des trente ans de la Convention relative aux droits de l'enfant, il serait inimaginable de renvoyer des jeunes dans un tel pays. Du sens, du bon sens, de la cohérence et de l'accompagnement pour un avenir humain: voilà les objectifs principaux de ces objets liés, tous acceptés à la commission des affaires sociales.
J'exprimerai encore la vive émotion suscitée en moi par tous les témoignages entendus ou lus lors des auditions, avant de terminer par une citation d'Amnesty International: «Dans le monde, les réfugiés représentent seulement [...] 0,3% de la population mondiale. Les politiques parlent de flux, de flots, de vagues mais il s'agit d'hommes, de femmes et d'enfants. Aucun argument économique, politique ou sécuritaire ne justifie le renvoi d'une personne qui fuit la guerre, les violences et la torture.» J'aimerais aussi, au nom des Vertes et des Verts, rendre hommage à Ali Reza Hossaini, qui s'est donné la mort au foyer de l'Etoile. Nous soutiendrons bien évidemment les deux motions et nous accepterons aussi le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat. Merci. (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). Je ne vais pas entrer dans le détail de ces deux propositions de motions et de la pétition; les choses ont été clairement expliquées par des personnes qui m'ont précédé. J'aimerais quant à moi exprimer l'émotion qu'ont ressentie la plupart des membres de la commission des affaires sociales en découvrant ce problème des mineurs non accompagnés, c'est-à-dire des jeunes qui sont arrivés en Suisse avant l'âge de 18 ans. Ils sont venus en Suisse dans des conditions épouvantables ! Ils ont connu des choses absolument épouvantables, allant jusqu'à l'esclavage en Libye avant de pouvoir traverser la mer pour arriver en Italie, en Grèce ou en Espagne.
Ces jeunes ont vécu des choses qu'on n'aimerait jamais que nos enfants vivent. Nous avons été impressionnés par leur résilience: après avoir vécu ce qu'ils ont vécu, ils sont capables de vouloir se former, de vouloir se construire une autre vie en Suisse. Ils sont extrêmement volontaires; nous avons entendu ces jeunes en commission et ils sont capables, après deux ans, de s'exprimer dans un français quasiment parfait. Ce sont des jeunes qui peuvent commencer une formation, et on leur dit brusquement: «Non, on vous retire votre permis et vous n'avez plus le droit de faire quoi que ce soit: vous ne pouvez rien faire d'autre que traîner dans la rue, à Genève, et toucher l'aide sociale, parce qu'on ne vous forme plus !»
A quoi est-ce que ça sert ? Franchement, à quoi est-ce que ça sert ? C'est de l'hypocrisie, de la pure hypocrisie ! On applique des règlements complètement hypocrites alors que ces jeunes, qui ne sont pas des milliers à être venus mais quelques dizaines, ont droit à cette formation ! S'ils sont formés, ils vont être intégrés et pourront apporter quelque chose de plus à la Suisse. Tous les jeunes de la première ou deuxième génération qui sont venus comme réfugiés, que ce soit du Kosovo ou d'autres pays, se sont parfaitement bien intégrés et apportent maintenant beaucoup à la Suisse, il ne faut pas l'oublier. Il ne faut pas oublier non plus que les Hongrois, quand ils sont venus en Suisse autour de 1957, ont apporté énormément de choses à la Suisse.
Ne rejetons pas ces enfants qui veulent se former - ce sont des enfants ! Ils sont tout seuls, ils n'ont plus de famille ! Ce ne sont pas des réfugiés économiques, ce sont des enfants ! Il faut donc les soutenir comme on soutiendrait nos enfants. La chose à faire, c'est simplement de voter ces deux motions et cette pétition. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Véronique Kämpfen (PLR). La M 2526 demande que les personnes déboutées de l'asile mais que l'on ne peut pas renvoyer dans leur pays à cause de traités de réadmission manquants puissent continuer à exercer une activité lucrative ou poursuivre leur formation à Genève. Le groupe PLR vous propose également d'accepter cet objet: il nous semble en effet essentiel que des personnes qui résident en Suisse, quelles que soient les raisons de ce séjour, puissent s'y former et y travailler pour participer à l'effort collectif. S'agissant de requérants d'asile, ce point est d'autant plus important, tant il est vrai que le travail participe à l'intégration, aussi bien d'un point de vue économique que social.
Les entreprises ont également un intérêt prépondérant à ce qu'une disposition de ce genre soit adoptée: elle encouragera les employeurs à recruter des requérants d'asile puisqu'ils auront l'assurance que ceux-ci ne seront pas obligés d'interrompre inopinément leurs relations de travail ou leur formation. Embaucher un apprenti ou un travailleur est un engagement fort de la part d'un employeur, pour qui la formation professionnelle notamment est une charge. Il est par conséquent indispensable de réduire autant que possible les incertitudes qui planent sur ce type d'engagement. Il en va de même pour le recrutement d'un requérant d'asile à un poste de travail après une formation: l'employeur devra bien souvent mettre sur pied un encadrement spécifique pour intégrer ce travailleur. En règle générale, on dit qu'il faut en tout cas douze à dix-huit mois jusqu'à ce que n'importe quel employé soit vraiment performant; je pense que ce temps peut parfois être encore plus long dans le cas d'un requérant d'asile. Il est donc très très important qu'en s'engageant pour intégrer ces personnes, les employeurs aient la certitude que celles-ci pourront rester à leur poste. L'incertitude est un signal délétère, qui pourra être corrigé par la première invite de cette motion.
La deuxième invite, qui vise à demander dans les meilleurs délais un permis de séjour pour les personnes déboutées de l'asile répondant aux critères de régularisation, conformément à l'article 14, alinéa 2, de la LAsi, fait également sens. Ces conditions stipulent que:
«a. la personne concernée séjourne en Suisse depuis au moins cinq ans à compter du dépôt de la demande d'asile;
b. le lieu de séjour de la personne concernée a toujours été connu des autorités;
c. il s'agit d'un cas de rigueur grave en raison de l'intégration poussée de la personne concernée;
d. il n'existe aucun motif de révocation au sens de [...] la loi [...] sur les étrangers et l'intégration (LEI).»
Les personnes qui répondent à ces critères doivent pouvoir être intégrées sur le marché du travail et recevoir une formation adéquate en Suisse. Il s'agit d'une solution gagnante pour toutes les parties: la personne concernée, la société et le marché du travail, qui manque de travailleurs qualifiés et va continuer à en manquer ces prochaines années. Le groupe PLR soutiendra donc cette motion.
Nous nous sommes en revanche abstenus sur la P 2066, non pas parce que les invites de cette pétition ne nous semblent pas dignes d'intérêt, au contraire: elles sont quasiment identiques à celles de la M 2526. Elles mettent toutefois en lumière les ressortissants d'un pays en particulier, l'Erythrée, ce qui risque de donner le sentiment que ceux-ci sont plus légitimes que d'autres à rester à Genève. C'est la raison pour laquelle le groupe PLR s'abstient sur la pétition.
Concernant la M 2524, qui demande que soit assuré un accompagnement sociopédagogique et socio-éducatif de qualité des ex-réfugiés mineurs non accompagnés jusqu'à l'obtention d'une formation certifiante ou jusqu'à 25 ans, le PLR la soutient également. Les travaux de commission ont en effet montré que les situations de chacun sont par essence très diverses: le niveau d'indépendance des réfugiés mineurs non accompagnés dépend de multiples facteurs, notamment de l'âge auquel ils sont arrivés en Suisse, de l'encadrement social et éducatif duquel ils ont pu profiter et de leur intégration économique et sociale.
L'Hospice général a indiqué que la prise en charge des réfugiés mineurs non accompagnés de 16 à 25 ans est une réalité depuis un an et demi déjà au foyer de l'Etoile - c'est une très bonne chose. Le but est ainsi d'éviter les ruptures abruptes au moment du passage à la majorité, avant que certains jeunes aient acquis suffisamment d'autonomie pour voler de leurs propres ailes. A noter que ce suivi après la majorité n'est, officiellement du moins, pas possible dans certains foyers, où l'accueil n'est prévu que jusqu'à 18 ans, alors que le foyer de l'Etoile permet aux ex-RMNA de rester dans ses locaux. Ils y sont d'ailleurs majoritaires: il y a aujourd'hui 54 ex-RMNA à l'Etoile contre 38 RMNA, soit des mineurs. Le système de l'Etoile est en ce sens bien pensé même si le lieu est très loin d'être idéal pour les longs séjours, raison pour laquelle on ne peut que se réjouir du projet de construction d'un nouveau centre d'accueil. Le PLR soutient donc cette proposition de motion et vous encourage à faire de même. Merci. (Applaudissements.)
M. Sylvain Thévoz (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, la politique migratoire ne doit pas primer sur les droits fondamentaux et sur les droits de l'enfant. C'est pourquoi ces trois objets ont été liés; ils défendent tous la même chose, le respect de droits fondamentaux. On a fêté l'année passée les trente ans de la Convention relative aux droits de l'enfant et on en était très fiers à Genève. Cette convention ratifiée par la Suisse en 1997 rappelle les principes de non-discrimination, le droit à l'égalité, le droit à la santé. Nombreux sont ces droits repris dans la constitution genevoise: le droit à la dignité, le droit à un environnement sain. Or, aujourd'hui, pour certaines catégories de la population et particulièrement les RMNA, les requérants d'asile mineurs non accompagnés, ces droits sont bafoués parce que ces requérants ne sont pas considérés comme des enfants - ce qu'ils sont pourtant ! - mais avant tout comme des migrants. Et, comme le préopinant de l'UDC le rappelait, il faut que la loi s'applique. On applique donc la loi migratoire en bafouant des droits fondamentaux. Cela n'est pas possible ! Ce n'est pas possible parce que ces jeunes ont besoin d'un encadrement particulier en raison de leurs parcours, des traumatismes qu'ils ont subis, mais simplement aussi parce que ce sont des mineurs, parce que ce sont des enfants !
Il est faux d'opposer les jeunes Suisses et les jeunes migrants: ce n'est pas le passeport qui fait la différence, mais les besoins, les parcours et l'histoire. Si vous êtes né à Cologny et que vous avez 17 ans, vous n'aurez pas les mêmes besoins que si vous venez d'Erythrée, que vous avez survécu à une traversée de la Méditerranée et que vos proches sont loin ou décédés. Vous comprenez donc que la société a intérêt à traiter ces migrants d'une manière différente. La Suisse doit respecter ses engagements internationaux afin de permettre à ces jeunes de prendre place dans la société, quelle que soit leur origine. Mesdames et Messieurs, il faut prendre en charge les mineurs comme des mineurs et leur accorder toute l'attention voulue, puis prendre en charge les majeurs - quand ils atteignent 18 ans - comme des mineurs. C'est l'enseignement de ces auditions: suivant votre parcours de vie, la situation n'a peut-être pas vraiment encore changé quand vous avez 18 ans et un jour: arrivé en Suisse à 17 ans et demi, vous avez bénéficié d'une prise en charge organisée et votre situation ne change pas vraiment à 18 ans et un jour. Une des motions le rappelle, il faut étendre ces prises en charge et ces accompagnements particuliers jusqu'à 25 ans. Et ça, ce n'est pas un truc de gauchos ou de bobos ! C'est la conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales qui l'a décidé et rappelé en 2016. Le Jura prolonge l'accompagnement jusqu'à 25 ans; le projet «Envole-moi» à Fribourg fait pareil. Il est un peu regrettable que Genève, capitale des droits humains, se retrouve à l'arrière, à s'asseoir sur des droits fondamentaux et à devoir rattraper le temps perdu.
Rappelez-vous, en février 2018, la Cour des comptes soulignait tous les dysfonctionnements dans l'accueil des RMNA. On pouvait encore dire alors qu'il y avait eu un pic en 2015 et 2016 et qu'avec l'arrivée de 177 RMNA, on a été débordé, mais aujourd'hui, on est en 2019 ! Le temps a passé et il y a environ 600 RMNA à Genève. C'est la taille d'un petit cycle, ce n'est pas non plus énorme. Eh bien, la prise en charge est toujours aussi lacunaire: la Cour des comptes dit qu'il faut plus de concertation, plus de travail entre les départements et une véritable politique publique ! C'est exactement ce que demandent ces trois objets, avec des tonalités différentes: l'envoi au Conseil d'Etat d'une demande ferme de coordination de sa politique et avant toute chose la mise en place d'une politique en la matière. Parce qu'aujourd'hui, entre la police, l'Hospice général, le département de la cohésion sociale de M. Apothéloz ou le DIP, on voit que ça ne fonctionne pas toujours ensemble. On dit que c'est à l'autre de faire le travail; or, le travail doit se faire de manière concertée, unie. C'est le message politique à faire passer aujourd'hui en renvoyant ces objets au Conseil d'Etat pour demander une véritable politique.
Une petite remarque: on ne parle jamais de l'Hospice général; on parle des foyers de l'Etoile, des Tattes et de Rigot. C'est quand même étrange, ce sont tous des foyers pilotés par l'Hospice général ! Quand vous allez aux HUG, vous dites bien que vous allez aux HUG. On se demande pourquoi l'Hospice général n'est pas le responsable affirmé ou affiché de ces foyers. S'il ne l'est pas, il doit transmettre ses responsabilités à la FOJ pour qu'une vraie politique prenant en compte la spécificité de ces situations d'enfants et de mineurs soit mise en place.
Vous avez vu mardi l'inauguration du foyer de Rigot avec 350 places pour les migrants en contrebas de la place des Nations. Ça peut être un signal important et merveilleux pour Genève qu'ils soient logés juste au coeur des institutions internationales. C'est une fierté pour Genève et ça peut aussi être un point positif. A notre avis, c'est dans ce sens qu'il faut aller plutôt que de mépriser les droits fondamentaux.
Je rappelle la réponse du Conseil d'Etat à une question écrite urgente, évoquée dans le rapport M 2524-A: «[...] le Conseil d'Etat [a] indiqué qu'un mandat externe allait être confié pour étudier les besoins des jeunes migrants et que, sur la base de ce mandat, un groupe de travail interdépartemental serait mis en place pour proposer un programme. [...] le mandat a été confié à la HETS et [...] le rapport est attendu pour cet été.» Ce type de réponse n'est plus possible en 2019: il faut des actions et des mesures concrètes ! Ces demandes ne sont pas farfelues, elles ne demandent pas la lune; elles se basent sur des droits fondamentaux, sur la convention des droits de l'enfant. Il en va de la crédibilité de la Suisse et de Genève et du respect de la constitution genevoise. Le parti socialiste vous invite à les soutenir fortement. Il semble qu'une majorité large se dessine. C'est surtout au Conseil d'Etat de passer maintenant la vitesse supérieure et d'avoir une véritable politique concertée entre les départements pour les mineurs non accompagnés et ceux qui deviennent majeurs. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, en préambule, j'aimerais souligner que l'examen de ces trois textes a permis à la commission de mieux connaître et appréhender la réalité des RMNA dans notre canton. A cette occasion, nous avons pu mieux comprendre les difficultés auxquelles ils sont confrontés dans leur cadre de vie, notamment au foyer de l'Etoile. Nous aurons l'occasion d'en reparler de manière plus précise au moment où nous aborderons la M 2525 qui ne fait pas partie des urgences que nous avons votées. Les commissaires ont aussi pu mesurer à quel point le dispositif actuel de prise en charge des RMNA est déficient et l'accompagnement socio-éducatif lacunaire. On ne peut pas juste se féliciter de l'unanimité ou, du moins, du consensus autour de ces trois textes sans parler par ailleurs du sentiment particulièrement douloureux qui a imprégné ces travaux et a inspiré un grand respect aux commissaires. A l'énoncé de ce que vivent ces jeunes dans ces foyers, à l'énoncé de leurs parcours, les commissaires ont pu comprendre combien il est important qu'on ne se satisfasse pas d'une décision négative de l'asile, contrairement à ce que d'aucuns aimeraient, pour se dire: circulez, il faut aller plus loin, vous n'avez plus de droits ici !
Les commissaires ont pu mesurer ces lacunes, mais ils ont aussi estimé qu'il était important d'établir d'autres conditions, notamment celles proposées par ces trois motions pour améliorer le dispositif de prise en charge des jeunes RMNA. Il est question aujourd'hui d'étendre ce dispositif et d'aller au-delà de l'âge de 18 ans. M. Thévoz l'a dit tout à l'heure, si la majorité survient légalement de manière abrupte à 18 ans, il existe toutefois une série de dispositifs d'aide et d'accompagnement jusqu'à l'âge de 25 ans, parce que l'on considère que ces jeunes adultes ont besoin d'un accompagnement adéquat jusqu'à cet âge-là.
Avec ces motions et cette pétition, on nous appelle surtout à en finir avec l'absurdité qui consiste à débouter des personnes tout en sachant qu'elles ne pourront pas être expulsées de Suisse. Il faut en finir avec l'hypocrisie qui consiste à faire comme si ces personnes n'étaient pas des êtres humains, en l'occurrence des enfants et des mineurs dont les droits fondamentaux doivent être respectés. Il faut en finir avec une politique d'accueil lacunaire qui déboute ces jeunes gens et les relègue dans une zone de non-droit dans laquelle ils désespèrent; une zone où, à défaut d'alternatives, ils s'égarent parfois dans des activités illicites, chose que d'aucuns se complaisent ensuite à leur reprocher abondamment.
Ce que requiert précisément la M 2526 est frappé au coin du bon sens. Pour ces jeunes qui ont survécu à l'horreur des chemins d'exil, qui ont pu réaliser leur légitime aspiration de reconstruire un futur, être stoppé en plein envol est non seulement absolument contreproductif, mais de surcroît d'une extrême cruauté. Maintenir ces jeunes dans l'inhumain no man's land des personnes déboutées, les rejeter dans l'exclusion est injustifiable et inacceptable au regard des droits humains. Alors oui, pour ceux qui se trouvent dans cette situation, favoriser la poursuite des processus d'insertion engagés et leur permettre d'acquérir des compétences est crucial. Leur octroyer pour ce faire une autorisation de séjour est indispensable, à plus forte raison si leur départ à court ou moyen terme n'est pas envisageable. C'est pourquoi notre groupe acceptera cette motion en proposant de la renvoyer au Conseil d'Etat et il vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à en faire autant.
La pétition sur le droit de rester pour les Erythréens et les Erythréennes s'arrête en effet sur une catégorie particulière de personnes, parce que celles-ci sont particulièrement menacées et constituent un cas à part dans notre canton. Evidemment, nous souhaiterions la même chose pour les autres catégories dans cette situation, déboutées mais ne pouvant pas partir de notre canton, n'ayant ailleurs où aller. Nous avons pris en compte toutes les vicissitudes que ces personnes ont dû affronter au cours leur parcours et qu'elles doivent affronter encore aujourd'hui. Elles témoignent de leur désarroi face à l'impossibilité de retourner dans leur pays et face à l'absence d'un droit de rester en Suisse. Certains ont témoigné très clairement, Mme Strasser l'a rappelé tout à l'heure: ces personnes ne demandent qu'à pouvoir échapper au danger qu'elles courent dans leur pays, à pouvoir vivre en paix et à se faire, comme elles disent, une petite place dans la société genevoise, pour avoir une chance de construire un avenir meilleur. Qui n'aspirerait à autant, dans les circonstances auxquelles ont été confrontées ces personnes ? C'est pourquoi notre groupe soutiendra aussi cette pétition et son renvoi au Conseil d'Etat.
Quant à la prise en charge des jeunes adultes relevant de l'asile jusqu'à 25 ans, eh bien, pour nous, elle va de soi.
Le président. Il vous reste quinze secondes, Madame ! (Commentaires.)
Mme Jocelyne Haller. Merci, Monsieur le président. Il s'agit d'une rupture totale qui intervient à 18 ans sans raison. Rompre un processus d'intégration alors qu'il n'est pas abouti n'a aucun sens: c'est laisser les gens en plan ! Il faut aller jusqu'à 25 ans ou, à tout le moins, jusqu'au terme d'un processus d'autonomisation. C'est pourquoi nous vous invitons à soutenir également cette motion et à la renvoyer au Conseil d'Etat ! (Applaudissements.)
Mme Patricia Bidaux (PDC). Mesdames les députées, Messieurs les députés, je ne parlerai pas ici de RMNA; je choisis de parler d'enfants, je choisis de parler de nos enfants, pour les familles qui les accueillent et qui les considèrent comme tels ! Je compléterai les propos tenus par M. Buchs et les excellentes informations techniques transmises par Mme Kämpfen.
On maintient ces enfants, ces jeunes, dans un monde parallèle qui ne correspond pas à leur âge, un monde où ils se retrouvent sans activités, sans formation, un monde où, lorsqu'ils se lèvent le matin, la journée est faite de rien, alors même qu'ils avaient un emploi, une formation en cours. Leur refuser ces activités, c'est ouvrir devant eux des éventualités que nous ne pouvons pas tolérer. Rappelons-nous que ce sont des enfants, des jeunes, avant de les affubler de tout autre statut stigmatisant ! Les former et leur permettre de travailler assure également la sécurité; je pense que je n'ai pas besoin de vous expliquer pourquoi.
Je reviens sur les conditions d'accueil de ces jeunes et enfants au foyer de l'Etoile... J'allais parler de conditions de détention, voyez où on en est ! Je reviens sur l'émotion que nous, les députés, avons eue lors des visites, que ce soit au foyer de l'Etoile ou à celui de la FOJ. Nous avons rapidement compris la différence entre les deux. J'allais me tromper dans les termes, mais il y a bien d'un côté des conditions qui tiennent presque de la détention et de l'autre quelque chose qui est de l'ordre de la vie de famille. Le PDC vous encourage donc à accepter les trois textes qui vous sont proposés. (Applaudissements.)
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, on nous dit qu'on ne peut de toute façon pas les renvoyer car ce ne sont pas des réfugiés économiques mais de vrais réfugiés politiques, menacés dans leur pays. Bon, très bien ! Rappelons simplement qu'entre 2010 et 2014, 46 214 demandeurs d'asile, dont 10 000 Erythréens, sont rentrés dans leur pays en vacances ! Je rappelle simplement ça. Donc, avant que leur demande d'asile ne soit acceptée, ils sont en danger; une fois qu'ils ont un permis ou qu'on leur accorde l'admission provisoire, ils rentrent tranquillement chez eux ! Finalement, on leur apprend quoi, à ces gens ? On leur apprend qu'en Suisse, mieux vaut mentir ! Comment est-ce qu'il faut considérer des gens qui, prétendant être en danger, rentrent tranquillement au pays pour des vacances lorsqu'ils obtiennent un permis de séjour en Suisse ? Moi, je n'appelle pas ça des gens en danger: j'appelle ça des escrocs et des menteurs. (Huées.) En plus, vous encouragez le mensonge et l'escroquerie puisque vous n'êtes pas d'accord avec ça ! (Commentaires.) Comment appelez-vous des gens qui se prétendent en danger et retournent en vacances dans leur pays une fois un statut d'asile obtenu ? 10 000 personnes ! Aujourd'hui, en 2019, 25 000 personnes retournent tranquillement dans leur pays en vacances. En plus, je pense qu'on leur paie ces vacances: c'est certainement aux frais de la Confédération ! (Exclamations. Le président agite la cloche.) Je vais déposer une motion pour que nos enfants puissent également partir en vacances, puisqu'on paie ça à des escrocs qui ont menti. Quel message portent-ils en Afrique ? Vous vous rendez compte du message ? Lorsque vous mentez en Suisse, vous êtes récompensé ! Vous récompensez l'escroquerie et le mensonge ! (Commentaires.) Je parle en connaissance de cause; en cinq ans dans le domaine de l'asile, je crois que je n'ai pas vu un demandeur d'asile dire la vérité, si ce n'est une fois... (Exclamations.) ...un vrai demandeur d'asile de l'OLP expulsé de Suisse parce qu'il s'agissait effectivement d'un demandeur d'asile. (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît !
M. Marc Falquet. C'est un système, c'est une filière mise en place et nous tombons dans le panneau ! Je vous remercie pour votre humanisme, mais on ne rend pas service à ces gens en favorisant le mensonge et l'escroquerie ! (Huées. Commentaires.)
M. André Pfeffer (UDC). Monsieur le président, la situation peut certes être difficile et précaire pour ces jeunes adultes et certains de ces jeunes mineurs, mais il faut quand même rappeler que les critères d'octroi de l'asile sont conformes à une loi et aux statuts du HCR. Si beaucoup de ces requérants ne reçoivent pas le statut de réfugiés, c'est tout simplement parce qu'il s'agit de réfugiés économiques. Il faut aussi rappeler que dans beaucoup de ces cas, il est extrêmement difficile d'identifier l'âge réel et de savoir si ce sont des requérants mineurs ou non. D'une manière quasi systématique, quand ces jeunes arrivent en Suisse, ils perdent leur passeport - mais quasiment jamais leur natel !
Il faut relever que l'intégration est extrêmement difficile dans notre Etat pour un énorme pourcentage de ces requérants d'asile. Même après cinq ou dix ans de présence en Suisse, 90% ou plus de ces requérants ou anciens requérants sont encore à l'aide sociale. Il a déjà été relevé que beaucoup effectuent des visites dans leur pays d'origine, ce qui donne un peu à penser que les raisons de leur venue n'étaient pas exclusivement liées au danger et à leur sécurité.
Pour terminer, je rappelle aussi que, pour l'accueil de requérants d'asile en Suisse, il faut compter en moyenne une somme de 100 000 F par année. Ce sont vraiment des coûts absolument énormes, non seulement pour la Suisse, mais aussi pour l'Erythrée elle-même: dans certaines régions, ces jeunes qui partent en Europe et en Suisse sont aussi le futur de leurs villages. Non seulement ces jeunes partent, mais souvent, on le sait, les voyages pour partir de l'Erythrée et venir en Europe ou en Suisse coûtent plusieurs milliers de francs par requérant et cet argent est souvent collecté dans les villages. Pour ces raisons, l'UDC vous recommande d'accepter ces trois textes. (Exclamations.) Non, de les refuser !
Le président. Merci bien. La parole est à M. Marc Fuhrmann pour quatre-vingts secondes.
M. Marc Fuhrmann (UDC), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Il s'agit évidemment de refuser ces trois textes, je corrige André. Pour terminer, dans tous nos débats en commission, l'élément humain a été extrêmement important, mais ce qui a été très difficile, voire impossible à obtenir, ce sont des chiffres concrets. On a beaucoup entendu de belles paroles sur l'intégration, mais quand j'ai demandé des chiffres concrets sur la réussite, sur les succès scolaires ou la sortie de l'aide sociale, je n'en ai obtenu aucun. C'est donc toujours le flou complet !
Le président. Merci bien. La parole est à Mme Strasser pour cinquante-deux secondes.
Mme Léna Strasser (S), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Je ne peux pas ne pas réagir aux propos de mes préopinants UDC ! Dire que ces requérants d'asile déboutés sont tous des réfugiés économiques ou de faux requérants d'asile est incroyablement faux. Dire qu'il est impossible de les intégrer professionnellement est faux également. Et je pense qu'avec la population jeune qui arrive aujourd'hui - on en a quelques exemples dans cette salle - ça va changer, clairement ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Voilà, ça suffit ! (Applaudissements.)
Le président. Merci. La parole est donnée à Mme Frédérique Perler pour quarante-neuf secondes.
Mme Frédérique Perler (Ve), rapporteuse. Monsieur le président, je suis aussi extrêmement choquée par les propos tenus. Jusqu'ici, nous avons eu un débat digne et humain à propos de ces personnes. Visiblement, M. Pfeffer n'a pas lu ce qui figure sur le site du Secrétariat d'Etat aux migrations: les Erythréens obtiennent l'asile non pas à cause de la situation économique, mais parce que s'ils retournent en Erythrée après avoir déserté, ils s'exposent à des sanctions excessives d'ordre politique. Ça veut dire que les renvoyer, c'est les envoyer mourir, tout simplement ! (Applaudissements.)
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il faut mener un débat serein sur ce sujet grave. Il ne s'agit pas de prendre des cas isolés et d'en faire des généralités. Bien sûr qu'il y a des abus, mais nous parlons évidemment de personnes qui respectent notre législation. Il va de soi que quand quelqu'un est ici et ne respecte pas nos lois, les solutions qu'il faut trouver sont différentes.
Je voudrais vous dire que la délégation du Conseil d'Etat aux migrations que j'ai l'honneur de présider et qui comprend mes collègues M. Apothéloz et Mme Emery-Torracinta est parfaitement sensible au sujet que vous venez d'aborder. Nous avons d'ailleurs reçu des Erythréens mineurs ou de moins de 25 ans qui sont ici depuis quelques années, déboutés de l'asile. Ils sont venus nous exposer leur situation, avec beaucoup d'émotion bien sûr; il faut être insensible pour ne pas essayer de se mettre à leur place, de considérer ce qu'ils ont vécu. Nous avons aussi reçu des associations qui soutiennent ces jeunes et qui nous ont exposé cette problématique que nous connaissons.
Il faut simplement rappeler que nous avons d'abord un cadre légal avec lequel nous devons travailler. C'est un cadre fédéral, avec une loi sur l'asile qui précise à son article 43, alinéa 2, qu'une personne déboutée de l'asile ne peut plus travailler parce qu'elle doit partir. Ensuite, cette personne peut être considérée comme non renvoyable dans son pays, pour d'autres raisons que celles qui ont amené à lui refuser l'asile, et il est vrai qu'à ce moment-là, elle peut être admise provisoirement avec une autorisation de travailler.
La question qui se pose, c'est de savoir ce qui se passe pour une personne dans la filière asile - qui peut donc travailler - entre le moment où elle est rejetée de cette filière et doit arrêter de travailler et le moment où on se rend compte qu'on ne pourra de toute façon pas la renvoyer et qu'elle pourrait reprendre le travail voire entreprendre une formation. Il y a là un trou problématique. Sans entrer dans l'émotion mais en restant pragmatiques, nous avons toutes et tous intérêt à ce que cette personne qui ne peut pas être renvoyée de Suisse subvienne à ses propres besoins au lieu de dépendre de l'aide sociale. Lui refuser une formation, c'est donc marquer un autogoal, même pour celles et ceux qui ont la position la plus rigide en ce domaine.
Par conséquent, le Conseil d'Etat est prêt à travailler sur les deux propositions de motions qui vous sont soumises. D'ailleurs, il ne les a pas attendues pour le faire, parce que c'est une question de bon sens, comme je viens de le dire. Quant à la pétition, elle peut à mon avis être rejetée, même si la situation des Erythréens est particulière. Nous savons là aussi que la Confédération peut, dans le cadre de l'article 43, alinéa 3, de la loi sur l'asile, prendre des dispositions générales pour l'ensemble des personnes en provenance d'un pays. Il est évidemment souhaitable que cela puisse être fait pour ces jeunes. Cela ne veut pas dire que, parce que la Confédération ne l'a pas fait, ces jeunes vont être renvoyés. Comme vous le savez, selon les cas particuliers et pour autant que la personne concernée ait montré par son attitude sur notre territoire qu'elle le mérite, le canton soutient systématiquement une demande d'admission provisoire pour qu'elle puisse poursuivre sa formation, poursuivre ses études. Peut-être qu'un jour, elle deviendra Suissesse ou Suisse, comme beaucoup d'autres arrivés avec une nationalité étrangère dans notre pays. La condition est évidemment d'accepter nos lois, d'accepter nos règles. Pour le reste, il est clair que nous avons tout intérêt à ce que ces personnes subviennent elles-mêmes à leurs besoins. (Applaudissements.)
Le président. Merci bien. Nous allons passer aux votes, en commençant par la M 2526.
Mise aux voix, la motion 2526 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 76 oui contre 6 non et 2 abstentions.
Le président. Nous passons à la pétition 2066.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des affaires sociales (renvoi de la pétition 2066 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 51 oui contre 8 non et 27 abstentions.
Le président. Nous terminons avec la M 2524.
Mise aux voix, la motion 2524 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 62 oui contre 6 non et 16 abstentions.