Séance du vendredi 13 septembre 2019 à 16h
2e législature - 2e année - 4e session - 20e séance

M 2480-A
Rapport de la commission des transports chargée d'étudier la proposition de motion de MM. Stéphane Florey, Thomas Bläsi, Marc Falquet, André Pfeffer, Patrick Lussi, Bernhard Riedweg, Christo Ivanov pour une mise en oeuvre effective de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (LTVTC) et le respect par les transporteurs et diffuseurs de courses des conditions sociales des chauffeurs et de la législation sur les étrangers
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 29 et 30 août 2019.
Rapport de majorité de Mme Salima Moyard (S)
Rapport de minorité de M. Christo Ivanov (UDC)
M 2571
Proposition de motion de Mmes et MM. Salima Moyard, Thierry Cerutti, Delphine Klopfenstein Broggini, Jacques Blondin, Mathias Buschbeck, Christo Ivanov, François Lance, Caroline Marti, Fabienne Monbaron, André Python, Jean Romain, Alexandre de Senarclens, Pierre Vanek, Rolin Wavre, Thomas Wenger : LTVTC
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 29 et 30 août 2019.

Débat

Le président. Nous continuons les urgences. Le point suivant est classé en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à la rapporteuse de majorité, Mme Salima Moyard.

Mme Salima Moyard (S), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Deux ans après l'entrée en vigueur de la LTVTC, la nouvelle loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur, qui essaie de réguler ce monde en perpétuel changement, les problèmes sont encore nombreux et la commission des transports a donc remis l'ouvrage sur le métier.

Vous savez qu'il y a d'un côté les taxis, qui ont un usage accru du domaine public, et d'un autre les VTC, voitures de transport avec chauffeur, dont la plus grande partie - mais pas tous - travaillent avec la plateforme Uber, souvent en plus d'un autre emploi. La question la plus importante qui se pose dans ce dossier, avec des conséquences énormes sur le paiement des charges sociales, concerne le statut de ces chauffeurs Uber: sont-ils salariés ou indépendants ? Il va de soi qu'Uber souhaite les voir indépendants, ce qui lui fait faire de grandes économies: dans le cas contraire, son modèle économique ne tiendrait tout simplement pas !

Aujourd'hui, le dossier n'est pas entièrement entre les mains du canton, puisque la question de savoir si ces chauffeurs sont salariés ou indépendants relève de la Suva - Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents - qui vient justement, en juillet, de rendre une décision qui confirme que ces chauffeurs sont salariés, contrairement à la politique menée jusqu'ici par Uber. Evidemment, Uber a fait recours et continuera à le faire jusqu'à épuisement de toutes les voies de recours. Nous faisons face à une guerre juridique très longue sur une question pourtant essentielle qui laisse des travailleurs précarisés et les monte les uns contre les autres dans un secteur fragilisé où la concurrence fait rage.

Dans ce contexte pas tendre, nous avions étudié la proposition de motion 2480 de l'UDC: elle n'a pas été acceptée par la commission car deux invites sont dépassées. Une troisième invite concerne justement le statut des chauffeurs et n'est pas du ressort cantonal, mais de celui de la Suva. Deux autres invites sont trop vagues et générales, même si personne en commission ne les a contrées. C'est pour ces raisons que la commission a élaboré une motion de commission qui vous est soumise, la M 2571.

Après de nombreuses auditions et le travail d'un sous-groupe, cette motion demande trois choses. Premièrement, de rehausser le niveau des examens VTC, qui sont aujourd'hui beaucoup trop faciles, avec un taux de réussite de plus de 95%. A noter que, suite aux débats en commission, le département a déjà fait un pas dans cette direction en supprimant les questions d'examen qui se trouvaient sur internet. C'est bien, mais il faut faire plus. Deuxièmement, la motion demande davantage de contrôles par la police du commerce chargée de l'application de la loi et par la brigade routière, notamment le soir et le week-end. La troisième chose demandée est que le département applique l'article 42 de la loi qui prévoit une évaluation de l'impact de cette loi, notamment sur le revenu des chauffeurs.

Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous propose de refuser la M 2480 et d'accepter la M 2571 de la commission sur ce dossier épineux. (Applaudissements.)

M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. Monsieur le président, comme l'a dit ma préopinante, dans ce dossier très complexe, plusieurs éléments nous renvoient au droit fédéral et au Tribunal fédéral, qui ne me semble d'ailleurs pas très pressé de se déterminer dans ce dossier. Pourtant, la Suisse pratique la reprise automatique du droit européen et la sanction de la Cour de justice de l'Union européenne du 20 décembre 2017 qualifie bien Uber d'entreprise de transport et non de diffuseur de courses. La question de la sous-traitance a aussi été sanctionnée avec le jugement du tribunal des prud'hommes de Lausanne du 2 mai 2019. L'avis de droit du SECO a qualifié le lien entre les chauffeurs et les sociétés partenaires de lien employeur-employé. Le SECO qualifie le rapport entre Uber et les chauffeurs Uber de rapport de travail pour pouvoir dire qu'il y a une violation de la loi fédérale sur le service de l'emploi et la location de services.

Comme l'a dit ma préopinante, il y a aussi eu un jugement à Zurich suite à une plainte déposée par la Suva sur la problématique des charges sociales. De surcroît, Uber a déménagé récemment ses sièges de Genève et Lausanne à Zurich, ce qui confirme d'ailleurs l'exposé des motifs de la proposition de motion 2480 qui indique que les diffuseurs de course comme Uber ne respectent pas la loi. La M 2480 garde toute sa pertinence; pour la minorité de la commission, il convient de voter les deux motions et de les renvoyer au Conseil d'Etat, car elles sont complémentaires.

M. Pierre Vanek (EAG). Monsieur le président, Uber pose un problème majeur dans cette branche de l'emploi. C'est un modèle économique qui vise à faire exploser certaines protections sociales, qui pose des problèmes sur le plan fiscal et des conditions de travail; c'est un modèle globalement inacceptable et on doit évidemment entreprendre de le cadrer. On ne peut pas simplement dire que telle entreprise est interdite, etc. Enfin, on a entrepris de cadrer un peu ou on essaie de le faire.

Je lisais la «Tribune de Genève» à l'instant: une entreprise qui pratique le même modèle renonce à venir à Genève et dit que les conditions sont en train d'être resserrées et que ça ne l'intéresse plus de venir ici. Mesdames et Messieurs, je m'en félicite ! Je vous rappelle qu'en octobre 2016, lors du débat sur la LTVTC, j'avais fait un rapport de minorité. J'ai relu mes conclusions: je relatais que le directeur d'Uber Suisse était venu dire que le projet de réforme proposé par Pierre Maudet allait dans le bon sens et remplissait les quatre critères qu'il avait posés. C'est Uber qui imposait des critères au législateur genevois: c'était pour ça qu'on s'opposait à ce projet de loi ! Aux Etats-Unis et dans d'autres pays aussi, des mobilisations de chauffeurs ont eu lieu pour protester contre les conditions inadmissibles qui leur étaient faites dans le modèle scandaleusement ultralibéral qui est l'étendard de cette entreprise. Nous disions donc que nous ne voterions pas cette loi, non pas parce qu'il s'agissait d'une lex Maudet, mais parce que c'était une lex Uber. On me répondait que l'intérêt d'Uber était d'avoir une situation stabilisée et une forme de reconnaissance genevoise - Jean Romain se souviendra du rapport qu'il avait fait - que cette catégorie était libre d'entraves mais pas de lois, et que cette loi se proposait justement de cadrer ce qui ne l'était pas alors. Mesdames et Messieurs les députés, le cadrage était plein de trous, c'était une passoire ! Ce n'était pas extrêmement sérieux, c'est bien qu'on le reconnaisse aujourd'hui. De ce point de vue, les motions qui nous sont soumises relèvent d'une démarche légitime. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

La motion de commission doit évidemment être votée, mais, surtout, nous avons sur le métier une loi qui a obtenu les suffrages de nombreux membres de la commission des transports - Salima Moyard en sait quelque chose pour en avoir été l'artisane principale - et je regrette que le soutien ne soit pas plus grand. Comme son intitulé l'indique, le projet de loi 12526 demande une modification de la LTVTC concernant les charges sociales, les impôts et les sanctions.

Le président. Vous avez terminé, Monsieur Vanek !

M. Pierre Vanek. La LTVTC doit être renforcée, je m'en félicite - et je m'arrête, Monsieur le président.

M. Stéphane Florey (UDC). Renseignement pris auprès des milieux intéressés par cette problématique des VTC, les deux motions restent parfaitement d'actualité; ces personnes me l'ont confirmé encore ce matin. Les opposants qu'on pourrait appeler les opposants à Uber ont été choqués de lire dans le rapport qu'un chauffeur Uber a été auditionné de manière anonyme alors que tout ce qu'il a relaté est parfaitement impossible ! Les chauffeurs de taxi et les chauffeurs qui ont travaillé pour Uber le disent tous: gagner 2000 francs par semaine comme c'est mentionné est tout simplement impossible en respectant la loi. Ça veut dire que si ces personnes déclarent 2000 à 2500 francs de revenu par semaine, elles ne respectent tout simplement pas la loi ! C'est tout bonnement impossible autrement.

On peut également lire dans le rapport qu'un projet de loi a été déposé en commission. Vous transmettrez, Monsieur le président: Madame la rapporteuse de minorité, vous n'aurez personne avec votre projet ! Déjà, il ne satisfait en rien les milieux professionnels concernés, ils l'ont déjà annoncé. Ils ont dit qu'il faudrait de toute façon amender le projet. Franchement, ce qui m'étonne dans votre rapport, c'est le manque d'honnêteté intellectuelle, qui ne vous ressemble pas ! (Exclamations.)

Aujourd'hui, c'est évident, les deux propositions de motions sont parfaitement d'actualité et il faudrait encore savoir où en sont les négociations en cours entre le conseiller d'Etat Mauro Poggia et les milieux concernés, qui ne sont pas prises en compte ici - au-delà de la montre jouée par certains pour dire qu'ils ont fait ci ou ça ou que leur projet est mieux que celui des autres. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) M. Poggia confirmera ou infirmera, mais je ne pense pas être dans l'erreur: j'ai appris ce matin qu'un projet de loi va être déposé tout prochainement et ce texte tient compte de l'ensemble de la problématique et aurait plus ou moins les faveurs des milieux professionnels concernés.

Si vous voulez vraiment aller au fond des choses, obtenir des réponses claires sur ce qui est en vigueur, ce qui ne l'est pas, ce qu'on peut faire, ce qu'on ne peut plus faire, il faut renvoyer les deux motions au Conseil d'Etat pour avoir des réponses sur l'ensemble...

Le président. Dépêchez-vous, Monsieur Florey !

M. Stéphane Florey. ...donc je vous remercie d'accepter les deux motions !

Mme Fabienne Monbaron (PLR). Comme cela a été dit, la M 2480 dénonce la LTVTC, entrée en vigueur en juillet 2017: celle-ci était supposée mettre tout le monde sur un pied d'égalité parmi les taxis et chauffeurs VTC, mais ce n'est pas vraiment le cas. Certains chauffeurs VTC se trouvent dans une situation laissant à penser que leurs charges sociales ne sont pas couvertes, ce qui n'est pas admissible. D'autres, ou les mêmes, peuvent se jouer des diverses dispositions légales car les contrôles ne sont pas assez soutenus et la communication entre les services chargés de leur application est trop lacunaire, faisant par là également un pied de nez aux chauffeurs de taxi qui ont des obligations bien plus strictes. Ce texte demande que tous ces chauffeurs soient mis sur un pied d'égalité vis-à-vis des lois qu'ils sont tenus de respecter.

Les points relevés dans cette proposition de motion ont été étudiés en commission où bon nombre de personnes et entités ont été auditionnées. De nombreuses questions résultant de ces auditions sont restées ouvertes. Par exemple, le point de l'affiliation des chauffeurs VTC en tant que salariés ou en tant qu'indépendants n'est pas définitivement tranché. Comme cela a été dit, la Suva a récemment rendu une décision stipulant que les chauffeurs Uber sont des salariés pour lesquels cette société doit s'acquitter des charges sociales, décision contre laquelle Uber a bien sûr recouru.

Après toutes ces discussions de commission, un consensus s'est dégagé à propos de la M 2480 qui ne pouvait être votée telle quelle, certaines de ses invites étant soit dépassées car appliquées, soit inapplicables. Il n'est en effet pas possible de donner trente jours à Uber pour déclarer ses chauffeurs comme salariés de cette entreprise. Cela étant, les débats ont démontré que de nombreux points méritent une attention particulière, nécessitant que la M 2480 ne soit pas retirée afin que les travaux effectués en commission ne soient pas vains. Ils ont permis à la commission de rédiger une autre proposition de motion, la M 2571 soumise au vote ce soir, ce d'autant plus que ce n'est pas que la société Uber qui est concernée, mais bien toutes celles qui oeuvrent dans le domaine des VTC. Cette motion, dont les invites ont déjà été citées par mes préopinants, rappelle également au Conseil d'Etat que nous attendons avec une certaine impatience de prendre connaissance du bilan sur l'impact de la loi entrée en vigueur il y a deux ans. Le PLR refusera donc la M 2480 et votera la M 2571 avec des remerciements à sa rédactrice.

M. Patrick Dimier (MCG). Monsieur le président, il s'agit à nouveau d'un débat de société. Comme l'a relevé un de mes préopinants, nous devons absolument lutter contre Uber et d'autres sociétés qui pillent les protections sociales. Ce qu'a dit ma préopinante directe sur la différence entre les deux motions me semble tout à fait fondé; c'est la raison pour laquelle nous soutiendrons bien évidemment la M 2571 et non la M 2480. Cela dit, il faut aussi saluer le travail effectué par le magistrat qui met les points sur les i - et les bons points, parce que, parfois, on met les points sur les i pour faire de la rhétorique ! On n'est pas dans ce cas de figure, on doit saluer le travail effectué par le Conseil d'Etat sur de vrais sujets comme celui de la protection des travailleurs dans ce canton.

M. Jacques Blondin (PDC). Madame la rapporteure de majorité, vous avez qualifié ce sujet d'épineux. Je me permettrai de dire qu'il s'agit d'un sac de noeuds: nous avons eu quatorze séances pour essayer d'y voir clair dans cette problématique ! Bien évidemment, il ne s'agit pas de considérer que tout est blanc du côté des chauffeurs de taxi - les Genevois râlent assez à ce propos ! - et tout noir pour ce qui est d'Uber. Les choses sont évidemment beaucoup plus compliquées et les auditions l'ont prouvé, puisqu'on a vraiment entendu tout et son contraire. Quand même, il est évident que la loi est la même pour tout le monde et que la LTVTC doit être appliquée et respectée. Toutefois, un certain nombre d'informations légales manquent encore. Des recours sont pendants au Tribunal fédéral, des décisions doivent être prises et l'autorité genevoise n'a pas les compétences pour appliquer certaines des normes demandées. En l'état, contrairement à ce qui a été dit, je suis désolé mais il y a lieu de calmer le jeu pour voir ce qui se passe; nous attendons avec impatience ce rapport qui nous a été promis puisque la loi est en vigueur depuis deux ans. Il y aura lieu de se faire un avis autorisé sur la base de ce rapport.

Pour ceux qui ne l'auraient pas encore lu sur les réseaux sociaux, vous saurez que la société Kapten a communiqué cet après-midi qu'elle allait quitter Genève, compte tenu des circonvolutions de l'interprétation qui est faite de la LTVTC. Cela démontre qu'il y a un vrai problème. Je tiens à dire que lors des consultations, tant le président du département que les représentants des taxis ont dit que le but n'était pas de faire partir Uber; le but était qu'Uber respecte les normes, mais Kapten a décidé de partir. Ce sont quand même 1800 chauffeurs qui sont potentiellement en difficulté. Bien évidemment, il faut voir tout ce que ça implique dans la problématique globale.

Dans sa très grande majorité, la commission a rejeté la M 2480 parce que celle-ci demande ni plus ni moins de sommer Uber de respecter les normes dans un délai de trente jours ou de cesser ses activités. La base légale manque totalement. La motion de commission, acceptée à l'unanimité, ne demande rien de plus que de rehausser le niveau de l'examen, de renforcer les contrôles et de mettre un peu la pression pour que ce rapport nous parvienne dans les meilleurs délais.

Pour toutes ces raisons, le parti démocrate-chrétien rejettera la M 2480 et soutiendra bien évidemment la motion de commission. (Applaudissements.)

M. Thomas Wenger (S). Monsieur le président, Mesdames les députées, Messieurs les députés, chers collègues, on l'a dit, nous sommes dans un vrai débat de société. Ce débat porte sur ce qu'amène aujourd'hui le numérique dans les relations de travail, dans les relations avec les clients. Comme le disait encore une collègue cet après-midi, nous sommes dans ce que l'on appelle l'ubérisation de la société. On devrait changer de terme parce qu'on fait encore de la promotion pour Uber quand on parle d'ubérisation, mais c'est bien ce débat de fond que nous devons avoir aujourd'hui.

Quel est le modèle d'Uber ? C'est le même que celui de Kapten ou d'autres sociétés: faire travailler des personnes, en l'occurrence des chauffeurs de véhicules qui transportent des personnes, sans les salarier, avec tout ce que ça comporte comme protection sociale. Non, selon Uber, ce sont des personnes indépendantes. C'est bien là le noeud du problème aujourd'hui et des décisions sont attendues dans le monde entier - en Europe et bien entendu en Suisse - sur le statut de ces fameux chauffeurs qui transportent des personnes. Sont-ils des salariés d'Uber ou d'autres entreprises ou sont-ils des indépendants ? La Suva a, elle, déjà tranché: pour la Suva, ce sont clairement des salariés, pas des indépendants. Ces personnes vivent une vraie précarité du travail, une vraie précarité de leurs conditions générales et salariales. Nous avons auditionné plusieurs chauffeurs qui nous ont expliqué comment se passait concrètement leur travail: une fois qu'ils ont payé pour la location de leur véhicule, une fois qu'ils ont payé pour l'essence, que leur reste-t-il à la fin du mois, Mesdames et Messieurs ? Il leur reste entre 2000 et 3000 francs par mois pour vivre. Imaginez vivre à Genève avec ça ! Et il ne s'agit pas d'un travail de trente heures par semaines ! Non, il s'agit parfois de soixante, quatre-vingts, parfois nonante heures par semaine pour des personnes qui ne peuvent pas rentrer chez elles, qui se disent: allez, je fais encore une dernière course pour mettre un peu de beurre dans les épinards ! Tout ça pour quoi ? Pour toucher entre 2000 et 3000 francs par mois ! C'est vraiment scandaleux, les conditions de travail sont déplorables ! On peut vraiment appeler les chauffeurs VTC les nouveaux forçats de la route. Et c'est à nous, Mesdames et Messieurs les députés, de prendre des décisions dans ce parlement, avec la motion de ma collègue Salima Moyard qui a fait un travail remarquable, mais aussi avec le projet de loi que nous étudions à la commission des transports. Nous devons absolument revoir cette loi pour protéger les personnes qui exercent aujourd'hui ce métier.

On en a beaucoup parlé, il s'agit aussi d'une concurrence déloyale pour les chauffeurs de taxi qui, eux, paient des taxes et des impôts et passent un examen alors que ce n'est pas du tout le cas des chauffeurs VTC qui, eux, ne paient pas la TVA. On sait que 25% de ce qu'ils gagnent part directement chez Uber aux Pays-Bas, qui est taxé là-bas à des taux dérisoires. Nous devons absolument mettre de l'ordre dans ce débat. Monsieur le président, je finis en dix secondes pour vous dire que nous devons avoir ce débat de société à propos d'Uber, Uber Eats, Kapten, Airbnb, etc. Est-ce que c'est vraiment ça qu'on veut ? Pour les socialistes, c'est non ! Nous devons instaurer des conditions-cadres. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie. Je passe la parole à M. Murat Julian Alder pour quarante secondes.

M. Murat Julian Alder (PLR). Merci, Monsieur le président. Je n'ai pas travaillé en commission sur ces propositions de motions parce que je ne siège plus à la commission des transports. Néanmoins, j'ai eu la chance de travailler sur la LTVTC telle qu'on la connaît aujourd'hui durant la dernière législature. Le moins que je puisse dire, c'est que je m'étonne ! Mesdames et Messieurs, je m'étonne que nous soyons en train de débattre de motions concernant une législation qui a fait ses preuves et qui a inspiré d'autres cantons qui se sont montrés même plus libéraux que nous. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, à ce jour, aucun tribunal en Suisse n'a statué sur la question de savoir si les chauffeurs VTC sont des employés ou des indépendants. Le fait que la Suva statue en ce sens ne regarde qu'elle. Cessons donc de faire le travail des tribunaux à la place des tribunaux et laissons cette loi se déployer. Le Conseil d'Etat en fera l'appréciation voulue !

Le président. Vous avez terminé !

M. Murat Julian Alder. Merci de votre attention.

Le président. Merci, Monsieur. Je passe la parole à M. le député Vincent Maitre pour quarante secondes.

M. Vincent Maitre (PDC). Je vous remercie, Monsieur le président. Mon préopinant vient d'exprimer en substance ce que je souhaitais dire: il n'y a aujourd'hui qu'une seule vérité, la vérité de la justice qui, justement, ne s'est pas encore prononcée. On peut évidemment citer les décisions de la Suva et du tribunal de Lausanne; on pourrait peut-être aussi citer de temps en temps celle de Zurich qui a précisément cassé la décision de la Suva à laquelle tout le monde fait référence dans ce parlement.

Par ailleurs, on peut absolument vouloir encadrer par la législation un domaine du marché parce que c'est nécessaire de le faire, ne serait-ce qu'au regard de la protection des travailleurs et des chauffeurs quels qu'ils soient, mais alors, il faut le faire de la même façon envers tout le monde, par équité de traitement.

Le président. Dépêchez-vous !

M. Vincent Maitre. Et pour répondre à M. Wenger, il faudra s'attaquer aussi au statut des chauffeurs de taxi qui, eux, ne sont pas reconnus comme des travailleurs mais bien comme des indépendants ! (Commentaires.)

M. Patrick Dimier (MCG). J'aimerais revenir sur les propos de mon préopinant direct qui défend, je crois, les intérêts d'Uber: je ne suis pas sûr que l'article 24 ne s'applique pas à lui ! (Applaudissement.)

Sur le fond, nous sommes les législateurs, et si nous, législateurs, ne fixons pas les règles, on ne peut pas attendre que les tribunaux appliquent la loi puisque nous les précédons ! La pire des républiques, c'est la république des juges; la meilleure république, c'est celle qui est faite par des parlementaires ! Encore meilleure est celle qui est faite par des parlementaires de milice, parce qu'ils sont précisément ancrés dans la société de tous les jours. Nous dire que les tribunaux ne se sont pas exprimés, c'est prendre le raisonnement complètement à l'envers ! Nous sommes le législateur, c'est à nous qu'il appartient de fixer les règles et non pas aux juges ! (Applaudissements.)

Le président. Merci bien. La parole est donnée à M. Christo Ivanov pour une minute quatorze.

M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président; je vais être bref. Comme il a été dit, la commission des transports attend toujours le rapport du Conseil d'Etat. La loi a été votée il y a deux ans et demi et il y était indiqué qu'un rapport serait soumis à la commission des transports au bout de deux ans: tel n'est pas le cas. Afin d'avancer dans ce dossier, comme le demande la minorité, je vous demande de bien vouloir accepter les deux motions.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je ne vais pas entrer dans le détail de ce dossier complexe, y compris sur le plan juridique. Ce n'est pas parce que les tribunaux ne sont pas encore saisis, du moins en ce qui concerne le transport professionnel de personnes - ils le sont pour ce qui est du transport de marchandises avec Uber Eats - qu'il ne faut pas faire du droit.

En ce qui concerne la M 2480 qui a été rejetée en commission, au nom du Conseil d'Etat, je vous demanderai aussi de la rejeter. Ses invites sont manifestement inapplicables: on ne peut pas demander à la société Uber de déclarer dans les trente jours tous ses chauffeurs comme travailleurs. Ce n'est pas comme ça que ça se passe, sinon nous l'aurions évidemment déjà fait; c'est un peu plus subtil.

En ce qui concerne les décisions prises, j'ai entendu dire que la Suva s'était prononcée et qu'un tribunal zurichois lui avait donné tort. Il faut quand même rappeler que la décision du tribunal zurichois portait uniquement sur la qualité de l'employeur, considérant que la décision avait été adressée au faux destinataire. La Suva a pris du temps, mais elle a rendu en juillet une nouvelle décision qui, bien sûr, fait elle aussi l'objet d'une opposition. A n'en pas douter, cela sera porté jusqu'au Tribunal fédéral.

Il s'agit là d'un nouveau modèle d'affaires, mais cela ne veut pas dire que la loi doit forcément s'adapter à ce nouveau modèle. Nous avons des éléments dans le droit fédéral et dans le droit cantonal qui nous permettent parfaitement d'appréhender ce type de situations. Je l'ai dit publiquement et je peux le répéter, mon sentiment est que tous les éléments sont réunis pour retenir un lien de subordination entre ce diffuseur de courses qui est en réalité une entreprise de transport et les employés-chauffeurs qui travaillent pour cette société. Maintenant, je ne prétends pas être porteur de la vérité et les décisions qui seront prises dans ce domaine seront évidemment aussi portées devant les tribunaux. Vous avez vu que l'une des sociétés dont le nom figure dans les médias - Kapten - a considéré que la position adoptée par le département et l'Etat de Genève ne lui convenait pas et a donc décidé de quitter le territoire. Cela ne veut pas dire que ses chauffeurs resteront sans travail, il y a d'autres diffuseurs de courses qui, eux, sont des vrais diffuseurs de courses et n'encaissent pas la course à la place du chauffeur, ne leur disent pas le chemin qu'ils doivent prendre et ne suppriment pas leur accès à l'application sans aucun droit de réponse. Ces sociétés de diffusion de courses seront évidemment à disposition de ces chauffeurs.

Que faut-il retenir de la décision de Kapten communiquée aujourd'hui ? C'est ce que ces sociétés nous disent: soit vous adaptez votre droit pour nous permettre de faire notre travail comme nous voulons le faire, soit nous partons. Ce n'est pas comme ça que je conçois la relation entre l'Etat et le monde économique ! Quand une société veut venir travailler ici, elle est la bienvenue, comme toutes les autres, mais il lui appartient de tenir compte de notre législation, de tenir compte aussi de notre culture de partenariat social et de ne pas arriver avec des gros bras pour imposer sa loi. C'est tellement surprenant que la Californie elle-même a voté une loi cette semaine allant exactement dans la direction prise par Genève. La Californie, qui accueille pourtant le siège mondial d'Uber et d'une autre société de ce secteur, exige désormais que les chauffeurs soient des travailleurs employés par la société Uber. C'est un comble, si même les Etats-Unis, le pays du libéralisme et de l'ultralibéralisme absolu, considèrent qu'il faut réglementer ce marché, c'est bien qu'il y a un problème ! Dans un Etat responsable, on ne peut pas laisser des personnes travailler dans la précarité, sans couverture sociale, parce que la facture, nous allons la payer un jour, Mesdames et Messieurs ! Ces personnes arriveront un jour à l'âge de la retraite avec des cotisations insuffisantes pour toucher des prestations correctes et c'est nous, Mesdames et Messieurs, qui devrons nous y substituer !

Je vous ai dit ce que le Conseil d'Etat pensait de la première proposition de motion. En ce qui concerne la seconde, celle qui a été élaborée par la commission, le Conseil d'Etat est parfaitement prêt à entrer en matière. Il est tellement prêt qu'il l'a déjà fait ! Je peux vous dire qu'il a déjà bien avancé: ce matin, j'ai examiné le rapport qui est pratiquement terminé et peut être déposé auprès du Grand Conseil.

Malheureusement, l'une des demandes inscrites dans la loi était d'évaluer l'impact de cette loi sur le revenu des chauffeurs de taxi: après avoir contacté tous les services possibles et imaginables, avec la meilleure volonté du monde, il m'est impossible de savoir quel est le revenu des chauffeurs de taxi genevois, l'administration fiscale genevoise n'ayant pas de code permettant de trouver qui parmi les contribuables est chauffeur de taxi. A part un sondage auprès des chauffeurs de taxi dont on imagine tous quel serait le résultat, je n'ai pas d'éléments objectifs pour vous dire s'il y a ou non un impact et de quelle nature il serait. Par contre, compte tenu de la concurrence effrénée à laquelle on assiste dans le domaine public, on peut largement imaginer que ce marché n'est pas extensible et que l'arrivée d'environ 1300 chauffeurs VTC dans le canton de Genève a eu un impact sur les revenus de nos chauffeurs de taxi.

Voilà ce que le Conseil d'Etat veut vous dire, Mesdames et Messieurs les députés: des décisions sont sur le point d'être prises. Pourquoi ne l'ont-elles pas été à ce jour ? Parce qu'il y a des règles en matière administrative qui doivent être respectées, comme celle du droit d'être entendu. Lorsque l'Etat veut prendre une décision qui a des conséquences pour un administré, il doit lui donner la possibilité de faire valoir ses droits, ce que nous avons fait. Dans la réponse, des questions sont apparues sur la titularité dans le contrat de travail ou dans le contrat de partenariat, selon la qualification qu'on veut lui attribuer. Est-ce que c'est la société néerlandaise ou est-ce que c'est la société suisse ? Vous le savez, notre LTVTC impose d'avoir un siège en Suisse, que l'on soit diffuseur de courses ou que l'on soit une entreprise de transport. Or, aujourd'hui, nous avons une entreprise installée en Suisse qui dit qu'elle n'est pas concernée et que les contrats de travail seraient conclus par la société néerlandaise, ce qui impliquerait ipso facto que l'activité d'Uber soit immédiatement interdite si la loi devait être appliquée dans toute sa rigueur. Nous ne le faisons pas parce que nous sommes conscients des conséquences. Nous appliquons le principe de proportionnalité et nous avons redonné un délai à cette société pour qu'elle se prononce. Voilà où nous en sommes aujourd'hui: des décisions risquent de tomber et nous agirons avec pondération et avec proportionnalité, mais avec rigueur. (Applaudissements.)

Le président. Merci bien. Nous passons aux votes successifs sur les deux propositions de motions.

Mise aux voix, la proposition de motion 2480 est rejetée par 76 non contre 8 oui et 8 abstentions.

Mise aux voix, la motion 2571 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 86 oui contre 2 non.

Motion 2571