Séance du
mercredi 15 mai 2019 à
17h
2e
législature -
2e
année -
1re
session -
3e
séance
M 2220-B
Débat
Le président. Nous passons à la M 2220-B. Nous avons reçu une lettre à propos de cet objet, le courrier 3861 que M. le député Raymond Wicky va vous lire.
Le président. Merci, Monsieur. La parole est à M. Christian Zaugg.
M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, voilà une lettre pleine de bon sens, qui énonce certaines vérités. Pour rappel, le fameux projet de loi est pendant à la commission des travaux, qui l'a elle-même renvoyé à la commission des visiteurs officiels pour lui demander un préavis. Il faut considérer la situation: en ce qui concerne la population carcérale, la pétition demande une nouvelle planification pénitentiaire. Si l'on compte la population résidente de Champ-Dollon, entre les détenus qui n'ont rien à y faire - ils sont nombreux - ceux qui pourraient porter un bracelet électronique et ceux qui pourraient être recasés à la prison de La Brenaz, parce qu'on découvre qu'il y a là-bas un certain capital de places, franchement, le projet des Dardelles a du plomb dans l'aile ! De toute manière, ce qui est absolument certain, c'est que le projet que le Conseil d'Etat nous soumet à nouveau est le frère jumeau du précédent - une construction de 450 places à 258 millions de francs. Les alternatives, les contreprojets et les amendements consisteraient à enlever çà et là un deuxième étage, un bout de bâtiment, pour un prix tout à fait équivalent. Franchement, tout cela n'a aucun sens ! Il aurait fallu au moins que le Conseil d'Etat présente quelque chose de totalement différent, parce que les projets qui nous ont été proposés se ressemblent comme des frères jumeaux; ils coûtent tout aussi cher et sont tous au-delà de la capacité qu'il faudrait prévoir. Le groupe Ensemble à Gauche est donc entièrement d'accord avec le contenu de cette lettre. Bien entendu, les demandes qu'elle contient tombent un peu à côté puisque le projet de loi est pendant en commission; il n'en reste pas moins que la lettre est totalement juste quant à son fond.
Mme Marion Sobanek (S). Pour le groupe socialiste, la réponse du Conseil d'Etat est inacceptable en l'état. Grosso modo, celui-ci dit: circulez, y a rien à voir ! On garde exactement la même planification pénitentiaire et le même projet ! Comme l'a dit mon préopinant, dans les tentatives de réaménagement de ce projet des Dardelles, on s'est simplement dit qu'on enlevait un bout par-ci par-là - tout ça pour en arriver aux mêmes montants. Cela me semble assez illogique ! On veut construire une prison pour rénover Champ-Dollon qui est dans un état de délabrement avancé et qui nécessiterait selon moi d'être détruite. Mais bon, on n'en est pas là ! C'est en tous les cas un faux argument: si on construit une nouvelle prison, on abandonne l'ancienne, mais il n'est pas efficace financièrement d'en construire une pour rénover l'autre !
Dans sa réponse, le Conseil d'Etat ne donne que des arguments financiers. A propos du besoin de places, j'aimerais dire que Genève emprisonne davantage que d'autres cantons: on arrive presque au double, en comparaison avec un autre canton frontalier comme Bâle. On a beaucoup moins recours ici à des peines alternatives alors que cela pourrait libérer un nombre significatif de places. Une bonne partie des détenus de Champ-Dollon s'y trouvent à cause de la conversion des jours-amende: on pourrait imaginer une autre prise en charge, car ces personnes ne nécessitent pas la sécurité que doit offrir une prison qui héberge des criminels de grande envergure. D'ailleurs, de manière générale, la criminalité est en baisse depuis 2011, y compris la criminalité des jeunes.
A Genève, il y a encore une autre spécificité: notre justice est presque cinquante fois plus lente que dans d'autres cantons. Je n'ai pas d'explication, mais on m'a donné entre autres raisons la complication de certaines procédures: je veux bien que ce soit ainsi pour certains cas. Actuellement, 73 détenus se trouvent depuis plus d'une année en détention préventive à Champ-Dollon, ce qui me semble beaucoup, et ça coûte certainement aussi très cher, pour reprendre un argument financier comme le Conseil d'Etat les aime apparemment. Par ailleurs, il y a une tendance à la libéralisation de certains produits qui mènent actuellement des gens en prison; si vous lisez les journaux, vous verrez que la situation va probablement bouger.
L'essentiel est qu'il nous faut une prison moderne, il nous faut une prison au top des bonnes pratiques en matière de détention. Il faudrait donc regarder ce qui se fait dans d'autres pays et il ne faudrait pas ressortir le vieux projet d'une prison d'exécution de peine comme ce sera le cas avec ce projet des Dardelles. La commission des visiteurs a pris connaissance, notamment en Espagne et en Hollande, de réflexions menées sur d'autres pratiques et d'autres façons de construire des prisons, qui reposent sur une prise en charge différente des détenus. On sait très bien que la réinsertion se passe in fine beaucoup mieux si la période de détention est bien réfléchie et qu'on peut procéder par étapes successives. Or là, de nouveau, Genève pèche ! Cela nous a été confirmé lors de toutes les visites de maisons de détention en Suisse avec la commission des visiteurs officiels: le SAPEM pèche par lenteur excessive, Genève est le seul canton qui n'arrive pas à suivre les propositions faites par les établissements pénitentiaires pour une bonne exécution des peines.
Il faudrait donc que Genève commence à investir plus dans les personnes que dans la pierre et, en ce qui concerne la pierre, il faudrait aussi réfléchir aux endroits où on veut construire ! Alors que nous avons si peu de terrains agricoles et en particulier de surfaces d'assolement, l'emprise sur ceux-ci reste importante. Nous avons appris qu'une association va lancer un référendum concernant cette emprise. Il faudrait donc repenser ce projet beaucoup plus pour le modifier: il ne faut pas faire un Dardelles bis, il faut faire une nouvelle prison à la pointe du progrès ! C'est pour cela que je me permets de proposer le renvoi de ce rapport à la commission des visiteurs officiels qui se penche actuellement sur ce sujet.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, à l'époque où le PDC avait signé cette motion, nous pensions encore qu'un canton concordataire accepterait de construire un établissement pénitentiaire. On s'est aperçu depuis plus de cinq ans qu'aucun canton ne pourra accepter ça. Nous devons donc prendre acte et assumer nos responsabilités.
Pour le parti démocrate-chrétien, une partie des propos tenus par Mme Sobanek sont tout à fait réalistes. Nous avons besoin d'un lieu de détention, nous avons besoin d'un site qui peut être Les Dardelles et prendre la forme d'un campus, mais tout est à repenser ! Aujourd'hui, un établissement de 450 places ne correspond plus du tout aux dispositifs dont on a besoin selon les bonnes pratiques en vigueur en Europe du Nord. Il faut redimensionner le projet, cela avait déjà été évoqué l'année dernière. M. Maudet avait promis à l'époque qu'il y aurait un redimensionnement, cela pour plusieurs raisons: pour préserver la qualité de vie des habitants et leur sécurité, des exploitants et paysans de la région également; pour préserver la qualité de travail des professionnels du pénitentiaire; pour préserver des conditions de détention dignes, pour sanctionner, former et réinsérer. Plus personne ne peut imaginer qu'un établissement de 450 places soit efficace; il faut compter aux alentours de 300 places. Dans ce processus de réflexion, on peut penser que 10% des personnes détenues à Champ-Dollon seraient admissibles pour le port du bracelet électronique. Il y a aussi un redimensionnement à voir avec le Ministère public, tout en respectant la séparation des pouvoirs.
Il convient de se redonner un tout petit peu de temps pour que cette prison corresponde à des standards qui garantissent mieux une réinsertion des personnes détenues, car c'est ce que nous attendons tous: une réinsertion pour éviter la recriminalisation ! Mesdames et Messieurs les députés, je soutiens la demande de renvoi à la commission des visiteurs officiels des lieux de détention.
M. François Lefort (Ve). Monsieur le président, beaucoup de choses ont été dites, beaucoup de choses justes. Quelques rappels: malgré le vote d'abrogation du crédit d'étude le 30 août ici même, malgré le vote le même jour de la motion dont nous parlons maintenant, le Conseil d'Etat nous répond une deuxième fois qu'il n'entend pas abandonner le projet des Dardelles ! Ce projet a été élaboré en 2012 et son crédit d'étude voté en 2013. Nous avons abrogé ce crédit d'étude en 2018. Il a fallu attendre 2018 pour que le Conseil d'Etat reçoive des messages clairs du Grand Conseil. Ces messages lui demandaient tous l'abandon de ce projet des Dardelles. Or, l'Etat n'en tient toujours pas compte. Il le répète dans cette deuxième réponse, il n'en tient pas compte et continuera son projet de construction de cette prison pharaonique. Nous n'en sommes pas très étonnés, parce que les pétitions, les motions ou même les lois d'abrogation de crédit d'étude sont encore des formes d'expression assez civilisées de la part du Grand Conseil. Nous prenons acte de la position du Conseil d'Etat et de sa persévérance dans ce projet; par contre, nous saurons nous aussi que faire avec les projets de lois 12302 et 12303, respectivement la demande de modification de zones et le crédit d'investissement aussi pharaonique que ladite prison ! Le Conseil d'Etat pourrait justement bien à son tour avoir à prendre acte des refus de ce Grand Conseil de voter ces deux projets de lois - que ce soit en commission ou ici même. Ce sera certainement la seule façon de convaincre enfin le Conseil d'Etat d'abandonner ce projet !
Cela étant dit, nous sommes obligés de regretter tout le temps perdu sur une nouvelle planification pénitentiaire dont l'axe central est ce gigantesque complexe des Dardelles. Ce projet a été élaboré en 2012: c'est une idée qui nous a fait perdre sept ans, sur d'autres urgences aussi, des urgences réelles rappelées dans cette réponse du Conseil d'Etat, comme la rénovation de Champ-Dollon. La méthode qu'on nous propose avec ce projet des Dardelles, c'est de construire une nouvelle prison - parce qu'il nous faut une nouvelle prison pour rénover l'ancienne ! C'est une méthode assez étrange, je serais étonné d'apprendre qu'il y ait d'autres endroits sur la planète où on construirait une nouvelle prison juste à côté de l'ancienne pour rénover l'ancienne !
Il faudrait que cette planification pénitentiaire genevoise devienne pluricantonale ou supracantonale: le temps de construire chacun sa gigantesque prison dans son coin est quand même maintenant révolu ! Il est question d'économies des ressources publiques. Il faut aussi pourvoir aux besoins en détention, mais pas au prix que nous propose le Conseil d'Etat.
Des demandes de renvoi à la commission des visiteurs officiels ont été formulées. Pourquoi pas, cela nous fera une troisième réponse dont nous connaissons également la réponse - elle sera la même ! (Applaudissements.)
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Monsieur le président, je tiens à rappeler quelques chiffres, parce qu'à une question souvent posée, une réponse fausse est souvent donnée...
Le président. Je m'excuse, Monsieur Bayenet, je vous coupe la parole, mais M. Baud a déjà pris la parole pour votre groupe !
M. Pierre Bayenet. Je ne me souviens pas que M. Baud ait pris la parole.
Le président. C'était M. Zaugg Christian, pardon ! Je passe donc la parole à M. Marc Fuhrmann.
M. Marc Fuhrmann (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, tout à l'heure, j'ai notamment entendu parler de réinsertion. La réinsertion, c'est très bien, mais il ne faut pas oublier qu'actuellement, dans nos prisons genevoises, nous avons plus de 45% de détenus étrangers et sans permis de séjour. Le problème n'est pas qu'il s'agit d'étrangers tout court, mais qu'ils sont sans permis de séjour, sans droit de résider sur le territoire genevois ou helvétique ! Ici, on ne parle pas de réinsertion, vu qu'il n'en sera pas prévu. Cette piste n'est que marginale. Dans notre optique, si nous ne désirons pas construire de prison supplémentaire, la première des pistes est de faire purger les peines des détenus étrangers dans leur pays d'origine. A notre compréhension et à ce que nous voyons aujourd'hui des avancées du Conseil d'Etat, rien n'a réellement été fait. C'est donc une piste importante qui prendra tout son sens pour réduire notre population carcérale.
De plus, j'aimerais mentionner la vétusté de Champ-Dollon; il est clair que ce bâtiment doit être rénové ou remplacé tôt ou tard. Donc, une deuxième bâtisse de remplacement est nécessaire. Pour terminer, avec un canton qui, selon beaucoup de nos politiciens, se verra gratifier de 50 000 à 100 000 habitants de plus d'ici dix à quinze ans, il est évident que plus de places de prison seront nécessaires. Voilà l'opinion de l'UDC.
Le président. Merci, nous passons au vote sur la demande de renvoi de ce rapport à la commission des visiteurs officiels.
Mis aux voix, le renvoi du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2220 à la commission des visiteurs officiels du Grand Conseil est adopté par 61 oui contre 19 non.