Séance du jeudi 18 septembre 2014 à 20h30
1re législature - 1re année - 11e session - 71e séance

M 2220
Proposition de motion de Mmes et MM. François Lefort, Martine Roset, Sophie Forster Carbonnier, Bertrand Buchs, Lisa Mazzone, Emilie Flamand-Lew, Jean-Luc Forni, Roger Deneys, Bernhard Riedweg, Jean-Charles Rielle, Jean-Marc Guinchard, Olivier Cerutti, Anne Marie von Arx-Vernon, Isabelle Brunier, Boris Calame, Jean-Michel Bugnion, Christian Frey, Philippe Morel, Irène Buche, Mathias Buschbeck, Frédérique Perler pour une prison intercantonale : abandonnons le projet de la prison des Dardelles !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XI des 18 et 19 septembre 2014.

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous en sommes à la M 2220. Il s'agit d'un débat classé en catégorie II - trente minutes. Monsieur Lefort, vous avez la parole.

M. François Lefort (Ve). Merci, Monsieur le président. Le gouvernement nous a annoncé ce matin un changement de cap, j'en ai rappelé les grandes lignes tout à l'heure. Nous lui proposons de dépasser ce cap et lui demandons de s'engager dans des projets intercantonaux pour le futur et non dans des aventures solitaires et surtout coûteuses. Nous lui présentons donc ces demandes raisonnables pour mettre fin au projet pharaonique de prison dite des Dardelles.

Quelles sont ces demandes raisonnables ? C'est d'abord d'abandonner l'étude de ce projet de prison. (Brouhaha.) Monsieur le président, s'il vous plaît ! Merci. C'est d'abord d'abandonner le projet de prison des Dardelles tel que présenté en commission des travaux et pour lequel un crédit d'étude de 16,5 millions de francs a été voté par le Grand Conseil le 29 novembre 2013. Pourquoi ? Pour étudier un projet de construction de prison intercantonale sur des terrains disponibles de sites pénitentiaires d'autres cantons qui satisfont aux besoins des cantons concordataires, dans le cadre du concordat sur l'exécution des peines dans les cantons latins, et donc en collaboration avec les cantons latins; et seulement en cas d'échec de cette solution intercantonale, en cas d'échec des négociations, d'étudier alors la possibilité de construire un établissement plus important le long du chemin de Champ-Dollon, au sud-ouest des prisons actuelles, en remplacement du projet des Dardelles.

Nous rappelons que ce crédit d'étude pour un projet d'établissement d'exécution de peine de 450 places n'a été accepté ici que par 40 voix contre 36 abstentions, de nombreux députés s'étant d'ailleurs aussi absentés. Il y avait déjà comme un malaise ! Ce malaise a grandi, puisque après le vote du crédit, le Grand Conseil a renvoyé au Conseil d'Etat la pétition 1889 faisant état des inquiétudes des habitants de Puplinge, que nous traiterons demain. Les auditions, lors de l'étude du projet de loi comme de la pétition, ont montré les très fortes réticences et les nombreuses questions que soulève le projet de construction.

Il est clair que le malaise suscité l'hiver dernier par ce projet des Dardelles n'a fait qu'augmenter. Les coûts de construction sont élevés. La facture finale est de près de 340 millions de francs, soit près de 755 000 F par place de prison. Sans oublier qu'il faudra aussi faire fonctionner cette prison dans le futur. Cette structure a un coût de fonctionnement pas encore annoncé, mais qu'on peut imaginer, avec un taux d'encadrement genevois de 0,49 gardien par place de prison: ce sont 220 gardiens au moins qu'il faudra engager. Enfin, l'emplacement du futur bâtiment, au sud-est de Champ-Dollon, en direction de Puplinge, n'est pas accepté par la population de Puplinge, pas plus que par AgriGenève, l'association faîtière des paysans, qui sont eux opposés à la perte de 20 hectares de zone agricole, dont 17 hectares de surface d'assolement.

Le président. Vous prenez sur le temps du groupe.

M. François Lefort. Tout cela annonce des recours et, donc, des retards. Tout cela s'annonce sous les auspices défavorables d'un budget resserré, dans lequel l'Etat a fait la chasse aux moindres économies, comme vous nous l'avez montré ce matin, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat. Economiser partout pour pouvoir construire et faire fonctionner une prison, voilà ce que la population pourrait retenir des priorités du Conseil d'Etat pour ces quatre prochaines années ! C'est un projet politique qu'il sera certainement difficile de faire accepter à une population qui manque de logements, dont les enfants s'entassent dans des collèges en attente de rénovations et pour laquelle l'offre en transports publics, déjà en recul, va encore stagner de nombreuses années.

Il semble aujourd'hui évident que la solution d'une prison intercantonale n'a pas été suffisamment évoquée avec les cantons concordataires lors de la préparation de ce projet de loi, alors qu'elle s'avère sans doute la meilleure solution pour tous les membres du concordat. Il semblerait d'ailleurs que les coûts de construction soient aussi moins chers ailleurs qu'à Genève puisque le canton de Vaud a inauguré le 29 août, après seulement vingt mois de travaux, une extension de 80 places dans la colonie pénitentiaire de la plaine de l'Orbe, pour un coût de 17,5 millions de francs: à peine plus que le crédit d'étude des Dardelles ! (Commentaires.) Monsieur Barrillier, laissez-moi finir ! Il semblerait que cela soit aussi plus rapide ailleurs, puisqu'en deux ans le même canton a créé 250 places de détention.

Il faut aujourd'hui avoir le courage d'avouer que Genève n'a plus les moyens financiers et territoriaux pour ce projet, qu'il y a d'autres priorités, dans les transports publics nécessaires, dans la construction des collèges, dans l'entretien des bâtiments publics. Genève ne peut plus tout faire et la priorité n'est pas une prison de 450 places qui va affecter le budget de l'Etat pour de nombreuses années par son coût de construction et de fonctionnement. Comme d'ailleurs M. Longchamp l'a avoué en commission des travaux l'année dernière, Genève ne construira pas grand-chose pendant quatre ans, à part la prison !

Le président. Il vous reste une minute.

M. François Lefort. Je termine, Monsieur le président. La solution concordataire est la solution raisonnable. Nous vous remercions de renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat et, bien sûr, je demande le vote nominal.

Le président. Est-ce que vous êtes soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Très bien. En attendant, nous poursuivons le débat. La parole est à M. Eric Stauffer.

M. Eric Stauffer (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, vous venez d'entendre mon préopinant et on comprend bien sa culture politique: tout sauf la sécurité ! Donc, tout est bon à mettre dans la balance, les TPG, les subventions, les espaces verts, les pistes cyclables. Tout, sauf les prisons ! Bon, au MCG, nous avons une vision un tout petit peu différente de la sécurité à Genève, il faut dire ce qui est.

Cela dit, c'est vrai que Genève fait partie d'un concordat latin. C'est vrai aussi que Genève est en retard d'une cinquantaine d'années sur la construction de Curabilis dans le cadre du concordat latin. C'est vrai aussi que 19 millions, ou 16 millions de francs, pardon, c'est beaucoup pour un crédit d'étude: tout cela est vrai, mais la politique de la sécurité et la sécurité de nos concitoyens devraient primer.

Le MCG est donc prêt à soutenir cette motion, sauf si le conseiller d'Etat ici présent prend devant ce parlement l'engagement solennel d'étudier toutes les possibilités afin de construire une prison romande. Il pourra en témoigner, je fais partie de la conférence des concordats latins, et avec nos collègues des autres cantons, j'ai expliqué à réitérées reprises que la sécurité n'est plus une affaire cantonale, mais une affaire régionale. (Commentaires.) Il n'y a que dans notre pays que l'on voit que, dans chaque canton, on a des prisons de détention provisoire, pour les exécutions de peines et pour les articles pour les mesures. Il n'y a que dans notre pays qu'on voit ça, mais c'est vrai que nous faisons partie d'une Confédération et qu'il faut faire avec. Mais nous ne voulons pas de cette manoeuvre des Verts, parce que l'idéologie que vous défendez n'est pas du tout en faveur de la sécurité. C'est «tout le monde il est gentil, tout le monde il est cool». Finalement, il faudrait légaliser toutes les drogues, comme ça on n'aurait plus de criminels et tout irait bien. (Brouhaha.) Nous n'avons pas la même philosophie, et c'est la raison pour laquelle, si le conseiller d'Etat prend l'engagement solennel d'étudier toutes les possibilités de construire un établissement romand avec nos cantons voisins, peut-être que le MCG renoncera à soutenir cette motion. Mais nous attendons cet engagement formel. Je vous remercie.

Mme Christina Meissner (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, il est vrai que le 29 novembre, nous avons voté ce crédit. Enfin, certains ont voté le crédit pour la prison des Dardelles, à 40 voix pour et 36 abstentions. Cela revenait bel et bien à montrer qu'il y avait un malaise, un malaise que nous partageons à l'UDC. Nous avions, à ce moment-là, déjà dit au conseiller d'Etat: des prisons, il en faut, clairement ! Les Verts ne pensent pas qu'il faut enfermer les gens, mais les laisser dans la rue ! (Brouhaha.) Ce n'est pas le cas de l'UDC: l'UDC veut de la sécurité, mais pas à n'importe quel prix. Et le prix que nous devons payer pour les Dardelles est à notre goût totalement inacceptable. (Le président agite la cloche.) Ce prix, qui va osciller entre 340 et 400 millions de francs pour 450 places, qu'est-ce que cela représente ? C'est plus de 750 000 F par place, sans compter les frais d'exploitation. (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît !

Mme Christina Meissner. Aujourd'hui que nous avons des problèmes budgétaires - nous l'avons vu ce matin - il y a des gens qui ont de la peine à boucler leurs fins de mois, et nous allons dépenser autant pour des places de prison ? C'est inacceptable ! Et quand on sait que dans nos prisons, à Genève, il y a plus de 93% de personnes qui n'ont aucun lien, mais aucun lien avec notre canton, eh bien, pour l'UDC, c'est inacceptable ! Vous connaissez la solution de l'UDC: c'est clair, ces gens-là n'ont rien à faire sur notre territoire et devraient être renvoyés chez eux ! Raison pour laquelle nous devons aussi prendre en considération toutes les autres possibilités. (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît !

Mme Christina Meissner. Enfin, je rappellerai que nous sommes très attachés à ce qui se passe aussi dans la région. Nous avons reçu une pétition des habitants de Puplinge. Ces habitants, on ne veut pas les retrouver eux-mêmes pris entre des fils de fer barbelé de diverses prisons. Ça, ça ne va pas ! On leur a déjà supprimé leur dernière forêt, et avec la nouvelle extension de prison on va leur enlever les terrains agricoles qui les séparent encore de tous les projecteurs d'éclairage qu'il y a aujourd'hui. Non, il n'est pas acceptable aujourd'hui de faire subir cela à nos habitants...

Le président. Il vous reste trente secondes !

Mme Christina Meissner. Je prendrai sur le temps de mon groupe si j'en ai encore et si vous le permettez. Non, je n'en ai plus ?

Le président. Vous vous exprimez sur le temps du groupe et il vous reste trente secondes, Madame !

Mme Christina Meissner. D'accord, j'ai mes trente secondes. (Commentaires.) Je voudrais ajouter une dernière chose, c'est qu'il existe des alternatives et qu'en appuyant cette motion, l'UDC veut envoyer un message clair au conseiller d'Etat: examinez les alternatives, surtout avec les autres cantons romands ! La sécurité, c'est une affaire sinon cantonale, du moins régionale et nationale.

Le président. Il vous faut conclure.

Mme Christina Meissner. Nous ne pouvons pas travailler sur un territoire exigu comme le nôtre, avec des coûts tels que vous nous les proposez. C'est inacceptable pour l'UDC et nous soutiendrons cette proposition de motion.

Mme Martine Roset (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, en préambule, je prie mon collègue Genecand de m'excuser, mais je vais encore parler de SDA, soit de surfaces d'assolement. A l'heure où je vous parle, nous avons 104 hectares de SDA de marge par rapport au quota fédéral qui nous est imposé. 17 hectares pour les Dardelles, cela permet de loger 450 détenus. 17 hectares de SDA déclassés en zone 4A, cela permet de loger 2000 personnes ! Nous devons fixer des priorités d'utilisation des SDA, et pour le PDC, le logement prime !

Par ailleurs, le Conseil d'Etat et ce même Grand Conseil incitent les communes à pratiquer l'intercommunalité pour la construction de bâtiments publics, notamment dans le but de rationaliser les coûts. Nous demandons la même chose, mais au niveau intercantonal. En conclusion, si nous voulons rapidement ouvrir de nouvelles places de prison, pour nous, l'intercantonalité est la solution.

M. Jacques Béné (PLR). Mesdames et Messieurs, chers collègues, on est en plein délire, parce qu'on croit qu'on est dans un débat budgétaire. D'un côté, on a les Verts - ou les «tablards» selon la presse. Les Verts ne s'opposaient absolument pas à la prison des Dardelles: ils se sont abstenus et c'est un projet de loi qui est passé aux extraits ! Par contre, quand il s'agit de voter 300 millions de francs pour un dépôt des TPG, pour les Verts, il n'y a pas de problème. Ça n'est jamais assez cher, un dépôt TPG ! D'un autre côté, l'UDC nous parle aussi de problèmes budgétaires mais nous invite à voter dans quelques jours 600 millions pour une traversée totalement obsolète. (Commentaires.) On est en plein délire !

Mesdames et Messieurs, notre ministre de la sécurité, en novembre 2012, quelques mois seulement après avoir repris le département, a présenté une planification pénitentiaire dont la prison des Dardelles est un des piliers. Il n'y a pas eu de commentaires, si ce n'est effectivement de la part des Verts et d'une partie de la gauche concernant la détention administrative, mais ça, on connaît ! On n'est plus au pays des Bisounours, mais il y en a qui y croient encore ! Le crédit a été voté en novembre 2013, après sept séances de commission, et tout a été étudié, tout a été dit. C'est vrai que c'était un nouveau parlement et on était aux extraits, Mesdames et Messieurs !

Alors quand on veut parler de sécurité sans arriver à assumer les engagements qu'on a pris il y a plus de quarante ans, je vois mal comment on pourrait faire subir ça aux cantons voisins qui n'ont pas plus envie que nous de construire une prison. Il n'y a rien de ludique dans la construction d'une prison. Par contre, dans ce parlement, j'ai souvent entendu dire «la sécurité pour tous». On est prêt à voter des crédits pour augmenter le nombre des policiers, mais si c'est pour qu'ils n'arrêtent pas les voyous qui polluent notre cité, je n'en vois pas l'intérêt. Et quand je vois le PDC qui s'est plaint à plusieurs reprises de la surpopulation carcérale à Champ-Dollon, également par des motions... A Champ-Dollon, Mesdames et Messieurs, la majorité des détenus sont en exécution de peine: ils n'ont rien à faire dans une prison préventive et on devrait effectivement les mettre dans cette nouvelle prison. Mesdames et Messieurs, il faut être sérieux !

Le président. Il vous reste trente secondes.

M. Jacques Béné. Après deux ans, on remet en question la planification pénitentiaire ! Je proposerai quelques amendements aux invites du texte, car si on vote cette motion telle qu'elle est, je pense que non seulement les Vaudois, mais également la population, pourront nous traiter de «tablards». (Commentaires.)

M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, les socialistes accueillent avec intérêt et satisfaction cette proposition de motion, parce qu'elle pose de véritables questions. Contrairement à ce qu'a dit l'UDC tout à l'heure, c'est très clair pour les socialistes: si des criminels sont arrêtés, il faut éviter qu'ils puissent courir dans la rue pour récidiver. Dans ce sens, oui, ça coûte cher, mais nous devons nous équiper des places de prison nécessaires pour éviter la récidive. Et ça, c'est le souci de base quand on se préoccupe de sécurité et, pour les socialistes, c'est fondamental.

Cela dit, on doit quand même se poser la question de la localisation de cette prison. C'est vrai que Champ-Dollon a été construit à une autre époque, avec un autre développement du canton. Aujourd'hui, il est légitime de s'interroger sur la localisation de cette prison et, aussi, sur les conséquences budgétaires à court terme d'une telle construction. On peut penser qu'elle est nécessaire avec la taille qui est envisagée; on peut aussi estimer que certaines peines pourraient être purgées sous d'autres formes que la détention, et cette question de la taille et de la localisation doit nous faire réaliser qu'une prison n'est plus comme à l'époque du premier concordat romand un instrument cantonal. La délinquance ne connaît plus les frontières, la délinquance ne connaît plus les cantons: pour cette même raison, il n'y a pas de raison d'envisager la sécurité en termes uniquement cantonaux, peut-être même qu'il faut la considérer en termes nationaux. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien qu'après, on veut envisager les problématiques de façon plus globale. Dans ce sens-là et en raison de l'exigu... Oh, je n'y arriverai jamais !

Une voix. L'exiguïté !

M. Roger Deneys. L'exiguïté du territoire genevois, merci ! ...on peut s'interroger sur la pertinence de la réalisation d'une grande prison, en lieu et place, par exemple, des logements que la population genevoise attend. Cette pesée d'intérêts fait que les socialistes accueillent bien volontiers ce texte. C'est un premier pas pour nourrir la réflexion. Il faut construire une prison, certainement; il faut la réaliser de façon appropriée en termes de taille et il faut essayer d'en minimiser les coûts, néanmoins, et ne pas enfermer à tout-va en prison des gens qui n'ont rien à y faire ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député François Lefort. Il vous reste cinquante secondes.

M. François Lefort (Ve). Merci, Monsieur le président. Nous avons reçu sur notre table l'amendement de M. Béné qui propose la suppression de la première invite. Bien essayé, mais évidemment je vous invite à surtout ne pas voter la suppression de la première invite. Merci, Monsieur Béné, mais nous attendons le prochain amendement.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Carlos Medeiros, pour trente secondes.

M. Carlos Medeiros (MCG). Monsieur le président, le MCG vous l'a dit par les paroles de notre collègue Eric Stauffer, la sécurité n'a pas de prix. Les problèmes budgétaires n'ont rien à voir avec ça, mais effectivement, pour une question d'éclaircissement de la part de notre magistrat, nous proposons que la motion soit renvoyée à la commission des travaux.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je prends note. La parole est à M. le député Jean-Michel Bugnion.

M. Jean-Michel Bugnion (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je voulais juste ici vous rappeler un chiffre intéressant. Vous vous souvenez que la criminalité a baissé en 2013 et que le sentiment d'insécurité, paradoxalement, a augmenté...

Le président. Il vous reste quinze secondes.

M. Jean-Michel Bugnion. ...jusqu'à atteindre 49%. Cela signifie que la satisfaction des habitants en matière de sécurité n'est pas directement corrélée au nombre de policiers et de places en prison.

Le président. Il vous faut conclure.

M. Jean-Michel Bugnion. Parmi ces gens qui étaient dans l'insécurité, seulement 18% étaient contents de leur habitation.

Le président. C'est terminé, Monsieur Bugnion, je suis désolé.

M. Jean-Michel Bugnion. Démonstration que la sécurité prend aussi d'autres aspects, comme le bien-vivre !

Le président. Merci, je passe la parole à M. le député Bertrand Buchs, pour une minute quarante-trois.

M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Juste pour remettre cette motion dans le contexte: elle ne remet pas du tout en cause la politique de sécurité. Pas du tout ! Si on n'arrive pas à avoir un accord avec les autres cantons, la prison sera construite à Puplinge, peut-être à un autre endroit, mais on a déjà entendu que le Conseil d'Etat étudiait une autre possibilité pour la construction de cette prison à Puplinge. Une des invites a déjà été entendue.

Il faut faire des projets intercantonaux, et probablement, le bien de cette motion, c'est que si ça n'arrive pas pour les Dardelles, en revanche, pour la prochaine prison et la rénovation de Champ-Dollon, avec la possibilité de devoir mettre, j'allais dire les députés, mon Dieu ! les prisonniers ailleurs, eh bien, on aura un vrai projet intercantonal pour le futur. C'est comme ça qu'on doit construire la Suisse romande, par des projets intercantonaux et pas en continuant à faire chez nous ce qu'on peut faire avec les autres.

Je rappelle qu'on a déjà donné beaucoup en acceptant de faire Curabilis qui a coûté énormément d'argent au canton de Genève et qui va continuer à coûter énormément d'argent en frais de fonctionnement. (Applaudissements.)

Mme Jocelyne Haller (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, chacun réaffirme ici ses priorités et reproche paradoxalement aux autres d'en faire autant. On entend aussi des choses très surprenantes: on entend dire qu'en matière de sécurité, les questions budgétaires n'ont pas leur place. C'est intéressant, surtout aujourd'hui ! Finalement, on nous dit que la sécurité, c'est extrêmement important à Genève et qu'actuellement, ce serait même une question prépondérante. Et les autres ? Les autres domaines, ceux qui font aujourd'hui l'objet de coupes budgétaires ?

La sécurité, ce n'est pas uniquement la répression, c'est avant tout la prévention; c'est l'action sur les causes de l'insécurité. C'est aussi une réflexion sur l'origine des violences sociales qui génèrent l'insécurité. Mais ça veut dire qu'on s'en donne les moyens et un jour comme celui-ci, on devrait mettre dans la balance si, effectivement, il vaut mieux construire des prisons ou si, au contraire, il faut investir dans des budgets qui permettraient d'agir sur les causes de la violence sociale. C'est notre point de vue et nous vous invitons à le suivre.

Plus particulièrement, nous vous demandons de ne pas renvoyer cette motion en commission car ce ne serait qu'une manoeuvre dilatoire. Il est important de prendre une position claire. Réfléchir avec d'autres cantons sur la question de la sécurité et sur la question carcérale est important, mais vouloir faire de Genève un centre d'incarcération est simplement inopportun, disproportionné et quelque peu prétentieux, permettez-moi de le dire. (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît !

Mme Jocelyne Haller. C'est pourquoi nous vous invitons à soutenir cette motion.

Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. le conseiller d'Etat Pierre Maudet, et ensuite nous voterons.

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, c'est une habitude en cette enceinte: à peu près tous les six mois, la prison est convoquée pour qu'on fasse son procès. Il y a un an, c'est parce qu'on n'enfermait pas assez et qu'il fallait d'urgence emprisonner tous ces délinquants dangereux, après un drame qui a, c'est vrai, secoué Genève. Il y a six mois, il fallait d'urgence construire de nouvelles places, parce que le Tribunal fédéral avait décrété que la situation était non seulement dégradée mais surtout dégradante. Aujourd'hui, c'est une autre motion qui, au gré de l'actualité, amène son lot d'interventions.

Alors, Mesdames et Messieurs, j'aimerais dire ici de façon extrêmement claire, et au nom du gouvernement, que, oui, pour aller dans le sens de M. Deneys, toute une série de questions se posent, et ces questions sont légitimes. Vous avez raison de vous les poser, mais vous ne pouvez pas poser les questions et apporter les réponses à travers la même motion, alors qu'il y a un an de cela, vous vous êtes engagés par 40 voix pour, 36 abstentions et 0 contre à ce que nous nous livrions à une étude, une étude qui a coûté. Parce que, je peux vous le confirmer ce soir, Mesdames et Messieurs, l'argent a été dépensé, quasiment en totalité, comme on s'y était engagé: 16 millions, pas 19 ! 16 millions de francs pour savoir, premièrement, si oui ou non il est opportun de construire une prison; deuxièmement, de quelle nature; troisièmement, à quel endroit, et quatrièmement, à quel prix. Ces réponses vont arriver, nous nous réjouissons de vous les donner. Il serait ce soir franchement stupide, disons-le, de s'empêcher de donner ces réponses - parce que c'est un peu ce que propose cette motion. Oui, concrètement, on dit qu'on abandonne tout. On ferme, on clôt et on n'en parle plus ! Voilà vraiment une aberration, si d'aventure cette motion devait être votée.

Pour ma part, je plaide, comme c'était prévu initialement, pour qu'on puisse en parler en commission des travaux, pour vous dire quel est le résultat de ce crédit d'étude. Pour vous dire aussi - et je veux répondre ici au préopinant MCG, parce qu'il a également posé des questions pertinentes - en quoi la dimension intercantonale joue un rôle, un rôle important. Je pense que la cheffe de groupe UDC tirerait profit d'entendre quelques éléments qui pourraient avantageusement l'aider dans un débat où elle s'est plutôt illustrée par des contrevérités. (L'orateur est interpellé.) Elle pourrait entendre quelques propos et notamment quelques chiffres qui l'édifieront: nous avons depuis de nombreuses années plus d'une centaine de détenus en exécution de peine que nous devons exporter et qui nous coûtent la bagatelle de 10 millions de francs par année, parce qu'on n'a pas de place pour eux dans notre canton. Parce que nous avons, en tout et pour tout, en raison d'une planification pénitentiaire défaillante, 68 places d'exécution de peine pour un canton d'un demi-million d'habitants ! Voilà la réalité ! La solidarité intercantonale joue son rôle, mais en faveur de Genève, pour un prix qui est aujourd'hui considéré par d'aucuns comme exorbitant.

La question qui va se poser - je me réjouis d'expliquer cela en commission - c'est dans quelle mesure cette solidarité dans les deux sens peut jouer. C'est vrai, nous avons ouvert Curabilis; c'est vrai aussi, nous profitons depuis cette année de la capacité de la prison pour mineurs des Léchaires, du côté de Palézieux, dans le canton de Vaud, et il sera intéressant de faire les comptes, de faire la démonstration en commission qu'aujourd'hui, c'est Genève qui a bénéficié de la solidarité intercantonale, plutôt que les autres cantons.

Il me semble aussi essentiel de rappeler ici que l'option intercantonale est juste - en cela, je salue la motion, parce que sur le principe elle pose une bonne question. Le problème est, Mesdames et Messieurs les représentants des Verts, qu'avec cette motion, vous la tuez ! Que donnez-vous comme message ? Vous dites: nous imposons, nous, Genevois, la solution vaudoise. Regardez et écoutez la réaction de votre magistrate cantonale vaudoise qui n'a pas vraiment apprécié la démarche ! Ecoutez le groupe des Verts dans le canton de Vaud qui ne l'a pas appréciée non plus ! Il se trouve que, par hasard, le chef du groupe des Verts dans le canton de Vaud est actif dans le canton de Genève. Faites simplement preuve de l'ouverture que vous souhaitez à travers cette motion ! (Applaudissements.) Parce que vous donnez des leçons ! (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Vous donnez des leçons, vous voulez exporter les problèmes avant de regarder notre propre capacité à les résoudre, et ce faisant, vous faites la démonstration d'une vision idéologique du problème. Vous ne voulez pas de places de prison, parce que vous considérez ici que c'est le nombre de places de prison qui définit le nombre de détenus. Voilà la politique sécuritaire que vous avez défendue durant des années et qui nous a amenés dans le mur ! Et ça, c'est inacceptable ! (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît !

M. Pierre Maudet. Vous, le groupe des Verts, vous proposez ici une solution dilatoire qui nous écarte de la politique qui a fait notre succès ces dernières années !

A l'inverse, nous avons un groupe dont je ne comprends pas la position ce soir, c'est l'UDC qui, à longueur d'année, nous rebat les oreilles avec l'exigence de sécurité, mais qui, à l'inverse, nous demande quasiment de faire en sorte de dégrader encore les conditions d'emprisonnement des gens, parce qu'une prison coûte toujours trop cher. Et là, j'interpelle les Verts ! A juste titre, ils nous disent à longueur d'année que la situation s'est dégradée dans les prisons et qu'il faut y remettre un peu de dignité. Mais que diable, la dignité, c'est précisément de refaire un peu de place ! De faire en sorte que les normes soient atteintes, que l'on puisse accueillir dignement les détenus qui restent des êtres humains ! Qu'avez-vous à répondre ici à l'UDC qui utilise ces arguments de manière inverse ? (Commentaires.)

Le président. S'il vous plaît, un peu de silence ! (Brouhaha.)

M. Pierre Maudet. Mesdames et Messieurs, je reviens au propos central.

Le président. Voilà ! Dans le calme et la bonne humeur.

M. Pierre Maudet. C'est la question fondamentale que pose cette motion. Oui, on peut se renvoyer dos à dos, pardonnez-moi d'avoir élevé la voix, mais chaque jour on doit gérer environ 900 détenus dans un espace prévu pour 387, dans une situation dont j'ai hérité à l'époque. Lorsque je suis entré en fonction, il y avait 690 détenus: 180% de surpopulation carcérale ! Je considère ici que je ne suis pas exactement à l'origine du problème. Pardonnez-moi d'avoir souligné en des propos un peu vifs les oppositions idéologiques qui se font face, mais qui illustrent ici l'impasse du propos.

En conclusion, Mesdames et Messieurs, ce que je vous invite à faire, c'est à aller au bout de la logique que vous avez voulue l'année passée, et à recevoir le résultat de l'étude que vous avez votée, les 16 millions de francs engagés, pour savoir précisément quelle est la réponse aux questions que j'ai posées tout à l'heure: où, quand, combien, pourquoi, avec qui. Toutes réponses que nous allons amener par ailleurs, parce que c'était prévu au menu.

Ne serait-ce que par respect pour les gardiens, pour celles et ceux qui tous les jours subissent cette situation, et parce que les approches idéologiques complètement dépassées nous ont menés dans le mur ces dernières années, dans le débat sur la sécurité, je vous invite ce soir, Mesdames et Messieurs, à une action responsable, cette action consistant purement et simplement à renvoyer cette motion en commission. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la commission des travaux, que je soumets à l'assemblée.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2220 à la commission des travaux est adopté par 50 oui contre 35 non et 4 abstentions.