Séance du
jeudi 22 novembre 2018 à
20h30
2e
législature -
1re
année -
6e
session -
34e
séance
M 2512
Débat
Le président. Nous abordons la M 2512 en catégorie II, trente minutes. Je passe immédiatement la parole pour trois minutes à M. Baertschi.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Au début de l'année 2018, une motion a été acceptée par ce Grand Conseil pour demander un moratoire pour l'impôt sur la valeur locative. Cela a été obtenu et le Conseil d'Etat y a donné une suite favorable en bloquant cette valeur pour 2018 ou plutôt pour l'année fiscale 2017. Malheureusement, pour cette année, nous aurons droit à une révision et à une augmentation qui n'est pas celle qui était prévue et qui ne nous convient pas.
Pourquoi ne nous convient-elle pas ? Parce qu'entre-temps, les Chambres fédérales ont indiqué qu'elles allaient revoir le principe même de l'impôt sur la valeur locative. Il convient véritablement d'attendre et de ne pas interrompre cette politique du moratoire. Ce que nous proposons avec cette motion, c'est de proroger ce moratoire pour l'année fiscale 2018, mais également pour les années suivantes.
Il faut quand même rappeler que cet impôt est très contesté, pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'il s'agit d'un revenu fictif. Par définition, un propriétaire n'est pas un locataire; infliger un loyer à un propriétaire, même si c'est de manière fiscale, est quelque peu absurde. En plus, il est certain que cet impôt peut faire entrer dans une spirale de surendettement - un certain nombre de personnes décident de s'endetter pour s'y retrouver fiscalement - alors que les Chambres fédérales nous demandent d'entrer dans un cercle plus vertueux. Pour cette raison, comme nous n'avons pas la possibilité d'intervenir directement sur cet impôt, nous vous demandons de soutenir cette motion pour inciter le Conseil d'Etat à ce qu'il prenne lui-même les décisions réglementaires qui s'imposent.
Le président. Je vous remercie. La parole n'étant pas demandée... Si ! La parole est demandée par M. le député Christian Dandrès.
M. Christian Dandrès (S). Oui, in extremis, Monsieur le président ! Je vous remercie. La motion du MCG va en quelque sorte à l'encontre de la volonté populaire. Certes, le Conseil national et le Conseil des Etats ont souhaité revoir cette question de l'imposition de la valeur locative, mais le peuple s'est prononcé en 2012 et a refusé l'initiative intitulée «Sécurité du logement à la retraite» qui était pourtant bien plus modeste que la proposition du MCG. Le refus était assez clair, je suis surpris que le MCG revienne avec cela aujourd'hui, ce d'autant plus qu'il y a quand même un principe d'égalité en jeu: l'imposition de la valeur locative va de pair avec la déduction des intérêts hypothécaires. Si vous limitez la valeur locative et que vous permettez des déductions importantes, on va casser cette égalité et on va creuser l'écart avec les locataires. Certes, j'imagine que le PLR va nous indiquer tout à l'heure que les taux d'intérêt hypothécaire ont baissé et que, du coup, les déductions seront aussi plus faibles. En parallèle, les loyers ont nettement augmenté ces dernières années, et les loyers ne sont pas déductibles pour les locataires. Or, la valeur locative correspond à peine à la moitié des prix pratiqués aujourd'hui sur le marché locatif. Je crois qu'on ne doit pas creuser encore plus cette inégalité de traitement déjà manifeste aujourd'hui.
M. Baertschi a utilisé tout à l'heure l'argument de la situation des retraités, mais les retraités sont quand même favorisés sous l'angle de la fortune immobilière, puisqu'on a refusé tout à l'heure la LEFI dans sa version déposée par le Conseil d'Etat. En ce qui concerne les personnes retraitées, si elles sont propriétaires de longue date, l'impôt est calculé sur des valeurs très inférieures à la valeur vénale actuelle des immeubles; on va donc creuser aussi une inégalité de traitement entre anciens et nouveaux propriétaires. C'est la raison pour laquelle je vous invite à refuser cette motion. Si elle est acceptée, j'espère que le Conseil d'Etat maintiendra un cap, puisque, rappelons-le, il s'agit ici de directives fédérales et qu'il n'a pas beaucoup de marge de manoeuvre.
M. David Martin (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, «la valeur locative est le montant que les propriétaires d'appartements et de villas habitant dans leur logement doivent ajouter à leurs revenus imposables. Elle correspond au loyer dont les propriétaires pourraient bénéficier s'ils louaient leur bien. En contrepartie, ceux-ci peuvent déduire de leurs impôts les intérêts versés sur leur emprunt immobilier, ainsi que les frais d'entretien.» Je cite ici la description très pédagogique donnée par Mme Fontanet dans la «Tribune de Genève» récemment.
Le 29 août dernier, le Conseil d'Etat répondait à une motion MCG quasiment identique en déclarant accepter le gel de l'indexation de la valeur locative. Le Conseil d'Etat proposait alors de revenir avec un règlement prévisible doté de critères d'indexation annoncés. Or, ce nouveau règlement a été livré fin octobre. Il se base sur la statistique cantonale officielle intitulée «Evolution des loyers des logements non neufs, selon la nature du logement, depuis 1995». Ainsi, pour 2018, l'augmentation sera de 4,7%, soit près de la moitié des 7,9% initialement annoncés en janvier, ce qui semble raisonnable.
Il ne s'agit pas ici d'avoir un débat sur la pertinence de l'imposition de la valeur locative, puisque cette règle est imposée par le droit fédéral. En effet, comme l'évoque la motion MCG, les Chambres fédérales étudient actuellement une refonte des règles fiscales liées à la propriété. Ces discussions sont en cours depuis des années à Berne et rien ne nous assure qu'elles aboutiront dans un avenir proche: cela peut parfaitement prendre six mois comme dix ans, selon l'évolution des discussions. En attendant, nous sommes tenus de respecter le droit fédéral, et ce dernier exige en particulier que la valeur locative corresponde aux prix du marché. Or, cette dernière n'a pas été réévaluée depuis maintenant cinq ans.
Par ailleurs, le débat soulevé par cette motion n'est pas un débat pour ou contre l'accession à la propriété, puisque l'indexation de la valeur locative touchera surtout les anciens propriétaires et non pas les primo-accédants, dont la valeur du bien est de toute façon estimée au moment de l'acquisition. Dans ce contexte, et dans la mesure où il s'agit d'appliquer une disposition fédérale qui permet une certaine équité fiscale entre propriétaires et locataires, les Verts vous invitent à rejeter cette motion. (Applaudissements.)
M. Yvan Zweifel (PLR). Monsieur le président, M. Baertschi l'a parfaitement rappelé, la valeur locative est un revenu totalement fictif et l'imposition de la valeur locative est donc une imposition sur un revenu qui n'existe pas: il s'agit de se facturer à soi-même un loyer, ce qui est évidemment une immense ineptie.
Le PLR regrette d'abord le timing qui nous est proposé. Au début de l'année, nous le regrettions déjà, puisqu'on était venu avec une augmentation de la valeur locative alors que l'année fiscale était déjà passée. Ici, au moins, on est dans la bonne année fiscale, mais on vient en fin d'année, sans qu'il soit possible de prendre des mesures par hypothèse correctrices, par exemple avec le projet de loi du PLR aujourd'hui gelé à la commission fiscale, qui vise à augmenter la déduction forfaitaire sur les biens immobiliers concernant la valeur locative. Or, on n'a pas le temps de s'en occuper. Le PLR avait été d'accord de geler ce projet de loi en commission en attendant de voir ce qu'allait faire le Conseil d'Etat. Mais il vient en fin d'année, sans que l'on puisse en discuter: le PLR regrette vraiment cela.
J'aimerais m'inscrire en faux contre les propos de M. Dandrès, vous lui transmettrez, Monsieur le président. La valeur locative n'est pas le pendant de la déduction hypothécaire. Les intérêts hypothécaires sont fiscalement déductibles parce que ce sont des intérêts. Et tous les intérêts sont fiscalement déductibles. Si vous avez des intérêts débiteurs sur votre carte de crédit ou en fin d'année sur votre compte bancaire, si vous avez un prêt privé sur lequel vous payez des intérêts, ces intérêts sont déductibles. Les intérêts hypothécaires sont donc déductibles parce que ce sont des intérêts et pas parce qu'il y a une valeur locative ! Le pendant de la valeur locative, c'est que les propriétaires peuvent déduire d'autres frais: notamment les frais de travaux, pour autant qu'ils n'augmentent pas la valeur du bien immobilier. C'est ça, le pendant ! Ce que dit M. Dandrès à ce titre-là n'est pas correct. Si on voulait une égalité de traitement, la solution serait simple, Mesdames et Messieurs: il faudrait pouvoir déduire les loyers ! Ainsi, on supprimerait la valeur locative qui est un revenu fictif et on permettrait aux locataires de faire des économies fiscales importantes. Je suis sûr que les tenants de l'ASLOCA, présents en nombre dans cette salle, seront d'accord avec cette solution-là. C'est ça, la contrepartie à la suppression de la valeur locative. Pour toutes ces raisons, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le PLR soutiendra la motion du MCG.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Monsieur le président, on vient d'entendre quelque chose qui mérite une réponse. Effectivement, on peut déduire les frais hypothécaires des impôts, non pas parce que c'est une charge servant à se fournir un logement - sinon, on devrait pouvoir déduire également les loyers des impôts, ce qui n'est pas le cas puisque les locataires, et nous en sommes un certain nombre dans cette salle, doivent payer des impôts, y compris sur le montant de leur loyer - mais fonctionnellement, il est évident que le propriétaire qui paie à sa banque des frais hypothécaires est dans la même situation que le locataire qui paie un loyer à son propriétaire. Ce versement a la même fonction, c'est-à-dire qu'il sert à assurer un logement au citoyen, à celui qui paie. Il y a donc une inégalité de traitement, compensée, il est vrai, par l'existence d'une valeur locative.
Cela a déjà été dit par plusieurs de mes préopinants de gauche, nous ne sommes pas ici pour discuter de la pertinence de l'existence de l'impôt sur la valeur locative, pour décider s'il est bien ou mal d'avoir cet impôt. Le droit fiscal est un édifice complexe et fragile qui prévoit des équilibres, et il y a ici un équilibre très important à l'oeuvre. D'un côté, les propriétaires peuvent déduire de leurs impôts les frais hypothécaires dont ils doivent s'acquitter. D'un autre côté, ils sont taxés sur la valeur locative de leur logement. C'est un équilibre auquel on ne peut pas toucher en diminuant simplement d'un côté sans ajouter de l'autre. Aujourd'hui, cet équilibre est prévu pour que les locataires soient traités sur le plan fiscal à peu près de la même manière que les propriétaires. Si on permet simplement d'abaisser les impôts que paient les propriétaires, qui subira un préjudice ? Les locataires ! Telle que proposée, cette modification crée un déséquilibre fiscal inadmissible. Il faut donc rejeter cette motion ! (Applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes en pleine gageure, parce que nous avons tous les mêmes mots. Chacun vient avec une argumentation étayée et une connaissance des lois sans défauts. De qui parlons-nous, Mesdames et Messieurs les députés ? Nous parlons de celui à qui on a dit toute sa vie qu'il fallait qu'il accède à la propriété. Ce sont plus les gens de ma génération que celle des locataires camping d'aujourd'hui. C'était encore une époque où nous pouvions trouver quelques villas avec des terrains suffisamment grands, chose absolument impossible maintenant ! Or, que se passe-t-il ? Vous arrivez en fin de vie, après avoir eu le bonheur de travailler quand même, d'avoir payé toute votre dette, vous ne pouvez donc plus déduire ces fameux intérêts hypothécaires. Je m'étonne d'entendre le parti socialiste parce qu'ils font une ovation aux banques: vous payez, nous leur payons ceci ! Après, vous devez quand même payer cette valeur locative qui est une taxe en supplément. Il me semble que là, nous marchons sur la tête !
Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'il faut être logique: cette motion du MCG est empreinte de sagesse, empreinte de respect surtout pour ce qui s'est passé auparavant. C'est vrai que les conditions économiques changent, mais, de grâce, ayez un peu de considération pour vos prédécesseurs qui sont devenus propriétaires, ce qui est presque devenu une gageure maintenant. L'Union démocratique du centre acceptera cette motion.
M. Bertrand Buchs (PDC). Monsieur le président, le parti démocrate-chrétien votera cette motion. Je ne vais pas revenir sur ce débat entre les plus riches ou les plus pauvres. J'aimerais simplement remarquer ici qu'il y a actuellement une très grande fragilité d'une certaine classe moyenne. D'abord, on ne sait pas ce qu'est la classe moyenne, tout le monde se pose la question de ce qu'elle est, mais cette classe moyenne est probablement en train de disparaître. L'augmentation des charges fiscales de la classe moyenne qui n'est pas une classe privilégiée, qui n'est pas une classe qui a beaucoup d'argent, va la faire disparaître. Il faut faire extrêmement attention: les personnes qui ont entre 55 et 65 ans ou plus ont fait des économies pour bien vivre leur retraite. Or, avec les augmentations de la charge fiscale chaque année, elles ne pourront pas utiliser cet argent prévu pour leur retraite. C'est extrêmement compliqué et c'est pour nous, démocrates-chrétiens, un immense souci: on est en train de tuer une certaine catégorie de la population. Faites extrêmement attention, ne touchez pas à ça ! Nous voulons avoir une symétrie des efforts au niveau des charges; nous voulons une symétrie des efforts au niveau du budget, nous l'avons dit. Nous sommes en train de vouloir récupérer de l'argent sur une classe fragile que nous allons tuer.
Le président. Je vous remercie. La parole n'étant plus demandée, je lance le vote sur la prise en considération de cette proposition de motion.
Mise aux voix, la motion 2512 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 56 oui contre 41 non.