Séance du
jeudi 11 octobre 2018 à
17h
2e
législature -
1re
année -
4e
session -
23e
séance
PL 12134-A
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs, nous traitons à présent le PL 12134-A en catégorie II, trente minutes. La parole va à la rapporteure de majorité, Mme Anne Marie von Arx-Vernon.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Les préoccupations des auteurs de ce projet de loi sont tout à fait honorables, Mesdames et Messieurs les députés, mais celui-ci ne reflète pas la réalité de l'armement ordinaire de la police genevoise. En effet, le texte évoque les munitions en cas de conflit, qui ne sont pas celles utilisées par notre police cantonale.
En commission, Mme la commandante Bonfanti nous a indiqué à réitérées reprises qu'elle avait tout mis en oeuvre pour que les conventions internationales soient respectées. Je le répète ici: le droit international humanitaire est parfaitement respecté à Genève ! Puis, elle nous a rassurés en précisant que notre police est équipée de munitions à expansion contrôlée, ainsi que le vise ce projet de loi. Celui-ci n'est donc pas nécessaire, puisque ce qu'il demande existe déjà.
Ce projet de loi nous a permis de mener une discussion tout à fait intéressante et de constater que les munitions employées par la police genevoise relèvent de décisions cantonales. Pour information, la Confédération ne peut que formuler des recommandations et impose l'armement aux seuls corps qui lui sont directement subordonnés, c'est-à-dire aux gardes-frontière et à la police judiciaire.
A la fin des travaux de commission, la majorité a refusé l'entrée en matière et vous remercie aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir en faire autant, car ce que demande ce projet de loi a déjà cours. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame. Monsieur Zaugg, vous devez appuyer sur le bouton de votre micro pour vous exprimer... (Un instant s'écoule.) Voilà, allez-y, Monsieur le rapporteur de minorité.
M. Christian Zaugg (EAG), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Chers collègues, permettez-moi de reprendre pour partie les arguments énoncés dans mon rapport de minorité. Je ne suis évidemment pas d'accord du tout avec ce que vient de dire Mme la rapporteuse de majorité. Il convient d'abord de relever que, par défaut, le droit fédéral en matière d'armes et de munitions n'autorise pas l'utilisation de balles dites à expansion. Cela étant, rien n'interdit formellement le canton de Genève d'y avoir recours au sein de sa police. Mais tout de même, une référence aux débats des Chambres fédérales s'impose à ce stade.
En 2009, le Conseil national a refusé de prendre en compte une motion qui demandait de doter le corps des gardes-frontière ainsi que la police judiciaire fédérale de munitions à expansion contrôlée. Ce projet a été classé, bien que le Conseil fédéral ait recommandé au Conseil national de l'approuver; précédemment, il avait rejeté par deux fois l'introduction de ce type de projectiles afin de respecter le droit international.
Ajoutons que des organisations telles que le CICR, Amnesty International ou la FMH se sont prononcées contre l'utilisation de munitions qui s'épanouissent et s'aplatissent dans le corps humain - même si, il est vrai, leur argumentation portait sur des balles de type dum-dum, utilisées il y a un siècle par les Britanniques et dont l'impact est autrement plus conséquent. Cela étant, les projectiles utilisés aujourd'hui par la police genevoise appartiennent bien à cette catégorie, ce qui est en totale contradiction avec les engagements pris par le Conseil d'Etat vis-à-vis du CICR qui proscrit explicitement ce type de munitions.
Mme la commandante Bonfanti a d'ailleurs reconnu que les balles utilisées par la police genevoise correspondent au modèle dénoncé dans ce projet de loi et que leur diamètre peut passer, après pénétration dans un corps humain... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...de 9 à 12 millimètres - un écart minime, mais qui peut s'avérer fatal. Mme Bonfanti considère à cet égard que les jeux sont faits, alors même qu'aucune loi cantonale n'autorise l'utilisation de ce type de munitions, ce qui est un paradoxe. Elle a également laissé entendre, évoquant une commission consultative, que ces balles pourraient être employées dans un proche avenir par la police municipale, ce qui ne manque pas de nous inquiéter.
Le président. Vous prenez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.
M. Christian Zaugg. D'accord. Demain, des balles à expansion entre les mains de notre police de proximité ? Voilà qui fait froid dans le dos ! Alors oui, nous le reconnaissons, les balles de la police genevoise ne sont pas aussi dévastatrices que les redoutables dum-dum des Britanniques, mais elles peuvent tout de même causer de graves dommages corporels, nul ne peut le contester.
Indépendamment de leur dangerosité, rien n'existe dans la législation genevoise en matière d'armes et de munitions; le Grand Conseil serait ainsi bien avisé de voter cette loi, ne serait-ce que pour obliger le Conseil d'Etat à légiférer en la matière.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et passe la parole à M. Pierre Vanek pour deux minutes dix.
M. Pierre Vanek (EAG). Ce sera bien suffisant, Monsieur le président ! Les réponses formulées à l'encontre de ce projet de loi relèvent de la mauvaise foi, si ce n'est de la fumisterie. Notre texte ne parle ni d'armes de guerre ni de matériel lié aux conflits internationaux, il comporte quatre lignes très simples qui stipulent, dans un article opératoire: «La police genevoise ne peut pas être équipée d'armes ou de munitions dont l'usage est proscrit en cas de conflit par le droit international humanitaire. Sont notamment proscrites les balles qui s'épanouissent ou s'aplatissent à l'intérieur du corps humain.»
On nous dit que la police cantonale utilise des balles expansives et que ça ne pose aucun problème; mais ça pose évidemment un réel problème, car ce type de projectiles n'est pas autorisé par le droit international humanitaire en cas de conflit. C'est un problème eu égard aux Conventions de Genève, eu égard aux relations particulières que nous entretenons avec le droit international humanitaire ! On ne peut pas, au bénéfice d'un vide juridique - oui, d'un vide juridique ! - s'équiper de munitions qui sont problématiques dans les conflits internationaux.
Mesdames et Messieurs, lorsque cette question a été mise sur le tapis à l'occasion d'un échange assez vif que nous avons eu s'agissant d'un crédit pour la police, Pierre Maudet a affirmé que les balles utilisées ou qu'il était envisagé d'utiliser étaient conformes au droit supérieur. Le problème, et c'est la raison pour laquelle je parle de fumisterie, c'est qu'il n'existe pas de droit supérieur en la matière ! La cheffe de la police l'a indiqué en commission, Mme la rapporteuse l'a confirmé ici: c'est le droit cantonal qui régit la question de l'armement, le droit international humanitaire ne s'applique évidemment pas à l'intérieur de nos frontières en ce qui concerne les opérations de police. Il n'y a aucun droit au-dessus de nous en la matière !
Ce que je propose tout simplement, c'est que nous nous engagions en faveur d'une action policière respectueuse du droit international humanitaire. Notre police en sortira grandie, elle aura plus d'autorité, parce qu'elle respectera une norme internationale - qui est certes ancienne, mais toujours en vigueur à l'échelle internationale. Pour ces motifs, il faut voter ce projet de loi. D'autant que la rapporteuse de majorité, si elle croit vraiment à ses propos, a donné un argument en faveur de ce texte: elle nous a dit tout à l'heure que le droit international humanitaire est respecté à Genève. Alors votons ce projet de loi, ça ne changera rien ! Il demande simplement que le droit international humanitaire soit en effet bien respecté à Genève. (Quelques applaudissements.)
M. Marc Fuhrmann (UDC). Je tiens à opérer une distinction entre deux éléments importants: l'usage de balles à expansion ne se fait pas dans le cadre de conflits, mais dans celui des forces de l'ordre. On sait très bien qu'au sein de la police, l'arme n'est utilisée qu'en dernier recours, pour la protection de l'officier lui-même ou d'autres personnes.
On sait aussi que les balles traditionnelles n'arrêtent pas un assaillant lancé dans sa course, elles peuvent même le traverser et toucher des personnes tierces, ce qui n'est évidemment pas le but; il faut pratiquement tirer deux, trois, voire quatre fois pour arrêter quelqu'un. Je le répète: il s'agit d'une utilisation non pas de masse, mais dans le cadre bien réglementé de la police, et dans des cas de légitime défense uniquement. L'UDC est contre ce projet de loi. Merci.
Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, le débat sur ce projet de loi nous mène à un constat aussi intéressant qu'inquiétant: aujourd'hui, aucune base légale n'encadre l'usage des munitions par la police genevoise. On ne sait pas lesquelles sont autorisées, lesquelles doivent être proscrites. C'est ce vide juridique que le projet de loi propose de combler, un vide juridique qui permet d'armer l'ensemble des policières et des policiers de notre canton de balles expansives qui, comme cela a été dit, sont pourtant interdites en situation de guerre par le droit international humanitaire.
Relisez l'exposé des motifs joint à ce projet de loi, on y trouve l'explication suivante de la part du CICR: «[...] la Déclaration de La Haye de 1899 codifie une règle coutumière interdisant l'emploi des armes qui causent des souffrances cruelles et inutiles. Cette interdiction concerne des balles particulières, celles qui s'épanouissent ou s'aplatissent facilement dans le corps humain [...]». Or c'est avec ces projectiles que le Conseil d'Etat entend charger les armes de nos policiers, des projectiles dont il a été reconnu il y a plus d'un siècle qu'ils causaient des souffrances cruelles et inutiles !
Notre Parlement fédéral a refusé une proposition similaire, le droit international humanitaire proscrit l'utilisation de ces balles, je l'ai dit, tandis que des organisations comme le CICR, Amnesty International et la FMH contestent leur usage. Nous devons indiquer dans notre législation cantonale et ancrer dans la LPol l'interdiction de ce type d'armement dangereux et inhumain. C'est la raison pour laquelle le parti socialiste vous propose d'accepter ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, les Verts étaient sensibles à la problématique soulevée par ce projet de loi lors de son dépôt. Cependant, les explications fournies en commission nous ont rassurés, notamment quant au fait que la police genevoise n'est pas équipée et n'entend pas s'équiper de matériel non conforme au droit international humanitaire. Par ailleurs, l'emploi des armes par la police constitue un aspect technique qui ne doit pas nécessairement relever d'une base légale. Les Verts estiment que la commission, faute de compétence, n'est pas apte à légiférer en la matière. C'est la raison pour laquelle ils s'abstiendront. Merci.
M. Raymond Wicky (PLR). Mesdames et Messieurs, chers collègues, j'aimerais tout d'abord relever, en complément à ce qu'a mentionné la rapporteure de majorité, que l'introduction de ces munitions ne s'est pas faite à la légère: une étude technico-scientifique particulièrement poussée a été menée à l'échelon national, ordonnée par les différents commandants et commandantes des polices cantonales, qui a conduit l'ensemble des cantons suisses à s'équiper quasi simultanément de ces nouveaux projectiles.
Ce n'était pas un acte irréfléchi, mais qui visait un objectif majeur: offrir à nos policiers la possibilité de se défendre de manière réaliste. Rappelez-vous quand dans le canton de Fribourg, en 2005, un malfrat a été touché par un agent en intervention à onze reprises - onze reprises ! - mais continuait à courir et à tirer, parce qu'il s'agissait de balles 9 millimètres conventionnelles qui n'introduisent aucun état de choc, contrairement aux balles à expansion contrôlée.
En commission, nous avons également constaté que notre police cantonale se montre particulièrement raisonnable et qu'elle ne va pas se mettre à faire des choses absolument démentes sous prétexte que la compétence légale relève du canton. Fort de ces considérations, le groupe PLR soutiendra la non-entrée en matière. Merci de votre attention.
M. Christian Flury (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, voilà plus de dix ans que la police genevoise a renoncé à l'usage de balles blindées pour leur préférer des projectiles de type Action-4 qui, en raison de leur expansion contrôlée, augmentent la force d'impact dans la partie du corps touchée et y restent, ce qui évite les dommages collatéraux. Il ne s'agit pas de balles dum-dum ni de balles expansives à tête creuse.
Il est utile de rappeler que les policiers ne font usage de leur arme que dans des situations exceptionnelles, c'est-à-dire en cas de légitime défense ou s'il n'y a pas d'autre moyen pour protéger la population d'une menace extraordinaire. Le recours à l'arme de service se fait en dernier ressort. Gardons également en mémoire que les criminels et autres gangsters, de leur côté, sont souvent armés de gros calibres, de fusils de chasse ou de kalachnikovs dont nous connaissons tous la provenance.
La migration technique s'est effectuée avec l'accord de la Commission de l'armement, qui dépend elle-même de la Conférence des commandants des polices cantonales de Suisse ainsi que de la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police. Développées depuis les années 2000, les munitions Action-4 équipent les corps de police suisses et répondent en tout point aux directives du droit international humanitaire en matière d'armes et de munitions.
Le Mouvement Citoyens Genevois vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à suivre les conclusions de la commission judiciaire dont les membres ont refusé l'entrée en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC), rapporteuse de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, je relis très brièvement le titre de ce projet de loi: «Pour une police genevoise qui se conforme aux normes du droit international humanitaire en matière d'armes et de munitions». Eh bien c'est le cas ! (Remarque.) C'est le cas, donc sus à la légiférite aiguë ! Il est tout à fait raisonnable de refuser l'entrée en matière sur ce texte. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'interviens au nom du Conseil d'Etat sur ce projet de loi qui demande que les armes utilisées par la police genevoise respectent le droit international humanitaire ou en tout cas que notre corps de police ne fasse pas usage de munitions proscrites sur ce plan-là.
Je ne suis pas un spécialiste, aussi vais-je me référer aux propos tenus par la cheffe de la police devant la commission - vous savez qu'il s'agit d'une experte de renommée internationale en matière de balistique: elle a largement confirmé que tel était le cas s'agissant des balles employées par notre police cantonale, elle a indiqué qu'elle n'entendait pas demander l'équipement ultérieur en armes qui ne seraient pas conformes au droit international et elle a précisé que les munitions de la police genevoise sont les mêmes que celles utilisées dans tous les autres corps de police en Suisse.
Pour toutes ces raisons, le Conseil d'Etat vous invite à rejeter l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous passons au vote sur l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12134 est rejeté en premier débat par 56 non contre 24 oui et 12 abstentions.