Séance du
jeudi 26 avril 2018 à
20h30
1re
législature -
4e
année -
14e
session -
79e
séance
PL 11764-A et objet(s) lié(s)
Suite du deuxième débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous poursuivons notre examen du projet de loi 11764 sur la laïcité de l'Etat. Je vous rappelle que nous en sommes à l'article 15 souligné relatif aux modifications à d'autres lois. Juste avant la pause, deux amendements de Mme Orsini et M. Gauthier à l'alinéa 1, soit à la loi sur le protocole, ont été rejetés.
Nous nous penchons à présent sur l'alinéa 2, à savoir la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux. M. Vanek nous propose l'amendement suivant:
«Art. 2A, al. 2 (nouvelle teneur)
2 Les agents de l'Etat, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent une neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions.»
Il s'agit donc de supprimer la deuxième partie de la phrase. Allez-y, Monsieur Vanek.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, nous avons déjà discuté de cet amendement, mais je l'ai déposé à nouveau parce qu'il concerne ici la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, que vous connaissez tous et à laquelle on ajoute cette disposition.
Je serai bref: la volonté de normaliser l'apparence individuelle des agents de l'Etat dans le but de gommer la diversité religieuse est tout aussi idiote et liberticide que si on cherchait à effacer d'autres caractéristiques plurielles que présentent les fonctionnaires soumis à cette loi ! Ceux-ci n'ont pas à incarner une vision robotisée et neutralisée de l'Etat, on doit au contraire se féliciter qu'ils reflètent l'hétérogénéité de la population genevoise. C'est pourquoi je vous propose de supprimer la fin de cette disposition. Les employés de la fonction publique doivent observer la neutralité religieuse, certes, mais sans cette exigence supplémentaire qui figure dans le dernier membre de la phrase.
Le président. Merci, Monsieur. Je lance la procédure de vote sur cet amendement.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 56 non contre 15 oui et 1 abstention.
Le président. L'ultime demande d'amendement, qui émane de Mme Orsini et M. Gauthier, concerne le même article. Cette fois, la modification consiste à biffer uniquement le segment «lorsqu'ils sont en contact avec le public»:
«Art. 2A, al. 2 (nouvelle teneur)
2 Les agents de l'Etat, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent une neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions. Ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 68 non contre 5 oui et 1 abstention.
Mis aux voix, l'al. 2 de l'art. 15 (souligné) est adopté, de même que les al. 3 à 5.
Mis aux voix, l'art. 15 (souligné) est adopté.
Troisième débat
Le président. Nous sommes saisis de plusieurs demandes d'amendement qui ont déjà été présentées lors du deuxième débat et qui ont été largement commentées. La première d'entre elles, déposée par M. de Matteis, vise à supprimer l'alinéa 4 nouveau de l'article 3:
«4 Lorsqu'ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs.»
Monsieur Rappaz, c'est à vous.
M. Henry Rappaz (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ici même, lors de la dernière session de notre Grand Conseil, je vous ai dit tout le bien que je pensais de ce projet de loi sur la laïcité. J'adresse toutefois un message à celles et ceux qui douteraient encore de son utilité: j'affirme que chacun des articles de ce projet de loi contribue à maintenir la paix religieuse à Genève, une paix qui nous est chère. J'affirme également que le texte dans son ensemble est une marque de respect envers le passé spirituel de Genève, ce que commande la constitution dans son préambule. Premièrement, en acceptant le maintien de la perception de la contribution religieuse volontaire par l'Etat, les Eglises qui ont fondé Genève pourront continuer d'exister. Les priver de cette prestation serait un manque de respect crasse envers ceux qui ont fait de Genève un centre de pensée, un centre économique et un centre humanitaire. C'est pourquoi l'article 5 devrait être accepté tel quel et l'article 14 sur l'abolition de cette prestation supprimé sans hésitation.
Deuxièmement, en acceptant l'article 10, vous serez cohérents avec ce que vous-même avez récemment demandé au Conseil d'Etat, Mesdames et Messieurs les députés, à savoir de lutter efficacement contre les dérives sectaires. Ce véritable fléau n'a pas encore touché notre pays mais le danger est loin d'être écarté, comme le précisent les services secrets de la Confédération, et nos autorités pourront enfin intervenir en amont grâce à cette loi.
Troisièmement, l'enseignement du fait religieux transmis dans le milieu familial, dans la communauté religieuse ou dans le groupe ethnique ne peut pas être objectif et neutre. L'enfant a besoin d'accéder à des sources de savoir différentes de celle constituée de ses proches. C'est vrai pour le fait religieux. L'école publique doit assumer sa mission de formation et de socialisation en rendant accessible la connaissance des cultures religieuses afin de permettre à l'élève de comprendre sa propre origine et celle des autres. Je vous rappelle que le canton de Genève a adhéré à ce principe. Pour toutes ces raisons, je vous invite à accepter l'article 11 sur l'enseignement du fait religieux à l'école publique.
Pour conclure, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je vous rappelle que certains défenseurs de cette loi vous quitteront dans quelques jours. Pourrions-nous clore cette législature par le vote du projet de loi sur la laïcité, si ce n'est à l'unanimité, du moins à une très large majorité ? Nous aurions ainsi démontré aux Genevois que nous sommes capables, au moins une fois, après deux ans de débat, de nous entendre sur une loi favorable à la paix religieuse et à la cohésion sociale, une loi qui respecte les ancêtres dont nous sommes les héritiers. Les citoyens genevois nous en seront reconnaissants. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur, mais vous avez fait une déclaration finale alors que nous n'en sommes encore qu'aux amendements. Madame Klopfenstein Broggini, vous avez la parole.
Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette demande d'amendement a été déposée au deuxième débat et nous la déposons à nouveau ici, au troisième débat. Elle vise à supprimer l'alinéa 4 de l'article 3: «Lorsqu'ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs.» Pour les Verts, cet alinéa est une atteinte directe aux libertés individuelles et va évidemment à l'encontre des droits fondamentaux. Si on regarde un peu les élus sur l'ensemble du canton - dans toutes nos communes et ici, au Grand Conseil - on se rend compte qu'à peu près personne n'est concerné par cet article si ce n'est une seule élue au Conseil municipal de Meyrin. On réalise ainsi à quel point cet alinéa devient discriminatoire et amène au final à polémiquer sur un non-phénomène. Il attise la haine et est totalement discriminatoire. Si un tel alinéa devait être maintenu, il faudrait évidemment ajuster les listes des candidats aux élections: si on n'a pas le droit d'élire des personnes qui portent des signes religieux ostentatoires, alors qu'allons-nous faire de ces candidats ? Bref, nous vous encourageons vivement à suivre la demande de suppression de cet alinéa 4 de l'article 3. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes là au coeur du sujet. Rappelons simplement qu'on est dans l'article 3 et qu'il y est question de la «neutralité religieuse de l'Etat». L'alinéa 4 a pour nous son importance en ce sens qu'il traite de la neutralité de l'Etat - on parle bien de neutralité - à travers la représentation des gens qui sont dans ses locaux, dans notre Grand Conseil ou dans nos Conseils municipaux; il est important que la neutralité religieuse y soit respectée. Raison pour laquelle, après bien des débats en commission, cet alinéa 4 se justifie totalement. J'irai même plus loin: je dirai que la suppression de cet alinéa 4 serait rédhibitoire pour le vote final de notre minorité. Nous vous enjoignons de refuser l'amendement. Je vous remercie.
Mme Salika Wenger (EAG). Chers collègues, nous sommes en train de parler de signes ostentatoires religieux. Mettons-nous bien d'accord: lorsque nous parlons de signes ostentatoires religieux, tout le monde fait allusion au foulard et au voile ! Personne ne parle d'autre chose. Je suis d'accord pour l'interdire, mais non pas parce qu'il est un signe ostentatoire religieux, puisque rien dans le Coran - ça n'apparaît nulle part dans le texte - n'oblige les femmes à porter le foulard, sauf en ce qui concerne une catégorie: les femmes du Prophète. Toutes les femmes qui portent le foulard aujourd'hui ne le font qu'en vertu de la résurgence d'une pratique extrêmement ancienne qui date du néolithique: les filles du clan pour les mecs du clan ! C'est tout ! Il se peut qu'on ait réussi à imposer aux femmes musulmanes le port du foulard, mais ce n'est en tout cas pas un signe religieux. Je vous le dis - je connais aussi bien le Coran que les autres religions. Pour ce qui me concerne, je dis que ce foulard est une manière d'imposer encore une fois un pouvoir machiste qui n'a rien à voir avec l'islam. Strictement rien à voir avec l'islam ! D'après le Coran, un seul groupe de femmes est obligé de porter le foulard ! Mais pas de se voiler ! Pas de devenir invisible ! Pas de devenir des fantômes ! Pas du tout ! Il n'y a que six femmes du Prophète dans l'histoire; pour le reste, je dirais que ce sont des problèmes de pratiques culturelles, et ces pratiques culturelles peuvent évoluer. Alors que toutes les femmes du monde qui sont obligées de le porter se battent aujourd'hui contre ça, il me semble important que nous soutenions cette lutte et que nous disions que le niqab - l'invisibilité des femmes - n'est pas admissible ! (Applaudissements. Commentaires.)
Une voix. Bravo !
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, vous constaterez que notre groupe n'est pas unanime sur cette question. (Commentaires.) En ce qui nous concerne, et sans faire l'exégèse du voile... (Commentaires.)
Des voix. Chut !
Mme Jocelyne Haller. ...nous sommes persuadés que s'il y a des femmes que l'on contraint à porter le voile, d'autres femmes y ont librement consenti. (Huées.)
Des voix. Chut !
Le président. S'il vous plaît, laissez parler Mme Haller.
Mme Jocelyne Haller. Pour nous, très clairement, il ne doit y avoir ni voile forcé ni dévoilement forcé ! En défendant ce point de vue, nous respectons la liberté individuelle des femmes qui souhaitent porter le voile. Qu'on ne se trompe pas, parce qu'on risque au final de s'engager dans des discours islamophobes... (Protestations.) ...qui pour nous sont à proscrire dans ce débat, bien qu'on les ait malheureusement trop entendus. Et celles qui hurlent le plus fort sont sans doute celles qui les professent avec le plus d'énergie ! Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Vous connaissez mon caractère irénique et conciliateur. (Rires.) Mme Salika Wenger vient grosso modo de dire que le voile n'a rien à voir avec le Coran, rien à voir avec la religion islamique, mais est une pratique rétrograde et machiste non religieuse.
Une voix. Oui, exactement !
M. Pierre Vanek. Exactement ! Ça signifie donc que, si on suit ma camarade Salika Wenger, le point dont nous débattons - le fait de signaler son appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs - ne concerne pas le voile puisqu'il n'est pas un signe extérieur d'appartenance religieuse ! C'est ce qu'elle nous a expliqué avec beaucoup de talent ! (Commentaires.)
Je ne me sens pas à l'aise de discuter des femmes ou de l'islam: je ne suis pas une femme et je n'ai jamais eu le moindre rapport avec l'islam. J'ai par contre un rapport avec le christianisme; j'ai grandi et ai été élevé dans une famille catholique. Or, il y a un problème avec ce que vous défendez dans cet alinéa, concernant le fait de signaler son appartenance religieuse dans un Conseil municipal ou au Grand Conseil, puisqu'un parti se dit chrétien. Le parti démocrate-chrétien ! (Remarque.) Je ne suis pas un fidèle de cette religion, mais les membres de ce parti ont le droit de dire qu'ils le sont, ils ont le droit d'être élus et de venir afficher au parlement le fait qu'ils sont chrétiens ! (Commentaires. Protestations.) Vous me direz... (Commentaires.) Vous me direz que ce n'est pas le signaler par un propos ou par un signe extérieur; bien sûr que c'est le signaler par un propos ! (Commentaires.) Ils ont le droit de dire, par exemple en politique sociale, que telle ou telle position de leur parti est inspirée par la doctrine chrétienne. (Commentaires.) Je ne partage pas ce point de vue, mais je défends leur droit à le faire ! Et c'est une ignominie... (Protestations.) C'est marqué «chrétien» dans le logo de votre parti; eh bien, c'est un signe ! Vous connaissez le grand linguiste... (Remarque.) Pardon ? (Remarque.) Ah, il me dit que c'est un mot et non un signe. Mais vous méconnaissez les travaux du grand linguiste genevois Ferdinand de Saussure sur les signes linguistiques: un mot est évidemment un signe.
Le fait de ne pas voter cet amendement signifie donc que nos petits camarades qui sont là, au fond à gauche - ils seront un peu moins à gauche tout à l'heure quand on les aura légèrement repoussés - n'auront plus le droit de venir affirmer cette filiation philosophique et religieuse de leur parti ! (Exclamations.) Ou alors - et c'est grave, Mesdames et Messieurs - on dit que, parce qu'ils font partie du clan, parce qu'ils font partie de la famille, parce qu'ils font partie de ceux qui ont un lien ombilical avec l'Etat comme le disait tout à l'heure Gabriel Barrillier, eux ont le droit de garder leur signe religieux... (Commentaires.) ...mais les femmes musulmanes, par exemple, n'en ont par contre pas le droit ! Eh bien, ça, c'est une violation de la neutralité religieuse de l'Etat ! Je vous invite donc à soutenir cet amendement, Mesdames et Messieurs, par souci précisément de neutralité religieuse de l'Etat et de laïcité. (Applaudissements.)
Mme Salika Wenger (EAG). Chers collègues, il va de soi que je parle des institutions publiques. Que les femmes portent un foulard, un voile, un hijab ou qu'elles arrivent en monokini dans la rue, c'est leur problème ! Ce que je ne veux ni ne peux envisager, c'est que dans les institutions publiques, dans ce qui représente l'Etat, il puisse y avoir des personnes qui montrent et portent ostensiblement des signes prétendument religieux. (Commentaires.) Je disais tout à l'heure que le port du voile n'est pas un signe religieux, et en effet il ne l'est pas. J'aimerais rappeler à mon camarade qu'il n'y a pas si longtemps, et même encore maintenant, il y a des hommes en soutane et des femmes qui portent le voile, à l'instar des religieuses, et tant qu'ils le font dans le cadre de leur fonction, pourrait-on dire, ça ne me dérange pas du tout. Ce qui me dérange, c'est d'imaginer qu'un professeur ou un fonctionnaire qui me reçoit le fasse avec des signes ostensibles de sa religion. Dans ce cas-là, je trouve ça inadmissible ! Et même si le port du foulard n'est pas une règle de l'islam, j'imagine la tête que vous ferez tous le jour où vous irez à la poste ou chercher votre passeport et que la femme qui vous répondra... la femme que vous regarderez, vous n'en verrez que les yeux ! Et ça, ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible, ni pour une religion, ni pour une autre, ni pour quoi que ce soit ! Je me fiche de la manière dont les gens se vêtent dans la rue, mais il est indispensable que l'Etat soit absolument neutre. Et c'est cette neutralité-là que je défends ! (Applaudissements. Commentaires.)
Des voix. Bravo !
M. François Lance (PDC). Mesdames et Messieurs, j'aimerais simplement redire la position du PDC, et ce n'est pas sous la pression de M. Vanek. Nous l'avons déjà présentée en commission et durant le deuxième débat: pour nous, cette disposition est inutile. C'est vrai que les électeurs et les électrices élisent librement les candidats aux élections législatives. Cette disposition ne pose actuellement aucun problème et serait difficilement défendable devant la justice; nous accepterons donc cet amendement proposé par les Verts. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Une voix. Non, non.
Le président. Merci, Monsieur. (Brouhaha. Un instant s'écoule.) J'attends un peu de silence, s'il vous plaît ! (Un instant s'écoule.) La parole est à M. Dimier.
M. Patrick Dimier (MCG). Merci, Monsieur le président. Au risque de me retrouver à «contre-Coran»... (Rires. Commentaires.) ...je tiens à rappeler ici que ce qui fonde la société genevoise, c'est précisément le respect des religions mais aussi une laïcité absolue de l'Etat. Je me rends compte avec ce débat que c'est un peu la croix et la bannière. Evidemment, je le comprends: la société évolue. A l'époque de Calvin, peu de gens arrivaient de terres d'islam. Mais cela dit, nous restons dans une terre où évidemment... (Brouhaha. Un instant s'écoule.) ...évidemment, il n'est possible de bien vivre ensemble que si on se respecte. Et le respect, n'en déplaise à certains, c'est savoir s'écouter et - encore mieux - s'entendre. On ne peut pas s'entendre si on a des divergences de fond sur l'acceptation des grands principes. Le seul principe qui peut nous gouverner dans cette loi, c'est bien évidemment la laïcité absolue de l'Etat et rien d'autre. Rien d'autre ! Ne nous voilons pas la face et allons-y. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur. La parole va à M. Mizrahi pour quarante-six secondes.
M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Monsieur le président, ce ne sera probablement pas suffisant, mais ce n'est pas grave ! Il y a quand même un manque de cohérence dans ce débat, et Mme Wenger - vous transmettrez, Monsieur le président - pratique un peu l'amalgame. On nous dit qu'une personne dont le visage est masqué va nous accueillir au guichet; mais ici, Mesdames et Messieurs, on ne parle pas de cela ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) On parle des élus et des élues, qui ne sont pas des agents de l'Etat, je tiens à le rappeler ! (Commentaires.) Par ailleurs, Madame Wenger - vous transmettrez, Monsieur le président - vous avez voté tout à l'heure des restrictions pour les simples citoyens. Il ne faut donc pas venir nous parler des agents de l'Etat ! Il y a aussi un consensus sur le fait que la prestation de serment du Conseil d'Etat se déroule à la cathédrale, ce qui ne gêne personne. La laïcité n'est donc en réalité pas absolue... (Protestations.)
Le président. C'est terminé, Monsieur.
M. Cyril Mizrahi. Je vais finir, Monsieur le président. ...et vous visez ici les femmes et l'islam ! (Protestations.) C'est ça, la réalité ! (Protestations.)
Le président. Chut ! S'il vous plaît ! (Un instant s'écoule.) Monsieur Romain, c'est à vous.
M. Jean Romain (PLR). Merci, Monsieur le président. Jusqu'à maintenant, le débat a été de bonne tenue, et ce serait intéressant qu'il continue sur la même voie. Cet amendement de M. Halpérin a été accepté le mois passé; tout à l'heure, Mme Wenger a dit un certain nombre de choses qui me semblent frappées au coin du bon sens. Evidemment, les électeurs et les électrices ont voté pour des personnes et celles-ci, qu'elles le veuillent ou non, donnent une certaine image d'elles; cette image peut aller de pair avec un voile, une kippa ou un col romain - je m'excuse, mais c'est quand même bien cela. Le problème ne découle toutefois pas de la laïcité des personnes: c'est la question des lieux qui est problématique, ce ne sont pas les personnes ! Notre vision de la laïcité ne vise pas à empêcher qui que ce soit d'avoir sa propre opinion, Dieu merci, mais à garder cette opinion en son for intérieur dans certains lieux. Ce que nous aimerions, au fond, c'est que l'on fasse cette distinction entre le lieu et la personne. Or, chaque fois que nous parlons des lieux, on nous rétorque que les personnes sont libres; chaque fois que nous parlons des personnes, on nous rétorque qu'elles ont le droit de se rendre dans tous les lieux au motif même de cette liberté. Je crois que c'est une erreur ! Certains lieux sont peut-être propices à mettre entre parenthèses son appartenance religieuse, politique ou autre, notamment celui dans lequel nous nous trouvons - le parlement - et toute une série d'autres. Je crois que le bon sens consiste à aller jusqu'au bout de la logique, logique qui n'empêche personne de croire - elle n'empêche personne de ne pas croire non plus, encore une fois Dieu merci. Allons de l'avant, ne revenons pas incessamment sur des choses que nous avons déjà votées et qui ont fait l'unanimité, ou presque, me semble-t-il. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, comme vient de le dire notre collègue Jean Romain, nous sommes en train de parler de lieux. Personnellement, je dois dire que je suis heureux - je n'ai pas honte de le dire - que des gens de confessions totalement opposées à la mienne, qui répondent à d'autres critères, puissent accéder à notre Grand Conseil et à ses séances. Mais je crois que cet alinéa 4 dit simplement ceci: vous êtes élus comme représentants du peuple, vous n'êtes pas élus comme représentants d'une communauté. Parce que si on accepte de faire entrer la représentation communautaire au sein de nos séances législatives ou autres, eh bien, Mesdames et Messieurs, nous nous exposons à des problèmes. Je crois qu'absolument tout un chacun peut comprendre ceci: tout élu peut venir dans l'accoutrement qui lui plaît jusqu'à la salle des Pas-Perdus, mais quand nous siégeons, nous sommes là pour représenter l'ensemble de la population genevoise et nous exprimer sur nos différences sans avoir besoin de les marquer par un attachement communautaire. Raison pour laquelle nous vous incitons à refuser cet amendement. Merci. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Orsini pour quarante-sept secondes.
Mme Magali Orsini (EAG). Merci, Monsieur le président. Je m'étonne de l'insistance des Verts à remettre inlassablement leur théorie sur le tapis. Je constaterai simplement, et je le répéterai, qu'il serait absolument impossible dans cette salle de reconnaître un homme musulman - d'identifier sa religion - alors qu'une femme serait immédiatement reconnaissable selon les exigences de MM. les Verts. Le voile est définitivement un signe de soumission, peu importe qu'il soit ou non religieux; il est définitivement un signe de soumission imposé aux femmes par les hommes. A ce titre, il est tout à fait inacceptable dans un lieu qui représente la république tel que l'enceinte de ce Grand Conseil. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame. Monsieur Vanek, il vous reste sept secondes en tout !
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Nous ne sommes pas des représentants du peuple dans son entier, nous représentons la fraction du peuple qui nous a élus ! C'est une chose tout à fait différente. Et cette fraction peut avoir des opinions religieuses et les exprimer, y compris dans leur prolongement politique.
Le président. Merci, Monsieur. Madame Klopmann, c'est à vous. (Brouhaha.)
Mme Sarah Klopmann (Ve). Merci, Monsieur le président. J'attends que les représentants du parti démocrate-chrétien se taisent. (Brouhaha. Un instant s'écoule.) Merci. C'est à mon sens un petit peu délicat d'entendre sans cesse des femmes nous dire que le voile est un signe de soumission... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
Mme Sarah Klopmann. ...et qu'il faut l'interdire et l'empêcher, supposément au nom du féminisme, puisqu'il est en réalité discriminant. Si nous décidons d'interdire aux femmes qui portent le voile, que ce soit ou non leur choix - parfois ça ne l'est pas et je le condamne, parfois ça l'est et il faut le respecter - de le porter dans un parlement, dans la rue, dans une école ou dans une institution publique, nous n'obtiendrons en réalité qu'une seule chose: nous empêcherons la femme d'aller dans ces différents endroits et de siéger ou de travailler dans tous ces établissements et ces institutions. En fait, le seul et unique résultat de cette approche, c'est une nouvelle discrimination envers les femmes, faite en plus au nom du féminisme ! Je trouve ça absolument scandaleux ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame. Mesdames et Messieurs les députés, je soumets à vos votes cette demande d'amendement qui vise à supprimer l'alinéa 4 nouveau de l'article 3. (Brouhaha.) Chut ! Madame Wenger, s'il vous plaît !
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 59 non contre 24 oui et 3 abstentions.
Le président. Nous sommes saisis par M. Vanek d'une demande d'amendement à l'alinéa 5 de l'article 3 pour supprimer cette dernière partie de la phrase: «et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs». Monsieur Vanek, le temps de parole de votre groupe est épuisé, nous allons donc passer directement au vote.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 64 non contre 20 oui et 2 abstentions.
Le président. M. Mizrahi a déposé une demande d'amendement pour biffer l'article 5, alinéa 6, lettre b. Le vote est lancé.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 65 non contre 20 oui et 3 abstentions.
Le président. La demande d'amendement suivante nous vient de M. Deneys et vise à insérer un alinéa 11 nouveau à l'article 5:
«11 Les organismes religieux sont soumis aux contrôles institués par la loi sur la surveillance de l'Etat (LSurv), du 13 mars 2014.»
Monsieur Deneys, le temps de parole des socialistes est épuisé... (Exclamations.) ...alors nous passons au vote.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 59 non contre 18 oui et 10 abstentions.
Le président. Nous avons ensuite une demande d'amendement de M. Vanek pour biffer l'alinéa 1 de l'article 6. Je lance le vote.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 62 non contre 23 oui et 1 abstention.
Le président. La demande d'amendement suivante, de M. de Matteis, vise à supprimer tout l'article 7. Le vote est lancé.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 63 non contre 22 oui et 2 abstentions.
Le président. Nous sommes saisis d'une demande d'amendement déposée par MM. Mizrahi et de Sainte Marie pour biffer l'alinéa 1 de l'article 7. Je vous prie de vous prononcer sur cette demande.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 64 non contre 21 oui et 3 abstentions.
Le président. L'amendement suivant a été déposé par MM. de Matteis et Calame. Il vise à ajouter un article 12 ayant la teneur suivante:
«Art. 12 Evaluation (nouveau, les art. 12 à 15 anciens devenant les art. 13 à 16)
1 Les effets de la présente loi sont évalués par une instance extérieure et indépendante 5 ans après son entrée en vigueur.
2 Le Conseil d'Etat décide si une évaluation ultérieure est nécessaire.
3 Le Conseil d'Etat remet au Grand Conseil un rapport communiquant les résultats de cette évaluation.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 50 non contre 27 oui et 10 abstentions.
Le président. Il reste encore deux demandes d'amendement, et après ce sera fini. (Remarque.) Ah non, il n'en reste heureusement plus qu'une !
Des voix. Ah !
Le président. M. Vanek nous présente un amendement à l'article 14, alinéas 1 et 2, afin de rétablir ces alinéas tels que figurant dans le projet de loi sorti de commission:
«1 Les prescriptions relatives à la contribution religieuse volontaire visées à l'article 5 de la présente loi s'appliquent pour la première fois pour l'année civile qui suit son entrée en vigueur. Ces prescriptions s'appliquent pour une période de dix ans après laquelle elles deviennent caduques et ne déploient plus d'effet.
2 Le Conseil d'Etat peut, sur demande motivée des organisations intéressées, prolonger la période d'applicabilité de ces prescriptions pour dix ans au maximum.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 66 non contre 20 oui et 2 abstentions.
Le président. La parole est à M. le conseiller d'Etat Maudet.
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Le Conseil d'Etat souhaite procéder à une rapide déclaration avant le terme du débat et le vote. Vous l'avez relativement peu entendu ce soir; il est resté circonspect puisque le débat relève essentiellement du parlement. Il m'appartient toutefois, au nom du gouvernement, d'attirer votre attention sur le fait que le moment est à la fois important et historique. Historique, parce que vous vous apprêtez, par le vote de ce soir, à abroger trois lois qui ont marqué l'histoire de Genève. Deux d'entre elles remontent au XIXe siècle: la loi sur les corporations religieuses du 3 février 1872 ainsi que la loi sur le culte extérieur du 28 août 1875. Leur abrogation met un terme définitif - un terme historique - au Kulturkampf genevois de la fin du XIXe siècle, et je suis certain que notre éminent prédécesseur Antoine Carteret ne se retournerait pas dans sa tombe face au débat de ce soir et à l'issue probable du vote. Je pense même qu'il serait très heureux de ce vote à venir, lui qui a transformé l'académie en université, rendu gratuit et obligatoire l'enseignement primaire ou encore réformé l'école enfantine. Il faut y voir un symbole commun, d'unité, et c'est ainsi que le prend le Conseil d'Etat: le symbole d'une unité dans la recherche de la paix religieuse, de la pacification entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, dans l'esprit - permettez-moi de citer Aragon - de «La Rose et le Réséda».
La troisième loi importante que vous vous apprêtez à abroger, Mesdames et Messieurs, date de 1945: la fameuse loi autorisant le Conseil d'Etat à percevoir une contribution ecclésiastique pour les Eglises reconnues qui lui en font la demande, dont vous avez abondamment parlé ce soir. Cette loi remonte au sortir de la guerre. Elle consistait à offrir à un certain nombre d'Eglises - trois d'entre elles - eu égard à leurs efforts en faveur des familles de soldats mobilisés, et en contrepartie d'une série de servitudes, une forme de gratification ou de marque de gratitude.
Ce que vous vous apprêtez à voter ce soir, Mesdames et Messieurs, c'est la réaffirmation de la primauté de la loi civile et de la république, autrement dit de l'ordre juridique suisse, sur toute autre considération. En plus d'être historique, cette loi est extrêmement importante aux yeux du Conseil d'Etat. Elle achève une législature pendant laquelle nous avons consacré beaucoup de temps et d'énergie à la mise en oeuvre de la nouvelle constitution, constitution voulue par le peuple, adoptée, qui prévoit dans son article 3 des dispositions nécessitant une transcription légale. Le vote de cette loi doit être perçu comme un vote positif qui contribuera à la promotion de la cohésion sociale, de la paix et de la liberté religieuses.
J'aimerais donc remercier tous les députés qui ont consacré du temps et de l'énergie à ce débat, en particulier ceux de la commission des Droits de l'Homme qui, je le rappelle, ont pris soixante séances pour examiner le sujet de façon extrêmement approfondie. Ils ont ainsi permis un débat serein en aval, comme le voulait le Conseil d'Etat, et ont notamment posé la question spécifique de l'islam dans notre société - qu'il est bon de se poser en amont d'éventuels problèmes - ou pensé aux possibles façons de poser cette question; des initiatives fédérales ne manqueront pas de faire irruption dans le débat. Nous constatons quant à nous que la commission et la majorité de ce parlement ont fait preuve de lucidité, de maturité et de clairvoyance, et j'aimerais remercier en particulier celles et ceux qui ont contribué à préparer le débat: je pense au groupe de travail sur la laïcité et à son président, Jean-Noël Cuénod; je pense aux 28 entités qui ont contribué à la consultation, dont les membres sont nombreux ce soir à regarder le débat; je pense aux très nombreuses personnes auditionnées également en commission; et je pense bien évidemment à celles et ceux qui dans mon administration ont été les chevilles ouvrières de ce projet de loi.
Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vous invite à voter la loi telle que ressortant des deuxième et troisième débats. Il est vrai qu'elle pose un certain nombre d'interdits, mais - c'est parfois un paradoxe - l'interdit libère ! Cette loi qui pose des limites est une loi nécessaire, à l'esprit profondément républicain. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat.
Une voix. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Très bien, nous passons donc au vote nominal sur l'ensemble de ce projet de loi 11764.
Mise aux voix, la loi 11764 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 63 oui contre 25 non et 3 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Le président. Mesdames et Messieurs, nous devons encore voter sur l'entrée en matière des trois autres projets de lois. Nous commençons par le PL 11766.
Mis aux voix, le projet de loi 11766 est rejeté en premier débat par 84 non contre 4 oui et 1 abstention.
Mis aux voix, le projet de loi 11927 est rejeté en premier débat par 68 non contre 12 oui et 8 abstentions.
Mis aux voix, le projet de loi 12191 est rejeté en premier débat par 79 non contre 3 oui et 5 abstentions.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, avant d'aborder le rapport de la CEP - douloureux problème qui a bouleversé la république - je vous propose quelques minutes de pause.
La séance est suspendue à 21h19.
La séance est reprise à 21h29.