Séance du
jeudi 26 avril 2018 à
20h30
1re
législature -
4e
année -
14e
session -
79e
séance
La séance est ouverte à 20h30, sous la présidence de M. Eric Leyvraz, président.
Assistent à la séance: MM. Mauro Poggia, Pierre Maudet et Luc Barthassat, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mme et MM. François Longchamp, président du Conseil d'Etat, Anne Emery-Torracinta, Serge Dal Busco et Antonio Hodgers, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Delphine Bachmann, Antoine Barde, Olivier Cerutti, Michel Ducret, Pierre Gauthier, Sandra Golay, Lionel Halpérin, Guy Mettan, Françoise Sapin, Ronald Zacharias et Yvan Zweifel, députés.
Députés suppléants présents: Mmes et MM. Christophe Andrié, Ana Roch, Pascal Uehlinger et Céline Zuber-Roy.
Annonces et dépôts
Néant.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'ordre du jour appelle la prestation de serment de deux députés, MM. Patrick Dimier et Jean Fontaine. Je prie le sautier de les faire entrer, et l'assistance de bien vouloir se lever. (MM. Patrick Dimier et Jean Fontaine entrent dans la salle du Grand Conseil et se tiennent debout, face à l'estrade.)
Monsieur Patrick Dimier et Monsieur Jean Fontaine, vous êtes appelés à prêter serment de vos fonctions de députés au Grand Conseil. Je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée et, lorsque cette lecture sera terminée, à l'appel de votre nom, vous répondrez soit «je le jure», soit «je le promets». Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement:
- de prendre pour seuls guides dans l'exercice de mes fonctions les intérêts de la République selon les lumières de ma conscience, de rester strictement attaché aux prescriptions de la constitution et de ne jamais perdre de vue que mes attributions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple;
- d'observer tous les devoirs qu'impose notre union à la Confédération suisse et de maintenir l'honneur, l'indépendance et la prospérité de la patrie;
- de garder le secret sur toutes les informations que la loi ne me permet pas de divulguer.»
Ont prêté serment:
M. Patrick Dimier et M. Jean Fontaine.
Veuillez baisser la main. Le Grand Conseil prend acte de votre serment. La cérémonie est terminée. Dès maintenant, vous pouvez siéger. (Applaudissements.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'ordre du jour appelle la prestation de serment de deux députés suppléants, MM. Christophe Andrié et Raphaël Coudray. Je prie le sautier de les faire entrer, et l'assistance de bien vouloir rester debout. (MM. Christophe Andrié et Raphaël Coudray entrent dans la salle du Grand Conseil et se tiennent debout, face à l'estrade.)
Monsieur Christophe Andrié et Monsieur Raphaël Coudray, vous êtes appelés à prêter serment de vos fonctions de députés suppléants au Grand Conseil. Je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée et, lorsque cette lecture sera terminée, à l'appel de votre nom, vous répondrez soit «je le jure», soit «je le promets». Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement:
- de prendre pour seuls guides dans l'exercice de mes fonctions les intérêts de la République selon les lumières de ma conscience, de rester strictement attaché aux prescriptions de la constitution et de ne jamais perdre de vue que mes attributions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple;
- d'observer tous les devoirs qu'impose notre union à la Confédération suisse et de maintenir l'honneur, l'indépendance et la prospérité de la patrie;
- de garder le secret sur toutes les informations que la loi ne me permet pas de divulguer.»
Ont prêté serment:
M. Christophe Andrié et M. Raphaël Coudray.
Veuillez baisser la main. Le Grand Conseil prend acte de votre serment. La cérémonie est terminée. Dès maintenant, vous pouvez siéger. (Applaudissements.)
Suite du deuxième débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous poursuivons notre examen du projet de loi 11764 sur la laïcité de l'Etat. Je vous rappelle que nous en sommes à l'article 15 souligné relatif aux modifications à d'autres lois. Juste avant la pause, deux amendements de Mme Orsini et M. Gauthier à l'alinéa 1, soit à la loi sur le protocole, ont été rejetés.
Nous nous penchons à présent sur l'alinéa 2, à savoir la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux. M. Vanek nous propose l'amendement suivant:
«Art. 2A, al. 2 (nouvelle teneur)
2 Les agents de l'Etat, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent une neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions.»
Il s'agit donc de supprimer la deuxième partie de la phrase. Allez-y, Monsieur Vanek.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, nous avons déjà discuté de cet amendement, mais je l'ai déposé à nouveau parce qu'il concerne ici la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, que vous connaissez tous et à laquelle on ajoute cette disposition.
Je serai bref: la volonté de normaliser l'apparence individuelle des agents de l'Etat dans le but de gommer la diversité religieuse est tout aussi idiote et liberticide que si on cherchait à effacer d'autres caractéristiques plurielles que présentent les fonctionnaires soumis à cette loi ! Ceux-ci n'ont pas à incarner une vision robotisée et neutralisée de l'Etat, on doit au contraire se féliciter qu'ils reflètent l'hétérogénéité de la population genevoise. C'est pourquoi je vous propose de supprimer la fin de cette disposition. Les employés de la fonction publique doivent observer la neutralité religieuse, certes, mais sans cette exigence supplémentaire qui figure dans le dernier membre de la phrase.
Le président. Merci, Monsieur. Je lance la procédure de vote sur cet amendement.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 56 non contre 15 oui et 1 abstention.
Le président. L'ultime demande d'amendement, qui émane de Mme Orsini et M. Gauthier, concerne le même article. Cette fois, la modification consiste à biffer uniquement le segment «lorsqu'ils sont en contact avec le public»:
«Art. 2A, al. 2 (nouvelle teneur)
2 Les agents de l'Etat, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent une neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions. Ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 68 non contre 5 oui et 1 abstention.
Mis aux voix, l'al. 2 de l'art. 15 (souligné) est adopté, de même que les al. 3 à 5.
Mis aux voix, l'art. 15 (souligné) est adopté.
Troisième débat
Le président. Nous sommes saisis de plusieurs demandes d'amendement qui ont déjà été présentées lors du deuxième débat et qui ont été largement commentées. La première d'entre elles, déposée par M. de Matteis, vise à supprimer l'alinéa 4 nouveau de l'article 3:
«4 Lorsqu'ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs.»
Monsieur Rappaz, c'est à vous.
M. Henry Rappaz (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ici même, lors de la dernière session de notre Grand Conseil, je vous ai dit tout le bien que je pensais de ce projet de loi sur la laïcité. J'adresse toutefois un message à celles et ceux qui douteraient encore de son utilité: j'affirme que chacun des articles de ce projet de loi contribue à maintenir la paix religieuse à Genève, une paix qui nous est chère. J'affirme également que le texte dans son ensemble est une marque de respect envers le passé spirituel de Genève, ce que commande la constitution dans son préambule. Premièrement, en acceptant le maintien de la perception de la contribution religieuse volontaire par l'Etat, les Eglises qui ont fondé Genève pourront continuer d'exister. Les priver de cette prestation serait un manque de respect crasse envers ceux qui ont fait de Genève un centre de pensée, un centre économique et un centre humanitaire. C'est pourquoi l'article 5 devrait être accepté tel quel et l'article 14 sur l'abolition de cette prestation supprimé sans hésitation.
Deuxièmement, en acceptant l'article 10, vous serez cohérents avec ce que vous-même avez récemment demandé au Conseil d'Etat, Mesdames et Messieurs les députés, à savoir de lutter efficacement contre les dérives sectaires. Ce véritable fléau n'a pas encore touché notre pays mais le danger est loin d'être écarté, comme le précisent les services secrets de la Confédération, et nos autorités pourront enfin intervenir en amont grâce à cette loi.
Troisièmement, l'enseignement du fait religieux transmis dans le milieu familial, dans la communauté religieuse ou dans le groupe ethnique ne peut pas être objectif et neutre. L'enfant a besoin d'accéder à des sources de savoir différentes de celle constituée de ses proches. C'est vrai pour le fait religieux. L'école publique doit assumer sa mission de formation et de socialisation en rendant accessible la connaissance des cultures religieuses afin de permettre à l'élève de comprendre sa propre origine et celle des autres. Je vous rappelle que le canton de Genève a adhéré à ce principe. Pour toutes ces raisons, je vous invite à accepter l'article 11 sur l'enseignement du fait religieux à l'école publique.
Pour conclure, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je vous rappelle que certains défenseurs de cette loi vous quitteront dans quelques jours. Pourrions-nous clore cette législature par le vote du projet de loi sur la laïcité, si ce n'est à l'unanimité, du moins à une très large majorité ? Nous aurions ainsi démontré aux Genevois que nous sommes capables, au moins une fois, après deux ans de débat, de nous entendre sur une loi favorable à la paix religieuse et à la cohésion sociale, une loi qui respecte les ancêtres dont nous sommes les héritiers. Les citoyens genevois nous en seront reconnaissants. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur, mais vous avez fait une déclaration finale alors que nous n'en sommes encore qu'aux amendements. Madame Klopfenstein Broggini, vous avez la parole.
Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette demande d'amendement a été déposée au deuxième débat et nous la déposons à nouveau ici, au troisième débat. Elle vise à supprimer l'alinéa 4 de l'article 3: «Lorsqu'ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs.» Pour les Verts, cet alinéa est une atteinte directe aux libertés individuelles et va évidemment à l'encontre des droits fondamentaux. Si on regarde un peu les élus sur l'ensemble du canton - dans toutes nos communes et ici, au Grand Conseil - on se rend compte qu'à peu près personne n'est concerné par cet article si ce n'est une seule élue au Conseil municipal de Meyrin. On réalise ainsi à quel point cet alinéa devient discriminatoire et amène au final à polémiquer sur un non-phénomène. Il attise la haine et est totalement discriminatoire. Si un tel alinéa devait être maintenu, il faudrait évidemment ajuster les listes des candidats aux élections: si on n'a pas le droit d'élire des personnes qui portent des signes religieux ostentatoires, alors qu'allons-nous faire de ces candidats ? Bref, nous vous encourageons vivement à suivre la demande de suppression de cet alinéa 4 de l'article 3. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes là au coeur du sujet. Rappelons simplement qu'on est dans l'article 3 et qu'il y est question de la «neutralité religieuse de l'Etat». L'alinéa 4 a pour nous son importance en ce sens qu'il traite de la neutralité de l'Etat - on parle bien de neutralité - à travers la représentation des gens qui sont dans ses locaux, dans notre Grand Conseil ou dans nos Conseils municipaux; il est important que la neutralité religieuse y soit respectée. Raison pour laquelle, après bien des débats en commission, cet alinéa 4 se justifie totalement. J'irai même plus loin: je dirai que la suppression de cet alinéa 4 serait rédhibitoire pour le vote final de notre minorité. Nous vous enjoignons de refuser l'amendement. Je vous remercie.
Mme Salika Wenger (EAG). Chers collègues, nous sommes en train de parler de signes ostentatoires religieux. Mettons-nous bien d'accord: lorsque nous parlons de signes ostentatoires religieux, tout le monde fait allusion au foulard et au voile ! Personne ne parle d'autre chose. Je suis d'accord pour l'interdire, mais non pas parce qu'il est un signe ostentatoire religieux, puisque rien dans le Coran - ça n'apparaît nulle part dans le texte - n'oblige les femmes à porter le foulard, sauf en ce qui concerne une catégorie: les femmes du Prophète. Toutes les femmes qui portent le foulard aujourd'hui ne le font qu'en vertu de la résurgence d'une pratique extrêmement ancienne qui date du néolithique: les filles du clan pour les mecs du clan ! C'est tout ! Il se peut qu'on ait réussi à imposer aux femmes musulmanes le port du foulard, mais ce n'est en tout cas pas un signe religieux. Je vous le dis - je connais aussi bien le Coran que les autres religions. Pour ce qui me concerne, je dis que ce foulard est une manière d'imposer encore une fois un pouvoir machiste qui n'a rien à voir avec l'islam. Strictement rien à voir avec l'islam ! D'après le Coran, un seul groupe de femmes est obligé de porter le foulard ! Mais pas de se voiler ! Pas de devenir invisible ! Pas de devenir des fantômes ! Pas du tout ! Il n'y a que six femmes du Prophète dans l'histoire; pour le reste, je dirais que ce sont des problèmes de pratiques culturelles, et ces pratiques culturelles peuvent évoluer. Alors que toutes les femmes du monde qui sont obligées de le porter se battent aujourd'hui contre ça, il me semble important que nous soutenions cette lutte et que nous disions que le niqab - l'invisibilité des femmes - n'est pas admissible ! (Applaudissements. Commentaires.)
Une voix. Bravo !
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, vous constaterez que notre groupe n'est pas unanime sur cette question. (Commentaires.) En ce qui nous concerne, et sans faire l'exégèse du voile... (Commentaires.)
Des voix. Chut !
Mme Jocelyne Haller. ...nous sommes persuadés que s'il y a des femmes que l'on contraint à porter le voile, d'autres femmes y ont librement consenti. (Huées.)
Des voix. Chut !
Le président. S'il vous plaît, laissez parler Mme Haller.
Mme Jocelyne Haller. Pour nous, très clairement, il ne doit y avoir ni voile forcé ni dévoilement forcé ! En défendant ce point de vue, nous respectons la liberté individuelle des femmes qui souhaitent porter le voile. Qu'on ne se trompe pas, parce qu'on risque au final de s'engager dans des discours islamophobes... (Protestations.) ...qui pour nous sont à proscrire dans ce débat, bien qu'on les ait malheureusement trop entendus. Et celles qui hurlent le plus fort sont sans doute celles qui les professent avec le plus d'énergie ! Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Vous connaissez mon caractère irénique et conciliateur. (Rires.) Mme Salika Wenger vient grosso modo de dire que le voile n'a rien à voir avec le Coran, rien à voir avec la religion islamique, mais est une pratique rétrograde et machiste non religieuse.
Une voix. Oui, exactement !
M. Pierre Vanek. Exactement ! Ça signifie donc que, si on suit ma camarade Salika Wenger, le point dont nous débattons - le fait de signaler son appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs - ne concerne pas le voile puisqu'il n'est pas un signe extérieur d'appartenance religieuse ! C'est ce qu'elle nous a expliqué avec beaucoup de talent ! (Commentaires.)
Je ne me sens pas à l'aise de discuter des femmes ou de l'islam: je ne suis pas une femme et je n'ai jamais eu le moindre rapport avec l'islam. J'ai par contre un rapport avec le christianisme; j'ai grandi et ai été élevé dans une famille catholique. Or, il y a un problème avec ce que vous défendez dans cet alinéa, concernant le fait de signaler son appartenance religieuse dans un Conseil municipal ou au Grand Conseil, puisqu'un parti se dit chrétien. Le parti démocrate-chrétien ! (Remarque.) Je ne suis pas un fidèle de cette religion, mais les membres de ce parti ont le droit de dire qu'ils le sont, ils ont le droit d'être élus et de venir afficher au parlement le fait qu'ils sont chrétiens ! (Commentaires. Protestations.) Vous me direz... (Commentaires.) Vous me direz que ce n'est pas le signaler par un propos ou par un signe extérieur; bien sûr que c'est le signaler par un propos ! (Commentaires.) Ils ont le droit de dire, par exemple en politique sociale, que telle ou telle position de leur parti est inspirée par la doctrine chrétienne. (Commentaires.) Je ne partage pas ce point de vue, mais je défends leur droit à le faire ! Et c'est une ignominie... (Protestations.) C'est marqué «chrétien» dans le logo de votre parti; eh bien, c'est un signe ! Vous connaissez le grand linguiste... (Remarque.) Pardon ? (Remarque.) Ah, il me dit que c'est un mot et non un signe. Mais vous méconnaissez les travaux du grand linguiste genevois Ferdinand de Saussure sur les signes linguistiques: un mot est évidemment un signe.
Le fait de ne pas voter cet amendement signifie donc que nos petits camarades qui sont là, au fond à gauche - ils seront un peu moins à gauche tout à l'heure quand on les aura légèrement repoussés - n'auront plus le droit de venir affirmer cette filiation philosophique et religieuse de leur parti ! (Exclamations.) Ou alors - et c'est grave, Mesdames et Messieurs - on dit que, parce qu'ils font partie du clan, parce qu'ils font partie de la famille, parce qu'ils font partie de ceux qui ont un lien ombilical avec l'Etat comme le disait tout à l'heure Gabriel Barrillier, eux ont le droit de garder leur signe religieux... (Commentaires.) ...mais les femmes musulmanes, par exemple, n'en ont par contre pas le droit ! Eh bien, ça, c'est une violation de la neutralité religieuse de l'Etat ! Je vous invite donc à soutenir cet amendement, Mesdames et Messieurs, par souci précisément de neutralité religieuse de l'Etat et de laïcité. (Applaudissements.)
Mme Salika Wenger (EAG). Chers collègues, il va de soi que je parle des institutions publiques. Que les femmes portent un foulard, un voile, un hijab ou qu'elles arrivent en monokini dans la rue, c'est leur problème ! Ce que je ne veux ni ne peux envisager, c'est que dans les institutions publiques, dans ce qui représente l'Etat, il puisse y avoir des personnes qui montrent et portent ostensiblement des signes prétendument religieux. (Commentaires.) Je disais tout à l'heure que le port du voile n'est pas un signe religieux, et en effet il ne l'est pas. J'aimerais rappeler à mon camarade qu'il n'y a pas si longtemps, et même encore maintenant, il y a des hommes en soutane et des femmes qui portent le voile, à l'instar des religieuses, et tant qu'ils le font dans le cadre de leur fonction, pourrait-on dire, ça ne me dérange pas du tout. Ce qui me dérange, c'est d'imaginer qu'un professeur ou un fonctionnaire qui me reçoit le fasse avec des signes ostensibles de sa religion. Dans ce cas-là, je trouve ça inadmissible ! Et même si le port du foulard n'est pas une règle de l'islam, j'imagine la tête que vous ferez tous le jour où vous irez à la poste ou chercher votre passeport et que la femme qui vous répondra... la femme que vous regarderez, vous n'en verrez que les yeux ! Et ça, ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible, ni pour une religion, ni pour une autre, ni pour quoi que ce soit ! Je me fiche de la manière dont les gens se vêtent dans la rue, mais il est indispensable que l'Etat soit absolument neutre. Et c'est cette neutralité-là que je défends ! (Applaudissements. Commentaires.)
Des voix. Bravo !
M. François Lance (PDC). Mesdames et Messieurs, j'aimerais simplement redire la position du PDC, et ce n'est pas sous la pression de M. Vanek. Nous l'avons déjà présentée en commission et durant le deuxième débat: pour nous, cette disposition est inutile. C'est vrai que les électeurs et les électrices élisent librement les candidats aux élections législatives. Cette disposition ne pose actuellement aucun problème et serait difficilement défendable devant la justice; nous accepterons donc cet amendement proposé par les Verts. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Une voix. Non, non.
Le président. Merci, Monsieur. (Brouhaha. Un instant s'écoule.) J'attends un peu de silence, s'il vous plaît ! (Un instant s'écoule.) La parole est à M. Dimier.
M. Patrick Dimier (MCG). Merci, Monsieur le président. Au risque de me retrouver à «contre-Coran»... (Rires. Commentaires.) ...je tiens à rappeler ici que ce qui fonde la société genevoise, c'est précisément le respect des religions mais aussi une laïcité absolue de l'Etat. Je me rends compte avec ce débat que c'est un peu la croix et la bannière. Evidemment, je le comprends: la société évolue. A l'époque de Calvin, peu de gens arrivaient de terres d'islam. Mais cela dit, nous restons dans une terre où évidemment... (Brouhaha. Un instant s'écoule.) ...évidemment, il n'est possible de bien vivre ensemble que si on se respecte. Et le respect, n'en déplaise à certains, c'est savoir s'écouter et - encore mieux - s'entendre. On ne peut pas s'entendre si on a des divergences de fond sur l'acceptation des grands principes. Le seul principe qui peut nous gouverner dans cette loi, c'est bien évidemment la laïcité absolue de l'Etat et rien d'autre. Rien d'autre ! Ne nous voilons pas la face et allons-y. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur. La parole va à M. Mizrahi pour quarante-six secondes.
M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Monsieur le président, ce ne sera probablement pas suffisant, mais ce n'est pas grave ! Il y a quand même un manque de cohérence dans ce débat, et Mme Wenger - vous transmettrez, Monsieur le président - pratique un peu l'amalgame. On nous dit qu'une personne dont le visage est masqué va nous accueillir au guichet; mais ici, Mesdames et Messieurs, on ne parle pas de cela ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) On parle des élus et des élues, qui ne sont pas des agents de l'Etat, je tiens à le rappeler ! (Commentaires.) Par ailleurs, Madame Wenger - vous transmettrez, Monsieur le président - vous avez voté tout à l'heure des restrictions pour les simples citoyens. Il ne faut donc pas venir nous parler des agents de l'Etat ! Il y a aussi un consensus sur le fait que la prestation de serment du Conseil d'Etat se déroule à la cathédrale, ce qui ne gêne personne. La laïcité n'est donc en réalité pas absolue... (Protestations.)
Le président. C'est terminé, Monsieur.
M. Cyril Mizrahi. Je vais finir, Monsieur le président. ...et vous visez ici les femmes et l'islam ! (Protestations.) C'est ça, la réalité ! (Protestations.)
Le président. Chut ! S'il vous plaît ! (Un instant s'écoule.) Monsieur Romain, c'est à vous.
M. Jean Romain (PLR). Merci, Monsieur le président. Jusqu'à maintenant, le débat a été de bonne tenue, et ce serait intéressant qu'il continue sur la même voie. Cet amendement de M. Halpérin a été accepté le mois passé; tout à l'heure, Mme Wenger a dit un certain nombre de choses qui me semblent frappées au coin du bon sens. Evidemment, les électeurs et les électrices ont voté pour des personnes et celles-ci, qu'elles le veuillent ou non, donnent une certaine image d'elles; cette image peut aller de pair avec un voile, une kippa ou un col romain - je m'excuse, mais c'est quand même bien cela. Le problème ne découle toutefois pas de la laïcité des personnes: c'est la question des lieux qui est problématique, ce ne sont pas les personnes ! Notre vision de la laïcité ne vise pas à empêcher qui que ce soit d'avoir sa propre opinion, Dieu merci, mais à garder cette opinion en son for intérieur dans certains lieux. Ce que nous aimerions, au fond, c'est que l'on fasse cette distinction entre le lieu et la personne. Or, chaque fois que nous parlons des lieux, on nous rétorque que les personnes sont libres; chaque fois que nous parlons des personnes, on nous rétorque qu'elles ont le droit de se rendre dans tous les lieux au motif même de cette liberté. Je crois que c'est une erreur ! Certains lieux sont peut-être propices à mettre entre parenthèses son appartenance religieuse, politique ou autre, notamment celui dans lequel nous nous trouvons - le parlement - et toute une série d'autres. Je crois que le bon sens consiste à aller jusqu'au bout de la logique, logique qui n'empêche personne de croire - elle n'empêche personne de ne pas croire non plus, encore une fois Dieu merci. Allons de l'avant, ne revenons pas incessamment sur des choses que nous avons déjà votées et qui ont fait l'unanimité, ou presque, me semble-t-il. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, comme vient de le dire notre collègue Jean Romain, nous sommes en train de parler de lieux. Personnellement, je dois dire que je suis heureux - je n'ai pas honte de le dire - que des gens de confessions totalement opposées à la mienne, qui répondent à d'autres critères, puissent accéder à notre Grand Conseil et à ses séances. Mais je crois que cet alinéa 4 dit simplement ceci: vous êtes élus comme représentants du peuple, vous n'êtes pas élus comme représentants d'une communauté. Parce que si on accepte de faire entrer la représentation communautaire au sein de nos séances législatives ou autres, eh bien, Mesdames et Messieurs, nous nous exposons à des problèmes. Je crois qu'absolument tout un chacun peut comprendre ceci: tout élu peut venir dans l'accoutrement qui lui plaît jusqu'à la salle des Pas-Perdus, mais quand nous siégeons, nous sommes là pour représenter l'ensemble de la population genevoise et nous exprimer sur nos différences sans avoir besoin de les marquer par un attachement communautaire. Raison pour laquelle nous vous incitons à refuser cet amendement. Merci. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Orsini pour quarante-sept secondes.
Mme Magali Orsini (EAG). Merci, Monsieur le président. Je m'étonne de l'insistance des Verts à remettre inlassablement leur théorie sur le tapis. Je constaterai simplement, et je le répéterai, qu'il serait absolument impossible dans cette salle de reconnaître un homme musulman - d'identifier sa religion - alors qu'une femme serait immédiatement reconnaissable selon les exigences de MM. les Verts. Le voile est définitivement un signe de soumission, peu importe qu'il soit ou non religieux; il est définitivement un signe de soumission imposé aux femmes par les hommes. A ce titre, il est tout à fait inacceptable dans un lieu qui représente la république tel que l'enceinte de ce Grand Conseil. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame. Monsieur Vanek, il vous reste sept secondes en tout !
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Nous ne sommes pas des représentants du peuple dans son entier, nous représentons la fraction du peuple qui nous a élus ! C'est une chose tout à fait différente. Et cette fraction peut avoir des opinions religieuses et les exprimer, y compris dans leur prolongement politique.
Le président. Merci, Monsieur. Madame Klopmann, c'est à vous. (Brouhaha.)
Mme Sarah Klopmann (Ve). Merci, Monsieur le président. J'attends que les représentants du parti démocrate-chrétien se taisent. (Brouhaha. Un instant s'écoule.) Merci. C'est à mon sens un petit peu délicat d'entendre sans cesse des femmes nous dire que le voile est un signe de soumission... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
Mme Sarah Klopmann. ...et qu'il faut l'interdire et l'empêcher, supposément au nom du féminisme, puisqu'il est en réalité discriminant. Si nous décidons d'interdire aux femmes qui portent le voile, que ce soit ou non leur choix - parfois ça ne l'est pas et je le condamne, parfois ça l'est et il faut le respecter - de le porter dans un parlement, dans la rue, dans une école ou dans une institution publique, nous n'obtiendrons en réalité qu'une seule chose: nous empêcherons la femme d'aller dans ces différents endroits et de siéger ou de travailler dans tous ces établissements et ces institutions. En fait, le seul et unique résultat de cette approche, c'est une nouvelle discrimination envers les femmes, faite en plus au nom du féminisme ! Je trouve ça absolument scandaleux ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame. Mesdames et Messieurs les députés, je soumets à vos votes cette demande d'amendement qui vise à supprimer l'alinéa 4 nouveau de l'article 3. (Brouhaha.) Chut ! Madame Wenger, s'il vous plaît !
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 59 non contre 24 oui et 3 abstentions.
Le président. Nous sommes saisis par M. Vanek d'une demande d'amendement à l'alinéa 5 de l'article 3 pour supprimer cette dernière partie de la phrase: «et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs». Monsieur Vanek, le temps de parole de votre groupe est épuisé, nous allons donc passer directement au vote.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 64 non contre 20 oui et 2 abstentions.
Le président. M. Mizrahi a déposé une demande d'amendement pour biffer l'article 5, alinéa 6, lettre b. Le vote est lancé.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 65 non contre 20 oui et 3 abstentions.
Le président. La demande d'amendement suivante nous vient de M. Deneys et vise à insérer un alinéa 11 nouveau à l'article 5:
«11 Les organismes religieux sont soumis aux contrôles institués par la loi sur la surveillance de l'Etat (LSurv), du 13 mars 2014.»
Monsieur Deneys, le temps de parole des socialistes est épuisé... (Exclamations.) ...alors nous passons au vote.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 59 non contre 18 oui et 10 abstentions.
Le président. Nous avons ensuite une demande d'amendement de M. Vanek pour biffer l'alinéa 1 de l'article 6. Je lance le vote.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 62 non contre 23 oui et 1 abstention.
Le président. La demande d'amendement suivante, de M. de Matteis, vise à supprimer tout l'article 7. Le vote est lancé.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 63 non contre 22 oui et 2 abstentions.
Le président. Nous sommes saisis d'une demande d'amendement déposée par MM. Mizrahi et de Sainte Marie pour biffer l'alinéa 1 de l'article 7. Je vous prie de vous prononcer sur cette demande.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 64 non contre 21 oui et 3 abstentions.
Le président. L'amendement suivant a été déposé par MM. de Matteis et Calame. Il vise à ajouter un article 12 ayant la teneur suivante:
«Art. 12 Evaluation (nouveau, les art. 12 à 15 anciens devenant les art. 13 à 16)
1 Les effets de la présente loi sont évalués par une instance extérieure et indépendante 5 ans après son entrée en vigueur.
2 Le Conseil d'Etat décide si une évaluation ultérieure est nécessaire.
3 Le Conseil d'Etat remet au Grand Conseil un rapport communiquant les résultats de cette évaluation.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 50 non contre 27 oui et 10 abstentions.
Le président. Il reste encore deux demandes d'amendement, et après ce sera fini. (Remarque.) Ah non, il n'en reste heureusement plus qu'une !
Des voix. Ah !
Le président. M. Vanek nous présente un amendement à l'article 14, alinéas 1 et 2, afin de rétablir ces alinéas tels que figurant dans le projet de loi sorti de commission:
«1 Les prescriptions relatives à la contribution religieuse volontaire visées à l'article 5 de la présente loi s'appliquent pour la première fois pour l'année civile qui suit son entrée en vigueur. Ces prescriptions s'appliquent pour une période de dix ans après laquelle elles deviennent caduques et ne déploient plus d'effet.
2 Le Conseil d'Etat peut, sur demande motivée des organisations intéressées, prolonger la période d'applicabilité de ces prescriptions pour dix ans au maximum.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 66 non contre 20 oui et 2 abstentions.
Le président. La parole est à M. le conseiller d'Etat Maudet.
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Le Conseil d'Etat souhaite procéder à une rapide déclaration avant le terme du débat et le vote. Vous l'avez relativement peu entendu ce soir; il est resté circonspect puisque le débat relève essentiellement du parlement. Il m'appartient toutefois, au nom du gouvernement, d'attirer votre attention sur le fait que le moment est à la fois important et historique. Historique, parce que vous vous apprêtez, par le vote de ce soir, à abroger trois lois qui ont marqué l'histoire de Genève. Deux d'entre elles remontent au XIXe siècle: la loi sur les corporations religieuses du 3 février 1872 ainsi que la loi sur le culte extérieur du 28 août 1875. Leur abrogation met un terme définitif - un terme historique - au Kulturkampf genevois de la fin du XIXe siècle, et je suis certain que notre éminent prédécesseur Antoine Carteret ne se retournerait pas dans sa tombe face au débat de ce soir et à l'issue probable du vote. Je pense même qu'il serait très heureux de ce vote à venir, lui qui a transformé l'académie en université, rendu gratuit et obligatoire l'enseignement primaire ou encore réformé l'école enfantine. Il faut y voir un symbole commun, d'unité, et c'est ainsi que le prend le Conseil d'Etat: le symbole d'une unité dans la recherche de la paix religieuse, de la pacification entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, dans l'esprit - permettez-moi de citer Aragon - de «La Rose et le Réséda».
La troisième loi importante que vous vous apprêtez à abroger, Mesdames et Messieurs, date de 1945: la fameuse loi autorisant le Conseil d'Etat à percevoir une contribution ecclésiastique pour les Eglises reconnues qui lui en font la demande, dont vous avez abondamment parlé ce soir. Cette loi remonte au sortir de la guerre. Elle consistait à offrir à un certain nombre d'Eglises - trois d'entre elles - eu égard à leurs efforts en faveur des familles de soldats mobilisés, et en contrepartie d'une série de servitudes, une forme de gratification ou de marque de gratitude.
Ce que vous vous apprêtez à voter ce soir, Mesdames et Messieurs, c'est la réaffirmation de la primauté de la loi civile et de la république, autrement dit de l'ordre juridique suisse, sur toute autre considération. En plus d'être historique, cette loi est extrêmement importante aux yeux du Conseil d'Etat. Elle achève une législature pendant laquelle nous avons consacré beaucoup de temps et d'énergie à la mise en oeuvre de la nouvelle constitution, constitution voulue par le peuple, adoptée, qui prévoit dans son article 3 des dispositions nécessitant une transcription légale. Le vote de cette loi doit être perçu comme un vote positif qui contribuera à la promotion de la cohésion sociale, de la paix et de la liberté religieuses.
J'aimerais donc remercier tous les députés qui ont consacré du temps et de l'énergie à ce débat, en particulier ceux de la commission des Droits de l'Homme qui, je le rappelle, ont pris soixante séances pour examiner le sujet de façon extrêmement approfondie. Ils ont ainsi permis un débat serein en aval, comme le voulait le Conseil d'Etat, et ont notamment posé la question spécifique de l'islam dans notre société - qu'il est bon de se poser en amont d'éventuels problèmes - ou pensé aux possibles façons de poser cette question; des initiatives fédérales ne manqueront pas de faire irruption dans le débat. Nous constatons quant à nous que la commission et la majorité de ce parlement ont fait preuve de lucidité, de maturité et de clairvoyance, et j'aimerais remercier en particulier celles et ceux qui ont contribué à préparer le débat: je pense au groupe de travail sur la laïcité et à son président, Jean-Noël Cuénod; je pense aux 28 entités qui ont contribué à la consultation, dont les membres sont nombreux ce soir à regarder le débat; je pense aux très nombreuses personnes auditionnées également en commission; et je pense bien évidemment à celles et ceux qui dans mon administration ont été les chevilles ouvrières de ce projet de loi.
Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vous invite à voter la loi telle que ressortant des deuxième et troisième débats. Il est vrai qu'elle pose un certain nombre d'interdits, mais - c'est parfois un paradoxe - l'interdit libère ! Cette loi qui pose des limites est une loi nécessaire, à l'esprit profondément républicain. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat.
Une voix. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Très bien, nous passons donc au vote nominal sur l'ensemble de ce projet de loi 11764.
Mise aux voix, la loi 11764 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 63 oui contre 25 non et 3 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Le président. Mesdames et Messieurs, nous devons encore voter sur l'entrée en matière des trois autres projets de lois. Nous commençons par le PL 11766.
Mis aux voix, le projet de loi 11766 est rejeté en premier débat par 84 non contre 4 oui et 1 abstention.
Mis aux voix, le projet de loi 11927 est rejeté en premier débat par 68 non contre 12 oui et 8 abstentions.
Mis aux voix, le projet de loi 12191 est rejeté en premier débat par 79 non contre 3 oui et 5 abstentions.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, avant d'aborder le rapport de la CEP - douloureux problème qui a bouleversé la république - je vous propose quelques minutes de pause.
La séance est suspendue à 21h19.
La séance est reprise à 21h29.
Débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous traitons maintenant le RD 1220 en catégorie II, septante minutes. Le rapport est de MM. Thomas Bläsi et Roger Deneys, mais je passe d'abord la parole à M. Voumard, président de la commission d'enquête parlementaire.
M. Jean-Marie Voumard (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission d'enquête parlementaire a déposé son rapport le 17 avril dernier. Ses travaux l'ont amenée à procéder à 76 auditions en plénière et en sous-commission, elle a étudié et analysé des milliers de documents, archives et règlements qui ont permis de dresser des constats, lesquels font l'objet de recommandations adressées à diverses autorités. Ce rapport vous sera présenté par les deux corapporteurs; l'un s'est particulièrement penché sur les procès-verbaux d'auditions, l'autre sur l'examen des documents et archives.
Il est à noter, contrairement à ce qui peut se passer dans d'autres commissions de ce parlement, qu'aucune fuite ne s'est produite durant les travaux, ceci grâce à une organisation respectée par l'ensemble des commissaires. En parlant de ces derniers, je tiens à les remercier pour le travail accompli durant ces trois dernières années, tout comme le secrétariat général du Grand Conseil pour son important soutien. En guise de conclusion, je me permettrai de lire un courriel adressé lundi dernier par le collectif «Justice pour Adeline» à tous les membres de la CEP:
«Mesdames et Messieurs, nous avons pu lire en profondeur ce week-end l'intégralité de votre rapport et nous souhaitons vous remercier pour le travail important que vous avez fourni. Il nous permet d'assembler enfin toutes les pièces du puzzle et d'avoir une vision globale des dysfonctionnements, négligences, pratiques fautives et mauvaises directions qui ont, chacun et chacune à leur mesure, contribué au drame d'Adeline. Vous avez en ce sens parfaitement rempli votre mandat, et nous avouons qu'après trois ans d'attente, nous n'osions plus en espérer autant.
Nous mesurons l'engagement que ce travail a exigé de votre part au cours des trois dernières années et nous vous sommes reconnaissants de l'avoir mené à son terme, même si l'attente nous a semblé interminable et que les retards successifs ont suscité chez nous angoisse, colère et incompréhension. Nous comprenons que la bonne marche de la commission ait exigé la confidentialité de vos travaux, mais vous comprendrez également que l'absence totale de communication depuis le mois de janvier 2017 a été pour nous extrêmement dure à vivre et qu'elle a éveillé toute sorte de soupçons qui n'ont pas encore été totalement levés à ce jour.
Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, grâce à votre travail, on ne pourra plus dire que l'on ne savait pas. En dépit des réactions outrées des avocats, des directrices du SAPEM et de La Pâquerette, et du "Rien de nouveau sous le soleil" du Conseil d'Etat, votre rapport établit précisément les failles de ces instances qui avaient été minimisées, relativisées ou ignorées par les enquêtes Chappuis, Lador, et que l'enquête Ziegler n'avait pas pu examiner en profondeur. Ce rapport sonne comme un avertissement aux administrations et leur tutelle politique qui doivent impérativement faire leur autocritique pour que plus jamais une personne n'ait à subir le calvaire d'Adeline.
Enfin, vous avez donné une place à Adeline en mettant en évidence ses réactions et commentaires dans les PV des différentes réunions à La Pâquerette. Au-delà de son statut de victime, elle apparaît comme une professionnelle consciente et compétente, et nous vous remercions de lui avoir redonné cette dignité. Avec la reddition de ce rapport, nous pouvons enfin tourner la dernière page de cette tragédie et penser sereinement à notre amie. Merci d'y avoir contribué. Veuillez recevoir, Mesdames et Messieurs, nos meilleures salutations.»
Mesdames et Messieurs les députés, je vous prie d'approuver ce rapport divers 1220. Le groupe MCG, par ma voix, cède le temps de parole qui lui reste aux rapporteurs afin qu'ils puissent présenter correctement leur rapport. Merci, Monsieur le président.
M. Thomas Bläsi (UDC), rapporteur. Je vais commencer la présentation de ce rapport par la tache originelle, cause de beaucoup de choses dans le drame de La Pâquerette, à savoir le transfèrement de M. Fabrice Anthamatten de la France vers la Suisse. Ce processus s'est accompagné d'un certain nombre de problèmes qui ont été relevés par la commission d'enquête parlementaire.
A la base, le jugement français prévoyait une obligation de soins psychiatriques - la plus élevée du code de procédure pénale - assortie d'une augmentation de peine de cinq ans dans le cas où le détenu ne suivait pas la thérapie. Or l'Office fédéral de la justice n'a pas communiqué cette décision lors du transfèrement en Suisse de M. Fabrice Anthamatten, qui est alors devenu un prisonnier lambda. C'est finalement lui-même qui a exigé des soins psychothérapeutiques, de peur de voir appliquée l'augmentation de peine prévue par le système français. Nous sommes ainsi passés d'une obligation de soins psychiatriques - la plus élevée prévue par le code de procédure pénale français, je le répète - à un suivi thérapeutique volontaire.
Le deuxième point très important dans ce dossier, c'est l'évaluation de la dangerosité. Le cadre légal genevois présente une particularité: c'est le Conseil d'Etat, soutenu par la commission d'évaluation de la dangerosité, qui juge du caractère potentiellement dangereux des détenus accueillis dans notre système pénitentiaire. Pourtant, cette disposition n'a jamais été mise en application, bien qu'elle soit doublée d'une clause définissant cette tâche comme non délégable.
En fin de compte, le régime courant avant la modification du code pénal s'est poursuivi, c'est-à-dire que le SAPEM a continué de procéder à l'évaluation de la dangerosité. Comment les choses se sont-elles passées dans le cas de M. Anthamatten ? La dernière expertise psychiatrique dont disposait le SAPEM pour son analyse datait de 2011 et prévoyait des cautèles extrêmement strictes. La première était la poursuite du CFC qu'avait commencé le détenu aux Etablissements de la plaine de l'Orbe. Il était considéré que l'aboutissement de cette formation constituerait le signe d'une amélioration importante de sa condition, son interruption marquant a contrario une non-évolution, un signal d'alarme censé déclencher une nouvelle expertise. M. Fabrice Anthamatten, sachant qu'il ne pourrait rejoindre La Pâquerette en poursuivant un apprentissage à Bochuz, a décidé de l'interrompre trois jours après avoir été informé de cette limitation, avant de reprendre le même cursus à Genève.
Selon la deuxième cautèle, toute aggravation de la peine de M. Anthamatten devait faire l'objet d'une évaluation psychiatrique complémentaire. Celle-ci n'avait pas lieu d'être effectuée avant le transfèrement à La Pâquerette, puisque le passage du pénitencier de Bochuz au centre de La Pâquerette était celui d'un milieu fermé à un autre. Par contre, au moment de l'intégration du criminel au groupe de sortie de La Pâquerette, cette mesure aurait dû s'appliquer et une analyse psychiatrique être immédiatement réalisée, et ce avant qu'il ne puisse obtenir la moindre autorisation de sortie.
Malheureusement, la direction du SAPEM a décidé de repousser cette expertise afin d'évaluer le comportement de M. Anthamatten lors des premières sorties, ce qui signifie qu'un prisonnier considéré comme non dangereux, ainsi que le laissait supposer son intégration au groupe de sortie de La Pâquerette, a été confié à une sociothérapeute alors que cette institution ne disposait d'aucun élément pour juger de la situation. Je m'arrêterai là et reprendrai plus tard, Monsieur le président.
M. Roger Deneys (S), rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, en préambule, j'aimerais adresser quelques remerciements, tout d'abord aux membres de la CEP pour leur engagement tout au long des travaux. Notre mission a été difficile, contraignante et sans doute excessive sur une telle durée pour des parlementaires de milice. Je tiens également à saluer l'attitude constructive des représentants de deux partis initialement sceptiques quant à l'idée de constituer une commission d'enquête parlementaire, parce que leur apport a été extrêmement utile. Merci aussi aux collaborateurs du secrétariat général du Grand Conseil qui ont accordé beaucoup de temps et d'énergie à ce rapport, eu égard surtout à la masse de documents à traiter. Il me tient encore à coeur de saluer mon collègue rapporteur Thomas Bläsi; nous nous sommes réparti le travail, impliqués différemment selon les moments, ce qui a permis d'aboutir au résultat que vous avez sous les yeux aujourd'hui. Enfin, je souhaite brièvement remercier ma famille, ma compagne et mes enfants qui ont subi pendant plusieurs années l'importante charge de travail supplémentaire qu'a engendrée la rédaction de ce rapport, ça n'a pas toujours été simple.
S'agissant des travaux de la CEP, il faut insister sur une chose: pour minimiser les risques de fuite - d'ailleurs, il n'y en a pas eu - nous avons travaillé exclusivement avec des documents papier, sans envoyer les procès-verbaux sous forme informatique. Cette méthode de travail s'est avérée contraignante: quand vous menez des auditions particulièrement longues - certaines ont duré quatre heures - dans un contexte émotionnel chargé et douloureux, il n'est pas évident de revenir sur ce qui a été dit simplement de mémoire, sans PV disponible. Certes, cette façon de procéder nous a permis d'éviter des fuites, mais elle a aussi compliqué nos travaux.
Mesdames et Messieurs, ce rapport est celui de la commission dans son entier, pas uniquement de M. Bläsi et moi-même. Certaines parties ont été réduites afin qu'il conserve un volume acceptable - à notre désarroi initial, d'ailleurs, quand des passages que nous estimions particulièrement pertinents ont été retirés - quelques constats et recommandations ont fait l'objet de votes, parce que nous restons tout de même des politiciens, et il a pu arriver que certaines formulations ne correspondent pas totalement au point de vue des uns et des autres. Toutefois, de façon globale et fondamentale, il s'agit du rapport de l'ensemble de la CEP, même si chacun et chacune aurait sans doute voulu y ajouter ou enlever tel ou tel élément.
Ce soir, j'ai une pensée toute particulière pour la famille d'Adeline, son conjoint, sa fille, ses parents, comme pour ses amis du collectif «Justice pour Adeline» et une ancienne victime du criminel venue témoigner avec courage devant notre commission de son expérience traumatisante. Je tiens à la remercier sincèrement pour sa contribution, et j'espère que toutes ces personnes avec qui je suis en pensée ne nous tiendront pas rigueur pour la durée de nos travaux, qui se sont révélés bien plus longs que prévu - j'en sais quelque chose, puisque je suis l'auteur d'un amendement qui prévoyait la remise du rapport le 30 octobre 2015.
En ce qui concerne les dysfonctionnements relevés par la CEP dans ce rapport que je vous invite évidemment à lire attentivement, s'ils sont formulés de façon extrêmement succincte, c'est pour en favoriser la lisibilité. Ces constats posent de manière sous-jacente la question de la responsabilité respective des différents acteurs dans des décisions que nous pouvons aujourd'hui considérer comme erronées ou malheureuses. Il est cependant important de rappeler qu'à part le meurtrier, aucun protagoniste impliqué n'a souhaité ou même imaginé qu'un tel drame se produise un jour.
Des choix ont été effectués, généralement pour tenter d'améliorer des situations jugées à un moment donné, à tort ou à raison, comme problématiques, avec parfois des contraintes humaines - départs à la retraite, réorientations de carrière, mésententes - ou des contraintes financières, notamment budgétaires, importantes; parfois aussi avec des contraintes d'ordre législatif - nouveau code pénal - ou politique - élections et votations. Parfois, malheureusement, les prises de décision ou leur mise en oeuvre ont subi du retard.
Parmi ces problématiques, je voudrais en évoquer trois en particulier, en commençant par le rattachement de La Pâquerette au secrétariat général des HUG, une entité administrative s'il en est, et surtout pas pénitentiaire ni médicale. Notre rapport retrace le déroulement des événements: cette décision a été prise dans des circonstances mal étudiées, en ignorant un mémorandum du médecin-chef ad interim datant du 10 mai 2005 - il figure dans les annexes du rapport, aux pages 230 et suivantes - lequel soulignait justement un certain nombre de problèmes dans la gouvernance de La Pâquerette. Ce document n'a pas été pris en compte, et la gestion de l'institution a été attribuée au secrétariat général des HUG. Pis encore, ce rattachement a été opéré alors qu'il était auparavant prévu qu'un membre du secrétariat général des HUG participe au recrutement des futurs détenus de La Pâquerette conjointement avec sa directrice. Une personne avait donc cette mission dans son cahier des charges. Malheureusement, le secrétariat général des HUG a décidé par lui-même et sans chercher de solution de substitution d'y renoncer et donc de ne pas participer à cette sélection. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Ainsi, le principe des quatre yeux a été purement et simplement abandonné, sans alternative.
Pour nous, le problème ne relève pas uniquement du secrétariat général des HUG, mais également de sa direction, voire de son conseil d'administration. En effet, tout changement relatif à un service ou à une entité doit faire l'objet d'une attention soutenue, et on parle ici de détenus dangereux. Il est vraiment difficile d'admettre que ce transfert a été réalisé sans la moindre option de remplacement.
Le président. Vous prenez sur le temps du groupe.
M. Roger Deneys. Aucune justification de cette décision n'a été retrouvée, rien ne semble indiquer qu'une solution de substitution ait été envisagée, par exemple en consultant un expert disposant de compétences médicales.
Le deuxième écueil concerne l'office cantonal de la détention - anciennement l'office pénitentiaire - qui n'a pas mis en oeuvre la modification de la LACP relative aux autorisations de sortie des détenus dangereux. Cette responsabilité lui revenait pourtant, mais il est vrai qu'il a été mis à rude épreuve pour concevoir la planification pénitentiaire 2012-2022 alors que son fonctionnement était loin d'être optimal.
Enfin, il y a la question des postes du SAPEM qui constituent toujours un sujet de préoccupation, notamment à la commission des visiteurs officiels, puisqu'il nous parvient régulièrement des échos quant aux difficultés que rencontrent les détenus s'agissant du suivi de leur dossier. Certes, des améliorations ont été apportées, mais la situation reste problématique. Rappelons à cet égard qu'en mars 2013 - ça figure à la page 59 du rapport - les magistrats chargés des départements de la sécurité et de la santé ont renoncé à porter devant le Conseil d'Etat le dossier du rattachement de La Pâquerette au département de la sécurité, estimant que le problème serait réglé à brève échéance avec l'ouverture de Curabilis. Certaines décisions ont dès lors été reportées.
Je ne vais pas m'étendre sur les autres dysfonctionnements. Quant aux recommandations, il convient de faire quelques remarques. Avant toute chose, je regrette que le Conseil d'Etat n'ait pas fait preuve d'une plus grande humilité dans sa réponse qui figure également dans les annexes - le collectif «Justice pour Adeline» l'a d'ailleurs signalé dans son message - notamment quand il évoque la mise en oeuvre de mesures correspondant aux recommandations de la CEP. A mon avis, chacune de celles-ci devrait faire l'objet d'une analyse critique de la part du gouvernement avant qu'il ne puisse affirmer avoir répondu à nos attentes. Durant la prochaine législature, le Grand Conseil devra se montrer attentif à cette question et s'assurer de la mise en application desdites mesures, si nécessaire en déposant des textes pour y parvenir.
Je prends quelques exemples. La question de la commission d'évaluation de la dangerosité n'a fait l'objet d'aucun examen, ni de la commission de contrôle de gestion ni de celle des visiteurs officiels, alors que la CEP propose la création d'une structure de ce genre au niveau intercantonal, si possible concordataire. Une telle entité n'existe pas actuellement, et je pense qu'il faudrait étudier cette option.
La prévention contre la violence à l'encontre des femmes constitue l'une des recommandations de notre rapport, c'est un axe extrêmement important. Certes, des moyens y sont déjà consacrés à l'heure actuelle, mais il reste un énorme travail à réaliser. Pour mémoire, lors de son jugement en première instance, le criminel a été condamné à du sursis pour un viol ! La décision a ensuite été cassée, mais il n'en demeure pas moins qu'on minimise les violences infligées aux femmes, et nous devons corriger cet état de fait.
J'en viens à la législation - il s'agit des recommandations figurant sous 10.1.1. Nous avons constaté qu'il manque au Grand Conseil un outil pour suivre le cheminement ultérieur des lois qu'il adopte: comment sont-elles mises en vigueur au niveau réglementaire, dans quels délais, par quelles dispositions, à quelles dates ? Un tel dispositif n'existe pas aujourd'hui, et il faudra que la commission de contrôle de gestion vérifie qu'il soit élaboré.
Le point 10.1.3 - il s'intitule «Archives» dans le rapport, mais une petite coquille s'y est glissée, c'est en fait «Archives et systèmes d'information» - fait référence à la gestion informatisée des données relatives aux détenus. S'agissant du rapport de l'ICF portant le numéro 12-32 et datant du 7 novembre 2012, nous avons justement procédé à une audition à la commission de contrôle de gestion ce lundi 23 avril afin de déterminer où en était sa mise en oeuvre. Je vous rends attentifs au fait qu'un certain nombre de mesures ont été instaurées ces deux derniers mois seulement, alors que le rapport mentionne des délais antérieurs. La CCG semble avoir oublié de s'en préoccuper, bien que ça figure dans son rapport annuel 2013.
Enfin, les services de médecine et psychiatrie pénitentiaires sont aujourd'hui rattachés aux HUG plutôt qu'au département de la sécurité. Il s'agit de réévaluer cette configuration afin de déterminer si elle est toujours pertinente. Notre canton fait figure d'exception au niveau suisse; il se peut que ce soit légitime, nous disposons en effet de compétences en la matière, mais est-ce que Genève doit toujours représenter un cas particulier, est-ce bien raisonnable de penser que nous sommes meilleurs que les autres ? La question est posée, et le Conseil d'Etat comme le Grand Conseil devront y répondre. Si ce choix est maintenu, il faudra argumenter et ne pas se contenter de dire que l'on continue comme avant.
Le président. Il vous reste très peu de temps, Monsieur, mais je vous laisse terminer tranquillement.
M. Roger Deneys. Bon, puisqu'il paraît que je n'ai plus de temps de parole, je conclus avec la formation à destination des directeurs de prison mentionnée par le Conseil d'Etat. Ce cursus n'existe pas non plus actuellement, et il faudra s'assurer de sa création pour que les futurs directeurs d'établissement carcéral soient bien préparés à leurs obligations. Pour le surplus, Mesdames et Messieurs, je vous renvoie au rapport.
Le président. Je vous remercie. Monsieur Bläsi, souhaitez-vous poursuivre votre intervention maintenant ?
M. Thomas Bläsi (UDC), rapporteur. Combien de temps me reste-t-il, Monsieur le président ?
Le président. Attendez que je vérifie... Huit minutes.
M. Thomas Bläsi. Temps du groupe inclus ?
Le président. Oui.
M. Thomas Bläsi. D'accord, alors je continue quelques instants, si vous le permettez.
Le président. Allez-y, je vous en prie.
M. Thomas Bläsi. Merci. Je m'associe bien évidemment aux remerciements de mon collègue M. Roger Deneys et exprime également ma reconnaissance à M. Voumard - je crois qu'il a été oublié - qui, bien qu'ayant repris la présidence de la CEP en cours de route, a fourni un travail remarquable.
Mesdames et Messieurs, je reprends là où j'en étais tout à l'heure. Ainsi que l'a expliqué mon collègue, La Pâquerette a connu une série de dysfonctionnements suite à son rattachement au secrétariat général des HUG. Je vais vous en énumérer la liste - vous retrouvez le détail dans le rapport: évasion, conflits quant aux installations de sécurité, aux fouilles, aux sorties et aux retours tardifs, soupçons contre la direction de La Pâquerette de transmettre des directives confidentielles de Champ-Dollon aux prisonniers, modification de l'horaire des gardiens, photos prises à l'intérieur de l'établissement, mise à disposition des clés de sécurité aux détenus pour qu'ils puissent s'approvisionner au magasin de la prison.
Ces éléments sont détaillés dans le rapport. Je m'attarderai pour ma part sur l'évolution des sorties à La Pâquerette, qui ont fonctionné de manière relativement autonome de 2000 à 2003. Puis, suite à l'évasion d'un détenu en 2003, le procureur général a décidé de les interrompre, générant une importante réflexion quant à l'avenir de La Pâquerette et à la mise en place de mesures plus sécuritaires pour la sociothérapie.
L'interdiction stricte de sortie formulée par le procureur général s'est rapidement transformée en une possibilité de sortie sous accompagnement policier. Or la direction de La Pâquerette a refusé le principe d'une escorte de police, estimant que cela mettait en danger le processus de rétablissement sociothérapeutique et posait problème par exemple lors de la conduite d'un détenu auprès d'un employeur. La mesure n'a été appliquée qu'aux détenus concordataires résidant à La Pâquerette bien que celle-ci ne fasse pas partie du concordat. De même, à cette époque, les criminels sous le coup de mesures étaient accueillis au sein de l'institution alors que le règlement, qui n'avait pas été amendé depuis 1988, prévoyait qu'ils en soient exclus.
En 2005, un groupe de travail a produit le mémorandum qu'a mentionné M. Deneys tout à l'heure, revenant à une vision de la sociothérapie plus sécuritaire. Bizarrement, les conclusions du groupe remises en 2006 n'ont pas été prises en compte dans l'établissement d'un protocole d'accord, l'année suivante, rétablissant la possibilité de sortie d'un détenu accompagné par une sociothérapeute.
Durant les années 2007 à 2010, quoique prévues et validées par le SAPEM, un certain nombre de sorties ont été supprimées, le procureur général ayant opposé son veto. Je n'en citerai qu'une seule, celle d'un détenu qui avait déjà passé par La Pâquerette en 2003 avant d'être transféré à La Pâquerette des Champs en 2004. Cet homme était accusé d'avoir commis 50 actes sexuels sur 35 enfants, son évasion de La Pâquerette des Champs lui ayant permis de récidiver à trois reprises. Lors de sa demande de sortie en 2009 durant un nouveau séjour à La Pâquerette, le procureur général a mis son veto, estimant que ses loisirs passaient après la sécurité de la population.
En 2010, suite au recours d'un prisonnier contre le veto du procureur sur sa sortie, le Tribunal administratif a décidé de casser le protocole. A partir de ce moment-là, La Pâquerette a perdu le verrou sécuritaire garanti par ce veto et retrouvé une autonomie de fonctionnement complète, le pouvoir judiciaire ne pouvant plus interdire la sortie d'un détenu jugé dangereux. L'établissement a fonctionné sous ce régime de 2010 à 2013, alors qu'il y avait un véritable noeud politique qui aurait permis d'envisager l'application du nouveau code de procédure pénale avec attribution de la compétence d'évaluation de la dangerosité, comme je l'ai dit tout à l'heure, au conseiller d'Etat.
Dans les faits, c'est l'enchaînement de toute une série de dysfonctionnements dans de nombreux services et à plusieurs échelons de l'administration et du pouvoir politique qui a conduit au drame. A cet égard, la commission des visiteurs officiels est intervenue à de multiples reprises, tout d'abord en 2004... (Remarque.) D'accord, alors je conclus: la commission des visiteurs est intervenue en 2004 s'agissant du problème des installations de sécurité, puis en 2005 et 2006 sur la question des fouilles. Son intervention a été inutile, au mieux intempestive, et a davantage compliqué l'évaluation de la situation. J'ai terminé. Merci, Monsieur le président.
M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe Ensemble à Gauche tient tout d'abord à remercier les rapporteurs Thomas Bläsi et Roger Deneys d'avoir réalisé ce considérable travail de compilation et de synthèse qui fera date dans l'histoire du Grand Conseil. Il adresse également ses vifs remerciements au président de la CEP, Jean-Marie Voumard, qui ne s'est jamais départi de son calme pendant les travaux, qui a fait preuve de compétence et d'une très grande patience.
La commission a accompli un examen en profondeur, rien n'a été négligé. L'intégralité des dysfonctionnements ont été repérés, qui donnaient l'impression d'une montagne du tertiaire composée de schistes empilés: chaque fois que l'on en retirait des ardoises, on repérait une nouvelle anomalie. Un véritable travail de Sisyphe, en somme ! Il est profondément malheureux que l'expérience de communauté thérapeutique, bien encadrée par des médecins dans ses débuts, ait pareillement dérivé.
Tout a été dit, mais relevons pour commencer la mauvaise interprétation de la peine prononcée par le tribunal de Bourg-en-Bresse, assortie d'une expertise psychiatrique. Suivent les erreurs d'appréciation du SAPEM, l'abandon de La Pâquerette par les HUG laissant à leur seul secrétariat plein pouvoir sur cette structure thérapeutique, ce qui est totalement irresponsable, une permissivité et une proximité excessives, un manque de supervision patent, la caution et le désintéressement des autorités politiques, le mélange des genres entre médecins et experts, l'absence de toute prise en considération des avertissements lancés par des médecins, les rapports glissés puis oubliés au fond des tiroirs et j'en passe.
Bref, un incroyable gâchis qui a laissé le centre de La Pâquerette, tel le bateau ivre de Rimbaud, à la dérive, malgré les tentatives de M. Franziskakis, alors directeur à Champ-Dollon, et du procureur général Zappelli de remettre bon ordre dans les fouilles et les sorties, mais sans succès puisqu'elles ont été contrées par la direction. Que dire encore des rapports ? De celui de Bernard Ziegler, excellent au demeurant, qui a réussi en un temps record à rendre compte du problème ou, a contrario, de celui de M. Lador déchargeant le SAPEM de toute responsabilité en matière administrative ?
Rusé, le criminel a su ou pu utiliser toutes les failles qui se présentaient à lui afin de tromper son entourage et de commettre cet épouvantable assassinat. Tout cela est infiniment regrettable, et le groupe Ensemble à Gauche partage entièrement la douleur de la famille et des amis d'Adeline, et tient à le leur faire savoir. Nous relevons cependant que ce collectif semble satisfait des constats et recommandations présentés dans le rapport, ce qui nous réjouit.
Cela étant, nous n'aimerions pas que l'on jette le bébé avec l'eau du bain, car il existe des modèles de sociothérapie qui fonctionnent et dont nous devrions nous inspirer, notamment celui mis en place à la prison de Saint-Jean, dans le canton de Berne. Nous souhaitons qu'un tel concept ne soit pas abandonné, car il ne faut pas oublier qu'un criminel condamné par le Tribunal criminel ou, à titre définitif, par la Chambre pénale d'appel et de révision finit généralement par sortir de prison au bout de vingt ans d'internement. Il convient donc de préparer au mieux sa réinsertion, et c'est là tout le rôle de la sociothérapie qui, selon nous, doit être maintenue au sein des établissements pénitentiaires genevois. Merci.
M. Pierre Conne (PLR). Nous rendons compte aujourd'hui des travaux de la commission d'enquête parlementaire mandatée par notre Grand Conseil pour faire toute la lumière sur les dysfonctionnements survenus à tous les échelons de l'Etat et des Hôpitaux universitaires de Genève qui ont mené à l'assassinat, le 12 septembre 2013, de Mme Adeline Morel, une sociothérapeute du centre de La Pâquerette âgée de 34 ans, au cours de la sortie accompagnée d'un détenu.
La CEP a pris en considération les rapports précédents s'inscrivant dans le sujet de sa mission: les deux rapports de Me Bernard Ziegler, celui du professeur Benoît Chappuis et celui de M. Jean-Pierre Lador. Le mandat confié par le Conseil d'Etat à Me Bernard Ziegler, tout en ayant un champ plus restreint, présente une certaine analogie avec le nôtre. Il consistait à déterminer si la prise en charge de M. Fabrice A. depuis son arrivée à La Pâquerette avait été adéquate au regard du cadre législatif, réglementaire et procédural en vigueur, à identifier si la sortie accompagnée du 12 septembre 2013 avait été décidée et mise en oeuvre dans le respect de celui-ci et à proposer des réformes et des pistes d'amélioration.
La commission a analysé les constats et recommandations de Me Ziegler qu'elle fait en partie siens. Quant aux mandats confiés par le conseil d'administration des HUG au professeur Chappuis et par le Conseil d'Etat à M. Lador, il s'agissait d'enquêtes administratives à l'encontre des directrices respectives de La Pâquerette et du service de l'application des peines et mesures. La mission de la CEP, pour sa part, était de faire toute la lumière sur les dysfonctionnements ayant mené à cette tragédie, et non à rechercher des responsables, encore moins des coupables. Les conclusions des enquêtes administratives étaient donc situées hors du champ de la CEP. Cependant, ces deux rapports très bien documentés contenaient de précieuses informations qui ont servi à ses travaux.
Les commissaires n'ont pas suivi de méthode d'investigation strictement formalisée. Il est en effet inhabituel pour des députés de se départir du mode de fonctionnement politique qui constitue la règle dans les commissions ordinaires. La démarche adoptée s'est apparentée à une exploration inductive les conduisant à recueillir, de fil en aiguille, des masses d'informations. La CEP a toujours cherché à rester en lien avec son mandat, ce qui n'était pas évident. Pour ce faire, elle s'est entourée d'experts du droit pénal, du domaine pénitentiaire et de la médecine forensique. Elle a conduit 76 auditions en formation plénière ou en sous-commission - la liste détaillée figure dans le rapport - et a eu accès à tous les documents nécessaires, y compris les rapports médicaux et d'expertise concernant M. Fabrice A., ainsi que les documents d'archives de La Pâquerette et du SAPEM.
La majorité des membres de la CEP ne connaissaient pas ou peu le monde carcéral, qu'ils ont découvert à l'occasion de leurs travaux. Ainsi, en considérant l'immensité de la tâche que représente l'action pénitentiaire dans son ensemble, le niveau élevé d'exigences demandé à chaque collaborateur de même que les enjeux sociétaux, nous tenons à saluer le travail qu'accomplissent, jour après jour, l'ensemble des professionnels engagés dans la prise en charge des détenus; nous leur sommes reconnaissants et formons les voeux que le résultat de notre enquête serve aussi à améliorer leurs conditions de travail et leur sécurité, les conditions de détention et le processus de réinsertion des prisonniers.
L'intensité et l'ampleur de l'entreprise menée sont la démonstration que le mandat a été consciencieusement exécuté, nous n'avons plus à avoir de doutes quant à ce qui s'est vraiment passé. A l'heure du bilan, n'oublions pas qu'à tout problème complexe il n'existe pas de solution simple. Ainsi, nous ne sommes pas tombés dans le piège consistant à vouloir découvrir le fautif qui aurait éventuellement échappé aux enquêtes précédentes.
Le nombre et la variété des dysfonctionnements identifiés par la CEP comme de ses recommandations illustrent la multiplicité des problèmes relevés. Ceux qui ont lu ou liront l'intégralité du rapport découvriront la diversité et l'étendue des éléments constitutifs de ce drame, ils comprendront comment ceux-ci se sont construits avec le temps, du fait de pratiques faillibles, de décisions inconséquentes ou d'absence d'arbitrage.
Ce rapport établit précisément et sans complaisance les failles du système politique et administratif des domaines pénitentiaire et hospitalier concernés, il contient tous les éléments nécessaires adressés aux instances impliquées afin que les corrections qui n'auraient pas encore été entreprises le soient, pour que plus jamais une personne n'ait à subir le calvaire d'Adeline. Je vous remercie de votre attention.
M. Vincent Maitre (PDC). J'aimerais commencer par adresser mes sincères remerciements aux personnes du secrétariat général du Grand Conseil qui ont oeuvré au sein de la commission et sans qui ses travaux n'auraient sans doute pas abouti de la sorte: Messieurs Constant, Koelliker et Rudaz, soyez assurés de notre parfaite reconnaissance.
Pour ce qui est du rapport, chacun a pu en prendre connaissance, des observations ont été établies, des responsabilités institutionnelles et fonctionnelles soulevées, nous avons littéralement investigué deux départements de la cave au grenier et porté des constats parfois rudes et lourds. Cela étant, nous ne pourrons pas nous dispenser d'opérer notre propre critique, car la dernière institution qui n'a pas été examinée est celle de notre Grand Conseil, sous l'angle de l'outil parlementaire qu'est la commission d'enquête parlementaire.
Trois ans, c'est long, beaucoup trop long, et par cette durée, nous avons nous-mêmes indéniablement contribué à alimenter les frustrations, voire les souffrances, des proches et de la famille d'Adeline. Cette durée, cela a déjà été évoqué, s'explique notamment par l'ampleur de la tâche à accomplir, mais pas seulement. En réalité, elle nous renvoie à nos propres limites, celles d'un parlement de milice dont la substantifique moelle est précisément de ne pas être composé de spécialistes. Or le travail qui était à effectuer était un travail de spécialistes, puisqu'il consistait en des audits approfondis de différentes entités, de leur fonctionnement, de leur cadre juridique et de leurs contraintes scientifiques.
Nous, membres du parlement, devrons donc faire preuve d'un peu plus d'humilité à l'avenir. A titre personnel, je constate une tendance de notre assemblée à vouloir toujours davantage intervenir, davantage contrôler, davantage scruter l'ensemble des activités étatiques. Ceci n'est tout simplement pas possible à long terme, nous n'en avons ni les moyens ni les compétences, précisément parce que ce parlement est constitué de représentants dits de la société civile et que nous ne disposons pas, je le répète, des qualités requises pour intervenir partout où cela nous semblerait justifié.
C'est notamment dans ce sens que des réformes pourront - devront ! - être menées lors de la toute prochaine législature, et je crois ne pas être le seul à émettre cet avis - je me réfère au projet de loi des Verts qui vise à restructurer la commission d'enquête parlementaire, pour tenter de rendre cet outil plus efficace, plus efficient, pour limiter les risques d'un échec aussi, parce que cet organe en tant que tel n'est pas infaillible. Le PDC se joindra d'ailleurs à leur effort par le biais d'un projet de loi qu'il déposera sous peu afin de réformer la CEP.
En effet, les risques n'étaient pas anodins ni exclus d'emblée dans le cadre de cette recherche des responsabilités ayant entraîné le drame d'Adeline. Encore une fois, nous devrons en tirer les conséquences, faire notre propre examen de conscience et essayer d'améliorer cette institution qui, objectivement, n'est aujourd'hui pas totalement satisfaisante.
Je me réjouis néanmoins que ce rapport ait finalement été rendu sous une forme et dans des circonstances qui, ma foi, satisfont apparemment aux attentes des uns et des autres, et je parle évidemment des premières personnes concernées que sont les proches d'Adeline; tant mieux, ce n'était pas gagné d'avance et c'est notamment pour ces raisons que le PDC, dès le début, n'était pas favorable à la constitution d'une commission d'enquête parlementaire, non pas parce qu'il ne souhaitait pas exécuter le mandat, mais parce qu'il avait les plus grands doutes quant aux capacités de la commission à aboutir à un résultat concluant.
Heureusement, la CEP a manifestement relevé le défi, puisque la plupart des représentants de ce Grand Conseil semblent eux aussi approuver ses conclusions. Nous ne pouvons que nous en féliciter, saluer le travail réalisé et surtout tâcher de renforcer cette structure en la rendant, autant que faire se peut, la plus sûre possible. Je vous remercie.
M. Boris Calame (Ve). Monsieur le président, chères et chers collègues, trois ans de travaux, des milliers de pages de documents consultées, pour une part extraites avec difficulté des archives de La Pâquerette, pour l'autre remises par les autorités ou les personnes entendues, 76 auditions, plus d'une centaine de séances de commission et de sous-commission, de très nombreuses heures de lecture individuelle, des débats nourris mais respectueux, plusieurs versions du projet allant de rien ou presque à beaucoup trop pour, au final, aboutir au rapport que nous discutons ce jour, des travaux confidentiels, avec des commissaires plus ou moins présents, intéressés ou encore impliqués...
Pour les Verts, cela a représenté un engagement constant, entièrement concentré sur l'aboutissement de la mission que vous autres, membres du Grand Conseil, avez confiée à la commission d'enquête parlementaire. Chaque composante de ce rapport a été longuement analysée et débattue au sein de la CEP, tant sur le fond que sur la forme. Conformément à la LRGC, les personnes concernées ont pu s'exprimer dans le cadre d'une consultation avant la publication finale - les observations écrites sont d'ailleurs publiées intégralement dans les annexes.
Ces années de travail intense ont conduit à la conclusion que l'Etat - au sens large - a dysfonctionné dans son devoir de protection de l'une de ses collaboratrices, mais aussi que le chemin était tout tracé pour que cela arrive. Ce rapport n'épargne personne: ni le pouvoir politique ni les entités publiques concernées. Toutefois, il ne désigne pas de responsable ad personam, car cela n'était pas notre mandat.
La Pâquerette est née du constat que tout prisonnier finit par sortir de détention un jour et qu'il convient, pour certains plus que pour d'autres, de mieux anticiper les remises en liberté afin de protéger la société d'éventuelles récidives. Dans ce sens, la sociothérapie a toute sa raison d'être. Or, au fil du temps, cette structure s'est retrouvée à fonctionner - ou à devoir fonctionner - de manière autonome, elle a été délaissée par celles et ceux qui en avaient la responsabilité. Coupée de l'extérieur, elle n'avait plus les moyens de contrôle et de supervision indispensables à son bon fonctionnement. Elle est ainsi partie à la dérive, bien aidée par celles et ceux qui n'ont pas rempli leurs obligations légales, administratives, médicales et morales.
Pourtant, l'histoire de La Pâquerette a été jalonnée de multiples signaux d'alerte; malheureusement, personne n'a su ou voulu les prendre en considération. L'Etat porte de ce fait une responsabilité particulière et bien réelle. Nous avons relevé plus de cent dysfonctionnements, et plus de septante recommandations sont adressées aux acteurs institutionnels concernés. Tel est le bilan de nos travaux.
De l'avis des Verts, le mandat assigné à la CEP a été rempli par la publication de ce rapport. Certes, celui-ci est bien trop tardif, mais il est complet et critique: étayé par les très nombreux documents en notre possession, corroboré par les auditions effectuées, il survole l'histoire de La Pâquerette, dressant un portait moins idéalisé de cette institution que cela a pu être fait auparavant. Le rapport s'attache également à relever les interactions entre le centre et les autres acteurs de la chaîne carcérale.
Le système ayant cours au moment des faits, avec ses règles particulières, a permis l'intégration d'un détenu particulièrement dangereux et multirécidiviste, sans évaluation de sa dangerosité, au sein d'un établissement et d'un programme qui n'étaient pas prévus pour cela. L'intégration de ce détenu à La Pâquerette et son programme de sorties accompagnées, tous deux proposés par La Pâquerette et validés par le SAPEM, ont été les prémices du drame.
A la lecture du rapport, on constate que les signaux d'alarme ont été nombreux. Dans ce contexte, le principe selon lequel «tout ce qui se passe à La Pâquerette reste à La Pâquerette» apparaît parfaitement inadéquat et inacceptable. La prise en considération des informations transmises par des lanceurs d'alerte ainsi que la protection de ceux-ci revêtent aux yeux des Verts une importance toute particulière. D'ailleurs, le Grand Conseil traitera prochainement de cette question. Ne vous trompez pas, Mesdames et Messieurs les députés, vous aurez alors une responsabilité fondamentale en la matière. Il faudra que l'entité créée dispose d'une autonomie absolue et d'une autorité reconnue; il ne s'agira pas de médiation, mais bien d'entendre des personnes qui avertissent l'autorité de problèmes pouvant nuire gravement à l'Etat, à ses agents ou encore à la population.
Celles et ceux qui souhaitent mieux cerner les dysfonctionnements politiques et institutionnels ayant abouti à la tragédie de 2013 les trouveront décrits tout au long du rapport. Que dire notamment de l'absence de contrôles internes que l'Etat se doit pourtant de mettre en place, de la passivité décisionnelle ou encore de l'absence de suivi pendant toutes ces années par le Conseil d'Etat, le conseil d'administration et la direction des HUG, les autorités pénitentiaires, voire notre parlement en tant qu'autorité de haute surveillance ? Les dysfonctionnements humains et institutionnels qui ont permis la survenance de cette tragédie sont graves et inacceptables. Si les responsabilités sont multiples, elles sont bien réelles.
Nous apprenons pas plus tard que cette semaine, par la bande, que des mesures importantes s'agissant de l'établissement et du suivi des dossiers des détenus viendraient seulement d'être mises en oeuvre, alors même qu'elles étaient inscrites dans un rapport de l'ICF de 2012. Il devient dès lors insupportable d'entendre le Conseil d'Etat dire et écrire qu'il ne nous avait pas attendus pour mettre en oeuvre la plupart des recommandations de la CEP.
Au vu de ce qui précède, le groupe des Verts invite la commission de contrôle de gestion à se saisir du RD 1220, à en assurer le suivi en vérifiant la mise en oeuvre des septante recommandations formulées, puis à tenir le Grand Conseil informé au travers d'un rapport spécifique.
Je conclurai avec une pensée personnelle pour la famille et les proches de Mme Adeline M. qui, je l'espère, trouveront au travers de ce rapport et des propos échangés ce jour une forme d'empathie de la part de notre assemblée. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur. La parole est à M. de Sainte Marie pour deux minutes.
M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Monsieur le président, de m'accorder encore deux minutes. Le groupe socialiste tient à saluer le travail accompli avec sérieux par les quinze commissaires de la CEP et à les féliciter pour les 76 auditions qu'ils ont conduites. Si les travaux ont duré trois ans, c'est qu'un tel laps de temps était nécessaire pour aboutir à ce rapport de qualité apportant de riches recommandations qui, nous l'espérons, seront prises en compte par le Conseil d'Etat. La commission d'enquête parlementaire a procédé à un examen fouillé des dysfonctionnements, erreurs et approximations survenus dans différents services de l'Etat et des HUG. De là résulte que l'Etat a failli, malheureusement.
Il convient dès lors d'en tirer une conclusion, Mesdames et Messieurs: l'Etat doit changer, et c'est la raison pour laquelle les recommandations émises doivent être prises en considération. Il ne s'agit pas de faire le procès de la sociothérapie, bien au contraire, ni de verser dans une logique du tout-sécuritaire en contournant la véritable problématique que constitue la réinsertion de détenus potentiellement dangereux. Non, il s'agit à l'inverse de réfléchir au concept de sociothérapie et de revoir les processus défaillants ayant mené au drame, ce que le Conseil d'Etat ne s'est pas engagé à faire suite à ce que révèle la CEP.
Les socialistes attendent du gouvernement qu'il commente les constats figurant dans le rapport et leur apporte une réponse détaillée, sans botter en touche ni contourner la question de la sociothérapie en tombant dans le piège du tout-sécuritaire. Tout l'opposé de sa première réaction, en somme. Mesdames et Messieurs les députés, merci d'adopter ce rapport divers 1220 afin que nous obtenions un retour circonstancié de la part du Conseil d'Etat. Pour conclure, nous adressons toutes nos pensées à la famille d'Adeline et à ses proches.
M. Stéphane Florey (UDC). J'ai écouté avec attention le discours de chacun. Le groupe UDC se joint évidemment aux remerciements adressés jusqu'à maintenant et adhère quasi complètement aux interventions précédentes présentant le déroulement de nos travaux, à quelques éléments près.
Tout d'abord, on se pose des questions quant à certains projets de lois qui ont été évoqués ce soir: est-ce qu'une commission d'enquête parlementaire déjà constituée ou réduite à neuf membres, ainsi que d'aucuns l'auraient souhaité, aurait effectué un meilleur travail, est-ce qu'on aurait pu économiser ou mieux faire ? Personnellement, j'en doute. Pour ceux qui ont lu le rapport, ce qui ne semble pas être le cas de tout le monde, malheureusement - mais c'est comme ça pour l'ensemble des objets que nous traitons dans ce Grand Conseil, n'est-ce pas ! - on peut dire...
Le président. Je vous prie de rester calme, Monsieur, tout s'est déroulé sereinement jusqu'à présent.
M. Stéphane Florey. Tout le monde n'a pas lu le rapport, c'est une évidence que l'on constate une fois de plus aujourd'hui ! Pour l'UDC, d'un point de vue démocratique et législatif, les travaux de la CEP sont un succès, quoi qu'en disent certaines personnes ici présentes. En effet, Mesdames et Messieurs, ils ont permis de mettre en lumière un certain nombre de dysfonctionnements et de dérives dont découlent forcément un certain nombre de responsabilités. Ce rapport, et c'est là sa force, n'accuse personne, il relate des faits qui, comme vous pouvez le lire, amènent à des constats et à des recommandations.
Ainsi, la CEP a mené à bien son mandat, elle a «fait le travail», entre guillemets, et exécuté tout ce que demandait la motion 2252, ce dont nous pouvons être satisfaits d'un point de vue démocratique et législatif, comme je viens de le dire. Le but de cette commission n'était pas de satisfaire aux attentes des uns et des autres, mais tout simplement d'accomplir la mission instituée par cette motion, et le groupe UDC souligne qu'elle a parfaitement rempli son contrat, même si les travaux ont été longs et difficiles. Nous avons eu beaucoup de problèmes, il faut le dire ici, à nous organiser pour nous mettre au travail: il a fallu réfléchir aux exigences de la motion, trouver des experts externes, entendre un certain nombre de personnes. Par ailleurs, il a été compliqué d'obtenir tous les documents nécessaires, notamment de la part du Conseil d'Etat. Ça n'a pas été facile ! Comme mes préopinants l'ont indiqué avant moi, nous avons conduit de nombreuses auditions, ça a pris du temps.
Ce que les gens ne savent pas, ce qui n'a pas été dit ici, c'est le temps écoulé entre les séances pour permettre aux rapporteurs de faire leur travail, parce qu'avec toutes les informations qu'ils ont dû recueillir, on ne pouvait pas siéger juste pour siéger, il fallait prévoir du temps pour qu'ils puissent rédiger. D'où la longueur des travaux, qui a été tellement relevée qu'on se croirait presque accusés... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...d'avoir siégé longtemps juste pour siéger. Non, ce n'est pas vrai, il a fallu du temps pour faire le travail, rédiger le rapport, l'analyser, discuter des recommandations...
Le président. Il vous faut terminer, Monsieur.
M. Stéphane Florey. Voilà ce qui a généré ces longueurs ! Je le répète: pour le groupe UDC, nous avons rempli le mandat, nous pouvons affirmer que c'est un succès démocratique. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d'accepter ce rapport afin que ses recommandations soient renvoyées à toutes les entités concernées et que celles-ci puissent les mettre en oeuvre. Je vous remercie.
Le président. Merci. Madame Engelberts, vous disposez de trois minutes trente.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). Merci, Monsieur le président. Je ne réitérerai pas tous les remerciements qui ont déjà été adressés à nos collègues de la CEP en ravivant l'émotion que peut susciter la discussion d'un tel objet. Au départ, je n'étais pas du tout favorable - et je ne le suis d'ailleurs toujours pas - à ce type d'examen par une commission d'enquête parlementaire. Je m'explique: si on doit faire appel à un si grand nombre de spécialistes extérieurs au Grand Conseil, ça signifie que nous ne disposons pas des compétences propres nécessaires pour mener une investigation de cette envergure.
D'autre part, le parlement n'est pas habilité à entreprendre l'analyse de l'ensemble des processus et structures mis en place dans le cadre d'un service ou d'une institution, il peut tout au plus dénoncer une politique publique et proposer des réformes. Pour ma part, j'aurais davantage envie d'interroger la stratégie pénitentiaire de notre canton et de déterminer la manière dont ce Conseil peut apporter sa contribution: quels moyens sont indispensables au fonctionnement du système carcéral tel qu'on l'aura défini ? En effet, on parle peu de ça.
Certes, le rapport a mis en lumière la manière dont fonctionnent le secrétariat général des HUG et la prison, mais il me semblerait plus judicieux, afin d'appréhender les problèmes en amont et ne plus se retrouver face à ce type de situations qui, Dieu merci, arrivent rarement, d'examiner la politique mise en place pour ces prochaines années, les besoins spécifiques de la population incarcérée et du personnel qui en est responsable, l'organisation des structures et la gouvernance.
Par exemple, qu'on soulève maintenant seulement la question de la formation des directeurs de prison m'interpelle, j'ai l'impression de débarquer dans un pays en voie de développement ! Evidemment, c'est indispensable: si on veut instaurer une gouvernance efficace, il est certain que les directeurs de prison doivent être formés, tout comme le personnel. Ce n'est pas que le nombre qui compte, mais aussi la qualité des formations qui permettront d'instituer un certain état de veille au sein des établissements pénitentiaires.
Quant au reporting, à la manière de rapporter la sociothérapie à un service ou à un autre... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...soyons clairs: la sociothérapie, avec ses activités pédagogiques, relève prioritairement du domaine médical, et le fait de la placer à cheval entre les systèmes carcéral et médical ne peut que porter à confusion et illustre le manque de clarté des politiques publiques en matière de sécurité. Je suis désolée d'exprimer un avis...
Le président. Il vous faut conclure, Madame.
Mme Marie-Thérèse Engelberts. Oui, je termine. ...plus nuancé que les autres. Si la qualité du rapport est indéniable eu égard au but qui avait été fixé, je pense en revanche que les problèmes de base se situent ailleurs.
Le président. Merci. La parole revient à M. Spuhler pour trois minutes trente.
M. Pascal Spuhler (HP). Je vous remercie, Monsieur le président, ce sera très bref. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai entendu certains de mes collègues de la commission se flageller s'agissant de la longueur du rapport, du coût des travaux, de la difficulté de l'entreprise. A mon avis, là n'est pas la question; en définitive, nos travaux nous ont fait aboutir à des conclusions positives et constructives, et c'est ça qui compte. Qu'un tel drame n'arrive plus jamais. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur. Mesdames et Messieurs, avant de passer la parole à M. le conseiller d'Etat Maudet, je tiens à vous remercier pour le silence respectueux dont vous avez fait preuve lors de ce difficile débat. Vous avez la parole, Monsieur Maudet.
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Le Conseil d'Etat s'associe à vos remerciements comme aux propos de sympathie exprimés par certains députés à l'endroit des proches de la victime. Nous avons pris connaissance du rapport de la commission d'enquête parlementaire et considérons à ce stade que tout a été dit dans une tragédie qui commande de l'humilité et une extrême circonspection.
Le Conseil d'Etat n'entend pas participer au débat visant à déterminer si le travail de la CEP est un échec, s'il s'agit de réformer les commissions d'enquête parlementaire, de la même façon qu'il n'entend pas refaire l'histoire. En revanche, il compte tout mettre en oeuvre pour que celle-ci ne se reproduise pas et espère en avoir témoigné dans la collaboration qui a été la sienne tout au long des travaux de la commission. A cet égard, je m'inscris en faux contre les propos du député Florey: nous avons coopéré à tout instant, transmis les documents nécessaires. Il est important de rétablir ici cette vérité. Dès le premier jour, le Conseil d'Etat s'est engagé, après avoir reconnu que l'Etat avait failli, à faire en sorte que dans les limites de sa responsabilité, tout soit entrepris pour que ce drame ne se reproduise pas. Il n'a pas attendu ce rapport, qui arrive cinq ans après, pour en faire la démonstration et se réjouit de pouvoir la faire à nouveau à la faveur de celui qu'il rendra sur ses conclusions et recommandations.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. A présent, Mesdames et Messieurs, je lance la procédure de vote sur ce rapport.
Mis aux voix, le rapport divers 1220 est approuvé et ses recommandations sont renvoyées aux autorités concernées par 82 oui (unanimité des votants).
La commission d'enquête parlementaire est dissoute selon l'article 230J, alinéa 3, de la LRGC.
Le président. Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour votre travail et vous donne rendez-vous demain à 14h. Bonne rentrée !
La séance est levée à 22h40.