Séance du
vendredi 23 mars 2018 à
16h
1re
législature -
4e
année -
13e
session -
75e
séance
PL 11764-A et objet(s) lié(s)
Deuxième débat
Le président. A présent, Mesdames et Messieurs, nous abordons le deuxième débat du PL 11764-A sur la laïcité. Nous sommes saisis au total de 31 amendements, que nous allons traiter tranquillement les uns après les autres. Je compte sur vous pour faire preuve de calme et de discipline ! Pour rappel, nous sommes en catégorie I, c'est-à-dire que chacun peut prendre la parole au maximum trois fois et dispose de sept minutes par intervention.
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.
Le président. Le premier amendement a été déposé par M. Vanek et concerne l'article 1, lettre b. Il s'agit de biffer cette disposition qui stipule: «de préserver la paix religieuse». Monsieur Stauffer, c'est à vous.
M. Eric Stauffer (HP). Merci, Monsieur le président...
Le président. Vous vous exprimez bien sur l'amendement, d'accord ? (Un instant s'écoule.)
M. Eric Stauffer. Merci, Monsieur le président ! Eh bien non, je vais demander le renvoi en commission du projet de loi, chers collègues, au motif qu'un attentat terroriste vient d'être perpétré en France au nom de la religion, qui a déjà causé deux morts. Une fois encore, je trouverais peu opportun que ce Grand Conseil, dans le contexte des élections, donne une image qui n'est pas représentative de ce que nous pourrions penser en dehors de cette période.
Je fais donc appel à votre bon sens, Mesdames et Messieurs: renvoyons ce dossier en commission ou, à tout le moins - si c'est possible, Monsieur le président, je n'ai pas consulté la LRGC - suspendons son traitement jusqu'aux élections. Ce serait une bonne chose de procéder ainsi, faute de quoi - je conclurai par là, Monsieur le président - on assistera d'un côté de l'échiquier politique à un durcissement très net par rapport à la religion musulmane et, du côté gauche, à un laxisme affiché. Franchement, je pense que ce n'est pas le moment d'en arriver là. Je reprendrai la parole plus tard si ma demande se voit refusée.
Le président. Très bien, Monsieur. Nous allons voter cette demande de renvoi en commission. L'un des rapporteurs veut-il prendre la parole ? (Remarque.) Monsieur Vanek, c'est à vous.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Je réfute l'idée que les positions politiques soient conditionnées par tel ou tel événement ou par les élections. Pour ma part, en tout cas, je défends ici les mêmes positions depuis des années. Il s'agit d'idées de principe, et j'entends pouvoir en débattre, ce n'est pas un motif de renvoi en commission. Ainsi que je l'ai déjà indiqué à Eric Stauffer, ce projet de loi présente un déficit de conception initial, car il tente de résoudre la quadrature du cercle, il vise quelque chose d'impossible, et ce n'est pas une année de plus en commission qui va arranger les bidons.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Le contenu du projet de loi tel qu'issu de commission est le reflet de deux ans de travaux et non pas celui de l'émotion que l'on peut ressentir aujourd'hui en apprenant les événements survenus. Merci.
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de première minorité. Je n'entendais pas m'exprimer, Mesdames et Messieurs, car vous connaissez la position de notre minorité: nous plaidons en faveur d'une non-entrée en matière sur ce projet de loi.
A ce stade, cependant, la discussion doit porter sur les amendements présentés, et je ne pense pas qu'on puisse opérer de lien direct avec des événements se déroulant dans un pays qui se prétend laïque mais qui, dans les faits, connaît de gros problèmes avec ses minorités. Aussi, lier ces deux choses me semble prématuré. Je réserverai ma décision en cas de demandes de renvoi en commission ultérieures.
Pour le moment, il serait souhaitable que nous attaquions les amendements de manière que tout le monde puisse s'exprimer. Comme je l'ai dit hier soir, ce projet de loi remue davantage les tripes de chacun qu'il ne crée un clivage politique traditionnel. Merci, Monsieur le président.
Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote sur la proposition de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 11764, 11766, 11927 et 12191 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est rejeté par 86 non contre 6 oui.
Le président. Nous poursuivons le débat. Je venais de présenter l'amendement du député Vanek à l'article premier. Il s'agit, je le répète, d'abroger la lettre b que voici: «de préserver la paix religieuse». La parole vous revient, Monsieur Vanek.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, il peut vous sembler peu significatif de supprimer la lettre b de l'article premier, mais celle-ci est pourtant très emblématique de notre divergence de principe sur ce projet de loi, sur un sujet qui n'est précisément pas émotionnel ou connoté. Réfléchissons un instant: l'un des trois buts de cette loi - un but de politique publique - est de préserver la paix religieuse. Qu'est-ce qu'on entend par là ?
Si on entend simplement que les organisations religieuses, leurs membres et partisans doivent éviter l'usage de violences physiques ou verbales entre eux ou envers les autres, qu'ils doivent respecter les limites légales en matière d'expression que sont les lois contre la calomnie ou la diffamation et que lesdites limites s'appliquent également aux opposants à tel ou tel courant religieux, alors on fixe simplement un objectif général de respect de la paix civile et des libertés de chacun qui, Mesdames et Messieurs, n'a pas sa place dans une loi particulière sur la laïcité de l'Etat, dans la mesure où il figure déjà ailleurs dans notre corpus législatif.
En matière religieuse comme dans tous les domaines, chacun a le droit de mener une lutte vigoureuse pour faire prévaloir ses idées ! C'est le cas dans les champs politique, social, syndical, philosophique, il doit en être de même dans le cadre spirituel ! Nous n'avons pas besoin de dispositions spécifiques pour préserver la paix civile et les libertés générales.
Peut-être fut-il un temps où cela représentait une nécessité, mais aujourd'hui, sérieusement, on n'a pas le droit de brûler ses adversaires pour des motifs théologiques, ainsi que l'a fait Jean Calvin avec Michel Servet, on n'a pas besoin de lois pour préserver la paix religieuse ! Non, on a besoin de lois qui proscrivent, pour reprendre l'exemple de Michel Servet, le meurtre, l'assassinat - tout comme la peine de mort, puisque le président du Conseil d'Etat évoquait hier Victor Hugo et la peine capitale... Président du Conseil d'Etat qui n'est d'ailleurs pas là ! Décidément, il y a un tournus: le rapporteur de majorité est différent, le conseiller d'Etat auteur du projet de loi n'est pas présent, son remplaçant non plus...
Le président. Le président est toujours le même !
M. Pierre Vanek. Ce sont des conditions quelque peu pénibles pour mener un débat ! Enfin bref, j'assure la continuité en la matière, présentons les choses comme ça. Alors, Mesdames et Messieurs, au nom de cette continuité, je vous propose de faire un pas en avant et de retirer cet objectif spécifique de politique publique en matière religieuse contenu dans la lettre b de l'article 1, qui définit les buts de la loi.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Chers collègues, la majorité de la commission que je représente ici s'oppose à la suppression de cette lettre b, considérant qu'il est essentiel que l'article 1, qui expose les buts de la loi, évoque la préservation de la paix religieuse. C'est en effet l'occasion de souligner que la paix ne s'impose pas naturellement, et il est utile de le rappeler chaque fois que c'est nécessaire. La loi dans son ensemble a été construite afin de montrer que la préservation de la paix religieuse est importante pour le développement et le maintien de la qualité de vie dans notre société. Aussi, nous nous opposons à cet amendement. Merci.
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de première minorité. Je voudrais juste dire deux mots. Préserver la paix religieuse, mon Dieu que c'est beau, mon Dieu que ça devrait être vrai ! Cela étant, Mesdames et Messieurs les députés, par rapport à tout ce que je vous ai déjà dit, c'est surtout faire preuve d'une excessive naïveté. Comment un Etat laïque pourrait-il préserver la paix religieuse quand dans au moins deux religions l'apostasie est punie de mort, l'hérésie vous voue aux gémonies ? Peut-on vraiment modifier ces dogmes dans un texte de loi ? Préserver la paix religieuse, c'est un but qui peut bien sûr se comprendre, mais quand on regarde le contexte, c'est totalement inadéquat. En ce qui me concerne, je m'abstiendrai sur cet amendement.
M. François Lance (PDC). Il faut conserver cette notion, parce que c'est justement l'esprit qui règne à Genève depuis des dizaines d'années: la paix entre les religions, entre l'Etat et les différentes confessions, entre les croyants et les athées. Il est important de préserver cet esprit au sein de la loi et d'assurer une certaine continuité à la paix religieuse. Merci donc, Mesdames et Messieurs, de maintenir cette disposition à l'article 1.
M. Jean Romain (PLR). Je comprends bien l'argumentaire développé par Pierre Vanek, qui considère inutile de faire figurer une évidence dans la loi, mais il se trouve que le but même de la laïcité est de nous permettre de vivre dans la paix, dans le respect des uns et des autres, et je ne trouve pas dommageable de le répéter dans les buts de la loi. Celle-ci vise précisément à adoucir les tiraillements qui pourraient survenir entre différentes positions religieuses, et je crois qu'il est bon de laisser les choses ainsi, ça ne fait en tout cas pas de mal à ce texte que nous nous apprêtons à voter.
Mme Salika Wenger (EAG). Chers collègues, une loi sur la laïcité doit opérer la distinction entre la fonction de l'Etat et les religions, quelles qu'elles soient. Avec cette disposition, l'Etat interviendrait directement dans les relations que les confessions entretiennent. Non, ça ne nous regarde pas, nous ne sommes pas là pour ça ! Ce texte de loi vise à prendre en compte ce genre de raisonnement, ça ne va pas ! Pour ma part, je suis parfaitement d'accord de biffer cette notion, parce qu'elle n'a strictement rien à voir avec les buts de la loi que nous présentons.
M. Yves de Matteis (Ve). En ce qui me concerne - et probablement pour la majorité du groupe des Verts - il s'agit de refuser cet amendement. A mon avis, la loi doit servir non seulement à préserver la liberté de croyance, mais également à promouvoir la paix entre toutes les tendances religieuses. Merci, Monsieur le président.
M. Jean-Luc Forni (PDC). Aux yeux du groupe démocrate-chrétien, cet alinéa constitue l'un des fondements de la loi. Pourquoi ? Parce que notre cité est ouverte sur le monde, que s'y côtoient plusieurs cultures, plusieurs religions, et l'une des raisons pour lesquelles il est important de légiférer, c'est justement que tout se passe de façon harmonieuse.
Comme l'a indiqué mon préopinant de parti tout à l'heure et contrairement à ce qu'ont avancé Mme Wenger et M. Vanek, je pense qu'il est non seulement utile, mais surtout indispensable d'intégrer cette précision. Il faut promouvoir la paix entre toutes les religions, c'est le fondement même de la laïcité.
M. Carlos Medeiros (HP). Mes chers collègues, je vous écoute depuis hier et je suis assailli de mails, de commentaires sur Facebook. Nous sommes en train d'entrer dans une sorte de spirale infernale en voulant légiférer sur le fait religieux.
Je m'explique: quand je rencontre quelqu'un à l'étranger et qu'il me demande quelles sont ma nationalité et ma religion, je réponds que je suis suisse d'origine portugaise, chrétien catholique, parce que j'ai été baptisé - je suis issu de ce qu'on appelle la civilisation judéo-chrétienne et j'assume ce passé culturel - mais surtout, je finis toujours par préciser que je vis dans une république laïque. A mon avis, dans l'espace commun à chacun, nous devons conserver cette laïcité, il n'y a pas de problème.
Je tiens à rappeler que la problématique des minarets est née il y a quelques années quand un groupuscule musulman n'a pas voulu accepter la décision d'une commune en Suisse alémanique. A partir de là, certains mouvements ont créé un appel d'air, et on a été obligé d'organiser une votation à l'échelle nationale. Qu'est-ce que j'entends par là ? C'est que les uns comme les autres - et j'accepte toutes les considérations d'ordre philosophique ou sociétal - nous essayons d'instaurer un cadre à notre société particulièrement complexe.
Qu'on le veuille ou non, il y a aujourd'hui des citoyens suisses qui professent la religion musulmane, qui ne sont pas forcément des islamistes, mais des gens comme vous et moi, très calmes, qui promeuvent la république; il y a aussi des catholiques extrémistes, par exemple dans le canton du Valais, qui ne reconnaissent même pas le pape, voire des mouvements du judaïsme très orthodoxes qui ne revendiquent pas Israël. Tout ça pour vous dire que nous sommes en train de débattre d'un sujet très délicat.
Nous avons des lois, nous avons des règles, laissons-les régir les choses, ne versons pas dans des positions dogmatiques soit de droite, soit de gauche, parce qu'à la fin, nous serons tous perdants. Hier, j'ai entendu quelques histoires folles à la buvette, par exemple que quelqu'un avait protesté contre une distribution de pommes dans une école au prétexte que ce fruit était un symbole religieux ! Mais on va où, là ? Adam, Eve, la pomme, c'est ça ? On nage en plein délire !
Notre société en Suisse et à Genève permet à chaque citoyen d'exercer sa religion. Quand j'étais conseiller municipal, j'ai appuyé des demandes de certaines communautés religieuses, notamment orthodoxes, considérant qu'il s'agissait d'activités pratiquées dans des endroits culturels; on ne parlait pas du fond, de la confession en question, mais de la forme, de bâtiments de plus de quatre-vingts ou cent ans. A mon sens, la Ville de Genève devait les aider.
Mesdames et Messieurs, vous êtes en train d'ouvrir la boîte de Pandore, pour des raisons différentes selon les personnes. La question est la suivante: est-ce que, oui ou non, les choses fonctionnaient jusqu'à maintenant ? Est-ce que, oui ou non, nous avons recensé des problèmes de radicalité musulmane, catholique ou juive ? Non, tout marche très bien ! Alors ne profitez pas des élections et des caméras braquées sur nous pour essayer de marquer des points auprès de nos concitoyens qui professent des idées religieuses ou philosophiques différentes. Je peux vous garantir qu'à la fin, nous serons tous perdants. Merci.
M. Eric Stauffer (HP). Nous ne soutiendrons pas cet amendement, nous nous en référerons au projet tel que sorti des travaux de commission. Voyez-vous, Mesdames et Messieurs, avec les amendements, on entre maintenant dans le vif du sujet. Pour ma part, j'aimerais poser une question au gouvernement, qui est l'initiateur de ce texte - il s'agit en effet d'un projet de loi du Conseil d'Etat: comment entend-il régler les choses en ouvrant une telle boîte de Pandore ?
Je souhaiterais, si c'est possible, que la régie filme l'emblème se trouvant derrière le conseiller d'Etat Mauro Poggia, à savoir les armoiries de la République et canton de Genève. Au-dessus du drapeau, il y a trois lettres grecques - iota, êta, sigma - et j'aimerais vous en donner la signification. L'Eglise protestante de Genève utilisait ce monogramme comme emblème. Au moment de la Réforme, ce symbole du Christ a été conservé, de préférence à la croix, avec les lettres grecques, dans l'esprit de l'humanisme. Ces lettres sont représentées dans un soleil, en continuité avec le symbole utilisé par saint Bernardin de Sienne, qu'il présentait peint sur un disque. Selon les interprétations, il s'agirait soit du début du nom de Jésus en grec, soit de l'abréviation de «Iêsous hêmeteros sôtêr» qui signifie «Jésus notre sauveur». Voilà, Mesdames et Messieurs, ce qui figure derrière le conseiller d'Etat Mauro Poggia ! Je voudrais bien savoir, chers collègues, comment vous allez régler la question de la laïcité avec ces trois lettres dans nos armoiries.
Mais ça ne s'arrête pas là: passons au drapeau genevois, c'est-à-dire l'aigle et la clé. Eployée et couronnée, l'aigle symbolise le pouvoir impérial de l'évêque de Genève. Il fait référence à l'aigle bicéphale des armoiries du Saint Empire romain germanique, tandis que la clé est un attribut de l'apôtre saint Pierre, patron de l'Eglise de Genève et de la cathédrale de la ville.
Expliquez-moi, maintenant que tout le monde sait à quoi correspond le drapeau qui fait la fierté des Genevois, comment nous allons régler cette problématique. Va-t-il falloir, au nom du «respect», entre guillemets, des autres religions, modifier le blason de Genève ? Lors de la prochaine législature, le gouvernement qui a ouvert cette boîte de Pandore va-t-il exiger un tel changement au nom de la laïcité de l'Etat ? Je vous le répète, Mesdames et Messieurs, il ne fallait pas légiférer sur ce sujet. Vous êtes tout simplement... Enfin, pas vous, puisqu'on nous oblige à légiférer ! Le gouvernement est tout simplement irresponsable, ce projet de loi est parfaitement inadéquat et inopportun. Nous refuserons cet amendement.
M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je ne reviendrai pas sur les propos de notre collègue Eric Stauffer que je partage entièrement à titre personnel. En effet, ce projet de loi devrait être jeté aux oubliettes. On nous dit que c'est bien de légiférer, que c'est courageux, qu'il faut le faire avant que le ciel ne s'abatte sur nos têtes, comme disaient les Gaulois, mais c'est faux !
Vouloir changer la situation actuelle, c'est remettre en cause notre système éducatif, de sécurité, social, tout ce que l'Etat met à contribution pour le bien-être des uns et des autres. Nous n'avons aucun problème en rapport avec la religion aujourd'hui, c'est une réalité. Nous vivons toutes et tous parfaitement bien ensemble, loin du chaos de certains pays européens, tout simplement parce que nous n'avons pas la même culture ni les mêmes ambitions. Vouloir revisiter les choses, c'est admettre que notre système étatique est un échec: un échec scolaire, un échec sécuritaire, un échec social, un échec à tous les niveaux.
Or ce n'est pas le cas, Mesdames et Messieurs, vous savez très bien que nous faisons preuve d'excellence en matière sociale, sécuritaire, en matière de soins ou encore d'intégration. Pour ma part et pour le groupe MCG, nous ne soutiendrons pas l'amendement de M. Vanek. Merci.
Le président. Je vous remercie, Monsieur. La parole revient à M. Pistis.
M. Sandro Pistis. C'est une erreur, Monsieur le président, pardon.
Le président. Très bien, alors j'ouvre le vote sur cet amendement de M. Vanek qui, je le rappelle, consiste à supprimer l'article 1, lettre b.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 67 non contre 9 oui et 10 abstentions.
Le président. A l'article 1, lettre c, nous sommes saisis d'un amendement présenté par M. Lance. En voici la teneur:
«Art. 1, lettre c (nouvelle, la lettre c ancienne devenant la lettre d)
c) de permettre aux organisations religieuses d'apporter leur contribution à la cohésion sociale;»
Mesdames et Messieurs, je rappelle que vous avez chacun le droit de prendre trois fois la parole au cours de ce deuxième débat, mais je laisse trente secondes supplémentaires à ceux qui présentent un amendement. Vous pouvez y aller, Monsieur Lance.
M. François Lance (PDC). Merci, Monsieur le président. Très rapidement, il s'agit simplement de réintégrer cet alinéa qui existait dans le projet de loi d'origine et de permettre aux institutions religieuses d'apporter leur contribution à la cohésion sociale. Je pense en particulier à l'aumônerie, à l'intégration des étrangers, au lien social et à l'écoute des habitants dans les quartiers et les communes.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Stauffer pour la troisième et dernière fois au cours de ce débat !
M. Eric Stauffer (HP). Vous ne pouvez pas compter ma première intervention, Monsieur le président, puisqu'il s'agissait d'une demande de renvoi en commission ! Ce sera donc ma deuxième prise de parole, si vous le permettez.
Une voix. Non, tu as parlé deux fois !
M. Eric Stauffer. Bon, on ne va pas s'écharper. Mesdames et Messieurs, nous connaissons un très grave problème dans ce parlement... (Remarque.) Non, c'est un très grave problème, et je vais vous expliquer pourquoi. On parle bien de la laïcité de l'Etat, n'est-ce pas ? Or mon préopinant, si je ne m'abuse, est membre du parti démocrate-chrétien, une appellation qui constitue une entorse absolument énorme au principe de laïcité, car c'est un signe ostentatoire religieux ! Si, par impossible, ce projet de loi devait être accepté, il faudrait que je demande l'exclusion du parti démocrate-chrétien, parce que les autres pourraient se sentir choqués ou blessés, voire exiger le même droit, celui de créer le parti genevois islamiste, le parti genevois des Frères musulmans ou le parti genevois de Daech !
Mesdames et Messieurs... (Remarque.) Si, on est dans le coeur du sujet, et c'est justement sur ce point que j'attirais votre attention: à cause de l'irresponsabilité du Conseil d'Etat, nous avons ouvert la boîte de Pandore. Où allons-nous nous arrêter ? Le parti démocrate-chrétien pourra-t-il encore siéger ? C'est une grande question ! (Commentaires.) Mais il s'agit d'un signe ostentatoire religieux ! Vous voulez un Etat laïque, il faut aller au bout de votre logique ! Tout cela démontre bien le ridicule du projet dont nous sommes en train de débattre aujourd'hui.
Mesdames et Messieurs les députés, vous avez bien vu la quantité d'amendements déposés ? En général, quand un projet de loi sort de commission, il est prêt pour le vote, à un ou deux petits correctifs près; nous sommes ici en présence de 31 amendements qui, sans nul doute, seront repris au troisième débat, ce qui fait que nous allons dépasser les 60 amendements ! Je vous demande de renvoyer ce projet de loi en commission, de vous mettre d'accord autour d'un vote.
Ma volonté eût été de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi, mais nous devons malheureusement en parler; alors parlons-en, mais renvoyez-le en commission. C'est une demande formelle, Monsieur le président.
Le président. Bien, Monsieur. Si personne ne souhaite s'exprimer sur cette requête, je la mets aux voix.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 11764, 11766, 11927 et 12191 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est rejeté par 78 non contre 4 oui et 11 abstentions.
Le président. Je laisse la parole à M. Gauthier. Il est toujours question de l'amendement de M. Lance à l'article 1, lettre c, relatif à la cohésion sociale.
M. Pierre Gauthier (HP). Merci, Monsieur le président. Je reviens en effet à cet amendement déposé par le parti démocrate-chrétien. La chrétienté constitue une approche philosophique, ce sont le catholicisme et le protestantisme qui sont des religions - pour faire comprendre les choses à certaines personnes, il faut se montrer pédagogue.
De trop nombreuses inexactitudes ont été prononcées au cours de ce débat. J'y reviendrai sans doute plus tard, mais la première d'entre elles, je dirais même la plus commune, c'est la confusion entre laïcité et irréligion. Ces deux notions n'ont strictement rien à voir l'une avec l'autre. Le risque de voir tous les symboles religieux historiques disparaître du domaine public, quelle horreur ! Personne n'aurait l'idée de prendre son maillet et son burin et, de ses petits bras musclés, d'éradiquer çà et là une croix chrétienne, un cimier portant l'inscription «iota, êta, sigma», une statue, un vitrail, un croissant, une étoile ou que sais-je encore. Personne n'a jamais eu cette idée, Mesdames et Messieurs, personne ne l'a jamais avancée dans le cadre de nos travaux qui ont duré, je vous le rappelle, deux ans.
Sur le fond, et nous devons le rappeler, la laïcité est le droit de ne pas être inquiété pour ses convictions philosophiques ou spirituelles. Ceux qui veulent interdire ou détruire les religions, ce sont les intégristes de l'incroyance, pas de la laïcité. On persécute les chrétiens, les musulmans ouïghours en Chine, par exemple, on persécute aussi les religieux en Corée du Nord; c'est exactement le contraire de la laïcité, parce que celle-ci défend autant le droit de croire que celui de ne pas croire.
S'agissant de l'amendement lui-même, je crains qu'une loi n'ait pas à permettre - ou à interdire - à quiconque d'apporter sa contribution à la cohésion sociale. Si un groupe souhaite mettre en oeuvre des prestations d'utilité publique, absolument personne ne peut l'en empêcher, et si lesdits services le méritent, un contrat de prestations peut être passé entre l'Etat et l'organe en question, qui doit à ce moment-là se constituer en association. Il existe de très nombreuses organisations civiques - ou citoyennes, comme on dit maintenant - qui oeuvrent à la cohésion sociale et à l'intégration des étrangers, et qui ont toute latitude pour obtenir un soutien, y compris des subventions financières, de la part des autorités.
Comme je le disais hier, ce projet de loi ouvre la porte à une discrimination qui sera patente si nous acceptons cet amendement, parce qu'il n'y a absolument aucune raison objective ou rationnelle pour que les entités religieuses soient davantage prises en considération que d'autres. Il faut donc impérativement le refuser. Nous avons longuement discuté de la question en commission et avons finalement renoncé à cette formulation, car non seulement elle ne sert à rien, mais elle crée de plus une discrimination entre croyants et non-croyants, entre institutions religieuses et non religieuses, qui n'a pas sa place dans cette loi. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Merci. Mesdames et Messieurs, je vous demande de cesser vos conciliabules avec le conseiller d'Etat juste devant moi ! Monsieur Stauffer, c'est valable pour vous aussi ! Si vous désirez discuter avec le magistrat, merci de sortir de la salle. La parole est à M. de Matteis.
M. Yves de Matteis (Ve). Je vous remercie, Monsieur le président. Le groupe des Verts aura la liberté de vote sur cet amendement...
Le président. Ecoutez, Monsieur Stauffer, je ne vous le redirai pas trois fois: si vous voulez discuter, vous sortez de la salle ! (Remarque de M. Eric Stauffer.) Non, vous me dérangez, comme les autres d'ailleurs, alors c'est comme ça... (Remarque de M. Eric Stauffer.) Non, Monsieur, vous sortez pour discuter, je ne reprendrai pas la séance tant que vous ne serez pas parti. Ça suffit maintenant, je commence à en avoir assez ! Vous parlez à voix haute et je ne peux pas entendre ce que disent les autres, alors dehors ! Reprenez, Monsieur de Matteis.
M. Yves de Matteis. Merci, Monsieur le président. Si, au départ, cette disposition était inscrite dans le projet de loi du Conseil d'Etat, c'est parce qu'elle a correspondu à une réalité pendant plusieurs dizaines d'années. Cela étant, comme je le disais avant d'être interrompu, le groupe des Verts aura la liberté de vote sur cette proposition d'amendement. Merci.
M. Carlos Medeiros (HP). Bien, nous en sommes maintenant aux organisations religieuses. Comme je le disais dans mon intervention précédente, qu'est-ce qu'on entend par là ? Est-ce que les scientologues ont un statut d'institution religieuse ? Et qu'en est-il des amis de la casserole de spaghettis aux tomates sur la tête ? Vous voulez rire, Mesdames et Messieurs, alors je vais vous raconter une histoire que vous pouvez retrouver sur Google. Il y a deux ou trois ans, un débat similaire à celui-ci a eu lieu en Nouvelle-Zélande, la question étant de savoir qui pouvait prétendre au statut d'organisation religieuse. Un citoyen s'est battu à la fois contre le gouvernement et la Cour constitutionnelle, et il existe aujourd'hui en Nouvelle-Zélande l'amicale des fidèles de la passoire sur la tête ! Le gars s'est dit: «Je ne comprends pas pourquoi un catholique ou un musulman aurait plus de droits que moi, qui adore les casseroles sur la tête !» Et vous savez quoi ? Il a gagné ! Aujourd'hui, le mec touche une subvention publique, il s'amuse avec ses amis en organisant de grosses bouffes chaque vendredi, c'est une espèce de culte. Voilà où ça mène d'ouvrir la boîte de Pandore !
Quand je vois les membres du PDC, je me dis qu'ils ne sont pas plus chrétiens que moi: j'ai été scout catholique, membre de l'Opus Dei, j'ai pris part aux pastorales de la jeunesse du Vatican. Tout ça pour vous expliquer, Mesdames et Messieurs, que nous devons rester neutres. Je me suis battu pour une personne voilée travaillant dans un service de la Ville de Genève; Mme Salerno nous a dit: «Cette femme n'est pas en contact avec le public, donc je ne vois pas en quoi son foulard pose problème.» Et demain, on fait comment ? On va inventer des lois pour ça ?
Vous êtes en train de créer la même problématique qu'avec les minarets: tout se passait bien, il y avait un règlement municipal relatif à la hauteur autorisée, puis quelqu'un a voulu aller contre ça et nous avons eu droit à une votation fédérale. Au final, nos amis et concitoyens musulmans modérés ont eu tous les torts, alors stop avec ça ! Quant à nous, nous sommes complètement contre ce genre de choses. Ça veut dire quoi, une organisation religieuse ? Qu'en est-il des aliens, des scientologues, des enfants prêcheurs brésiliens, de toutes ces sectes ? Encore une fois, stop ! Merci.
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, je voudrais intervenir sur les symboles du Christ. Pour moi, il ne s'agit pas de signes religieux, comme l'a dit M. Gauthier. Est-ce que Jésus de Nazareth était un religieux ? Non, il n'a fait que combattre les religieux toute sa vie, c'était un philosophe et un sage. Les écussons portant des symboles du Christ n'ont rien à voir avec la religion. L'Eglise catholique, c'est autre chose: elle a usurpé le nom du Christ et accumulé des richesses génération après génération, allant totalement à l'encontre des enseignements de Jésus-Christ. Cette institution sera crédible lorsqu'elle aura vidé les coffres du Vatican et rendu les biens qu'elle a pillés pendant des siècles et des siècles ! Quant au parti démocrate-chrétien, il usurpe également le nom de Jésus, il ne devrait pas utiliser le nom du Christ dans son appellation. Je vous remercie.
Une voix. Ouais, bravo !
M. François Baertschi (MCG). Tout d'abord, je pense qu'il nous faut témoigner un minimum de respect envers les Eglises, en particulier chrétiennes, qui réalisent un formidable travail à Genève. Quand j'entends certains propos, je me sens un peu mal, Monsieur le président - vous transmettrez.
Pour en revenir à l'amendement, il évoque justement l'engagement des Eglises, notamment celles que nous connaissons traditionnellement, soit les Eglises catholique et protestante, qui effectuent un fantastique travail de cohésion sociale en parallèle à la religion, par exemple via Caritas et le Centre social protestant, et ça se fait avec les lois actuelles, il n'y a pas besoin d'en changer pour que ces organismes, qui sont soutenus financièrement par l'Etat, continuent leur oeuvre. Nous pouvons tout à fait les subventionner, même s'ils se revendiquent d'une filiation catholique ou protestante... (Brouhaha.)
Le président. Un petit instant, s'il vous plaît ! Je vous demande de faire silence, Mesdames, Messieurs, on ne s'entend plus !
Des voix. Chut !
Le président. Je vous en prie, Monsieur Baertschi, reprenez.
M. François Baertschi. Merci, Monsieur le président. Il existe sans doute d'autres organisations issues de courants religieux qui font un superbe travail à Genève, sans lesquelles notre canton ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui, et je crois qu'il faut leur exprimer notre reconnaissance.
Cet amendement part d'une bonne intention, ceux qui l'ont déposé voulaient faire reconnaître l'importance de l'Eglise à ce niveau, mais on risque de créer une confusion qui sera malheureusement malvenue. Certes, j'ai une connaissance très limitée de la chose, mais je vois des curés et des pasteurs qui font un travail dépassant le cadre religieux, et c'est bien. Tout un travail social est mené indirectement, mais comme nous nous trouvons dans un système de séparation entre l'Eglise et l'Etat, cet amendement présente un danger. Si l'idée de départ est bonne, le dispositif actuel l'est également, je crois qu'il faut le reconnaître et tirer notre chapeau aux personnes concernées. On peut s'accorder sur l'excellent travail que mènent ces entités, essayer de les soutenir davantage dans le domaine de politiques sociales comme l'endettement, car elles réalisent un travail concret et précis, et c'est très bien. Pour toutes ces raisons, le groupe MCG ne soutiendra pas cet amendement.
Monsieur le président, j'aimerais faire une dernière remarque, si vous le permettez: je suis quand même surpris que le gouvernement, qui a pourtant demandé l'urgence sur ce projet, ne soit représenté que par l'un de ses membres. On ne voit ni M. Maudet qui porte le projet, ni le président du Conseil d'Etat...
Une voix. Il va venir, il va venir ! (Commentaires.)
M. François Baertschi. Il va venir ? Apparemment, le Tatarstan est reçu à la salle de l'Alabama. Certes, il s'agit d'une république tout à fait honorable, mais est-ce vraiment plus important que l'avenir de la laïcité à Genève ?
M. Henry Rappaz (MCG). Je suis terrifié de voir avec quelle légèreté ce parlement traite de sujets graves: on perd un temps fantastique avec des prises de parole inutiles et des demandes de renvoi en commission. Ce projet de loi doit passer, car il est important pour Genève, nous avons besoin de sécurité. Vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez, Mesdames et Messieurs ! La France est à dix minutes de Genève, et ce qui s'y passe en ce moment est très inquiétant. Ce projet de loi permettra enfin, si nous arrivons au terme du débat, de sécuriser Genève, c'est le plus important. Nous ne sommes pas là pour évoquer les guerres de religion, mais faire passer ce texte intelligent. J'ai été commissaire sur ce sujet, et nous avons travaillé dessus pendant presque deux ans. Merci, Monsieur le président.
M. Jean Batou (EAG). Quand j'entends mon préopinant nous dire qu'on est en train de voter une loi sur la sécurité, les bras m'en tombent ! On est en train de discuter de la laïcité, le Conseil d'Etat nous a proposé un projet de loi qui, je suis d'accord avec beaucoup d'intervenants, constitue une véritable boîte de Pandore, et il y a autant d'opinions sur le sujet que de députés dans cette salle. Les amendements vont se multiplier au cours de l'après-midi, je ne sais pas ce qu'on va faire. Notre président finira sans doute par accélérer le mouvement pour qu'on vote en désordre tout et n'importe quoi - excusez-moi, Monsieur le président - mais même comme ça, on n'aura jamais terminé à 20h...
Le président. Je ne ferai rien voter dans la précipitation, Monsieur, ce n'est pas dans mes habitudes. Si nous n'avons pas terminé à 20h, tant pis !
M. Jean Batou. Je vous remercie pour cette précision qui ne me rassure qu'à moitié, Monsieur le président ! En dépit de la portée des sujets abordés pour les gens qui accordent à la laïcité au sens noble du terme une véritable importance dans cette république, on est là en train de parler de choses et d'autres, de prétendre qu'il s'agit d'une loi de police, de soutenir que... Non, notre législation règle déjà toute sorte d'aspects comme la sécurité, et on parle ici de la neutralité de l'Etat par rapport aux convictions religieuses, philosophiques, spirituelles.
Or la discussion est complètement surréaliste, chacun va finir par présenter un amendement et, si celui-ci passe, ne se sentira plus engagé par le projet dans son ensemble qu'il a éventuellement soutenu en commission ! Très franchement, la question du renvoi en commission se posera à un moment ou à un autre, qu'on le veuille ou non. Peut-être est-ce trop tôt, nous ne sommes pas encore assez fatigués, nous n'avons pas encore pris toute la mesure de la boîte de Pandore qui s'ouvre sous nos yeux. Honnêtement, il nous reste maintenant deux heures et demie pour traiter une trentaine d'amendements puis voter le troisième débat, ça me paraît totalement impossible. Alors continuons la discussion pour que chacun se rende compte des difficultés qu'on est en train de soulever, si vous le souhaitez, mais je tire la sonnette d'alarme: débattre comme ça en plénière avec une foultitude d'amendements, c'est foncer droit dans le mur s'agissant d'une question qui est tout de même déterminante pour la vie de cette république. Merci.
Mme Salika Wenger (EAG). Chers collègues, j'ai bien relu l'amendement présenté par M. Lance qui demande aux organisations religieuses d'apporter leur contribution à la cohésion sociale. Mais n'est-ce pas là très exactement le rôle de l'Etat ? Ce n'est en tout cas pas celui des communautés religieuses.
Ce genre d'amendement est dangereux. Je vais rapidement vous raconter une histoire. Il y a de fort nombreuses années, les pays musulmans - que je connais bien - n'étaient pas suffisamment développés socialement, il y avait des dictatures, l'école n'était pas prise en charge. Aussi, pour s'incruster, les intégristes ont repris ces fonctions, c'est-à-dire qu'ils ont commencé à s'occuper du social, de l'école, d'un certain nombre de prestations de cet ordre. Lors du fameux Printemps arabe dont on a beaucoup parlé et qui a fait sourire certaines personnes, dont je suis, pour qui ont voté les habitants ? Pour ceux qui avaient assuré la cohésion sociale, garanti le fonctionnement du système scolaire, de santé, etc., et nous nous retrouvons aujourd'hui avec des gouvernements de musulmans extrémistes et radicalisés.
Est-ce à ça que nous voulons jouer ? Voulons-nous réellement priver l'Etat de sa fonction de cohésion et la déléguer aux entités religieuses ? Dans ce cas-là, nous allons exactement à l'opposé du travail que nous tentons de faire, à savoir séparer toutes les croyances du fonctionnement de l'Etat. (Quelques applaudissements.)
M. Jean-Charles Lathion (PDC). J'ai trouvé assez pathétiques les envolées lyriques de MM. Stauffer et Medeiros, tout comme les critiques de M. Falquet contre l'Eglise du Vatican. S'agit-il d'une tentative pour déstabiliser le PDC ? Ce serait assez triste. Si on s'attarde sur la lettre c de «PDC», on se rend compte qu'elle correspond - dans la salle, seul Pierre Gauthier semble l'avoir bien compris - à notre civilisation judéo-chrétienne, aux valeurs que nous défendons.
Comme vous le savez, Mesdames et Messieurs, notre parti est à l'écoute des préoccupations des gens. Lorsque vous quittez cette salle, vous vous retrouvez dans un environnement religieux qui a façonné notre histoire, avec des personnes engagées dans l'aide et l'écoute de leur prochain. Notre amendement n'a pour objectif que de favoriser le rôle qu'elles jouent en permanence, même pour les athées, même pour ceux qui n'ont pas la foi - au moment d'émettre votre dernier souffle, vous serez bien contents de les entendre frapper à votre porte, parce qu'il n'y aura plus personne d'autre !
Pour notre part, nous sommes aussi là pour nous faire le relais de ces individus qui s'engagent bien souvent bénévolement, sans percevoir les ors du Vatican que conteste M. Falquet, et qui font leur travail honnêtement. Voilà pourquoi nous avons déposé cet amendement, et je vous demande de le soutenir. D'ailleurs, Monsieur le président, je sollicite le vote nominal pour qu'on sache exactement qui croit en quoi et en qui dans cette enceinte !
Le président. Etes-vous soutenu, Monsieur ? (Quelques mains se lèvent.) Non, ça ne suffit pas... (D'autres mains se lèvent.) Oui, c'est bon, nous procéderons donc au vote nominal. Avant cela, je donne encore la parole à M. Girardet.
M. Jean-François Girardet (MCG). Merci, Monsieur le président. Le MCG ne soutiendra pas cet amendement visant à permettre aux organisations religieuses de contribuer à la cohésion sociale, estimant qu'il est redondant eu égard à ce qui se pratique déjà sans disposition spécifique dans la loi. Il faut reconnaître que l'Eglise catholique romaine et l'Eglise protestante de Genève réalisent déjà un immense travail social, notamment en faveur de l'intégration des étrangers. Comme elles nous le rappellent d'ailleurs dans leurs circulaires, elles mettent à disposition des aumôneries plus de quarante postes de travail entièrement financés par leurs propres deniers. Ainsi, plus de 5000 visites sont effectuées chaque année en prison, plus de 10 000 sur les six sites des Hôpitaux universitaires de Genève. D'autres exemples sont encore cités: plus de 60 000 passages sont enregistrés chaque année au temple des Pâquis, où est fournie une aide d'urgence aux plus démunis.
Elles font déjà ce travail et continueront à le faire sans qu'on doive l'inscrire dans la loi ! Pourquoi causer toutes ces discussions, pourquoi engendrer d'inévitables questions sur le fait de privilégier les entités religieuses par rapport à d'autres, alors qu'elles oeuvrent déjà pour la cohésion sociale de manière bénévole et totalement désintéressée, uniquement par amour du prochain ? Mesdames et Messieurs, je vous remercie de bien vouloir refuser cet amendement proposé par le PDC.
Le président. Merci, Monsieur le député. Est-ce qu'on peut voter maintenant ? Les rapporteurs sont-ils d'accord ? (Un instant s'écoule.) Très bien, alors je vais rapidement relire le texte de l'amendement... (Remarque.) Vous souhaitez encore dire quelques mots à ce sujet, Monsieur Lussi ? (Exclamations.) Bon, eh bien allez-y.
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président. Je ne tiens pas à rallonger le débat, mais il faut rappeler que nous en sommes toujours au chapitre I de ce projet de loi qui esquisse les grands principes de la laïcité, et on veut nous mettre un quatrième but à l'article 1 ! Je serai très rapide: la cohésion sociale est un concept qui concerne la société civile, il y a une loi qui peut être discutée et modifiée au besoin. Mesdames et Messieurs les députés, nous vivons heureusement dans un système de séparation des pouvoirs. Insérer une telle notion à cet endroit - comme l'a indiqué fort à propos mon préopinant Girardet, il ne s'agit pas de dénigrer les Eglises - visant à permettre aux organisations religieuses de contribuer à la cohésion sociale, c'est à mon sens faire une entorse dramatique au principe même de la loi ! C'est la raison pour laquelle je vous invite à refuser cet amendement.
Le président. Je vous remercie. En ce qui concerne les autres rapporteurs, c'est tout bon ? (Un instant s'écoule.) Alors nous passons au vote...
M. Pierre Vanek. Je m'excuse, Monsieur le président, mais j'aimerais m'exprimer sur cet amendement !
Le président. Mais enfin, je viens de demander si les autres rapporteurs voulaient s'exprimer !
M. Pierre Vanek. J'ai répondu tardivement, mais oui, je souhaite ajouter quelque chose !
Le président. Alors faites-le, cher Monsieur !
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Je suis désolé, je sais qu'il y a énormément d'amendements, mais nous devons pouvoir en débattre ! Cette proposition du PDC de permettre aux organisations religieuses d'apporter leur contribution à la cohésion sociale n'est que la reprise d'une disposition figurant initialement dans le projet de loi de Pierre Maudet et que la commission, dans le cadre de ses travaux, a éliminée - ça fait partie des toilettages auxquels elle a procédé.
Cet alinéa pose problème, d'abord parce que, comme d'aucuns l'ont relevé, toute entité ou personne peut oeuvrer librement à l'accomplissement de ses objectifs dans le domaine social sans avoir besoin qu'une loi le lui permette. A priori, tout ce qui n'est pas interdit est permis, c'est le principe libéral en la matière - M. Maudet n'est apparemment pas très libéral, puisqu'il pense qu'on doit permettre explicitement un certain nombre de choses qui vont de soi.
Ensuite, Mesdames et Messieurs, il y a un réel problème de fond: le corpus législatif genevois comprend déjà une loi relative à la politique de cohésion sociale en milieu urbain, entrée en vigueur en 2013, qui définit précisément les contours d'une approche coordonnée et transversale des politiques publiques menées conjointement par l'Etat et les communes - je vous passe la lecture des dispositions essentielles de ce texte.
Au final, l'injection d'une disposition relative à l'activité des institutions religieuses en vue de la cohésion sociale pourrait très bien être interprétée, ainsi que Mme Wenger l'a suggéré, comme une volonté de délégation ou de privatisation de certains pans des politiques publiques - on retrouve là quelques constantes du PLR. Du côté d'Ensemble à Gauche, notre position à cet égard est très claire, vous la connaissez.
De toute façon, même si c'était de ça qu'il s'agissait, ce n'est pas dans une loi sur la laïcité de l'Etat qu'il conviendrait de discuter de la contribution d'organisations privées, qu'elles soient religieuses ou non, à la mise en oeuvre d'une politique sociale. Voilà ce que j'avais à dire.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Mesdames et Messieurs, je vous recommande vivement de rejeter cet amendement. En effet, il n'appartient pas à notre législation de s'immiscer dans les buts que les associations se fixent librement. D'ailleurs, c'est justement pour cette raison que la commission avait retiré cette disposition qui figurait dans le texte initial. Il n'est pas imaginable de déterminer ce qui peut être permis ou pas aux associations, qui ont la liberté de s'engager elles-mêmes dans des actions qui, généralement, contribuent à la cohésion sociale. Elles le font, et je le respecte, mais on parle ici d'un texte législatif. Comprenez bien qu'une telle disposition n'a pas sa place dans la loi et qu'il convient de la rejeter. Merci.
Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, nous allons enfin pouvoir voter sur cet amendement de M. Lance dont je vous rappelle la teneur:
«Art. 1, lettre c (nouvelle, la lettre c ancienne devenant la lettre d)
c) de permettre aux organisations religieuses d'apporter leur contribution à la cohésion sociale;»
Il est à noter que nous avons été saisis d'une demande de vote nominal.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 74 non contre 14 oui et 4 abstentions (vote nominal).
Le président. Nous passons à l'amendement suivant, toujours à l'article 1, lettre c. M. Vanek propose d'en annuler le contenu et de le remplacer par le suivant:
«Art. 1, lettre c (nouvelle teneur)
c) de fixer quelques règles concernant la neutralité religieuse de l'Etat et son caractère laïque.»
Allez-y, Monsieur Vanek.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Dans ses buts, l'article 1 vise, outre la préservation de la paix religieuse - but dont j'ai dit tout le mal que je pensais et que j'ai proposé de supprimer - à définir le cadre approprié aux relations entre les autorités et les organisations religieuses.
Cet alinéa c que j'entends remplacer est problématique, parce qu'il donne pour objectif à la loi de cadrer l'application de l'article 3, alinéa 3, de la nouvelle constitution genevoise - que nous souhaiterions d'ailleurs biffer et remplacer - à savoir: «Les autorités entretiennent des relations avec les communautés religieuses.» Cet alinéa est par ailleurs mal rédigé dans la mesure où on peut difficilement l'interpréter autrement que comme une obligation. Après, on bâtit là autour un édifice un peu byzantin, baroque et brinquebalant, voire gothique flamboyant, en décidant quelles sont les bonnes organisations avec lesquelles on entendrait entretenir ces relations et lesquelles de ces organisations ne sont pas acceptables. On prétend que l'article 3, alinéa 3, de la constitution ne fonde pas un droit des entités religieuses à entretenir des relations avec l'Etat, puis on essaie de cadrer ces relations avec plus ou moins de bonheur - plutôt moins que plus, à mes yeux, puisqu'on barbote dans un marais compliqué de considérations équivoques, alors que la racine du problème se trouve dans cette disposition de la constitution qu'il conviendrait de supprimer. De ce point de vue là, Mesdames et Messieurs, je suis hostile - nous sommes hostiles - à ce que la loi ait pour but de définir un cadre aux relations entre les autorités et les organismes religieux; elle doit définir un cadre général qui établit les règles concernant la neutralité religieuse de l'Etat et son caractère laïque. C'est la raison pour laquelle je vous invite, au nom d'Ensemble à Gauche, à remplacer l'objectif problématique de cette lettre c par celui, simple, général, clair et précisément non problématique, consistant à «fixer quelques règles concernant la neutralité religieuse de l'Etat et son caractère laïque». Voilà, merci.
Une voix. Très bien !
M. Thomas Bläsi (UDC). Juste une remarque s'agissant des relations entre l'Etat et les religions, Monsieur le président, que m'inspirent nos débats. Je m'interroge quant à l'utilisation du nom «Lucifer» par la chancellerie pour qualifier une candidate au Conseil d'Etat, cela ne me semble pas respecter le principe de laïcité. C'est une piste que je n'avais pas encore explorée jusqu'à maintenant mais qui, au vu de la qualité des discussions, me semble prometteuse pour contester la validité des futures élections. Merci, Monsieur le président.
Le président. Je vous remercie. Nous passons au vote... (Remarque.) Monsieur Conne, vous souhaitez dire quelque chose ? Allez-y.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité ad interim. C'est un peu une question de principe, Monsieur le président, de savoir si les rapporteurs ont le droit ou non de s'exprimer sur les amendements proposés !
Le président. Bien sûr, Monsieur: si vous sollicitez la parole, je vous la donne !
M. Pierre Conne. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, en tant que rapporteur de majorité, je vous invite à refuser cet amendement qui parle de règles concernant la neutralité de l'Etat. La neutralité est un principe selon lequel on ne s'engage pas pour ou contre, selon lequel on se montre totalement impartial dans son traitement. Or cette lettre c de l'article 1 ne définit pas un principe de neutralité, mais bien l'un des buts de la loi, celui d'établir des règles s'agissant des relations entre les autorités et les organisations religieuses. Dans le fond, modifier le libellé de cette disposition nous priverait de la définition du principe même de la loi dont découlent les articles suivants. Pour cette raison, je vous engage à rejeter cet amendement et à conserver le texte tel que sorti de commission. Merci.
Le président. Merci, Monsieur. J'aimerais rappeler à certains députés qu'il ne leur est pas autorisé de monter à la tribune du public ! Mesdames et Messieurs, il s'agit à présent de vous prononcer sur l'amendement de M. Vanek modifiant la teneur de l'article 1, lettre c.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 74 non contre 9 oui et 9 abstentions.
Mis aux voix, l'art. 1 est adopté.
Le président. On avance ! M. Vanek a déposé un amendement à l'article 2, alinéa 1. Il s'agit d'y ajouter «en vertu de la liberté d'association». Je le lis dans son entier:
«Art. 2, al. 1 (nouvelle teneur)
1 Au sens de la présente loi, la laïcité de l'Etat se définit comme le principe de neutralité de l'Etat dans les affaires religieuses. Les communautés religieuses s'organisent en vertu de la liberté d'association et selon les formes du droit privé.»
C'est à vous, Monsieur Vanek.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci de me donner la parole, Monsieur le président. Cet alinéa 1 de l'article 2 indique que les communautés religieuses s'organisent selon les formes du droit privé. Mais enfin, c'est évident ! J'ai également un problème avec l'alinéa 2, parce que lesdites formes sont spécifiées - on parle d'associations et de fondations, alors qu'il en existe d'autres - mais j'y reviendrai tout à l'heure.
Pour l'heure, ce que dit l'alinéa 1, c'est que la religion relève du droit privé et que, partant, il n'y a pas de religion de droit public. Nous avons une banque cantonale de droit public, des établissements de droit public, mais pas de religion de droit public... C'est aussi une évidence ! D'ailleurs, pour créer une religion de droit public qui consisterait à vénérer le président du Grand Conseil, par exemple, eh bien il faudrait rédiger une loi qui devrait recueillir une majorité dans ce parlement et qui serait sujette à référendum, donc je ne suis pas très inquiet sur ce plan-là, ça ne dit pas grand-chose.
Cet alinéa mentionne: «selon les formes du droit privé». Le problème, ce ne sont pas les formes, mais bien ce qu'incarne l'organisation des communautés religieuses, et celles-ci s'organisent en vertu de la liberté d'association. Je propose donc d'injecter cette notion à cet endroit, ça a le mérite de rappeler une liberté importante, à savoir... (Commentaires.)
Le président. Carlos ! Carlos !
M. Pierre Vanek. ...la liberté d'association, laquelle permet à des syndicats, à des groupements, à des clubs de s'organiser. Il s'agit d'une liberté importante, et je pense qu'elle devrait être inscrite à cet emplacement.
Je vais parler libéral un instant, pour m'adresser au bloc là-bas: c'est comme si on disait que les entreprises, en vertu de la liberté du commerce et de l'industrie, s'organisent en fonction du droit privé - évidemment, la liberté du commerce et de l'industrie est supérieure aux formes d'organisation précises que peuvent se donner les sociétés.
A mon sens, il ne s'agit pas d'un amendement polémique ou conflictuel, mais d'un amendement qui apporte une réelle plus-value à ce stade de la définition des formes d'organisation. Parlons du fond, pas seulement de la forme ! Le fond, c'est la liberté d'association, c'est ce qui est en jeu ici, et je propose qu'on le rappelle.
Le président. Je vous remercie, Monsieur. La parole n'étant plus demandée, je lance le vote sur cet amendement à l'article 2, alinéa 1.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 65 non contre 16 oui et 9 abstentions.
Le président. Le député Vanek propose ensuite de biffer l'article 2, alinéa 2. Je lui cède la parole.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. La constitution exige que l'Etat entretienne des relations avec les institutions religieuses et puis, tout à coup, il y a un glissement: «Au sens de la présente loi, les organisations religieuses sont des communautés constituées [...]» et on spécifie deux formes juridiques particulières. Notez ce glissement problématique, Mesdames et Messieurs, qui relève du caractère brinquebalant que j'ai stigmatisé tout à l'heure de cet édifice législatif inventé par Pierre Maudet et ses services, certes un peu amélioré par le travail en commission qui a duré deux ans, comme chacun l'a rappelé, mais quand même pas suffisamment, parce que la tâche était probablement impossible.
Je relis le début de la disposition: «Au sens de la présente loi, les organisations religieuses sont des communautés constituées sous forme d'association ou de fondation [...]» Mais, bon Dieu, pourquoi veut-on régenter les entités religieuses ? Celles-ci pourraient revêtir d'autres formes, par exemple des coopératives, des sociétés simples: Jésus et ses douze disciples constituaient manifestement une société simple, il pourrait y avoir des sectateurs du dieu Mammon réunis sous forme de société anonyme à but lucratif !
Là, chers collègues, on est dans le prescriptif; ce n'est pas très important, ce n'est pas extrêmement dérangeant, mais on est dans le prescriptif, on contraint les communautés religieuses à former des associations ou des fondations, faute de quoi on ne les reconnaît pas, et cela constitue à mon sens une violation du principe de neutralité religieuse de l'Etat. Si, par hypothèse, une entité religieuse adoptait Dieu sait quelle autre forme d'organisation que nous fournit le droit, on devrait lui dire: «Non, vous ne répondez pas aux critères de la loi selon l'article 2, vous n'êtes pas concernée !» On met en place une sorte de filtre selon lequel on prend en compte certaines organisations et d'autres pas. Cet alinéa 2 n'est pas nécessaire, je vous propose tout bonnement de le supprimer.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Mesdames et Messieurs, la majorité de la commission vous recommande de maintenir cet alinéa 2 de l'article 2 relatif aux définitions pour une raison très simple: la loi a justement pour but de cadrer les relations entre l'Etat et les communautés religieuses et la seule façon de pouvoir le faire est de les définir. Il s'agit là d'une partie purement structurelle de la loi consistant à déterminer qui est qui et qui fait quoi.
Dans le cadre des travaux de commission, nous avons travaillé sur cette formulation, et celle que nous vous proposons aujourd'hui nous paraît la plus appropriée. Nous avons besoin de définir les organisations religieuses pour fixer ensuite la nature des relations. Aussi, je vous invite à refuser cet amendement visant à supprimer l'article 2, alinéa 2. Merci.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Encore une petite remarque, Monsieur le président - je ne serai pas long, je sais que vous tenez à ce qu'on avance. Cette disposition mentionne en plus l'exigence du droit suisse. Mais, Mesdames et Messieurs, on se cache derrière son petit doigt ! Certaines paroisses de l'Eglise catholique romaine ont des statuts associatifs, bien sûr; ce sont des associations au sens des articles 60 et suivants du code civil. Mais enfin quand même ! J'ai trouvé sur internet les statuts de l'honorable paroisse anglophone Saint-Jean XXIII. Dans le préambule, il est indiqué: «Les orientations, initiatives et décisions touchant la vie de l'Eglise requièrent d'être authentifiées ou approuvées par l'évêque ou son représentant. Les membres de l'association et plus particulièrement ceux des divers conseils sont conscients que ces statuts sont indispensables en regard du droit civil afin que la paroisse soit reconnue comme sujet de droit. Ils interpréteront et appliqueront ces statuts à la lumière du droit propre de l'Eglise (droit canonique).»
Mesdames et Messieurs, pourquoi obliger ces institutions à se cacher derrière leur petit doigt pour rentrer dans un moule qui nous fait plaisir ? Ne soyons pas prescriptifs en matière d'organisation des entités religieuses, c'est bidon, ça ne sert à rien. Tout ça est fait pour - vous l'avez dit, Monsieur le rapporteur de majorité, et moi aussi - construire un édifice de relations réglementées avec certaines Eglises.
Bien sûr, on ne peut pas accepter d'entretenir des relations avec n'importe qui se prétendant une organisation religieuse, donc il faut établir des filtres, mais on se met ici dans un rôle prescriptif par rapport aux religions qui n'est pas celui d'un Etat libéral au bon sens du terme. Voilà pourquoi, décidément, je vous propose de biffer cet alinéa 2.
Le président. Merci, Monsieur. Mesdames et Messieurs, nous sommes en procédure de vote pour cet amendement de M. Vanek à l'article 2, alinéa 2.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 81 non contre 10 oui et 3 abstentions.
Mis aux voix, l'art. 2 est adopté.
Le président. Nous abordons maintenant l'article 3. M. Vanek propose un amendement à l'alinéa 2 consistant à ajouter le pronom «lui», ce qui conférerait le contenu suivant à cette disposition:
«Art. 3, al. 2 (nouvelle teneur)
2 La neutralité religieuse de l'Etat lui interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, ou l'absence de celles-ci, ainsi que toute forme de prosélytisme. Elle garantit un traitement égal de tous les usagers du service public sans distinction d'appartenance religieuse ou non.»
Le micro vous revient, Monsieur Vanek.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Cette modification est tout à fait mineure, Mesdames et Messieurs. Il s'agit simplement de préciser que la neutralité religieuse de l'Etat implique des exigences qui sont applicables au seul Etat, pas à d'autres entités ou personnes. Je ne prendrai qu'un exemple, celui de l'interdiction de toute forme de prosélytisme. En l'état, quelqu'un pourrait interpréter cette disposition comme une prohibition formelle pour les communautés religieuses de pratiquer du prosélytisme sur la voie publique ou ailleurs ! Or cette interdiction ne vaut que pour l'Etat, bien sûr: dans ses écoles, dans ses administrations, dans ses services, celui-ci ne peut pas effectuer de quelconque propagande spirituelle.
Une organisation religieuse, en revanche, peut légitimement faire du prosélytisme, c'est un droit reconnu qui participe de celui de changer de religion, que tout un chacun est libre de revendiquer. Ainsi, il faut sur le «marché des religions», entre guillemets, une offre permettant aux uns et aux autres de se tourner vers une nouvelle confession s'ils le souhaitent. Cet aspect a déjà été tranché par le droit supérieur. Je ne vous ferai pas d'exposé à ce sujet maintenant, mais le prosélytisme, notamment religieux, respectant la législation générale, respectant les règles d'occupation du domaine public, sur les manifestations et toutes les dispositions possibles et imaginables du droit commun, est parfaitement autorisé, il s'agit d'un droit que les entités religieuses peuvent exercer.
Le problème, c'est qu'une certaine ambiguïté persiste à l'article 3, alinéa 2, puisque la neutralité religieuse de l'Etat «interdit», et non pas «lui interdit». Cela pourrait conduire l'un ou l'autre des lecteurs de la loi ou des administrés sujets à l'application de celle-ci à considérer que toute forme de prosélytisme est interdite, ce qui serait problématique parce que parfaitement contraire au droit supérieur. Je suggère donc, afin de clarifier ce point qui n'est pas explicite dans le texte tel qu'il se présente aujourd'hui, d'ajouter le pronom «lui». Merci.
Le président. Merci à vous. Il n'y a plus de demande de parole, alors je soumets cet amendement à l'article 3, alinéa 2, aux votes de l'assemblée.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 70 non contre 10 oui et 8 abstentions.
Le président. A l'alinéa 3 de l'article 3, nous sommes saisis de deux amendements. Le premier nous est présenté par Mme Orsini et M. Gauthier:
«Art. 3, al. 3 (nouvelle teneur)
3 Les membres du Conseil d'Etat, du Grand Conseil, des délibératifs et exécutifs communaux, ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions. Ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.»
Et voici le second, déposé par M. Lussi:
«Art. 3, al. 3 (nouvelle teneur)
3 Les membres du Conseil d'Etat, d'un exécutif communal, les membres élus au Grand Conseil ainsi que ceux élus des différents Conseils municipaux, ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, le port de vêtements ou d'insignes religieux ostentatoires est interdit dans l'exercice de leur fonction élective.»
La parole revient tout d'abord à Mme Orsini.
Mme Magali Orsini (EAG). Merci, Monsieur le président. On nous dit que contrairement à l'exécutif, c'est-à-dire au Conseil d'Etat, le parlement ne saurait être soumis à un quelconque code vestimentaire, les députés représentant le peuple et non l'Etat. Ils auraient le droit d'afficher ici leurs croyances religieuses ou philosophiques. C'est faire fi de ce que les élus sont les représentants de la république une et indivisible. Ils n'ont pas vocation, même si certains le font, à représenter des intérêts particuliers ou des communautés au sein du Grand Conseil. Les signes religieux doivent s'y effacer pour laisser place au débat éclairé, car notre enceinte représente la république.
D'ailleurs, il n'y a pas que l'Etat et ses agents qui sont soumis à la neutralité républicaine; les élèves du primaire et du secondaire ne doivent pas non plus manifester ostensiblement leur appartenance cultuelle, ils sont soumis à la neutralité religieuse, même s'ils sont des usagers et non des agents de l'enseignement public. Ainsi, les représentants du peuple doivent être logés à la même enseigne que les élèves de l'école laïque et républicaine.
D'aucuns ergotent aussi sur la notion de signes ostentatoires. Il est évident qu'il ne s'agit pas de signes religieux discrets, mais de ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître, comme le voile islamique - quel que soit le nom qu'on lui donne - la kippa ou une croix de dimensions excessives. Les députés qui prétendent les exhiber au Grand Conseil ont bien l'intention de soutenir par là qu'ils placent leur foi avant leur qualité de citoyen, et il s'agit d'un prosélytisme qui ne saurait être toléré. La foi constitue une affaire privée et doit absolument le demeurer.
De plus, certains éléments vestimentaires portés uniquement par les femmes dans certaines religions indiquent clairement la subordination de celles-ci et la domination masculine. Il est incompréhensible qu'ils soient défendus par des partis politiques qui se disent de gauche, alors qu'ils représentent le traditionalisme le plus arriéré. Comment tolérer que seuls les hommes puissent apparaître dans une tenue neutre qui les dispense d'afficher leur religion ? Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de première minorité. A titre liminaire, je rappelle que nous en sommes toujours au chapitre I sur les principes de base, et l'article 3 évoque celui de la neutralité religieuse de l'Etat qui revêt une importance particulière pour notre minorité. En effet, nous tenons, puisque la loi sera votée, à ce qu'il y soit explicitement inscrit que tous ceux qui sont employés de l'Etat, qui le servent ou qui sont élus doivent appliquer ce principe.
Ce qui différencie notre amendement de celui de ma préopinante, c'est que cette rigueur s'applique pour nous uniquement dans l'exercice des fonctions électives, il ne s'agit pas d'une généralité. Quand nous quittons momentanément ces fonctions, nous recouvrons notre liberté de penser, d'embrasser un culte ou, au contraire, de ne pas en avoir. Mais pour tout ce qui concerne la fonction représentative et salariée de l'Etat, il est absolument indispensable de respecter la laïcité.
Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une attaque innommable ou d'une transgression que de dire aux gens: «Vous travaillez pour l'Etat, nous sommes dans un système laïque, l'Etat ne prend pas position, il y a une séparation des pouvoirs, donc vous devez garantir cette neutralité dans toutes les activités où vous représentez l'Etat.» C'est la raison pour laquelle nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de soutenir notre amendement. Le président vous en a cité le libellé, je ne le relirai pas...
M. Pierre Vanek. Mais il est identique à celui de Gauthier ?
M. Patrick Lussi. Non, pas tout à fait. Pour répondre à mon collègue, ma préopinante veut supprimer le segment «lorsqu'ils sont en contact avec le public», signifiant par là que les élus sont constamment soumis à la neutralité religieuse.
Quant à nous, nous pensons que cette rigueur doit être observée seulement lorsqu'ils sont en contact avec le public. Je rappelle que tout ce qui a trait à l'Etat relève du domaine public; pour notre minorité, il ne s'agit pas d'intervenir dans la sphère privée. Voilà pourquoi c'est lorsqu'on représente l'Etat ou qu'on est en public qu'on doit faire preuve d'une neutralité absolue. Merci.
Mme Céline Zuber-Roy (PLR), députée suppléante. Je vais abonder dans le sens de mes deux préopinants. Cela dit, sur la forme, nous proposons plutôt de créer un alinéa indépendant sur l'interdiction du port de signes extérieurs religieux au sein du Grand Conseil et des délibératifs, et c'est le sens de l'amendement de M. Lionel Halpérin, que je remplace aujourd'hui, à l'article 3, alinéa 4.
Si nous partageons l'idée selon laquelle les députés ne doivent pas afficher de signes religieux ostentatoires, nous estimons en revanche que la neutralité religieuse ne s'applique pas à leur égard, ainsi que le prévoit l'alinéa 3. En effet, les élus doivent bénéficier d'une liberté d'expression au moment des débats, il est important que chacun d'entre eux puisse dire ce qu'il ressent sans être censuré sur Léman Bleu, par exemple: «En tant que catholique, musulman ou athée, cette loi heurte ma sensibilité.» Tout à l'heure, j'ai entendu M. Vanek s'exclamer: «Bon Dieu !» Faut-il le censurer sous prétexte qu'il ne respecte pas la neutralité religieuse ? A notre sens, dans le cas des délibératifs, s'il importe de ne pas porter de signes religieux ostentatoires, les propos doivent rester libres. C'est la raison pour laquelle, chers collègues, nous présentons un amendement visant la création d'un nouvel alinéa.
Je sais déjà ce qu'on va nous rétorquer, à savoir que la population choisit ses représentants et qu'elle est libre d'élire une personne portant le voile, mais je me permets de rappeler que pour pouvoir siéger dans les assemblées délibératives, il faut atteindre le quorum de 7%, ce qui ne constitue pas la majorité du corps électoral, et nous avons la conviction que celle-ci ne souhaite pas des députés arborant des signes religieux visibles extérieurement.
Afin d'être certains d'obtenir le résultat visé, nous soutiendrons également l'amendement de Magali Orsini et Pierre Gauthier, parce qu'il est le plus proche de notre volonté, et si les deux sont adoptés, nous proposons de faire le ménage au troisième débat. Pour l'heure, il nous semble primordial d'obtenir une majorité afin d'interdire le port de signes religieux au sein des délibératifs. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame. Puisque vous avez évoqué l'amendement de M. Halpérin à l'article 3, alinéa 4, j'en profite pour en donner lecture à l'attention de vos collègues:
«Art. 3, al. 4 (nouveau, les al. 4 et 5 anciens devenant les al. 5 et 6)
4 Lorsqu'ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs.»
Monsieur Batou, vous avez la parole.
M. Jean Batou (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, vous ne serez pas surpris: je suis opposé à ces deux amendements. Il me paraît tout à fait extraordinaire qu'on puisse refuser à des élus du peuple de disposer d'une identité religieuse propre. Demain, on nous demandera d'être des représentants de la république unique et indivisible et, par conséquent, de ne plus manifester de couleur politique !
Les appartenances politiques découlent de convictions philosophiques, pour certaines de convictions religieuses, et si on interdit les signes religieux extérieurs aux députés du parlement, ce qu'a dit Eric Stauffer tout à l'heure - vous transmettrez, Monsieur le président - tombe sous le sens: à ce moment-là, en quoi un badge du parti démocrate-chrétien ne constituerait pas un signe d'appartenance religieuse ? A moins qu'on nous mente sur le caractère chrétien de ce parti. Soyons raisonnables, Mesdames et Messieurs ! Un parti de ce Grand Conseil, également représenté au Conseil d'Etat, qui se revendique du christianisme dans son nom même aurait le droit de siéger alors qu'une croix un peu trop grande autour de mon cou m'en empêcherait, même si je ne suis pas croyant ? On est en train de toucher le fond dans cette discussion, c'est ridicule !
Laissons les citoyens s'habiller comme ils l'entendent, signifier comme ils l'entendent, surtout sur les bancs du parlement, leurs idées philosophiques, religieuses et surtout politiques, inspirées par des convictions profondes, et ayons des débats politiques qui intéressent nos concitoyens sur la façon de résoudre...
Le président. Une petite seconde, Monsieur. Madame Zuber-Roy, Monsieur Florey, je vous entends jusqu'ici ! Merci de faire silence ! Poursuivez, Monsieur Batou.
M. Jean Batou. Merci. Ce qui intéresse nos concitoyens, c'est que nous menions des discussions afin de résoudre les problèmes en matière de logement, d'emploi, de transports, et si les réponses que nous apportons sont inspirées par des convictions philosophiques, religieuses ou spirituelles, mais bon Dieu - bon Dieu, c'est le cas de le dire ! - que chacun prenne ses responsabilités et défende les positions qui lui sont propres ! Je vous remercie de refuser ces amendements qui sont de caractère clairement liberticide.
M. Cyril Mizrahi (S). Je souscris totalement à ce que vient de dire mon collègue Jean Batou, qui a en somme démontré l'absurdité de la distinction que tente d'opérer Mme Zuber-Roy entre les propos et les signes. Si on suit l'amendement de Mme Orsini, puisqu'il concerne également les propos, on va finir par ériger une sorte de police de la parole en définissant ce que les uns et les autres sont autorisés à dire ou pas dans ce parlement, c'est parfaitement ridicule. Il existe une loi portant règlement du Grand Conseil qui fixe les limites à ne pas dépasser s'agissant de propos outranciers ou insultants.
Mme Orsini effectue quant à elle une distinction entre des signes qui seraient discrets et d'autres ostentatoires; va-t-on dès lors élaborer toute une jurisprudence et une casuistique sur la taille des croix ? Mais enfin, de quoi sommes-nous en train de parler ? Est-ce que nous rencontrons vraiment des problèmes avec des députés ou des conseillers municipaux qui arriveraient en séance arborant des croix surdimensionnées ?
L'amendement de Mme Orsini parle de n'importe quel signe, mais on devine bien là-dedans la volonté d'établir une laïcité pour les autres, ceux dont les religions sont minoritaires, voilà de quoi il est question ! Les croix, ça va, parce que c'est petit, mais les kippas ou les foulards, alors surtout pas, quelle horreur, on n'en veut pas ! Finalement, cet amendement vise à exclure les membres de certaines communautés, et c'est ce que j'appelle la laïcité des autres, la laïcisation de l'ensemble de la société. On nous dit que la société est une et indivisible, et que chacun devrait être à son image, mais la société est diverse, la société est composée d'opinions multiples, c'est une réalité !
A Genève, nous ne sommes pas dans une laïcité à la française, donc je vous invite à refuser tous ces amendements à l'article 3 en différenciant clairement le statut laïque de l'Etat et de ses agents de celui des élus - députés et conseillers municipaux - qui ne sont pas des agents de l'Etat, il faut le dire ici haut et fort. Nous représentons le peuple, nous représentons les gens qui nous ont élus et qui sont libres de ne plus nous élire, nous ne représentons pas l'Etat. Merci. (Quelques applaudissements.)
Le président. Je vous remercie et passe la parole à M. de Matteis pour la troisième fois au cours de ce débat.
M. Yves de Matteis (Ve). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, nous ne soutiendrons pas non plus ces amendements, d'abord parce que, comme j'ai déjà eu l'occasion de le mentionner, certaines personnes arborent actuellement des signes religieux identifiés comme tels dans des Conseils municipaux, et cela n'a posé de problème à personne.
Par ailleurs, nous avons constaté en commission que si une telle interdiction devait être promulguée par une loi, les recours déposés sur cette base seraient probablement gagnants, si ce n'est au Tribunal fédéral, du moins à la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, celle-ci avait d'ores et déjà indiqué, s'agissant d'une enseignante à qui l'on avait interdit le port de signes religieux, que si la fonctionnaire en question avait appartenu à un autre corps de fonction, travaillant par exemple simplement à un guichet, son jugement aurait été différent. Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ces amendements.
M. Pascal Spuhler (HP). Pour ma part, je soutiendrai l'amendement de l'UDC, parce qu'il y a quand même un problème dans votre système, Mesdames et Messieurs, dans le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui. Vous visez un Etat laïque, vous souhaitez empêcher les membres des exécutifs d'afficher des signes religieux - j'en ai déjà parlé hier, mais je vais le répéter, car le message n'est visiblement pas passé - mais vous êtes en revanche prêts à autoriser un élu communal ou cantonal à arborer un quelconque signe religieux comme un foulard, pour reprendre cet exemple ?
Dites-moi comment vous allez interdire à une parlementaire qui a siégé pendant un certain nombre d'années avec un foulard de le porter ensuite, lorsqu'elle accédera à la place suprême qu'est le gouvernement ? C'est tout simplement incohérent ! Légiférons soit dans un sens, soit dans l'autre; là, c'est le verre à moitié plein ou à moitié vide, ça ne va pas.
Mesdames et Messieurs, c'est l'Etat qui doit être laïque, pas la société ! Or vous êtes en train d'élaborer une loi sociétale, vous voulez tout contrôler. L'Etat doit gérer cette question, probablement sous forme de réglementation, une loi ne doit pas tout mettre dans le même panier. Il est juste impossible - impossible ! - de voter cette loi telle quelle.
L'article 3 interdit les signes religieux ostentatoires, tandis qu'à l'article 7, on nous dit que le visage doit être visible. Le problème, c'est que vous n'êtes pas allés suffisamment loin - vous ne le vouliez pas ou vous n'avez pas osé. Au final, est-ce qu'un foulard qui laisse apparaître le visage constitue réellement une marque religieuse ? Ça se discute, et ce sera discuté, parce qu'en votant cette loi, vous autorisez le foulard. Vous autorisez le port du voile dans votre loi ! Est-ce que le fait d'arborer un foulard constitue un signe religieux ? Je vous pose la question, car je suis persuadé qu'aucun tribunal ne la tranchera.
Vous n'êtes pas allés assez loin: ce sont les vêtements à caractère religieux qu'il faut interdire, pas juste les symboles. Pour moi, vous n'êtes pas allés suffisamment loin, et il est clair que je ne voterai pas une loi imparfaite. On va se moquer de nous, on va se perdre dans des procédures inimaginables chaque fois que quelqu'un voudra s'exprimer sur le plan religieux.
Pour que je sois sûr d'obtenir un minimum de satisfaction, je voterai l'amendement proposé par l'UDC, mais je vous le répète, Mesdames et Messieurs: vous foncez droit dans le mur avec ce projet de loi. L'Etat est laïque, pas la société qui est libre de faire ce qui lui chante, donc ce texte doit être aboli. Merci.
M. François Lance (PDC). Le groupe démocrate-chrétien n'acceptera aucun des amendements à l'article 3 et en restera au texte tel que sorti de commission. Celui-ci a été longuement discuté, il est équilibré et proportionné, en particulier concernant les restrictions touchant les agents de l'Etat. En effet, il vise uniquement les membres du Conseil d'Etat et des exécutifs communaux ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, qui sont des représentants de l'Etat, des communes et du pouvoir judiciaire. Le Grand Conseil et les Conseils municipaux, quant à eux, n'exercent pas de fonction représentative, leurs membres sont librement élus par la population.
Enfin, la situation actuelle ne pose pas de problème, et si ces dispositions étaient acceptées, elles seraient difficilement applicables et indéfendables juridiquement. Je vous engage donc, Mesdames et Messieurs, à soutenir le texte de l'article 3 tel qu'issu des travaux de commission.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). Je trouve navrant qu'on cherche toujours à aller plus loin que la loi ne l'exige ou le définit. Au final, aucun conseiller municipal ou député n'aura la possibilité de s'exprimer selon ce qu'il est, selon ses croyances. A force de pousser les choses à l'extrême, à force de lisser toute aspérité qui pourrait faire deviner une appartenance à tel ou tel groupe religieux - ou à tel ou tel groupe social, pourquoi pas ? - ça devient absurde, ça devient aberrant. Le député Batou l'a démontré, et je suis absolument de son avis: on finit par pousser les choses tellement loin qu'on se restreint d'être qui on est, on s'empêche de s'exprimer à partir de ses propres convictions, comme si on ne se reconnaissait pas à travers ce qu'on exprime déjà aujourd'hui.
S'agissant des signes religieux ostentatoires, je suis assez d'accord avec M. Mizrahi: ils concernent principalement des minorités religieuses que l'on stigmatise ici de manière inacceptable, et ces amendements renforcent encore cette façon de faire. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. François Baertschi (MCG). Quand on siège dans un parlement, on ne représente pas la religion catholique, protestante ou autre, on représente le peuple. Nous sommes une délégation de la population, pas de telle ou telle Eglise. C'est quand même le bon sens ! A mon avis, le bon sens nous dicte d'aller dans cette direction. Si on veut siéger au Grand Conseil, il suffit de retirer sa croix ou autre symbole religieux - il existe des systèmes amovibles - voire de changer de veste ou de vêtement, et si ce n'est pas possible, alors on peut très bien s'abstenir de siéger et demander à quelqu'un de venir à sa place, c'est évident. Ce qui me semble fou, c'est qu'on soit obligé d'inscrire une telle disposition dans une loi ou un règlement - mais bon, à l'époque où on vit, j'imagine que c'est nécessaire.
Au MCG, nous sommes favorables à l'amendement proposé par le rapporteur de majorité, parce qu'il est bien formulé et plutôt élégant, et nous le voterons par principe. Ensuite, nous réserverons nos votes en fonction du déroulement de la séance.
Une voix. Bravo !
Mme Emilie Flamand-Lew (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, ainsi que plusieurs intervenants l'ont déjà signalé, nous sommes des élus, pas des agents de l'Etat, nous représentons la population dans toute sa diversité, la population qui nous élit tels que nous sommes en toute connaissance de cause. On évoque les signes ostentatoires de manière un peu pudique, mais il est évident que le symbole auquel chacun pense, c'est le foulard; eh bien, les femmes qui se portent candidates avec un voile sont élues comme telles.
D'ailleurs, il ne s'agit pas d'un cas de figure purement théorique, ce n'est pas de la science-fiction ou de la politique-fiction, cette situation existe actuellement à Meyrin - et a déjà existé par le passé dans d'autres communes - où une élue du Conseil municipal porte le foulard, et je ne pense pas que la paix civile ou religieuse en soit menacée. Jusqu'ici, ça n'a jamais posé problème !
Que se passera-t-il si ces modifications sont acceptées et que la loi entre en vigueur ainsi amendée ? Qu'adviendra-t-il de cette femme qui a été élue par le peuple comme vous et moi, devra-t-elle démissionner ? Non, je vais vous dire ce qui se passera: elle déposera un recours qui sera admis, et nous aurons l'air ridicules - une Genferei de plus ! - parce que nous serons allés beaucoup trop loin avec cette loi.
Mesdames et Messieurs, je vous invite à bien réfléchir et à refuser ces amendements. Je rappelle que parmi les personnes qui préconisent aujourd'hui l'adoption de ceux-ci, plusieurs nous expliquaient hier que les choses à Genève allaient très bien, qu'une loi était inutile, qu'il ne fallait pas poser trop de contraintes, que les différentes communautés vivaient ensemble de manière tout à fait harmonieuse. Eh bien continuons ainsi et refusons ces amendements ! (Applaudissements.)
M. Jean Romain (PLR). Nous devons aller au bout de notre logique, chers collègues. Il existe une séparation entre ces deux domaines différenciés que sont l'Etat d'un côté, la sphère privée dans laquelle se pratiquent les religions de l'autre. Aller au bout de notre logique implique que dans tous les lieux où se joue la république, il convient d'adopter une certaine discrétion quant à son appartenance autre que républicaine - par exemple religieuse.
Bien que nous soyons élus par le peuple et que nous ne représentions pas tous l'Etat, il est extrêmement important que les choses soient claires. Imaginez qu'un membre du Bureau, voire un président, qui est aussi député... (Remarque.) Je vous remercie, Monsieur Ducret ! ...arbore un signe ostentatoire, que dira Genève ? Il faudra alors édicter une loi à l'interne stipulant que c'est valable pour les députés, mais pas s'ils sont élus au Bureau, a fortiori à la présidence ou aux deux vice-présidences ? Ce n'est tout simplement pas juste, Mesdames et Messieurs, ce n'est pas faisable.
Il ne s'agit pas d'aller trop loin ou pas assez loin, nous devons uniquement appliquer la laïcité autant que faire se peut, et cette neutralité religieuse exige que dans tous les lieux où se joue la république, à savoir les parlements et les Conseils municipaux, on fasse preuve d'une certaine discrétion. Quelqu'un a demandé ce qu'allait faire cette élue de Meyrin; eh bien, elle ôtera tout simplement son foulard en entrant dans la salle et le remettra en sortant, ça ne pose aucun problème, elle n'a pas besoin de remettre en cause son mandat.
Mesdames et Messieurs, nous ne sommes pas élus sous une quelconque bannière religieuse ! Le seul drapeau sous lequel nous acceptons d'être placés, c'est celui de la république. Je vous remercie.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes les représentants du peuple et nous ne sommes pas élus pour la manière dont nous nous vêtons ou pour les apparences sous lesquelles nous nous présentons. Nous sommes élus sur la base d'un programme politique, d'un projet de société que nous défendons, et les électeurs nous jugent sur la manière dont nous tenons nos engagements.
Le débat qui se mène ici depuis hier est particulièrement lourd, et on a l'impression que des comptes se règlent avec certaines communautés. Regardez-nous, Mesdames et Messieurs: nombreux sont ceux qui arborent des codes vestimentaires qui disent des choses sur qui ils sont, d'où ils viennent et peut-être où ils veulent aller. Finalement, ce dont il est question maintenant, ce que vous visez avec ce texte, c'est le voile. Ceux qui se prétendent les défenseurs des femmes visent précisément les femmes, ce sont elles qui sont concernées par ces mesures, ce sont leurs codes vestimentaires qui sont remis en cause.
J'aimerais rappeler à ceux qui prétendent lutter contre l'intégrisme qu'à force d'exclure des personnes en les empêchant de s'exprimer, de vivre leurs droits démocratiques, de représenter une partie du peuple, celle qui les aura élues, vous les repoussez précisément dans les bras des intégristes, et vous devriez y prendre garde. Je vous remercie de votre attention.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame. Monsieur Batou, je vous donne la parole pour la troisième fois.
M. Jean Batou (EAG). Oh, je serai très bref, Monsieur le président ! Chers collègues, je vais aborder un sujet délicat, soit la délimitation des religions. Vous évoquez les signes religieux, et M. Romain - vous transmettrez, Monsieur le président - nous dit qu'il faut se montrer discret quant à ses convictions. J'aimerais faire allusion à une forme d'organisation qui a défrayé la chronique à Genève pendant des dizaines et des dizaines d'années, à savoir la franc-maçonnerie. S'agit-il d'une religion ou pas ? Personne ne le sait, mais elle a pour particularité d'être discrète. Veut-on que les religions s'enferment, comme les francs-maçons, dans des formes discrètes d'organisation ? La méfiance risque alors de s'installer: telle ou telle personne fait-elle partie de cette sorte de culte qui nous menace ?
Pour ma part, je préfère les gens qui affirment haut et fort leurs convictions, qui sont transparents sur ce qu'ils pensent, sur les formes d'organisation qu'ils donnent à leurs opinions philosophiques. Si nous sommes tous des représentants de la république, nous avons des idées parfois violemment opposées que nous exprimons de manière très civile, et j'en profite d'ailleurs pour remercier celles et ceux qui portent clairement sur eux leurs opinions, qui s'organisent de manière démocratique et ouverte.
Je rends attentifs les éventuels membres de la franc-maçonnerie parmi nous au nombre de lois - ou de tentatives de lois - votées dans les parlements par le passé, destinées à les stigmatiser. Quant à nous, nous ne sommes pas de ceux qui veulent condamner les croyants, les francs-maçons, celles qui portent le voile, ceux qui portent la kippa. Respectons toutes les convictions, considérons l'ensemble des formes d'organisation et tâchons de les rendre plus transparentes, parce qu'elles seront ainsi davantage acceptées par toutes et tous. Merci.
Le président. Je vous remercie. La parole est à Mme Salika Wenger pour la troisième fois.
Mme Salika Wenger (EAG). Merci, Monsieur le président. Ce sera la troisième et dernière fois ! Comme vous le savez tous, Mesdames et Messieurs, je fais de la mode, et pour moi, l'aspect extérieur est très important. Depuis que je suis enfant, je nourris une fascination incroyable pour les cornettes, la coiffe que portaient les religieuses il y a quelques années. Je vous garantis que si nous votons la liberté du vêtement et que ça n'a aucune importance, je viendrai coiffée d'une cornette lors de la prochaine séance ! (Rires. Applaudissements.)
Le président. On se réjouit ! Monsieur Vanek, c'est à vous.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci beaucoup, Monsieur le président. Les dispositions proposées par ces amendements sont, à des titres divers - elles ne sont pas toutes identiques - liberticides. En effet, elles se fondent dans un discours de normalisation des élus dans les parlements, dans l'idée que l'initiatrice de l'un des amendements a exprimée en soutenant que nous sommes les représentants d'une république indivisible.
C'est évidemment faux, nous sommes les représentants de nos électeurs, nous avons pris des engagements et visons à les tenir, nous menons une bataille dans des formes courtoises, civiles, démocratiques, réglementées. La démocratie, c'est précisément quand le peuple se divise ! Le 15 avril prochain, dans les urnes, le peuple se divisera entre ceux qui voteront Ensemble à Gauche, liste numéro 1, et ceux qui soutiendront le parti du rapporteur de majorité, par exemple.
Ces divisions sont légitimes, elles sont la condition de la démocratie, elles ont leurs signes. Est-ce qu'on doit les gommer ? Quand j'étais petit, à l'école, on devait tous porter un tablier pour gommer les différences de classes, de ressources. Il y a toute sorte de signes dans ce parlement: mon vis-à-vis porte une cravate d'une jolie couleur ecclésiastique...
M. Patrick Lussi. La mienne est plus jolie !
M. Pierre Vanek. Oui, peut-être - ne vous battez pas, les gars ! Cela dit, il porte une cravate, ce qui est signe de quelque chose. Moi pas ! A gauche, la première cravate visible est du côté de M. Gauthier, qui est l'auteur de l'un des amendements, c'est signe de quelque chose ! Est-ce qu'on devrait se normaliser et exiger que chacun porte la cravate ou que personne n'en porte ? Certains parlements avaient adopté une telle logique en définissant un code vestimentaire, mais on a plutôt abandonné cette pratique avec le temps, et je m'en félicite.
Comme l'a dit Jean Batou, si un parti chrétien, bouddhiste ou sikh veut se présenter ici et être élu sous ses couleurs, il a parfaitement le droit de le faire; en dernière instance, ce sont les électeurs qui lui donneront ou non la possibilité de siéger. Jean Romain s'offusquait, craignant que le président du Grand Conseil arbore soudain tel ou tel signe religieux, mais le président du Grand Conseil n'arrive pas à ce poste par miracle, par une ascension surnaturelle...
Une voix. Divine !
M. Pierre Vanek. ...ou divine, il est élu par les députés de cette assemblée ! Aussi, acceptons ces formes de la démocratie qui suffisent pour régler de telles questions. L'idée que nous serions tous ici des représentants d'une république une et indivisible est, dans son fondement, quelque peu totalitaire.
Jean Romain a également indiqué que la religion est une affaire relevant de la sphère privée et qu'on ne doit pas l'étaler là où se joue la république - ce sont les termes qu'il a employés. Mais c'est un détournement absolu du concept de sphère privée ! En son article 13, alinéa 1, la Constitution fédérale stipule ceci: «Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu'elle établit par la poste et les télécommunications.» La sphère privée constitue un bouclier qui permet aux uns et aux autres de se protéger, et vous entendez le violer en exigeant qu'on ne puisse pas afficher sa religion. Pour cela, vous allez bien être obligés de savoir quelle est la religion des personnes concernées, donc ça pose problème, il faut refuser ces dispositions.
Pascal Spuhler a mis le doigt sur une incohérence, à savoir que l'exigence de non-signalisation de l'appartenance religieuse s'applique uniquement aux exécutifs et non aux parlements; c'est vrai qu'il s'agit d'une incohérence, mais elle devrait plutôt se résoudre dans l'autre sens, selon moi. Si, tout à coup, le peuple souhaitait élire le Dalaï-Lama au Conseil d'Etat - pour autant qu'il se naturalise et se présente à la tribune avec les signes de sa foi - eh bien pas de problème ! Encore une fois, c'est le peuple qui trancherait. Certes, il y a là une petite incohérence; je n'ai pas déposé d'amendement à ce sujet, parce que je suis éventuellement prêt à l'accepter dans le cadre de la modération et de l'esprit consensuel qui m'ont animé tout au long de ces travaux, mais quand même !
L'extension de cette interdiction de manifester son appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs proposée par les uns et les autres à l'ensemble des parlements et des Conseils municipaux est extrêmement inquiétante. Les députés doivent pouvoir s'exprimer librement sur n'importe quel sujet; ensuite, ils sont sanctionnés par les électeurs. Il existe un minimum d'immunité parlementaire qui nous permet, dans le cadre de notre activité, de tenir des propos qui dépassent ce qu'on accepte dans les relations ordinaires entre les gens, parce qu'il est fondamental que nous disposions ici d'une liberté d'expression pleine et entière dans tous les domaines.
Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, le Bureau clôt la liste pour la discussion sur ces trois amendements. Restent inscrits Mmes Forster Carbonnier et Magnin, les rapporteurs de majorité et de première minorité. Après le vote, nous nous octroierons une pause bien méritée ! Allez-y, Madame Forster Carbonnier.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Merci, Monsieur le président. Je serai très brève, parce que mes préopinantes - il s'agissait surtout de femmes - à l'exception de la représentante du PLR, ont très bien expliqué les dangers de ces amendements et les raisons pour lesquelles ne pas les voter.
J'ajouterai juste une chose: non seulement vous brimez les libertés individuelles des femmes, ce qui est extrêmement grave, mais quelle image allez-vous donner par ailleurs à la Genève internationale ? Notre canton accueille des institutions du monde entier, certains fonctionnaires de l'ONU viennent chez nous avec des foulards sans que ça pose de problème à qui que ce soit. Et vous, vous préconisez que nous recevions encore plus d'organisations internationales tout en refusant à ces femmes-là l'accès à nos parlements ? Est-ce vraiment ce que vous voulez ? Un peu de cohérence, Mesdames et Messieurs ! Monsieur le président, je sollicite le vote nominal. Merci. (Quelques applaudissements.)
Le président. Etes-vous soutenue, Madame ? (De nombreuses mains se lèvent.) Très largement, alors le vote sera nominal. La parole revient à Mme Magnin.
Mme Danièle Magnin (MCG). Je vous remercie, Monsieur le président. Ces dames sont pétries de bons sentiments, tout comme le rapporteur de deuxième minorité, mais ceux-ci se heurtent malheureusement à une réalité autre: dans les pays où les femmes doivent être couvertes d'un voile, d'une burqa, d'un niqab - quel que soit le nom qu'on donne à l'obligation de se couvrir la tête - on les bat, on les tue, on leur interdit d'aller à l'école, on les empêche de se former ! Ne serait-ce que pour elles, nous ne pouvons pas accepter qu'elles siègent en portant un tel signe de soumission... (Commentaires.)
Mesdames et Messieurs, je ne vais pas vous citer tout ce que des femmes philosophes ont écrit à ce sujet, mais elles nous appellent précisément à nous montrer fermes et droits dans nos bottes afin de protéger celles qui, si elles ne se voilent pas, se retrouvent lapidées, tuées, égorgées, défigurées à l'acide ! (Vive remarque.)
Une voix. Silence !
Mme Danièle Magnin. Mais enfin, tais-toi ! Tu parleras lorsque ce sera ton tour !
Le président. S'il vous plaît, laissez parler Mme la députée. (Commentaires.)
Mme Danièle Magnin. Voilà pourquoi nous devons défendre nos institutions et faire en sorte que les femmes qui viennent ici soient libres de ne pas se soumettre, même si elles ont été formatées à le faire. Merci.
Des voix. Bravo !
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Monsieur le président, permettez-moi de vous poser une petite question quant à la façon dont nous allons procéder s'agissant du vote. Nous sommes en présence de trois amendements à l'article 3, alinéa 3, pas seulement de deux. Il se trouve que, pour des raisons de structure, le troisième amendement proposé par M. Halpérin sur cette même thématique, soit la question des délibératifs communaux et du Grand Conseil, a été pensé comme un nouvel alinéa 4...
Le président. C'est vrai, Monsieur Conne, alors parlez-nous de l'amendement de M. Halpérin à l'article 3, alinéa 4, puis nous voterons consécutivement les trois amendements sur le même sujet.
M. Pierre Conne. Ah, nous voterons donc sur les trois amendements avant la pause ?
Le président. Exactement.
M. Pierre Conne. Très bien, c'est parfait ! Alors je suis au clair, Monsieur le président, et je vous remercie.
Mesdames et Messieurs, l'article 3 établit un certain nombre de règles pour les représentants formels de l'Etat, c'est-à-dire les membres du Conseil d'Etat ou d'un exécutif communal ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes. Le projet tel que sorti de commission stipule qu'ils «observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs». Ensuite, l'alinéa 4 évoque les fonctionnaires de l'Etat et des communes, mais il n'existe aucune disposition en ce qui concerne les délibératifs municipaux et le Grand Conseil.
Dans le fond, les trois amendements dont il est question maintenant - celui de l'UDC figurant dans le rapport de minorité de M. Lussi, celui déposé hier par Mme Orsini et M. Gauthier, tout comme celui de M. Halpérin - cherchent à régler cette problématique et à établir des dispositions sur les signes d'appartenance religieuse ou les propos signalant l'appartenance religieuse au sein des parlements.
Du point de vue de la majorité que je représente, les amendements de M. Lussi d'une part, de Mme Orsini et M. Gauthier d'autre part, sont excessifs, car ils empêchent en quelque sorte les élus du peuple au sein des Conseils municipaux et du Grand Conseil d'être libres de leurs propos, cela a déjà été souligné. Ce que nous proposons, quant à nous, c'est qu'ils s'abstiennent simplement de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs, étant entendu que leurs propos doivent demeurer tout à fait libres.
Ainsi, Mesdames et Messieurs, en tant que rapporteur de majorité, je vous propose de refuser l'amendement du rapporteur de première minorité comme celui proposé par Mme Orsini et M. Gauthier au profit de la nouvelle disposition de M. Halpérin à l'article 3, alinéa 4. Je vous remercie.
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de première minorité. Dans la discussion que nous menons maintenant, il ne s'agit plus de s'adonner à des querelles de chapelle, mais de viser l'efficacité. L'efficacité, nous la voulons, et elle consiste justement à parvenir à une laïcité pure au sein des délibératifs. C'est la raison pour laquelle, en accord avec mon groupe, je retire mon amendement à l'article 3, alinéa 3 - tout comme celui à l'alinéa suivant relatif aux agents de l'Etat - et nous voterons celui de M. Halpérin à la place.
Le président. C'est noté. (Remarque.) Je suis navré, Monsieur Lance, mais nous avons clos la liste... (Commentaires.) C'est comme ça ! (Commentaires appuyés.) S'il vous plaît, Monsieur Mizrahi ! Mesdames et Messieurs, nous passons au vote en commençant par la demande d'amendement de Mme Orsini et M. Gauthier à l'article 3, alinéa 3, étant précisé que le vote nominal a été sollicité. Je vous relis leur proposition:
«Art. 3, al. 3 (nouvelle teneur)
3 Les membres du Conseil d'Etat, du Grand Conseil, des délibératifs et exécutifs communaux, ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions. Ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 84 non contre 5 oui (vote nominal).
Le président. Puisque M. Lussi a retiré son amendement, nous traitons celui de M. Halpérin à l'article 3, alinéa 4, que je relis également:
«Art. 3, al. 4 (nouveau, les al. 4 et 5 anciens devenant les al. 5 et 6)
4 Lorsqu'ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 53 oui contre 34 non et 2 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous marquons une pause.
Quatrième partie du débat: Séance du vendredi 23 mars 2018 à 18h35