Séance du
vendredi 13 novembre 2015 à
17h
1re
législature -
2e
année -
10e
session -
66e
séance
PL 11408-A
Deuxième débat
Le président. Nous reprenons nos travaux sur le PL 11408, dont nous avons voté le premier débat hier soir, et abordons le deuxième débat. Trois amendements ont été déposés, que je vais vous lire avant d'ouvrir les discussions. Nous sommes saisis d'un amendement présenté par Mme Caroline Marti pour le groupe socialiste, qui consiste à remplacer, dans le titre, l'intitulé «(Plus de liberté pour les locataires)» par «(Plus de liberté pour les propriétaires immobiliers)». Voici ensuite le premier amendement à l'article 39, de M. Olivier Cerutti:
«Art. 39, al. 3 (abrogé) et al. 4, let. e (nouvelle teneur)
e) est acquis par un locataire souhaitant librement acheter l'appartement qu'il occupe effectivement depuis 5 ans au moins et à qui la teneur de l'article 271a, alinéa 1, lettre c CO (protection contre le congé-vente) a été notifiée. Dans ce cas, le prix de vente du mètre carré PPE ne peut dépasser 6900 F, montant indexé annuellement à l'indice genevois des prix à la consommation, et les locataires restant dans l'immeuble doivent également obtenir la garantie de ne pas être contraints d'acheter leur appartement ou de partir.»
Enfin, la teneur du second amendement au même article, émanant du parti socialiste, est la suivante:
«Art. 39, al. 3 (abrogé) et al. 4, let. e (nouvelle teneur)
e) est acquis par un locataire souhaitant librement acheter l'appartement qu'il occupe effectivement depuis 5 ans au moins, au bénéfice d'un contrat à durée indéterminée non résilié au moment de la vente et à qui la teneur de l'article 271a, al. 1, let. c CO (protection contre le congé-vente) a été notifiée.
Dans ce cas, le prix de vente au mètre carré PPE doit correspondre au besoin prépondérant d'intérêt général mais ne peut pas dépasser 6900 F, montant indexé annuellement à l'indice genevois des prix à la consommation.
Le logement acheté doit être occupé par son propriétaire, sauf justes motifs agréés par le département. Sont notamment considérés comme des justes motifs les circonstances imprévisibles au moment de l'acquisition du logement, soit, notamment, le divorce des acquéreurs, le décès, la mutation temporaire dans un autre lieu de travail ou un état de santé ne permettant plus le maintien dans le logement.
En cas de revente dans les 10 ans qui suivent l'acquisition, le prix du mètre carré PPE est calculé selon les critères prévus au paragraphe 2.
Si le logement est loué par l'acquéreur dans les 10 ans qui suivent l'acquisition, son aliénation ne peut en principe plus être autorisée, durant la même période, en application de l'article 39, al. 4, let. d, de la présente loi.
Afin de prévenir le changement d'affectation progressif d'un immeuble locatif, le requérant doit obtenir que 60% des locataires en place acceptent formellement cette acquisition. Les locataires restant dans l'immeuble devront obtenir la garantie de ne pas être contraints d'acheter leur appartement ou de partir.»
La parole revient à Mme Caroline Marti.
Mme Caroline Marti (S). Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, comme on a pu le constater hier au cours du premier débat, vous avez la majorité pour accepter ce projet de loi: vous pouvez, et je ne peux que le déplorer, démanteler la protection des locataires, permettre le retour des congés-vente, augmenter l'incertitude et de ce fait la précarité des locataires dans notre canton, vider le parc locatif et laisser des milliers de ménages sur le carreau, accélérer la «gentrification» galopante des quartiers du centre-ville de même que continuer à défendre les intérêts privés des propriétaires immobiliers et des locataires les plus fortunés au détriment de tous les autres. Vous en assumerez les conséquences et le peuple tranchera, car référendum il y aura.
Le groupe socialiste a décidé de déposer... (Commentaires.)
Des voix. Chut !
Mme Caroline Marti. ...un amendement pour modifier le titre. Hier, on a parlé sémantique - M. Lefort l'a d'ailleurs très bien fait. En effet, ainsi que je l'ai déjà dit, offrir une liberté aux locataires qui n'auront pas les moyens financiers d'en faire usage, pour une très grande majorité d'entre eux, ce n'est pas leur offrir une vraie liberté. Mais cela va plus loin: le seul qui verra une augmentation de sa liberté par le biais de ce projet de loi, c'est le propriétaire, puisque c'est lui qui pourra décider de vendre ou non son bien. Laisser cette loi partir en votation populaire avec le titre qui est le sien actuellement, c'est-à-dire «Plus de liberté pour les locataires», c'est purement et simplement mensonger, c'est chercher à induire en erreur le corps électoral de notre canton, ce qui est une grave attaque de notre système de démocratie directe. Mesdames et Messieurs les députés, si vous décidez ce soir de flinguer la protection des locataires, ayez au moins la décence de préserver la démocratie ! C'est pour ces raisons que je vous demande, au nom du groupe socialiste, d'accepter cet amendement. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame la députée. Les rapporteurs souhaitent-ils s'exprimer sur l'amendement maintenant ? (Remarque.) A la fin du débat ? Très bien, alors je passe la parole à M. François Lefort.
M. François Lefort (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, s'agissant des amendements, nous avons déjà dit hier soir que nous soutiendrons celui de Mme Marti visant à remplacer le titre actuel de ce projet de loi, à savoir «Plus de liberté pour les locataires», par «Plus de liberté pour les propriétaires immobiliers», ceci uniquement par souci de vérité face à la population, car tel doit être le vrai titre de ce projet de loi. Quant à l'amendement de M. Cerutti, nous avons aussi déjà annoncé hier soir que nous le refuserions parce que sa tournure alambiquée demanderait une séance de mise en conformité légistique afin d'être rendue compréhensible. Nous avons tout de même fait des efforts pour le comprendre... (Remarque.) Oui, Monsieur Zacharias, nous avons fait des efforts, nous en sommes capables ! Nous comprenons que cet amendement réduit considérablement le champ du projet de loi. En effet, cette limite maximum de 6900 F le mètre carré PPE fait que cela ne concernera que les appartements dont le prix est inférieur, soit par exemple 690 000 F pour un appartement de 100 mètres carrés; au final, cela ne fait pas beaucoup d'appartements, mais certainement des appartements à bas loyer dans de vieux immeubles, occupés depuis longtemps par des personnes âgées ou à bas revenu. Et vous croyez vraiment, Mesdames et Messieurs les députés, que la population cible de cette nouvelle version du projet de loi aura les moyens d'acheter son appartement ? Non, bien sûr ! Pour notre part en tout cas, nous ne le croyons pas. Au contraire, cette population sera soumise à toutes les pressions pour quitter les appartements qu'elle occupe puisqu'elle ne pourra pas les acheter, ceci malgré la protection mentionnée dans l'amendement, à savoir le recours à l'article 271 du code des obligations.
Concernant maintenant le dernier amendement reçu aujourd'hui de la part de Mmes Marti et Buche ainsi que de M. Dandrès, qui reprend la limite maximale de 6900 F le mètre carré PPE, il introduit suffisamment de sauvegardes, qui sont d'ailleurs définies par analogie avec le projet de loi Longchamp et permettent de protéger le locataire. Nous soutiendrons évidemment cet amendement en raison des protections supplémentaires qu'il prévoit par rapport à l'amendement de M. Cerutti, et s'il était accepté, nous voterions cette loi au champ considérablement réduit et qui protégerait davantage le locataire face aux risques de congé-vente. Dans tous les autres cas, nous refuserions ce texte et, comme nous vous l'avons annoncé hier, ferions partie du comité référendaire et vous donnerions rendez-vous au référendum.
M. Eric Stauffer (MCG). Je serai bref, Mesdames et Messieurs les députés. Hier soir, on a entendu beaucoup de bêtises provenant de la gauche, comme M. Pagani disant que lorsque les taux d'intérêt augmenteront, ceux qui auront acheté leur appartement ne pourront plus les payer. Laissez-moi rétorquer que si les taux d'intérêt augmentent, les locataires voient leur loyer augmenter également parce que ça figure dans la loi; malheureusement, à l'inverse, quand il y a des baisses, on n'en profite pas forcément en tant que locataire - et je sais de quoi je parle car j'en suis un, je ne suis pas propriétaire.
Toute l'intelligence de ce projet de loi réside dans ceci, Mesdames et Messieurs, et je vais vous donner un exemple concret: M. Alvarez - c'est un nom fictif, je m'excuse s'il existe - est concierge aux Eaux-Vives, sa femme travaille à mi-temps, leur revenu commun est de 8000 F et ils louent un cinq-pièces pour 1800 F ou 2000 F par mois; s'il avait la possibilité de l'acheter, avec le projet de loi qu'on vous soumet aujourd'hui, M. Alvarez ne paierait pas plus de 1250 F et serait propriétaire de son appartement ! C'est bien là tout l'objectif du projet de loi, à savoir de rendre la propriété accessible à des gens de la classe moyenne à qui la gauche fait payer des loyers leur vie durant afin qu'ils ne deviennent jamais propriétaires et ne puissent rien léguer à leurs enfants.
Hier, on a aussi entendu M. Pagani - vous transmettrez, Monsieur le président - préconiser de ne surtout pas économiser parce que, quand nous serons vieux et invalides, on nous mettra dans un EMS et on nous obligera à vendre nos biens et à manger nos économies pour pouvoir le payer. Quelle belle mentalité de cigale ! Le message de la gauche est donc le suivant: vivez aux crochets de la société, ne mettez surtout pas d'argent de côté parce qu'on pourrait vous le prendre lorsque vous serez âgé ! C'est simplement détestable d'entendre de tels propos dans la bouche d'un élu ! Pour ma part, comme vous le savez, j'ai la double nationalité italienne et suisse, et il est vrai que dans la culture du Sud, tout le monde possède une petite maison de famille: c'est toujours bien que les enfants puissent un jour bénéficier de ce modeste héritage - car on ne parle pas de villas somptueuses mais d'appartements où on a grandi, vécu, et qui se transmettent de génération en génération. Que dire ? Vous, la gauche, avez bloqué cette possibilité pour les classes moyennes de pouvoir accéder à la propriété, vous avez fait de Genève un canton de locataires puisque nous sommes 83% de locataires à Genève. J'ai dit !
M. Cyril Aellen (PLR). S'agissant de l'amendement sur le titre, j'aimerais juste rappeler qu'aujourd'hui déjà, un locataire a le droit de devenir propriétaire, il peut acheter tous les logements qui sont en vente, à une exception près, celui qu'il occupe lui-même. Dans ce cas, on lui dit: «Non, vous n'avez pas le droit d'acheter votre propre appartement, vous devez en trouver un autre ailleurs, dans un autre quartier, changer vos enfants d'école, les délocaliser.» Ce projet de loi consacre une nouvelle liberté dont le locataire pourra bénéficier, celle de rester dans l'appartement qu'il aime. Voilà pour le premier amendement. Concernant le deuxième, celui de M. Cerutti, on en a déjà largement discuté hier, et le PLR l'appuiera sans réserve.
Quant au dernier amendement, qui a été déposé aujourd'hui, j'aimerais faire deux remarques. Tout d'abord, le député Lefort considère que celui qui dit la moitié, soit celui de M. Cerutti, est incompréhensible et mérite d'être étudié en commission; mais celui dont on ne comprend plus rien et qui est totalement inapplicable, il n'y a pas besoin de l'examiner, n'est-ce pas ! Ensuite - et je m'arrêterai là, comme ça je n'aurai pris la parole qu'une seule fois pour l'ensemble des amendements - ce projet de loi ne concerne pas les nouveaux bâtiments comme dans les zones de développement, où il faut s'assurer que l'achat puisse être pérenne; ce qui compte surtout - et ça me surprend qu'on puisse être contre - c'est de s'assurer que des locataires puissent demeurer dans leur appartement. Pour cela, ils doivent être là depuis au moins cinq ans, et la prolongation de la durée demandée par le PDC est une bonne chose. Le reste, franchement, est totalement inapplicable, et vous le savez très bien, nous ne sommes pas dupes. (Quelques applaudissements.)
M. Ronald Zacharias (MCG). Je serai extrêmement bref. Cette demande d'amendement n'est ni plus ni moins que la généralisation de l'économie immobilière planifiée à Genève, voilà ce que veut la gauche ! Il n'y aura plus aucune zone de liberté, tout sera contrôlé: le prix, qui va habiter dans l'appartement et combien de temps, le montant auquel il pourra être revendu ou loué ensuite, tout ça fera l'objet d'un plan quinquennal ou décennal. Nous ne voulons pas de cette société-là à Genève en matière immobilière ! Voilà pour le premier point.
Deuxièmement, je m'insurge contre les mensonges et la manipulation mentale constante de cette gauche qui ose aujourd'hui encore parler de congé-vente ! Le droit fédéral du bail protège là-contre, tout comme le texte que nous avons déposé, qui vise, dans le cas où l'acquisition de l'appartement est offerte au locataire, à lui notifier préalablement la teneur du droit du bail en matière de protection contre le congé-vente, ce qui confère toutes les garanties possibles pour pouvoir subséquemment invalider un congé. Il n'y a pas de congé possible dans ce domaine avec ce projet de loi ! Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je cède la parole à M. Thierry Cerutti... qui renonce. Elle revient alors à Mme la députée Danièle Magnin.
Mme Danièle Magnin (MCG). Merci, Monsieur le président. Je voudrais juste revenir à cet argument fallacieux de la gauche selon lequel le fait de donner à un locataire le droit d'acheter son propre logement mettrait en péril celui des autres locataires qui ne voudraient pas quitter ni acheter le leur: je vous rappelle que, jusqu'aux sept-pièces, la LDTR protège les locataires et qu'on ne peut pas leur donner congé sauf motif très particulier. Cela reste en force, et ceux qui viennent dire qu'on ferait perdre leur bail aux personnes qui ne veulent pas acheter leur appartement ont un raisonnement qui ne tient pas la route parce que la loi ne le permet pas. Je sais que vous allez agiter cet argument si vous lancez un référendum, mais je vous annonce d'ores et déjà que c'est une erreur voire un mensonge.
M. Christo Ivanov (UDC). Le groupe UDC refusera les deux amendements déposés par le parti socialiste et se permet de sourire quant au second concernant l'article 39, alinéa 4, lettre e, puisque la gauche, qui ne manque pas de culot, reprend partiellement l'amendement de M. Cerutti, notamment le montant de 6900 F. De qui se moque-t-on ? Le groupe UDC soutiendra évidemment l'amendement du PDC.
M. Olivier Cerutti (PDC). Mesdames et Messieurs, en déposant cet amendement, j'ai peut-être voulu faire de la realpolitik - cette semaine, l'ancien chancelier allemand Schmidt est décédé, et c'est sans doute ceci qui m'amène à vous dire cela ! Pacifier le débat sur le logement est complexe, on l'a entendu et vu hier soir: nous sommes tous arrivés dans cette salle avec nos arguments et en sommes ressortis avec les mêmes arguments, nous avons difficilement évolué - si ce n'est que je retrouve certaines de mes formulations dans l'amendement déposé aujourd'hui par le parti socialiste ! A mon sens, pacifier ce débat passera par un seul moyen, à savoir construire. Mesdames et Messieurs, nous devons construire pour détendre la situation du logement à Genève, c'est la seule méthode ! Faisons-le intelligemment, faisons la paix sociale du logement, Mesdames et Messieurs, faute de quoi nous resterons toujours au point de départ. Je ne reviendrai pas sur les arguments qui m'ont permis de formuler cet amendement, je vous remercie simplement de le soutenir au moment du vote.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai été assez surpris par l'intervention d'un préopinant MCG qui, pas plus tard que dans quelques minutes, va dire que l'Etat doit instaurer un frein à l'endettement et un «personal stop». Pourquoi est-ce que je fais le lien avec ce projet de loi ? Parce que la situation du marché immobilier à Genève est malheureusement caractérisée par des prix très élevés: cela risque de placer certaines personnes dans des situations extrêmement difficiles si elles achètent leur logement parce qu'elles s'y sentent contraintes. Aujourd'hui, et on aura l'occasion d'en reparler tout à l'heure, on évoque le fait que la conjoncture économique est moins bonne qu'il y a un certain nombre d'années, le Conseil d'Etat annonce des coupes dans le personnel au sein de l'Etat, propose des économies et donc des suppressions de postes. Ceux qui auraient peut-être les moyens d'acheter un logement à un prix raisonnable, Mesdames et Messieurs les députés, avec la politique d'austérité imposée par votre majorité et le Conseil d'Etat, risquent de se retrouver d'ici quelques années dans une situation très compliquée.
La problématique du logement ne se limite pas au fait de devenir propriétaire de son appartement, il s'agit aussi de pouvoir le payer dans la durée. En effet, il ne faudrait pas oublier ce qui s'est passé il y a quelques années aux Etats-Unis dans une situation de bulle immobilière: c'est ce qu'on a appelé la crise des subprimes, qui a massivement détruit l'économie du monde occidental tout comme, en cascade, les recettes fiscales du canton de Genève. Ainsi, il ne faut pas sous-estimer les conséquences d'une vente de logement à un prix excessif. Pour ma part, je vois dans ce projet de loi, Mesdames et Messieurs les députés, et je tenais à ce que ce soit dit, une volonté des milieux immobiliers de se débarrasser de biens à des prix excessifs pour les refiler à des locataires qui n'auront ensuite pas les moyens de les payer. Nous ferons alors face à des cas de faillites, de poursuites, de loyers impayés - ah non, pardon, ils n'auront pas de loyer mais des banques à qui ils devront rembourser leur prêt ! Avec ce projet de loi, Mesdames et Messieurs les députés, cette situation peut arriver à Genève.
A cet égard, l'amendement des socialistes, rédigé par M. Christian Dandrès et Mmes Caroline Marti et Irène Buche, vise justement à préciser les conditions pour éviter la spéculation des milieux immobiliers tout en permettant l'acquisition de logements. Je ne vois donc pas pourquoi la majorité de droite, si elle oeuvre réellement à l'intérêt de personnes souhaitant acquérir le logement dans lequel elles habitent, refuserait cet amendement. Mais, une fois de plus, on voit bien que votre seul objectif est de faire de l'argent et de ne pas payer d'impôts. S'il y avait un peu de cohérence au sein de la droite - mais on devra certainement encore attendre longtemps ! - vous feriez comme pour le frein à l'endettement, vous préconiseriez que l'endettement maximal d'un ménage ne doit pas dépasser son revenu annuel puisque c'est ce que vous voulez imposer à l'Etat. Vous êtes incohérents: vous prétendez que les locataires n'ont qu'à emprunter pour payer des biens à des prix disproportionnés sans vous inquiéter des conséquences mais, quand il s'agit de l'Etat, non, non, non, ce n'est pas possible ! Mesdames et Messieurs les députés, si vous êtes de bonne foi et que vous ne voulez pas favoriser la spéculation immobilière, votez l'amendement socialiste ! (Quelques applaudissements.)
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Ce que je viens d'entendre dans cette salle de la part de M. Stauffer demande rectification: l'image bucolique de la petite maison que les parents possèdent et peuvent transmettre à leurs enfants, c'est bien joli mais ça veut dire qu'on devrait donner l'assistance publique et les prestations du SPC à toute personne dans cette république sans contrepartie, sans contrôle. Il est heureux qu'actuellement, les personnes qui en ont besoin aient l'opportunité de recevoir de l'argent comptant chaque mois, soit de l'aide sociale, soit du SPC, en hypothéquant leur bien immobilier dans lequel elles peuvent continuer à vivre tant que c'est possible, ce qui n'était pas le cas avant: à l'époque, soit les descendants ou les ascendants devaient payer directement, soit il fallait vendre et quitter la maison, avec le soutien de l'aide sociale pour boucler les fins de mois. Il y a eu entre-temps des accords de subsidiarité.
Ce que dit M. Stauffer, c'est que quand on possède un bien immobilier, on devrait aussi avoir un bouclier immobilier, que personne ne devrait pouvoir toucher à ce bien et qu'il n'est pas normal que d'aucuns doivent le vendre - ou, soyons plus corrects, l'hypothéquer - pour payer des frais d'EMS. Nous vivons plus longtemps; ma foi, si les gens n'ont pas de fortune pécuniaire, la maison fait office de bien qu'on doit pouvoir utiliser en cas de frais plus importants que ceux qu'on peut payer. Cette image bucolique, peut-être était-elle valable en Suisse il y a cinquante ans - et encore ! - mais elle ne l'est plus aujourd'hui, et je crois qu'on ne peut pas baser des arguments là-dessus pour soutenir une loi, faute de quoi on se retrouve à donner l'assistance publique et les prestations du SPC à tout le monde sans contrepartie.
M. Alberto Velasco (S). Mesdames et Messieurs les députés, ce que nous aimerions, quant à nous, c'est conserver le parc locatif genevois. Certains prétendent que c'est pour une question de business de l'ASLOCA; mais non, c'est parce qu'on ne veut pas que les gens soient obligés, pour se loger, d'acheter un appartement ! M. Stauffer a donné l'exemple des pays du Sud. Mais, Mesdames et Messieurs, le problème des pays du Sud, c'est qu'il y a très peu de locatif et que les gens, pour se loger, doivent acheter un logement et donc l'hypothéquer, et ils hypothèquent parfois leur vie ! Vous avez suivi les scandales en Espagne et dans d'autres pays, c'est ça le problème: beaucoup de personnes ne trouvent pas de locatif et sont obligées d'acheter. Or ici, nous avons un parc locatif qui offre aux citoyens un certain choix.
M. Cyril Aellen a dit une chose à laquelle je ne peux pas souscrire, à savoir qu'actuellement, un locataire ne peut pas acheter son logement. Si, Mesdames et Messieurs, il peut acheter son logement, à condition que 60% des habitants de l'immeuble soient d'accord. C'est donc faux, il peut l'acheter ! Il nous dit ensuite que si ce locataire veut devenir propriétaire, il faut qu'il achète un autre logement ailleurs. Non, Monsieur Cyril Aellen, il ne peut pas acheter ce même type de logement ailleurs puisqu'il n'y habite pas ! Il faudrait qu'il y habite et que, si le logement est à vendre par la suite, 60% des personnes de l'immeuble donnent leur accord à la vente, c'est inscrit dans la LDTR.
En outre, de nombreuses PPE sont sur le marché - j'ai les chiffres de l'année passée pour exemple: pratiquement la moitié des logements construits dans ce canton étaient des PPE ! Beaucoup de logements PPE sont ainsi construits à Genève, et il ne faut pas en plus attaquer le parc locatif qui, lui, est dévolu à des personnes aux revenus modestes - 60% des citoyens de notre canton ont un revenu tournant aux alentours de 60 000 F. Pour finir, j'aimerais reprendre l'exemple de la famille Alvarez - on aurait évidemment pu choisir un autre nom que celui-ci, qui n'est pas du tout stigmatisant, n'est-ce pas ? Mais enfin, soit. Où se situe la famille Alvarez, fait-elle partie des 60% ou 70% de revenus moyens de ce canton ? Parce qu'avec 8000 F de revenu, ça fait presque 100 000 F par année, ce qui ne correspond pas vraiment à la grande majorité des contribuables de ce canton.
Voici précisément le problème, Mesdames et Messieurs: vous vous adressez à une certaine catégorie de personnes qui ont tout juste la possibilité d'acheter. Voilà pourquoi nous disons qu'il est possible que ces gens achètent mais qu'ils vont ensuite relouer, ce qui nous fait alors entrer dans une spirale spéculative. Ce que nous voudrions, pour notre part, c'est conserver le parc locatif pour que les gens puissent se loger à un prix acceptable dans les conditions difficiles que l'on connaît aujourd'hui et que l'on va continuer à connaître parce que la situation financière se détériore dans tous les pays. Voilà, merci. (Quelques applaudissements.)
M. Christophe Aumeunier (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, la gauche nous offre une vision extrêmement caricaturale de ce projet de loi et de l'amendement PDC en disant au fond que tout propriétaire rêve de vendre; c'est parfaitement faux ! Aujourd'hui, 70% du parc locatif appartient à des caisses de pension, notamment celle de l'Etat, ou à des assurances. Vous pensez vraiment que tous les propriétaires privés veulent vendre alors que, sur le long terme, les revenus immobiliers sont réguliers, tiennent la route et sont très différents des revenus mobiliers ? La réponse est non, pas du tout. En réalité, vous dressez une caricature en laissant penser que l'ensemble des locataires genevois seraient menacés. Mais menacés de quoi, de congé-vente ? Il y a des protections extrêmement fortes contre les congés-vente, non seulement les dispositions du code des obligations mais également celles du code pénal, le locataire est donc parfaitement protégé.
Je ne parlerai ici que de l'amendement socialiste visant à intégrer dans ce projet de loi des dispositions liées à une loi qui entend réglementer l'acquisition des propriétés par étage en zone de développement. Mais ces dispositions ont été partiellement invalidées par les juridictions cantonales et sont portées devant les fédérales ! Il y a là un doux mélange entre la zone de développement et la zone ordinaire. Ces restrictions à la propriété que vous entendez apporter par cet amendement, à savoir l'obligation d'occuper, le contrôle du prix pendant dix ans et la contrainte s'agissant de la location, ne sont envisageables en zone de développement que parce que l'Etat soutient qu'il y a une contrepartie, ce que nous contestons d'ailleurs nous-mêmes. En effet, il y aurait en zone de développement une vraie contrepartie, à savoir un contrôle du prix du terrain, qui permettrait d'engager des restrictions à la propriété. Or on parle ici de zones ordinaires et il n'est pas question, au regard de l'ensemble des législations suisses et de la jurisprudence, d'imaginer ne serait-ce qu'une seconde de pareilles restrictions qui, si elles peuvent répondre à un intérêt public, celui de l'accession à la propriété, sont en revanche disproportionnées quant à la durée de contrôle et à l'obligation d'habiter; quant à leur applicabilité, elle est tout à fait déniée.
Au final, ces mesures agissent à fins contraires: qui aura envie d'acheter un appartement qu'il faudra absolument habiter faute de quoi il faudra demander au département l'autorisation d'aller travailler à l'étranger, respectivement d'y loger un membre de sa famille ? Qui aura envie d'acheter un appartement pour lequel un prix est maintenu pendant dix ans à un niveau contrôlé ? Plus personne ! Par le biais de ce projet de loi ainsi que de l'amendement PDC, que nous saluons ici, nous avons voulu permettre aux locataires en place de devenir propriétaires. A la Chambre genevoise immobilière, nous savons que beaucoup de locataires souhaitent accéder à la propriété, nous sommes consultés tous les jours à ce sujet. Les Genevois souhaitent devenir propriétaires, ne les en empêchez pas ! (Applaudissements.)
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je reste dubitatif quant aux arguments de l'Alternative. D'abord, on ne va pas forcer les gens à acheter leur appartement; si certains sont intéressés à l'achat, ils en feront la démarche eux-mêmes. Je crois que vous vous trompez: on n'est pas du tout dans la situation des années 90, que j'ai condamnée comme vous, on est dans une autre logique aujourd'hui. Pour commencer, il ne s'agit évidemment pas de parc locatif HLM, HBM ou LUP, il s'agit de logements avec des loyers libres, lesquels, si les taux d'intérêt augmentent, augmenteront également. Ceux qui décideront d'acheter leur appartement le feront parce qu'ils ont envie d'y rester à l'avenir et qu'ils en ont certainement les moyens, ils ne le feront pas pour essayer de trouver tout de suite après une location ailleurs ou pour le revendre, ça n'a pas d'intérêt. La personne en tant que telle doit obtenir un crédit hypothécaire, dont les taux sont aujourd'hui extrêmement bas - 1% à 1,5% - et restent fixes pendant environ dix ans. Elle va être protégée pendant toute cette période, donc je ne pense pas non plus qu'on se retrouve dans le cas de figure qui a été décrit tout à l'heure, à savoir la problématique des subprimes - je ne me souviens plus qui en a parlé, mais c'était du côté des bancs de l'Alternative. Vous êtes complètement à côté de vos pompes, on n'est pas dans cette logique-là ! L'exemple du fameux Alvarez est typique parce que c'est quelque chose qui est susceptible d'arriver, mais on ne va pas se retrouver tout à coup avec des centaines de personnes qui voudront acheter leur appartement et faire de la spéculation. Non, on n'est pas dans ce cas de figure et il y a de toute façon des cautèles dans la loi qui vous est proposée pour empêcher cela. Vous vous trompez complètement !
Malheureusement, c'est idéologique chez vous: dès qu'on parle de vente, vous tremblez, vous avez peur que toute une série d'appartements soient mis en vente et les gens qui les habitent jetés à la rue. Mais pas du tout: ce sont bien ceux qui les louent et vivent dedans aujourd'hui qui voudront éventuellement, du moins pour certains d'entre eux, les acheter. Ça ne changera rien au marché actuel du logement, il n'y aura pas davantage de gens en train de faire la queue pour chercher un appartement, parce que personne ne sera mis dehors, ni celui qui achète, ni les autres, qui n'auront pas l'obligation d'acheter. Aussi, je crois que vous n'êtes pas dans la bonne logique; évidemment, ça vous arrange parce que vous voulez faire un référendum, mais faites-le ! Faites-le et le peuple tranchera, et je pense qu'il vous donnera tort parce que des cautèles existent et qu'on n'est pas dans la logique précédente, où on voulait effectivement forcer les gens en disant: «Vous achetez votre appartement ou vous partez parce que quelqu'un d'autre va me l'acheter à un prix plus élevé !» Ce n'est pas ce que nous souhaitons, nous voulons juste donner la possibilité à ceux qui habitent aujourd'hui dans des appartements à loyer libre - probablement relativement chers - de pouvoir les acheter et se retrouver finalement avec une charge locative, à travers les intérêts de la banque, moins importante. Voilà l'objectif, ce n'est pas autre chose, et je pense que vous vous trompez.
Une voix. Bravo, Daniel ! (Quelques applaudissements.)
M. Christian Dandrès (S). Mesdames et Messieurs les députés, l'intervention de M. Aumeunier rend indispensable le rappel d'un fait, à savoir que la disposition de la LDTR sur la protection contre les ventes à la découpe ou les congés-vente ne s'applique qu'en période de pénurie de logements. Il n'y a pas de mécanisme général qui empêche un locataire d'acheter son appartement si le propriétaire souhaite le vendre lorsqu'il n'y a pas de pénurie de logements. La contrepartie dont parlait M. Aumeunier, c'est que dans des situations comme celle-ci, où les loyers peuvent prendre l'ascenseur et les propriétaires, seuls maîtres à bord, dictent leurs conditions, il faut des mécanismes de protection des locataires, et c'est ce que prévoit la LDTR. Le jour où le canton aura permis la construction de suffisamment de logements destinés aux personnes qui en ont le plus besoin - je rappelle que plus de 70% de la population n'a pas les moyens de devenir propriétaire - cette disposition tombera. C'est un fait absolument essentiel que personne ne peut contester. A partir de ce moment-là, avec le projet de loi de M. Zacharias, on affaiblit ce dispositif et on fait courir le risque que le propriétaire impose ses conditions économiques au locataire, ceci également s'agissant de l'achat en tant que tel.
On nous a indiqué que les congés-vente étaient actuellement prohibés par le code des obligations; c'est juste. Mais vous verrez à la lecture du rapport, notamment dans les annexes produites, que les bailleurs sont aujourd'hui un peu plus intelligents qu'ils n'ont pu l'être à l'époque - il faut dire aussi que la loi leur a imposé cette réflexion. Ils ne vont pas dire: «Nous résilions le contrat de bail si vous n'achetez pas», mais «nous allons résilier le contrat de bail parce que nous souhaitons vendre à un tiers, mais, si vous voulez acheter l'appartement, vous pouvez le faire». Ou, pire encore, ils font signer un contrat à terme fixe, non renouvelable, et à la fin de l'échéance - c'est ce qu'on constate aujourd'hui - ils placent le locataire devant le choix péremptoire d'acheter ou de quitter les lieux. Voilà la réalité que l'on rencontre aujourd'hui dans la pratique à Genève.
Pour lutter contre ces mécanismes, il faut mettre en place des instruments de régulation, que l'on trouve d'ailleurs dans la loi actuelle. Le département puis, cas échéant, les juges doivent opérer une pesée des intérêts entre l'intérêt public, très important, de préserver le parc immobilier locatif pour que les gens puissent se loger - je vous rappelle qu'il manque 10 000 logements à Genève au minimum - et l'intérêt privé. La proposition de M. Cerutti va dans le bon sens - nous l'en remercions - parce qu'elle aborde uniquement la question du prix, ce qui limite la spéculation de ce point de vue. Vous relèverez tout de même que le plafond est fixé sur la base de la moyenne des prix pour les logements neufs. 6900 F coïncident avec la statistique pour des logements neufs en zone de développement alors qu'on parle ici d'appartements qui ne sont pas neufs par essence. C'est donc déjà un geste assez généreux en faveur du propriétaire, car je ne pense pas que le locataire ait son mot à dire sur la question du prix de vente.
Mais cet amendement ne va pas assez loin; je pense pour ma part qu'il faut aller au-delà afin d'éviter de retrouver, dans le cadre du parc immobilier locatif ancien, les mêmes travers qu'on a eu l'occasion de dénoncer ici s'agissant des nouveaux immeubles, notamment à La Tulette. Dans ce cas-là, le conseiller d'Etat Longchamp, et je salue la démarche qui avait été la sienne, avait mis en place un dispositif, récemment validé par la Cour de justice lorsqu'elle a examiné l'initiative qui reprenait son texte. Ce que je propose, avec mon amendement, c'est de reprendre le même système - on espère vraiment que la population votera ce régime de protection voulu par M. Longchamp qui, je le souligne, est un magistrat PLR - et de garantir ainsi aux locataires en place le même régime de protection dans des logements existants, anciens. Je pense que c'est là un élément indispensable pour éviter que le vice de la spéculation ne réémerge, une spéculation qui, en 1985, a mené aux conséquences qu'on a connues par la suite. Voilà pourquoi notre amendement est sain, il s'appuie sur un dispositif éprouvé et validé par le Tribunal fédéral.
J'aimerais encore relever la remarque de M. Stauffer concernant la cigale et la fourmi. Personnellement, j'aime les fables; mais, en l'occurrence, c'est vous qui soutenez cette fable-là, et c'en est véritablement une. En effet, si vous prenez comme exemples des budgets de Caritas ou du Centre social protestant, une personne qui touche 8000 F par mois dispose en tout et pour tout - et c'est une personne très économe, qui n'a pas d'enfants - de 1000 F par année pour partir en vacances. Imaginez-vous combien de temps il lui faudra économiser pour bénéficier des fonds propres nécessaires à l'acquisition d'un logement qui répondrait au prix que vous avez vous-mêmes évalué à 100 000 F et qui est très largement surfait !? Non, on ne peut pas jouer avec certaines vérités sociologiques, et la vérité sociologique de base, c'est qu'une partie écrasante de la population ne peut pas accéder à la propriété et le peut d'autant moins aujourd'hui que la Banque nationale a, fort heureusement, mis en place un certain nombre de cautèles pour éviter qu'on ne se retrouve dans la même situation que celle que nous avons connue et qui a coûté pas loin de 2 milliards de francs aux contribuables - 2 milliards de francs qui ne sont pas partis en fumée mais dans la poche des personnes ayant spéculé à l'époque. Il est absolument essentiel que ce phénomène ne se reproduise pas, mais cela signifie qu'on ne peut pas étendre à l'infini le nombre de personnes qui pourraient faire l'acquisition de leur logement ou d'un logement neuf.
Ma proposition consiste donc à mettre en application les principes de la loi Longchamp - on espère qu'elle sera acceptée sous forme d'initiative par la population - à l'intention des locataires existants, qui ont droit à autant de protection que les futurs habitants. Je rappelle que le dispositif en question n'existera que tant que la pénurie frappera; une fois que la pénurie n'existera plus à Genève, ces mécanismes tomberont et le marché pourra fonctionner librement.
Un dernier mot encore sur les propos de M. Zacharias qui, de temps en temps, est hanté par certains esprits maccarthystes, surtout lorsqu'il explique que la gauche, en voulant une planification générale, est mue par une approche bolchevique. On sait bien que le MCG déteste la planification au point même de refuser le plan directeur cantonal et de plonger la population genevoise dans une situation de pénurie encore plus aiguë, mais, en l'occurrence, dans une situation comme celle-ci et sans régulation, avec la pénurie et la spéculation que vous avez vous-mêmes dénoncées, vous allez revoir apparaître la situation que nous avons connue en 1985...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Christian Dandrès. ...et que nous avons déplorée. Le groupe socialiste vous demande d'accepter cet amendement. (Applaudissements.)
M. Rémy Pagani (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai dit hier soir que l'amendement de M. Cerutti allait dans le bon sens. En écoutant les prises de position des uns et des autres, notamment de la majorité qui semble se dessiner s'agissant de cet amendement, je ne comprends pas pourquoi l'amendement proposé par le parti socialiste ne recueille pas son assentiment. En effet, ce qui y est notamment demandé - j'ai bien écouté M. Sormanni - c'est d'empêcher toute spéculation et d'établir une sorte d'équilibre entre celui qui offrira l'appartement et le locataire acheteur. M. Dandrès, qui pratique tous les jours sur le terrain, se rend bien compte que le texte de M. Cerutti, tel que proposé, permettra toutes les affres dans lesquelles nous nous sommes retrouvés et nous retrouvons encore s'agissant des appartements en vente, qui sont pléthore dans notre canton.
Je rappelle que le problème principal, c'est la création de logements; or ce type de projet de loi ne crée aucun logement. L'objectif de M. Zacharias, et il l'a dit très clairement - je soupçonne peut-être un peu moins le PDC, encore que le PLR, dans son opposition à la loi Longchamp, ait par exemple soutenu La Tulette - est de s'attaquer au socle de logements aujourd'hui occupés par des locataires qui, avec leur loyer, ont fait quasiment bloquer leur prix parce qu'ils y habitent depuis trente, quarante, cinquante voire soixante ou septante ans pour certains. Ce qui intéresse M. Zacharias, c'est de débloquer ce socle de logements et d'inviter à la spéculation tous les propriétaires, tout comme l'amendement proposé par les démocrates-chrétiens invite encore à la spéculation. Nous le dénonçons et nous continuerons à le dénoncer !
Cela étant, Mesdames et Messieurs, le débat sur les bureaux, le débat sur le PAV et celui d'aujourd'hui visent simplement à cacher le fait que vous ne voulez pas favoriser les zones de développement, vous entravez les processus quand il s'agit de déclasser des terrains - on l'a vu avec la Chevillarde ou les Communaux d'Ambilly. Tout ça est connu mais, malheureusement, vous êtes suffisamment armés au niveau de la presse pour faire passer ce genre de pratiques indignes de la part de personnes qui ont toutes inscrit dans leurs promesses électorales la volonté de développer le logement et le logement social en particulier. Aujourd'hui, vous le savez très bien, la quasi-majorité des constructions est constituée de propriété par étage, laquelle demeure inaccessible à la majeure partie de la population. Nous le dénonçons et nous continuerons à le dénoncer, notamment lors de la campagne référendaire qui aura lieu sur cet objet, comme aura d'ailleurs lieu une campagne référendaire par rapport à La Tulette et à la loi Longchamp. Je vous remercie de votre attention.
M. Roger Deneys (S). J'aimerais brièvement compléter les propos de mon préopinant socialiste. Franchement, Mesdames et Messieurs les représentants du MCG, n'essayez pas de nous faire croire ce soir que les milieux immobiliers genevois sont animés par des sentiments d'intérêt général et font quasiment de l'humanitaire ou de la philanthropie ! N'essayez pas de nous faire croire ça, ni à la population genevoise. Nos craintes viennent bien de ce que nous constatons à Genève depuis de nombreuses années, et ce n'est pas un fantasme, c'est la réalité ! Les lois ont dû être renforcées parce que la réalité a malheureusement montré que les milieux immobiliers avaient des pratiques véritablement discutables, qui se faisaient au détriment de personnes n'ayant pas de revenus suffisants. Voilà le principal problème, et c'est ce qui pousse les socialistes à demander des garanties supplémentaires pour vérifier votre bonne foi.
L'autre chose, Mesdames et Messieurs les députés, et il faut insister là-dessus, c'est que ce projet de loi, en augmentant le nombre de logements en propriété, a simplement pour conséquence automatique de réduire le nombre de logements en location, ce qui signifie que si cette loi est adoptée, il va falloir réviser les paramètres qui régissent les zones de développement parce que le rapport entre propriété privée et logement locatif au sein de celles-ci sera remis en question.
M. François Lefort (Ve). Je suis un peu étonné de constater que la majorité qui soutenait ce projet de loi défend maintenant l'amendement du PDC, lequel réduit la liberté actuelle donnée à un locataire par la LDTR d'acheter son appartement sous certaines conditions. (Remarque.) Mais oui, Monsieur Aellen, ça vous a été rappelé par plusieurs intervenants: la loi prévoit déjà pour un locataire la possibilité d'acheter son appartement sous certaines conditions ! Or cet amendement va réduire cette liberté. C'est à se demander si certains ne sont pas prêts à tout ce soir uniquement pour l'ivresse de la victoire - une petite victoire, somme toute - et pour se donner l'illusion d'une réussite idéologique.
Parce que la vraie conséquence de cet amendement PDC, c'est que la possibilité d'achat sera réduite aux seuls locataires vivant dans des appartements au prix inférieur à 6900 F le mètre carré. Il est quand même curieux, de la part de personnes qui soutenaient initialement une liberté d'achat totale, de proposer maintenant de passer du cadre rigide de la LDTR qu'ils dénonçaient à un cadre encore plus rigide ! Il est possible que je n'aie pas la bonne compréhension de cet amendement puisque ce n'est pas la même que celle de tout à l'heure, ce qui illustre bien une tournure alambiquée qui dit tout et son contraire. Ce que je viens de vous décrire, c'est une autre interprétation possible de cet amendement PDC, ce qui prouve une fois de plus qu'il a sans doute été écrit d'une plume rapide et trop légère.
Mme Marion Sobanek (S), députée suppléante. Mesdames et Messieurs de la droite, vous faites appel au rêve en laissant croire aux gens qu'il leur sera possible d'acheter leur logement, alors que ce n'est pas le cas. Reprenons votre exemple de M. Alvarez avec ses 8000 F par mois: est-il capable d'économiser dans un laps de temps assez court les 139 000 F de fonds propres qui lui seront nécessaires pour acquérir son appartement ? On ne se fait pas d'illusion: le prix des appartements ne sera pas calculé sur leur valeur réelle mais bien sur celle du marché, et on sait très bien que le marché immobilier à Genève est en surchauffe et qu'on va obligatoirement en exiger un prix trop élevé.
Imaginez que, par miracle, M. Alvarez ait à disposition les 140 000 F de fonds propre: à un moment donné, les intérêts vont augmenter et il ne pourra plus les payer; il va alors décider de mettre en location son logement, lequel était peut-être loué avant pour 1600 F par mois et dont le loyer sera évidemment bien plus cher après, ce qui va conduire à une raréfaction des appartements bon marché. Ne faites donc pas croire que nous voulons empêcher les gens d'habiter dans un appartement avec un loyer acceptable, c'est faux. Ce que vous allez faire, avec ce projet de loi, c'est tout simplement réduire l'éventail de l'offre d'appartements bon marché. Il faut à tout prix éviter cela et donc accepter les amendements du parti socialiste. Merci beaucoup.
M. Cyril Mizrahi (S). Je veux juste compléter les propos de mes préopinants socialistes s'agissant de la famille Alvarez, qui a un revenu de 8000 F par mois; même si elle a pu mettre de côté l'argent pour l'achat d'un cinq-pièces, la banque lui refusera un prêt justement à cause du taux théorique, qui constituerait un effort beaucoup trop important par rapport à un revenu de 96 000 F par année. Vous vendez effectivement du rêve ! Merci.
Mme Irène Buche (S), rapporteuse de minorité. J'aimerais tout d'abord revenir sur la déclaration de M. Aellen de tout à l'heure, qui disait que dans le cadre de la loi actuelle, un locataire en place ne peut pas acheter son logement; c'est faux, l'article 39, alinéa 3, le permet, et l'arrêt du Tribunal fédéral du 5 août 2015 l'a rappelé: il faut faire une pesée des intérêts, et la vente est possible si l'intérêt privé l'emporte sur le public. Il n'est donc nul besoin de changer la loi pour qu'un locataire en place puisse acheter son appartement.
Maintenant, si vous voulez modifier ce paradigme, changer le système et supprimer la pesée des intérêts, comme c'est le cas dans ce projet de loi, en rendant cette condition obligatoire, à savoir que la lettre e obligera le département à délivrer l'autorisation de vente, il faut à ce moment-là inscrire des conditions strictes pour éviter la spéculation. L'amendement PDC était un premier pas dans ce sens, mais hélas insuffisant, car ce projet de loi ouvre la porte à toutes les dérives, comme elles existent déjà - il est naïf de penser que les congés-vente ont totalement disparu, ils se font simplement sous d'autres formes.
L'amendement socialiste vise à donner des garanties au locataire afin qu'il ne soit pas mis devant le choix sans alternative de partir ou d'acheter, notamment en prévoyant qu'il faut un contrat de durée indéterminée pour que la vente soit possible. Et puisque le but est de permettre au locataire d'acheter son appartement pour continuer à y vivre, il n'est pas problématique d'imposer une obligation d'habiter. Si vous êtes si soucieux que ça d'éviter la spéculation, vous devriez voter notre amendement sans hésiter, et c'est ce que je vous invite à faire. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame le rapporteur. Je vais maintenant lancer la procédure de vote...
M. Roger Deneys. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, c'est le cas. Nous allons commencer par nous prononcer sur l'amendement de Mme Marti consistant à remplacer, dans le titre, «(Plus de liberté pour les locataires)» par «(Plus de liberté pour les propriétaires immobiliers)».
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 59 non contre 33 oui (vote nominal).
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.
Le président. Nous passons aux deux amendements à l'article 39, alinéa 4, lettre e...
Mme Caroline Marti. Vote nominal !
Le président. Est-ce que vous êtes soutenue, Madame ? (Plusieurs mains se lèvent. Remarque.) D'accord, tous les votes seront nominaux. Mesdames et Messieurs, je vous soumets en premier lieu l'amendement le plus éloigné, c'est-à-dire celui du groupe socialiste, dont je vous rappelle le contenu:
«Art. 39, al. 3 (abrogé) et al. 4, let. e (nouvelle teneur)
e) est acquis par un locataire souhaitant librement acheter l'appartement qu'il occupe effectivement depuis 5 ans au moins, au bénéfice d'un contrat à durée indéterminée non résilié au moment de la vente et à qui la teneur de l'article 271a, al. 1, let. c CO (protection contre le congé-vente) a été notifiée.
Dans ce cas, le prix de vente au mètre carré PPE doit correspondre au besoin prépondérant d'intérêt général mais ne peut pas dépasser 6900 F, montant indexé annuellement à l'indice genevois des prix à la consommation.
Le logement acheté doit être occupé par son propriétaire, sauf justes motifs agréés par le département. Sont notamment considérés comme des justes motifs les circonstances imprévisibles au moment de l'acquisition du logement, soit, notamment, le divorce des acquéreurs, le décès, la mutation temporaire dans un autre lieu de travail ou un état de santé ne permettant plus le maintien dans le logement.
En cas de revente dans les 10 ans qui suivent l'acquisition, le prix du mètre carré PPE est calculé selon les critères prévus au paragraphe 2.
Si le logement est loué par l'acquéreur dans les 10 ans qui suivent l'acquisition, son aliénation ne peut en principe plus être autorisée, durant la même période, en application de l'article 39, al. 4, let. d, de la présente loi.
Afin de prévenir le changement d'affectation progressif d'un immeuble locatif, le requérant doit obtenir que 60% des locataires en place acceptent formellement cette acquisition. Les locataires restant dans l'immeuble devront obtenir la garantie de ne pas être contraints d'acheter leur appartement ou de partir.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 59 non contre 34 oui (vote nominal).
Le président. A présent, je vous invite à vous exprimer sur le second amendement à l'article 39, déposé par M. Olivier Cerutti et que voici:
«Art. 39, al. 3 (abrogé) et al. 4, let. e (nouvelle teneur)
e) est acquis par un locataire souhaitant librement acheter l'appartement qu'il occupe effectivement depuis 5 ans au moins et à qui la teneur de l'article 271a, alinéa 1, lettre c CO (protection contre le congé-vente) a été notifiée. Dans ce cas, le prix de vente du mètre carré PPE ne peut dépasser 6900 F, montant indexé annuellement à l'indice genevois des prix à la consommation, et les locataires restant dans l'immeuble doivent également obtenir la garantie de ne pas être contraints d'acheter leur appartement ou de partir.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 59 oui contre 18 non et 15 abstentions (vote nominal). (Commentaires pendant la procédure de vote.)
Mis aux voix, l'art. 39, al. 3 (abrogé) et al. 4, let. e (nouvelle), ainsi amendé est adopté.
Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que l'art. 2 (souligné).
Troisième débat
La loi 11408 est adoptée article par article en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 11408 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 61 oui contre 34 non (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)