Séance du
jeudi 19 février 2015 à
20h30
1re
législature -
2e
année -
2e
session -
10e
séance
M 2244 et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Les trois propositions de motions 2244, 2245 et 2246 sont en catégorie II, cinquante minutes. Je passe la parole à M. Olivier Cerutti, auteur de ces textes.
M. Olivier Cerutti (PDC). Merci, Monsieur le président. Ces trois propositions de motions ont été rédigées pour combattre la pénurie de logements par une utilisation rationnelle du sol. C'est une invite au Conseil d'Etat, mais c'est aussi un soutien à celui-ci, dans la perspective d'essayer de trouver des solutions. Avec un taux de vacance de 0,39%, la crise du logement qui frappe Genève depuis des décennies est plus vive que jamais. Cette situation remet notamment en question la paix du logement et conduit à des tensions: sous-locations abusives, pressions à la hausse sur les loyers, défaut d'entretien. Ces tensions pourraient être évitées si le marché était plus équilibré. Par ailleurs, la croissance économique dont bénéficie Genève devrait impliquer une capacité d'accueil pour les employés d'entreprises en développement ou qui s'installent ici. Or, l'incapacité à les loger touche grandement les finances publiques pour lesquelles des années difficiles s'annoncent déjà. Le constat est le même s'agissant de l'économie locale: la consommation des ménages constitue 70% du produit intérieur brut. Enfin, les Genevois qui souhaitent changer de logement souffrent tout particulièrement de la pénurie qui les plonge souvent dans une grande difficulté. Citons à cet égard les jeunes en âge de quitter le nid familial, les couples dont les familles s'agrandissent, ou encore les aînés qui déménagent volontiers si le marché du logement leur en offre la possibilité.
Nous rappelons avec force les engagements pris par les autorités au cours de ces dernières années, parmi lesquels le projet d'agglomération et sa charte spécifique, qui prévoit de construire beaucoup plus de logements à Genève. Nous soulignons à cet égard le silence de l'exécutif suite à sa réponse à une motion adoptée récemment par le Grand Conseil concernant le déclassement de la zone agricole enclavée, située en zone périurbaine, appelée à accueillir de grands projets urbanistiques. Nous déplorons enfin le retard pris dans la concrétisation de projets d'envergure tels que les quartiers des Communaux d'Ambilly ou des Cherpines. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, Mesdames et Messieurs: depuis 2009, les autorisations de construire sont en baisse.
Il faut des pistes pour sortir de la crise. Que visent ces trois motions ? Elles invitent le Conseil d'Etat à fournir au Grand Conseil des données précises concernant l'ampleur des propriétés foncières de l'Etat, des communes, des établissements de droit public et des fondations immobilières de droit public, ainsi que le potentiel de changements d'affectation desdits biens afin d'étudier la possibilité de construire des logements, la possibilité de créer de nouveaux logements via la surélévation, des agrandissements et des transformations d'immeubles appartenant à l'Etat, aux communes et aux établissements de droit public; la possibilité, enfin, de construire sur les terrains non bâtis, propriétés de ces entités, à savoir Etat, communes, fondations de l'Etat. Le Conseil d'Etat, par conséquent, est prié de fournir au Grand Conseil une liste des biens immobiliers indiquant notamment l'affectation et les surfaces. C'est sur la base de cette invite que je propose aux membres du Grand Conseil de renvoyer ces trois motions à la commission d'aménagement du canton afin d'en prendre connaissance et d'en discuter. Je vous remercie de votre intérêt.
M. Christian Dandrès (S). Mesdames et Messieurs les députés, je salue la volonté tout au moins annoncée par M. Cerutti de lutter contre les loyers abusifs. J'y vois une forme de conversion, et j'espère qu'elle durera. Il y a toutefois un regret: on aurait aimé que l'utilisation rationnelle préconisée par ces trois propositions de motions puisse aussi s'appliquer aux terrains qui ne sont pas propriétés des collectivités publiques, aux terrains privés. On peut donc regretter que la majorité qui a signé ces trois textes ait fait quelques choix différents, notamment concernant les Corbillettes, à propos desquelles M. Genecand s'était fait le chantre des vertus d'un urbanisme chaotique - c'étaient ses propos - sachant que sans zone de développement, il n'y aura pas d'application de la loi 10965, il n'y aura pas d'utilisation rationnelle du sol. Nonobstant ces paradoxes, ces motions permettront néanmoins un certain nombre de réponses du Conseil d'Etat sur sa politique foncière, et donc de pouvoir nourrir le débat sur la mise en oeuvre du plan directeur cantonal. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste acceptera le renvoi en commission de ces trois objets.
M. Rémy Pagani (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les conseillers... les députés ! (Exclamation.) Je suis quand même étonné qu'en l'espace d'une demi-heure, le discours des uns et des autres change ainsi de pôle. On nous dit aujourd'hui qu'on veut utiliser rationnellement le terrain à disposition, avoir la liste - que par ailleurs on connaît - des terrains, des potentialités; et en même temps, l'affaire des Corbillettes a été renvoyée une ixième fois en commission pour un avis juridique qui nous dira la même chose que ce que nous pensions, tout au moins une minorité, à savoir que pour construire convenablement, il faut déclasser des terrains, il faut des PLQ, il faut de la zone de développement: jusqu'à maintenant, c'est le seul et unique moyen stratégique qu'on a trouvé pour urbaniser notre canton. Tout ça est un écran de fumée ! On veut bien aller une ixième fois en commission expliquer combien l'Etat a de possibilités; on s'apercevra peut-être que dernièrement, notamment avec un conseiller d'Etat qui vous est cher, M. Mark Muller, on a construit des logements en PPE sur des terrains de la collectivité, ou on a tenté de le faire, Mesdames et Messieurs: on y a construit des logements en PPE qui permettent à certains d'accaparer ces appartements, comme nous l'avons dénoncé tout à l'heure. Ce serait peut-être intéressant de le vérifier, mais j'imagine que les commissaires de la majorité actuelle, qui se targue de vouloir construire du logement, n'iront pas mettre leur nez sur ces pratiques parfaitement inadmissibles, inadmissibles parce que ces terrains appartiennent à la collectivité et devraient servir aux besoins de la majorité de la population. Or, on sait que la population ne peut - c'est malheureusement la réalité - payer qu'entre 3600 F et, soyons généreux, 5800 F la pièce par année, ce qui signifie déjà largement précariser des couples qui s'aventurent à payer des loyers qui leur sont extorqués. Voilà, Mesdames et Messieurs, on attend de voir, une fois de plus, mais en définitive, on ne verra rien sur la zone de développement, parce que certains refusent de la densifier contrairement aux besoins de la majorité de la population, que nous soutenons. Je vous remercie de votre attention.
Mme Christina Meissner (UDC). Je m'exprimerai sur ces trois propositions de motions du PDC, qui invitent le Conseil d'Etat à élaborer et à mettre en oeuvre une politique encourageant une utilisation rationnelle du sol. L'intention est louable; j'ose espérer qu'après avoir fait le plan directeur cantonal et essayé de déterminer toutes les zones qui pouvaient en effet être utilisées de manière rationnelle pour la construction de logement, le Conseil d'Etat a compris le message. Est-il besoin qu'on en rajoute une couche au parlement ? J'ai des doutes. L'intention est louable, mais le travail demandé est un labeur de Sisyphe, énorme, puisque ces motions demandent la liste des biens immobiliers, du patrimoine détenu par l'Etat, mais aussi ce que détiennent les communes, les fondations immobilières, et j'en passe.
J'aimerais signaler au PDC que dans quasi toutes les fondations des communes - certes peut-être pas à Vernier - ils ont des représentants qui, eux, ont accès à ces informations. Je peux vous le dire, je suis dans une telle fondation, celle des maisons communales de Vernier, ainsi que dans une fondation immobilière, celle pour le logement et l'habitat coopératif: dans les deux cas, nous avons ces listes, nous connaissons les biens, nous savons comment ils sont utilisés, et pourquoi on fait telle ou telle chose dessus. Le travail est donc fait, l'information existe, mais allez la demander à vos représentants politiques présents justement dans ces fondations immobilières, ou alors je me dirai qu'on a véritablement commis une erreur en laissant des politiques dans ces fondations. (Commentaires.) C'est une question d'organisation dans les partis !
Cela étant, je rappellerai que des listes, on en a demandé, n'est-ce pas, Monsieur Deneys ? Par exemple sur les locations de l'Etat, vous vous souvenez ? La liste de toutes les locations de l'Etat, de leur coût, etc. Finalement, nous les avons obtenues, et nous remercions le Conseil d'Etat d'avoir fait exhaustivement ce grand travail, mais au-delà de ça, que s'est-il passé ? On s'est rendu compte qu'à un moment donné, c'était surtout une question de moyens, et que l'office des bâtiments n'avait pas forcément ceux de mener la politique qu'on lui demandait. Vous êtes en train de demander de construire du logement à Genève, certes, mais finalement, tout le problème à Genève, c'est qu'on arrive aux limites extrêmement contraignantes de notre territoire, comme vous l'avez vu avec les accidents pour risques majeurs, le transport de chlore, j'en passe et des meilleures, et je pense qu'on n'a pas encore tout vu en la matière. Voilà donc les risques et les problèmes que nous avons pour construire du logement à Genève. Alors oui, nous renverrons ces objets en commission pour que le conseiller d'Etat puisse encore une fois nous répéter à quel point c'est difficile de construire à Genève - et pas seulement pour une question de propriétaires privés, n'est-ce pas !
M. Jean-François Girardet (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ces trois motions présentées par le PDC ont certainement une grande valeur, puisqu'elles s'attaquent à la pénurie du logement et voudraient proposer au Conseil d'Etat de faire un inventaire et de réfléchir à toutes les possibilités qui existent dans le canton, notamment grâce aux propriétés des communes, de l'Etat et éventuellement aussi des fondations immobilières de droit public. J'imagine que quand les hauts fonctionnaires, sous la direction du Conseil d'Etat, ont préparé le plan directeur cantonal, ils ont eu l'idée de procéder déjà à cet inventaire et de préparer des plans en vertu de ces constats, pour éventuellement pouvoir dynamiser la construction dans le canton. Cela part d'un bon sentiment, nous ne nous opposerons pas à un renvoi à la commission d'aménagement du canton, nous regrettons simplement qu'une motion soit à nouveau renvoyée en commission, qu'on travaille à nouveau sur cet inventaire alors que c'est précisément le but d'une motion que d'être renvoyée directement au Conseil d'Etat pour qu'il nous rende un rapport dans les six mois. Mais puisque même les motionnaires demandent que nous étudiions ces textes en commission, faisons le travail pour les fonctionnaires du département de l'aménagement, puis on renverra ces trois motions aux fonctionnaires qui nous renverront un rapport... Bref, on est à nouveau en train de faire du travail de singe, à mon sens; c'est peut-être un jugement de valeur sur ces trois motions, mais enfin allons-y, et peut-être que le mieux serait de se mettre au travail et de commencer à construire ! Je vous remercie donc de renvoyer ces trois propositions de motions à la commission d'aménagement, comme cela a été proposé par les motionnaires.
M. Mathias Buschbeck (Ve). L'essentiel a été dit. On a un peu l'impression d'avoir des motions «bonne conscience», comme si aujourd'hui c'était un inventaire qu'il fallait pour construire à Genève. Nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission, en espérant que lorsque les motionnaires auront les réponses à leurs questions, ils pourront retirer ces textes. Je vous remercie.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je remercie les députés qui ont écrit ces trois motions, car ils posent un constat très important et partagé: on ne construit pas assez dans notre canton, nous sommes dans une situation de pénurie chronique depuis une quinzaine d'années. Ils posent aussi le postulat non dénué d'intérêt qu'il revient à l'Etat et aux pouvoirs publics en général - car ces trois textes ne touchent que des organismes publics - de construire du logement. Je trouve ce postulat intéressant parce que les mêmes motionnaires nous ont plutôt habitués, dans d'autres textes, au discours selon lequel ce n'est pas tant à l'Etat de construire mais au secteur privé; ces mêmes signataires ont même rédigé un projet de loi qui vise à supprimer le fonds LUP qui, comme vous le savez, est le principal instrument de l'Etat pour construire à Genève. Puisque c'est votre souhait, nous allons bien évidemment établir des listes. Il faudra affecter un nombre important de journées-collaborateur pour mener l'ensemble du travail demandé. Au niveau de l'Etat, on a déjà ces informations, il faudra les compiler avec celles des fondations immobilières, et - plus compliqué encore - avec celles des quarante-cinq communes. Mais au fond, pourquoi ? Mesdames et Messieurs, la politique foncière de l'Etat, à part les 35 millions malheureusement attaqués aujourd'hui par un projet de loi, est principalement consacrée au génie civil, soit les infrastructures de transport, et aux bâtiments administratifs, que ce soient nos écoles, les centres hospitaliers, les prisons, les postes de police, etc. L'Etat n'a donc pas pour vocation première d'acquérir du foncier pour créer du logement, et par conséquent, vous serez relativement déçus de la liste que l'Etat pourra fournir sur ses propres biens. Evidemment, il en va tout autrement des listes des fondations immobilières: ces fondations immobilières publiques se développent, possèdent des biens fonciers sur lesquels elles doivent construire; mais comme cela a été dit par la députée Meissner, vous avez tous des représentants au sein de ces fondations, des rapports annuels existent et vous pouvez facilement accéder à ces informations. On pourra cependant compiler cette liste sans problème pour répondre à ces motions. Enfin, les communes: là aussi, beaucoup d'entre elles ont une politique active, ce qui est souhaitable, en faveur de l'acquisition foncière pour construire du logement. Cela dépend bien évidemment des majorités, des souhaits et des capacités financières de ces communes.
Pourtant, Mesdames et Messieurs, l'essentiel du problème de la crise du logement est ailleurs: si vous prenez le plan directeur cantonal, c'est-à-dire au fond l'élément structurel de développement de notre canton, vous constaterez que l'essentiel des périmètres que vous avez déterminés dans ce plan directeur concerne des parcelles en mains privées. L'essentiel du potentiel de logements à construire figure sur des parcelles privées appartenant à des particuliers ou à des entreprises. C'est là la question fondamentale qui se pose: comment amener ces propriétaires privés à construire du logement ? Trois grands secteurs forment des toiles de fond avant de devenir potentiellement de la ville: la zone agricole tout d'abord, mais là, nous arrivons bientôt au bout des possibilités, vous connaissez très bien les problèmes que nous avons concernant les surfaces d'assolement; nous allons pouvoir encore manger un peu de zone agricole, mais notre quota est bientôt épuisé et Berne veillera à ce qu'on n'empiète pas plus sur cette zone. Cette piste est donc encore possible - je pense notamment au développement de Bernex, qui va fortement empiéter sur la zone agricole, mais on ne pourra pas répéter ce type d'opération à l'infini. L'autre domaine, c'est bien évidemment la zone industrielle: vous avez décrété qu'une telle zone - le PAV - doit devenir de la ville. Vous demandez d'établir une liste sur le PAV: je veux bien le faire, mais vous savez pertinemment que l'enjeu du PAV ne consiste pas dans l'établissement ou non d'une telle liste, mais dans le fait que l'équilibre financier qui figure aujourd'hui dans la loi sur le PAV, voulu à l'époque par un magistrat PLR, n'est économiquement pas tenable pour déménager les entreprises et en même temps construire deux tiers de logements sociaux dans le cadre des opérations prévues à cet endroit. C'est pour cette raison que le Conseil d'Etat entend revoir cet équilibre, mais il s'agit de questions économiques et financières, et c'est là-dessus que nous devons travailler. Enfin, le troisième secteur de densification potentielle de notre canton est bien évidemment la zone villas: elle représente à elle seule 50% des périmètres à bâtir et ne regroupe que 10% de la population. (Brouhaha.) Mais là encore, Mesdames et Messieurs, vous avez tout à l'heure renvoyé le projet de loi pour modification de zone des Corbillettes, dont les études ont commencé en 2004 ! Ce projet de loi vous a été soumis en 2011, et tout à l'heure, vous l'avez renvoyé pour la quatrième fois en commission ! Alors je veux bien affecter des fonctionnaires à faire des listes, si tel est votre souhait, mais ce que je vous demanderai, c'est de voter les modifications de zones dans le cadre du plan directeur, telles qu'elles vous sont proposées par le Conseil d'Etat, et au surplus, de vous intéresser peut-être au document qui vous a été adressé, la feuille de route départementale du département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, qui décrit pas à pas comment nous pouvons augmenter nos capacités en matière de construction de logement. Il faut bien sûr un effort de l'administration, et je suis parfaitement d'accord pour dire qu'il y a encore beaucoup à faire dans notre domaine, au niveau de l'exécutif; mais il faut aussi que le législatif soit un vrai partenaire dans la construction de logement et puisse voter rapidement les modifications de zones quand celles-ci lui sont soumises. Mesdames et Messieurs, en commission, nous fournirons de manière plus précise les informations qui nous sont demandées, mais je vous prie de garder à l'esprit que l'essentiel est ailleurs.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Je fais voter l'hémicycle en une seule fois sur le renvoi de ces trois propositions de motions à la commission d'aménagement du canton.
Mis aux voix, le renvoi des propositions de motions 2244, 2245 et 2246 à la commission d'aménagement du canton est adopté par 72 oui contre 2 non et 3 abstentions.