République et canton de Genève

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RD 1514
Rapport de la commission de contrôle de gestion chargée d'étudier les méthodes de la police judiciaire en matière d'interpellations et d'interrogatoires
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XI des 23 et 24 mars 2023.
Rapport de M. Alberto Velasco (S)

Débat

La présidente. Nous traitons à présent le RD 1514, classé en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole au rapporteur, M. Alberto Velasco.

M. Alberto Velasco (S), rapporteur. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs, je ne serai pas très long, parce que, d'abord, le rapport est assez complet. Je pense que ceux et celles qui étaient intéressés par ce sujet l'ont lu. Ensuite, il y a eu une conférence de presse et les médias en ont suffisamment parlé. Je ne vais donc pas m'étendre sur ce point.

J'insisterai seulement sur deux des recommandations du rapport, notamment la quatrième, qui dit ceci: «Dans son action, la police judiciaire doit s'astreindre à respecter non seulement les règles de procédure, mais également les principes de proportionnalité et d'éthique professionnelle.» Sur ce point, je crois que le Ministère public a déjà procédé à une modification.

J'insisterai aussi sur la septième recommandation: «Le secret de l'instruction doit bénéficier d'une protection totale, et les violations de ce secret doivent systématiquement faire l'objet d'une enquête approfondie par les services de police ou par le Ministère public.» Vous savez qu'alors même que la personne - le député - en question était dans les locaux de la police, les journaux savaient ce qu'il se passait, et ce bien avant tout le monde. Des informations circulaient pratiquement au moment où il était interrogé. C'est donc gravissime, gravissime !

Ensuite, c'est vrai, la situation dans laquelle s'est retrouvé cet ancien collègue... C'est quelqu'un de connu; mais je me suis posé la question: imaginez-vous ce qui se serait passé pour un citoyen lambda ou un habitant lambda qui n'a pas les mêmes ressources ! Nos institutions sont fragiles - je finirai par là, Madame la présidente; il faut donc éviter de les utiliser à des fins personnelles, parce que, sinon, on arrive à ce qu'on a vécu à Genève pendant deux ou trois ans. J'espère que ce rapport servira à ce que n'arrive plus jamais ce à quoi a été soumis notre collègue. Merci, Madame la présidente.

M. Guy Mettan (UDC). Je voulais rendre hommage au travail remarquable de la sous-commission et de son président, M. Velasco. Je voulais aussi saluer le travail des deux autres commissaires. M. Velasco est trop modeste, mais je trouve que lui et nos deux anciens collègues, M. Thomas Bläsi - au nom duquel je parle aujourd'hui, puisqu'il ne siège plus parmi nous - et M. Charles Selleger, ont réalisé un travail absolument remarquable. Pour celles et ceux qui n'auraient pas lu ce rapport, je les engage vraiment à le lire de la première à la dernière ligne, parce qu'effectivement, c'est un constat triste des dérives malheureuses auxquelles on peut arriver dans notre république. Vu du dehors, cela donne l'image d'une république bananière. Je trouve que cela a fait beaucoup de tort à l'image de Genève, pas seulement auprès de notre population, mais aussi à l'extérieur, quand on sait le traitement infâme qui a été réservé à notre ancien collègue Simon Brandt - pour le citer -, qui a eu un courage remarquable pendant cette épreuve.

Eu égard au travail de nos anciens collègues, les sévices qui ont été infligés à l'un d'eux, au mépris de toute séparation des pouvoirs - beaucoup a été fait, beaucoup a été dit, on ne va pas trop s'étendre, mais je pense que c'est important de le rappeler dans cette enceinte -, tout ça pour extorquer au prévenu, par des fouilles absolument ignobles, des informations sur un ancien conseiller d'Etat qui siège aujourd'hui parmi nous, m'ont, personnellement, beaucoup révolté. Mais je tiens à saluer le travail remarquable effectué au sein de cette sous-commission. Merci.

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, pour M. Mettan, j'étais aussi dans cette sous-commission; je suis un des rares qui a fait toute la distance, puisque, pour des raisons évidentes, il y a eu des changements. Ce rapport est effectivement exemplaire et contient deux ou trois points que j'avais envie de relever.

Cela a très mal commencé: on a refusé à notre ex-collègue le droit d'être assisté par un avocat. Alors que l'interpellation a commencé pratiquement à 7h ou 7h30 du matin, il a fallu attendre 17h avant qu'on lui permette d'appeler son avocat. Aussi bien le chef de l'IGS que celui de la PJ ont reconnu qu'il y avait un problème et que, même si pendant les premiers actes d'instruction, l'avocat ne peut pas être là, il peut tout de même être prévenu et arriver dès que possible, dès que les interrogatoires commencent. Cela a donc effectivement mal commencé.

Concernant les fuites au cours de l'instruction, c'est quand même assez fort de café de voir que quand on a interrogé tant le chef de l'IGS que celui de la PJ ou la commandante de la police, on nous a dit: «Ah, mais les fuites viennent certainement de l'avocat !» Non, mais vous voulez rire ou bien ? Peut-être que dans certains cas, cela arrive, mais en tout cas ici, c'était absolument impossible, puisque l'avocat n'avait pas été prévenu, il ne l'a été qu'en fin de journée, à 17h ! Cela ne peut donc pas venir de lui. Je trouve que tenir ces propos est inadmissible.

Abus d'autorité: cela a été dit, je pense qu'il y a eu des abus d'autorité - cette fouille à nu qui a eu lieu, alors qu'on n'avait pas affaire à un grand criminel, que je sache ! D'ailleurs, il a été totalement blanchi pour tous les chefs d'accusation qu'on lui a reprochés. On aurait bien aimé aussi, dans le cadre de cette sous-commission, entendre l'inspecteur qui a procédé à l'interrogatoire: cela n'a pas été possible, on nous l'a refusé. Ce n'est pas normal.

C'est quelque chose qu'on ne veut plus jamais voir et qu'on espère ne plus jamais voir. Evidemment, on espère que toutes les recommandations seront suivies et appliquées. En quelque sorte, à travers cette affaire, on a jeté aux chiens l'honneur d'un homme pour pas grand-chose ! Pour rien ! Puisque au bout de la course, il a été totalement acquitté, je le dis encore. C'est inadmissible, et j'espère bien que plus jamais, plus jamais on n'aura affaire à des situations telles qu'elles ont été décrites dans ce rapport, que je remercie M. Velasco d'avoir rédigé. J'ai dit.

M. Pierre Maudet (LJS). Le groupe Libertés et Justice sociale a également pris connaissance de ce rapport, même s'il a été largement commenté précédemment dans la presse. Les députés membres de ce groupe s'associent aux propos des députés Mettan et Sormanni. Ce rapport, d'excellente facture, met le doigt sur des abus d'autorité, des abus de pouvoir et sur une lecture assez particulière de la séparation des pouvoirs. De plus - et c'est en ça que ce document est intéressant -, il définit assez précisément ce en quoi ce parlement, qui est l'autorité de haute surveillance et doit disposer de moyens pour effectuer son travail, est essentiel au bon fonctionnement de la démocratie.

Très brièvement, mais de façon très synthétique aussi, pour nous, ce rapport est fondamental, parce qu'il lave l'honneur d'un député de la république qui, par la force des choses, s'est vu interdire de siéger le jour le plus important pour un parlementaire, le jour du vote du budget. Mais ce rapport fait aussi honneur au parlement, parce qu'il rappelle ce qu'est un Etat de droit, un Etat dans lequel la séparation des pouvoirs n'est pas une vaine chose, n'est pas un vain mot, mais doit s'exercer et se pratiquer, notamment avec sa commission de contrôle de gestion. Raison pour laquelle le groupe Libertés et Justice sociale, en l'honneur également de Simon Brandt, souhaite ici marquer d'une pierre blanche ce rapport et faire en sorte qu'il puisse guider, dans la législature à venir, l'action de celles et ceux qui composent ce parlement.

Mme Patricia Bidaux (LC). Effectivement, on ne peut que rester avec quelque chose qui est peut-être même de l'ordre de la boule au ventre. Comment est-ce possible que de telles choses arrivent dans notre république ? Comment est-ce possible qu'alors que le travail est tellement bien cadré, accompagné d'une formation professionnelle complète, on en arrive là ? Comment est-ce possible qu'un député puisse être pratiquement kidnappé juste avant d'arriver chez lui ? Comment est-ce possible ?

C'est ce qui a fait l'objet du travail de la commission de contrôle de gestion et de sa sous-commission. Pour le groupe Le Centre, si celles-ci ont bien fait leur travail, il est inadmissible de même imaginer que cela puisse se reproduire. Merci pour le travail effectué, toutes nos pensées encore et encore à notre ancien collègue, et je vais laisser le Conseil d'Etat s'expliquer et nous raconter peut-être ce qu'il s'est passé plus en avant que ce que mentionne le rapport.

M. Alberto Velasco (S), rapporteur. J'ai dû remplacer au pied levé notre président, M. Selleger, qui a quitté son groupe. Je dois aussi lui rendre hommage, parce qu'il a maîtrisé ces travaux, il les a dirigés avec beaucoup de diligence; si ce rapport est ce qu'il est, c'est parce qu'il a imprimé une certaine rigueur dans son travail. Je tiens donc à lui rendre hommage.

Un élément m'a quand même choqué: alors même que, dans la matinée, le Ministère public avait, je crois, levé les accusations contre notre collègue, ce dernier a continué à être harcelé par la police ! C'est-à-dire que, dans la matinée, les choses étaient claires, mais il a continué à être harcelé jusqu'au soir ! On est allé chez lui ! La police a dépassé ce que le Ministère public voulait ! Elle n'a même pas respecté l'ordre du Ministère public - même si on peut effectivement se demander pourquoi ce dernier avait demandé... Mais enfin, c'est quand même gravissime ! Franchement, Monsieur le conseiller d'Etat, je suis d'accord avec ma collègue Mme Bidaux, j'espère que cela n'arrivera plus. Parce qu'à ce moment-là, la Genève internationale, la Genève des droits de l'Homme, la Genève exemplaire, notre démocratie directe, nos beaux parlements, je ne sais pas où on va les mettre ! Franchement, je ne sais pas où on va les mettre ! C'est gravissime. Merci beaucoup.

M. Mauro Poggia, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, évidemment, ce qu'il s'est passé ne peut que bouleverser le destin d'un homme, qui bascule du jour au lendemain. Je n'entrerai pas dans les détails de cette affaire, puisque des procédures sont encore en cours auprès du Tribunal fédéral. Je n'ai donc pas à dire qui est coupable et qui ne l'est pas, mais il y a évidemment des interpellations que vous avez exprimées dans ce rapport qui sont aussi les miennes: la commission a pu m'entendre et écouter les préoccupations que j'ai exprimées à ce moment-là.

Que les choses soient claires pour les personnes qui nous écoutent: le Conseil d'Etat n'est pas à la manoeuvre dans les procédures pénales, qui sont dirigées par le Ministère public. Je ne suis pas en train de dire ici que le Ministère public a fait juste ou faux, je veux simplement vous dire que le Conseil d'Etat a eu connaissance des faits en question, comme chacune et chacun de nous, par un communiqué de presse, le jour en question. Il n'y a donc pas eu d'intervention du pouvoir exécutif - et heureusement, c'est la séparation des pouvoirs -, ni dans l'ordre ni dans la décision d'intervenir ou d'organiser cette intervention, et encore moins, évidemment, dans les actions qui ont pu être menées sur le terrain. L'exécutif prend donc acte du fait qu'une procédure pénale, secrète, est ouverte et instruite par le Ministère public. Nous attendons, comme tous les citoyens, bien sûr, les résultats pour savoir si, du point de vue administratif et disciplinaire, il s'agit d'intervenir contre des forces de l'ordre qui auraient outrepassé leur devoir dans le cas particulier.

Ce que je ne voudrais pas, c'est que le comportement de certains - qui est ici décrit comme il l'a été - jette l'opprobre sur la quasi-totalité des policières et des policiers de notre république qui font leur travail consciencieusement, avec l'utilisation difficile dans certaines situations du principe de proportionnalité. Ce principe de proportionnalité figure lui-même dans la loi, est connu, et chaque policier doit à chaque instant se demander si son comportement est adapté aux buts qu'il doit atteindre, aux objectifs qui doivent être réalisés et si les moyens mis en oeuvre pour y parvenir sont adéquats.

Il est vrai qu'en ce qui concerne les fouilles, il y avait antérieurement des directives, qui laissaient une marge de manoeuvre pratiquement nulle au policier; il est arrivé, malheureusement, que des personnes interpellées et placées en cellule mettent fin à leurs jours, ayant avec elles des objets qui ont servi à cette fin. Il y avait donc des directives, qui étaient strictes et qui - dans le cas particulier, clairement - lorsqu'elles étaient appliquées, arrivaient à un résultat disproportionné, puisque, manifestement, en tout cas avec le recul d'un regard rétrospectif, ces mesures n'étaient pas justifiées par rapport aux faits reprochés à la personne interpellée.

Aujourd'hui, nous avons modifié les directives, ce qui fait que le policier qui doit procéder à une fouille doit se poser la question de l'adéquation de celle-ci par rapport à tout le complexe de faits. Il va de soi que ce n'est pas la même chose si l'on interpelle un trafiquant de stupéfiants dans la rue ou quelqu'un à domicile ou à peine sorti de chez lui, alors qu'il n'a aucune raison de s'attendre à être interpellé et qu'il n'a sur lui aucun élément - aucune pièce à conviction et aucune arme - dissimulé. Aujourd'hui, la police doit faire cet examen. C'est une tâche supplémentaire, qui n'est pas toujours simple; certaines situations sont des cas d'école, dans lesquels on peut, pa r un questionnaire à choix multiples, dire: oui, non, il faut le faire, il ne faut pas le faire. Mais il y a des cas qui sont plus subtils, et l'erreur est évidemment toujours possible.

En ce qui concerne la déontologie, il faut le savoir, depuis le mois de mai de l'année dernière - sous mon impulsion, mais je crois que cela correspondait à une volonté collective au sein de la police -, il existe un nouveau code de déontologie, qui a été élaboré en associant le plus de partenaires possible. Il ne s'agit pas seulement de feuilles affichées dans les salles, c'est un document qui doit vivre. Il existe une commission d'application de ce code, au sein de laquelle les cas sont rapportés, où une discussion doit être menée et où une culture de l'erreur doit être aussi instaurée: l'erreur ne doit pas simplement être source de sanctions - ce qui mène à ce que l'on essaie de la dissimuler -, mais aussi une source d'apprentissage, non seulement pour celui qui l'a commise, mais aussi pour celles et ceux qui pourraient la commettre; dans certains domaines, comme celui de l'aviation, cela est pratiqué. La culture de l'erreur dans certains autres secteurs, comme dans les corps uniformés, c'est autre chose, parce que la culture de la sanction est encore bien présente, et là aussi, il faut apprendre, en termes de hiérarchie, à faire la part des choses entre l'erreur et la faute: toute erreur n'est pas fautive, il y a des erreurs dont on apprend, il y a des fautes qui sont inadmissibles et qui doivent être sanctionnées.

Je n'en dirai pas plus sur cette affaire, qui est regrettable et qui n'est pas terminée du point de vue judiciaire. C'est en tout cas un drame humain - pour avoir rencontré la personne, je peux confirmer qu'il y a encore aujourd'hui une souffrance exprimée; je pense que l'on aurait, à n'en pas douter, pu faire autrement et éviter cette souffrance qui, à l'évidence, n'a pas aidé à la résolution de l'enquête pénale. Voilà ce que j'avais à dire sur cette triste, triste affaire, en demandant bien sûr à chacune et à chacun de faire la part des choses entre ce qui peut être certainement un dérapage à un moment donné et l'activité irréprochable qu'accomplissent la très large majorité de nos policières et de nos policiers. Je vous remercie. (Applaudissements.)

La présidente. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote sur ce rapport.

Mis aux voix, le rapport divers 1514 est approuvé et ses recommandations sont transmises au Conseil d'Etat par 81 oui et 5 abstentions (vote nominal).

Vote nominal