Séance du jeudi 24 janvier 2013 à 20h40
57e législature - 4e année - 4e session - 18e séance

M 2128
Proposition de motion de Mmes et MM. Vincent Maitre, Bertrand Buchs, Eric Stauffer, Henry Rappaz, Michel Forni, Roger Golay, Pascal Spuhler, Florian Gander, André Python, Marie-Thérèse Engelberts, Jean-François Girardet, Bernhard Riedweg, Anne Marie von Arx-Vernon, Stéphane Florey, Antoine Bertschy, Christina Meissner, Christo Ivanov, Serge Dal Busco, Philippe Morel : Convention de double imposition liant la Suisse à la France : pour le maintien de la situation prévalant actuellement

Débat

Le président. Nous somme au point 109bis de notre ordre du jour: proposition de motion 2128. Je passe la parole à M. Maitre.

M. Vincent Maitre (PDC). Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, il existe, dans un état de droit, un principe quasiment inviolable qui est celui de la sécurité du droit, la sécurité juridique qu'un Etat entend offrir à ses citoyens. Manifestement ces derniers temps, notre voisins français a décidé de mettre à mal ce principe en dénonçant un accord international, ce qui fragilise la situation des citoyens français résidant sur le territoire suisse, et plus particulièrement sur le territoire genevois, et qui sont au bénéfice d'un forfait fiscal. En fragilisant leur situation, la France a en quelque sorte souhaité faire pression sur la Suisse - pour ne pas dire «l'attaquer» - faire pression sur sa fiscalité, son système fiscal, et comme tout un chacun le sait, cela a été fait en vue de pallier les défaillances, ou plutôt les faiblesses économiques auxquelles le pays doit faire face en ce moment. Si la France a choisi de s'attaquer à la Suisse de cette façon-là, cette motion vise à répondre à cette attaque de façon si possible claire et précise, en disant que chaque citoyen suisse vote de façon totalement démocratique et souveraine son propre système fiscal et qu'il n'entend pas se faire dicter des règles - ses règles - par un pays étranger.

D'un point de vue plus général, et puisque la fiscalité est une problématique relativement importante ces derniers temps et qui occupe quasiment tous les pays européens, eh bien cette motion vise aussi à rappeler à la France que la Suisse et les citoyens suisses n'ont absolument pas à rougir de leur fiscalité et de leur attractivité fiscale supposée. Car permettez-moi de vous dire que la Suisse n'est pas le paradis fiscal auquel on veut bien nous faire croire et n'est pas l'eldorado que tous les pays européens - ou une grande partie des pays européens et du monde - dépeignent. Il convient donc de réagir fermement en disant précisément que la Suisse n'a pas à rougir de sa fiscalité, en particulier face à ce pays qui se permet presque quotidiennement de nous taxer tantôt de paradis fiscal, tantôt de refuge pour tous les fraudeurs du monde, alors que ce même pays impose lui-même ses sociétés, ses plus grandes sociétés - je parle évidemment de celles du CAQ40 - à un taux moyen de 8%, quand, à Genève, le taux d'imposition sur les sociétés est de 24%, soit trois fois plus. C'est de nouveau ce même pays qui, en nous traitant de paradis fiscal, oublie qu'il en abrite, lui, de réels; je parle de certains départements d'outre-mer, je parle de certaines îles de la Polynésie française, qui imposent les personnes physiques mais aussi les personnes morales, à 0%.

La Suisse n'a pas à rougir de sa fiscalité en comparaison européenne, et pas davantage en comparaison mondiale. Je parle évidemment de la prétendue attractivité qu'on prête à la Suisse, alors qu'en réalité celle-ci est toute relative, quand on constate les règles fiscales applicables par exemple en Irlande, par exemple en Belgique, par exemple au Luxembourg, par exemple sur certains points - et je parle des forfaits fiscaux - en Italie, par exemple en Angleterre, ou par exemple encore dans certains Etats des Etats-Unis. Je crois sincèrement, d'après la liste que je viens de citer - qui n'est de loin pas exhaustive - que la Suisse, définitivement, je le répète, n'a pas à rougir de sa fiscalité, puisque ces pays-là sont devenus bien plus attractifs qu'elle sur ce plan. Vous ne rencontrerez quasiment aucun, voire aucun - je prends le risque de le dire - avocat fiscaliste ou conseiller fiscal à Genève qui conseillera à ses clients d'implanter leur société à Genève pour de simples raisons fiscales. Tous leur conseilleront d'aller en Angleterre, l'herbe y est bien plus verte, d'aller en Irlande, le ciel y est bien plus bleu - du moins fiscalement, évidemment - etc., etc. !

Tout ça pour vous dire, Mesdames et Messieurs, qu'il convient, par le biais de cette motion, de répondre fermement à la France, de lui confirmer le fait que nous la considérons évidemment toujours comme un Etat ami, mais que nous n'entendons pas accepter ses pressions et que nous n'entendons pas nous faire dicter notre régime fiscal, celui qui s'applique sur notre territoire et qui a été démocratiquement voté par l'ensemble des citoyens suisses. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Présidence de M. Gabriel Barrillier, président

M. Francis Walpen (L). Suite aux propos de mon préopinant, vous me permettrez d'être un peu plus terre à terre. En ce qui concerne le texte même de cette motion, il est d'actualité, c'est un fait dont personne ne souhaite discuter. Cette motion est bien documentée, c'est vrai. Cependant, elle fait partie d'un tout ! Et je pense qu'il serait erroné de la traiter en elle-même, pour elle-même. Il y a, entre les lignes de cette motion, les forfaits fiscaux; il y a l'impôt à la source des frontaliers; il y a la rétrocession. C'est la raison pour laquelle il me semble qu'il serait de bon ton de renvoyer cette motion pour traitement immédiat en commission fiscale. Et puisque, par mes prérogatives de doyen, il m'appartiendra, mardi, de représider la commission fiscale en l'absence de son président, et que nous aurons le plaisir d'avoir M. Hiler pour une audition sur l'initiative 149, nous pourrons tout à fait, s'il le faut, dans les points divers, déjà commencer à traiter cette motion.

Le seul point qui me chagrine et pose quelques questions, c'est celui de la mesure de rétorsion. Le combat de l'aigle contre le coq gaulois... Je veux bien. Mais il vaudrait mieux, je pense, plus raisonnablement faire appel à l'ours de Berne, qui ferait sans doute davantage peur au coq que notre demi-aigle. Je vous suggère donc de nous renvoyer cette motion, afin que nous puissions la traiter, avec tout ce dossier, à la commission fiscale. Merci. (Applaudissements.)

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais relever - et il ne m'en voudra pas - que j'ai été plus qu'agréablement surpris en écoutant les propos de mon préopinant, M. Maitre, et surtout en ayant vu l'excellent travail qui a été effectué quant à la rédaction... (Remarque.) L'Union démocratique du centre apprécie ! (Commentaires.) Il n'est pas courant de le dire ! Vous me permettrez de le faire aussi.

J'aime bien la devise française: «Liberté, Egalité, Fraternité»... A observer la politique actuelle, cela ne me semble plus être au goût du jour. A voir aussi l'agressivité qu'ils montrent envers des lilliputiens - parce que je n'ai pas la prétention de dire que la Suisse est un grand pays - cela devient une insulte qui est difficile à digérer.

J'ai apprécié les propos de mon préopinant, M. Walpen, car il fait ressortir d'entre les lignes d'autres points qui sont critiqués et qui sont essentiels. A l'époque actuelle, comme M. Maitre l'a clairement dit, on tombe dans l'exagération, dans l'abus de langage, voire dans des prophéties fallacieuses, en voulant continuer à affirmer urbi et orbi que la Suisse est un paradis fiscal, qu'on vole les gens, etc. Nous sommes dans une guerre économique où l'on cherche à nous appauvrir... (Remarque.) ...non pas pour nous punir, mais pour prendre ce qui a fait, peut-être, la prospérité de certains - c'est à voir - et pour se l'approprier d'une manière honteuse. En ce qui concerne le groupe de l'Union démocratique du centre, nous appuyons cette motion et, s'il le faut, nous accepterons son renvoi en commission. (Applaudissements.)

Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Je ne vais guère vous surprendre en disant que les Verts ne soutiendront pas cette motion, tout d'abord parce que les Verts militent pour l'abolition des forfaits fiscaux, tant au niveau fédéral qu'au niveau cantonal. Nous considérons en effet que les forfaits fiscaux sont un système injuste, inéquitable pour tous les Suisses qui, eux, doivent s'acquitter jusqu'au dernier centime de l'impôt sur le revenu et la fortune.

Ensuite, lors de l'étude un peu plus approfondie de cette motion, une invite a tout particulièrement retenu notre attention: celle qui vise à éventuellement geler des rétrocessions fiscales versées vers la France par Genève. (Brouhaha.) Nous jugeons qu'il s'agirait là d'un geste disproportionné et dommageable pour la construction de la région; en effet, nous sommes tous - ici, dans cette salle, tous partis confondus - en train d'essayer de construire la région, et je pense que ce geste pourrait être extrêmement nuisible à cet égard. Si je suis d'accord pour dire que la France a agi de manière cavalière en la matière - elle aurait pu se conduire différemment - je pense aussi qu'il est peu judicieux pour Genève de pratiquer la surenchère. De plus, je vous rappelle que les conséquences pratiques... (Brouhaha.) ...de la décision française sont encore incertaines. Pour toutes ces raisons, les Verts ne pourront pas soutenir cette motion.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Mesdames et Messieurs les députés, une convention de double imposition a comme but de prévenir qu'un contribuable imposé dans deux pays soit imposé deux fois. Une convention de double imposition n'a cependant pas vocation à devenir une convention de non-imposition ou de sous-imposition. Si la Suisse renonce à imposer équitablement les contribuables les plus fortunés, alors les conventions de double imposition perdent leur raison d'être. Et la France, en tant qu'Etat souverain, est dans son droit; la forme n'a peut-être pas été de mise, mais on ne peut pas reprocher à la France de prendre des décisions et de résilier unilatéralement tout ou partie d'une convention qui... (Brouhaha.) ...ne lui est plus du tout favorable, en tout cas en ce qui concerne les forfaits.

De plus, nous n'avons pas - et cela par rapport aux invites de la motion - nous n'avons pas attendu pour poser des questions au Conseil d'Etat, nous les avons déjà posées en commission fiscale. La réponse va nous parvenir prochainement, car les conséquences juridiques du changement qu'il y a eu ne sont pas encore calculables, il y a d'abord des éclaircissements à avoir. Comme vous le savez certainement, les socialistes ont déposé une initiative, l'IN 144, qui demande à supprimer les forfaits fiscaux, impôt sur la dépense...

Une voix. IN 149 !

Mme Lydia Schneider Hausser. Je n'ai pas dit «149» ? (Remarque.) Oui, c'est 149. C'est la fin de soirée...

Le président. Poursuivez, Madame la députée.

Mme Lydia Schneider Hausser. Voilà, donc... (Commentaires.) Donc il est vrai que cette suppression préviendrait que la France - comme d'autres pays d'Europe et du monde - ne pointe la Suisse comme facilitateur effectif de soustractions fiscales, comme capteur effectif de revenus fiscaux, soit de fortunes qui reviennent aux peuples, non seulement d'Europe mais peut-être aussi du monde, et qui sont véritablement absorbées ici. (Brouhaha.) Cette histoire de dénonciation de convention de double imposition concernant les forfaits fiscaux est peut-être la pointe de l'iceberg, le petit bout de la lorgnette, qui montre qu'actuellement il existe des paradis fiscaux - pas seulement en Suisse, bien sûr cela existe aussi ailleurs - et qu'il y a des mouvements de la part de nos pays voisins, comme de la part de certains autres pays du monde, qui sont dans des situations catastrophiques. Et il s'agit de mouvements non seulement...

Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée.

Mme Lydia Schneider Hausser. Oui ! ...non seulement des gouvernements, mais des populations de ces pays-là, afin de rediscuter cette répartition des fortunes et des impositions. Mesdames et Messieurs les députés, les socialistes ne soutiendront donc pas cette motion.

M. Mauro Poggia (MCG). Vous connaissez la complaisance modérée du MCG à l'égard de l'arrogance de nos voisins français, et c'est vrai que la décision qui a été prise le 26 décembre, en tant que cadeau de Noël pour certains Français résidant dans notre pays, a été peu appréciée. Cette motion doit être renvoyée en commission, car je dirai qu'il y a certains points, comme l'a relevé très justement M. le député Walpen, qui doivent être creusés. Ce n'est pas aussi simple. Il faut essayer de prévenir des réactions épidermiques - que nous avons tous lorsqu'on continue à nous fustiger comme le font nos voisins. Parce qu'il y a aussi des questions de droit international, de droit interne, des questions franco-françaises, et, donc, il est difficile de tout mettre dans le même panier.

Par contre, j'ai un peu de peine - et je le dirai tant que je serai dans ce parlement - j'ai un peu de peine à entendre cette candeur Verte. Ou cette candeur rose. On continue à nous seriner avec les mêmes principes, on veut cette internationale des contribuables, cette internationale du chômage, ou même cette internationale de la paupérisation populaire. Je crois que nous sommes bien, en Suisse - je crois que nous sommes tous d'accord - et nous voulons continuer, pour nous, nos proches et nos enfants, à être bien, en Suisse; dans le respect des autres, un respect qu'on attend d'ailleurs également des autres à notre égard. Donc il faut arrêter de nous autoflageller, de nous fustiger, et de considérer que finalement nous serions des malhonnêtes parce que nous offrons des conditions de vie et de résidence meilleures qu'ailleurs. Les gens qui viennent chez nous le font parce qu'ils y sont bien, et tant mieux. Et arrêtez de vous battre contre ces forfaits fiscaux, en venant nous dire continuellement que c'est injuste pour les Suisses qui paient leurs impôts. Mais ces Suisses que nous sommes, vous et moi, et qui payons nos impôts, continuerons à payer nos impôts, que ces riches étrangers soient en Suisse ou qu'ils n'y soient pas ! Je dirai même que nous payerons plus d'impôts si ces riches ne sont pas ici. Ce n'est pas le problème de savoir si on va leur demander un ou deux, c'est la question de savoir si on va leur prendre un ou zéro. Parce qu'ils iront ailleurs. Quand est-ce que vous comprendrez enfin que ce combat est un mauvais combat, que c'est un combat d'autogoal, et que c'est un combat que vous livrez contre votre propre pays ! Voilà, Monsieur le président, ce que j'avais à dire. Que l'on renvoie cette motion en commission ! (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Roger Deneys, à qui il reste... (Remarque.) Il ne reste rien ! (Rires. Applaudissements. Commentaires.) C'est lui qui tient le chronomètre, chers collègues !

Une voix. Vous avez déjà eu quinze secondes en plus !

Le président. La parole est à M. le conseiller d'Etat François Longchamp.

M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, il ne reste rien en matière de temps de travail, mais il faudrait se poser la question - et je le fais au nom du Conseil d'Etat en l'absence de M. David Hiler, notre ministre des finances - de savoir si vraiment la décision française a des conséquences sur la situation genevoise, où l'impôt forfaitaire se base sur les dépenses et non pas sur le loyer, cela a été dit. C'est la raison qui nous amène à vous dire que si le Conseil d'Etat, après un passage en commission ou directement, se voyait renvoyer cette motion, il l'accepterait bien volontiers. Mais il vous met en garde, comme l'a fait le député Walpen tout à l'heure, sur votre quatrième invite; votre quatrième invite est lourde de conséquences et probablement assez disproportionnée lorsque les effets pour notre canton sont ténus, pour ne pas dire inexistants, ce que nous aurons l'occasion de vous démontrer en commission. C'est pour cela qu'il faut savoir mesurer le choix des armes, ne pas lancer des guerres, et qui plus est des guerres atomiques, lorsqu'il n'y pas matière à cela.

Il y a cependant certaines idées qui doivent être rappelées. Nous sommes un Etat de droit, la France est un Etat de droit, cela suppose une stabilité politique... (Brouhaha.) ...une stabilité juridique, cela suppose aussi certains principes, principes qui veulent que, normalement, dans les relations diplomatiques, lorsqu'un chef d'Etat - Mme Widmer-Schlumpf - est reçu par un chef d'Etat, qui plus est dans le pays de ce dernier, on ne fait pas en catimini, quarante-huit heures après cette visite, résilier un acte diplomatique qui remonte à 1972.

J'aimerais enfin vous dire que si cette quatrième invite est délicate, c'est parce que le système fiscal que nous avons avec la France, celui que vous demandez de suspendre, est en réalité un système fiscal particulier au canton de Genève. La plupart des autres cantons nous envient, et il y a d'ailleurs des initiatives populaires dans certains cantons pour s'inspirer du modèle genevois. C'est une raison supplémentaire pour faire extrêmement attention, et c'est pourquoi le Conseil d'Etat, qui acceptera bien volontiers cette motion après un passage en commission ou directement, vous prie, si vous le faites, de lui renvoyer les trois premières invites mais de vous abstenir de la quatrième.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je vais d'abord, Mesdames et Messieurs les députés, vous faire voter le renvoi à la commission fiscale, tel que cela a été demandé par plusieurs d'entre vous.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2128 à la commission fiscale est adopté par 58 oui contre 30 non.