Séance du vendredi 30 novembre 2012 à 17h
57e législature - 4e année - 2e session - 8e séance

IN 151-B
Rapport de la Commission législative chargée d'étudier la validité de l'initiative populaire 151 pour un renforcement du contrôle des entreprises. Contre la sous-enchère salariale
Rapport de majorité de M. Christophe Aumeunier (L)
Rapport de minorité de Mme Loly Bolay (S)

Débat

Le président. Avec l'accord des chefs de groupe, nous allons, durant le dépouillement de l'élection, étudier et attaquer l'IN 151-B point 99, point fixe, catégorie 1, débat libre.

Le rapport de majorité est de M. Christophe Aumeunier, le rapport de minorité, de Mme Loly Bolay.

Est-ce-que le rapporteur de majorité veut prendre la parole ? (Le rapporteur de majorité acquiesce).

Vous avez la parole, Monsieur le rapporteur de majorité.

M. Christophe Aumeunier (L), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, les deux première phrases que je vais citer immédiatement ne sont pas anodines et j'y reviendrai en conclusion.

L'article 88 de notre constitution actuelle institue une commission législative du Grand Conseil, et la loi portant règlement du Grand Conseil indique que l'examen de la validité des initiatives est une tâche, en fait une mission, du Grand Conseil, respectivement de cette commission.

S'agissant de l'unité de la matière, cette initiative vise une inspection des entreprises et le renforcement des effectifs de l'OCIRT. C'est une même problématique, donc il faut convenir qu'il y a unité de la matière.

S'agissant de l'unité de la forme, il s'agit d'une initiative rédigée. Elle vise à une modification de la loi sur l'inspection et les relations du travail et, dans ce contexte, elle respecte l'unité de la forme.

S'agissant de l'unité du genre, il faut se demander si c'est une initiative législative ou constitutionnelle. Puisque je viens de dire qu'elle modifie une loi, c'est une initiative législative et elle respecte ainsi l'unité du genre.

Se pose maintenant la question fondamentale de la conformité au droit supérieur. Cette question peut être appréhendée sous trois angles. Le premier angle est celui de la conformité au droit; le deuxième angle est celui de la délégation d'une tâche publique et le troisième angle est celui du respect des droits fondamentaux.

S'agissant de la conformité au droit: la loi sur les travailleurs détachés prévoit, en particulier aux articles 360a et 360b du Code des obligations et à l'article 7 de la loi sur les travailleurs détachés, des mesures d'accompagnement aux accords bilatéraux et notamment à l'accord de libre circulation. Elle prévoit également que la mise en oeuvre de ces dispositions soit vérifiée par une commission tripartite. A Genève, vous savez que cette institution est le conseil de surveillance du marché de l'emploi, qui contrôle, a posteriori, les salaires des personnes étrangères arrivant à Genève. Ces contrôles sont sérieux, ils sont réguliers, ils sont conséquents, et ils sont publics puisque cette entité présente quatre fois par année un communiqué de presse indiquant l'étendue de son travail et son importance. Les syndicats, et jusqu'à maintenant ils l'ont toujours fait, visent ces rapports, qui montrent d'ailleurs qu'il y a effectivement un problème pour environ 7% des contrats de travail. Ce qui est intéressant, c'est que les problèmes peuvent également être identifiés par secteur. Partant de cela, il y a une possibilité d'intervention ciblée par l'OCIRT qui peut donc faire son travail.

L'article 7 de la loi sur les travailleurs détachés indique que le dispositif doit comprendre alternativement des organes paritaires, des commissions tripartites ou des organes désignés par les cantons. Dès lors que l'initiative, dans ses articles 35, 36, 37 et 38, traite du travail au noir et prévoit des compétences supplémentaires pour l'inspection des entreprises, et qu'en outre cette inspection comprendrait uniquement des représentants des travailleurs, alors ces articles sont totalement contraires au droit supérieur qui commande que ce soit des organes tripartites ou à tout le moins qu'un partenariat social soit institué. Et au fond ce ne sont pas n'importe quelles lois qui sont violées; ce sont des lois d'une importance fondamentale, parce qu'elles reposent sur notre coutume suisse. Elles ne viennent pas de n'importe où, ces dispositions visant à avoir un partenariat social ! C'est notre tradition que d'avoir un partenariat social très fort, c'est ancré dans notre système du travail, c'est ce qui fait notre succès, notre prospérité et au fond c'est ce qui assure à Genève, et à la Suisse en général, un essor économique conséquent et le fait qu'il y ait moins de chômage qu'ailleurs, avec une protection des travailleurs qui est à la hauteur. Il y a donc une responsabilité syndicale extrêmement importante puisque dans les contrôles et dans les mesures d'accompagnement, on observe la nécessité d'un travail qui soit un travail commun. Lorsque l'on défie, que l'on met à bas l'essence du partenariat social par une initiative de ce type, on en porte les responsabilités qui sont fondamentales et très graves.

Je passe maintenant à la question de la délégation d'une tâche publique. L'initiative 151 est une forme de privatisation du contrôle des entreprises. La Constitution fédérale indique que quiconque exerce une tâche publique doit respecter les droits fondamentaux. Dans l'initiative 151, on a beaucoup de mal à définir ce qu'est, en définitive, cette inspection des entreprises. Quelle est sa forme ? A-t-elle une forme juridique ? Au fond peu importe puisque l'article 2A de cette initiative nous indique que cette inspection des entreprises est une inspection autonome dans son fonctionnement, et qui agit de son propre chef. Elle n'a pas de délégation, elle agit toute seule. Ainsi, je pense que l'initiative pose un problème au niveau de l'article 29 de la Constitution fédérale, puisque celui-ci garantit le droit d'être traité équitablement par l'Etat, le droit à l'indépendance et à l'impartialité. Ainsi, une inspection des entreprises formée uniquement de syndicalistes est totalement contraire à l'indépendance et à l'impartialité.

Le président. Il vous reste une minute Monsieur le député, vous pourrez reprendre la parole plus tard, vous le savez.

M. Christophe Aumeunier. Je n'y manquerai pas Monsieur le président. Lorsque les syndicats indiquent qu'ils ne feraient que sanctionner et que, parce qu'ils ne feraient que sanctionner, leurs interventions dans les entreprises seraient tout à fait fondées, même venant d'un organe unipartite, c'est totalement faux. Ils oublient les principes du droit romain et celui du fruit pourri, qui veut que toute preuve qui a été récoltée de manière illégale fait que l'ensemble de la procédure est illégal. C'est aussi la raison pour laquelle cette initiative est contraire au droit. Et j'exposerai tout à l'heure, Monsieur le président, pourquoi elle est contraire aux droits fondamentaux.

Mme Loly Bolay (S), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais d'abord décrier ici l'attitude du groupe libéral qui, systématiquement, se borne à rendre toutes les initiatives populaires totalement irrecevables et invalides, sans aucun état d'âme. Le PLR confisque ainsi aux citoyens, c'est dire, le droit de voter sur l'initiative populaire au mépris de la démocratie, Mesdames et Messieurs les députés. J'en veux pour preuve que même dans le cadre de l'initiative 151, le parti libéral a demandé en commission l'invalidation totale de l'article 2 qui prévoit d'augmenter le nombre d'inspecteurs à l'OCIRT, article qui n'est même pas contesté par le Conseil d'Etat. Après cela ils ont donc voté l'invalidation partielle avec la majorité, j'y reviendrai tout à l'heure.

La situation actuelle, tout d'abord. Il faut savoir que dans notre canton, le dumping salarial est de plus en plus pratiqué. Les chiffres ne mentent pas, puisque ce ne sont pas des partis de gauche qui vous le disent mais la commission externe d'évaluation des politiques publiques, la CEPP, qui a été nommée par le Conseil d'Etat, qui fait des rapports, et qui dit que 62% des entreprises du secteur privé ne sont pas soumises à des conventions collectives de travail dans le cadre des marchés publics. L'IN 151 prévoit d'augmenter le nombre d'inspecteurs à l'OCIRT. Là aussi, c'est l'Organisation internationale du travail, dont le siège est à Genève, qui nous dit que le ratio doit être de 1 inspecteur pour 10 000 emplois. A Genève, même si le budget 2013 a augmenté, il n'en demeure pas moins qu'à l'heure actuelle il y a un inspecteur pour 20 000 emplois. Alors la Genève internationale, que le parti libéral se félicite d'avoir, il faut l'écouter ! Ça ne sert à rien que l'OIT nous fasse des rapports si après on les oublie, ou si on pratique la géométrie variable et qu'on les lit seulement quand ça nous arrange. En plus, cette disposition n'est, encore une fois, pas contestée par le Conseil d'Etat. L'initiative 151 prévoit, et c'est l'élément déterminant, la création d'une inspection d'entreprise. Cet office agirait comme une instance de contrôle et de surveillance, mais sans aucune compétence de sanction, puisque cette instance communiquerait les litiges aux organes qui, eux, par contre, sanctionneraient les abus. Le Conseil d'Etat et la majorité nous disent que cette délégation de compétences est contraire au droit supérieur. Pourtant il faut rappeler que cette délégation de compétences est possible à l'intérieur des organes, les syndicats sont venus nous le dire preuves à l'appui, et d'ailleurs elle existe déjà puisque le contrôle des salaires minimaux établis par un contrat type de travail, au sens de l'article 360 du Code des obligations, est de la compétence du conseil de surveillance, c'est l'article 37, alinéa 2. La majorité, représentée ici par le PLR, nous dit que l'initiative 151 est contraire au droit supérieur alors que ce n'est pas le cas, puisque cet article de la LIRT dit expressément que le Conseil de surveillance peut déléguer cette compétence.

Cette initiative au fond, Mesdames et Messieurs les députés, ne fait que préciser, affiner et donner une base légale à ce qui existe déjà. Pourquoi? Parce que la commission tripartite exige des syndicats qu'ils étayent les cas d'abus afin de déclencher des mesures. Mais comment les syndicats pourraient-ils constater des abus et les dénoncer s'ils n'ont pas cette compétence? C'est un peu le serpent qui se mord la queue. Et voilà qu'on nous dit que cette initiative est contraire au droit supérieur. Et je vais encore souligner une chose, Mesdames et Messieurs les députés, même les Chambres fédérales, les conseillers aux Etats à Berne, ont dit que la situation aujourd'hui était problématique en ce qui concerne le dumping salarial. Ils demandent à ce que les mesures soient renforcées, c'est les conseillers aux Etats qui le disent. D'ailleurs, il y a quinze jours, l'association suisse des ferblantiers dénonçait les abus manifestes dans leur métier, notamment au niveau de la sous-traitance, et demandaient que les contrôles soient renforcés. Mesdames et Messieurs les députés, deux éléments importants, soit les Chambres fédérales et certaines associations patronales demandent à ce que les mesures soient renforcées. (Brouhaha.)

Mesdames et Messieurs les députés, le reproche de la majorité et du Conseil d'Etat sur cette initiative est aussi la question de la partialité. On nous dit que les syndicats ne vont pas être impartiaux. Il faut au contraire relever que c'est le système actuel qui est partial ! Et justement, l'IN 151 corrige cette partialité qui aujourd'hui est en faveur des employeurs, car, il faut le savoir, ce qui existe aujourd'hui est en faveur des employeurs ! Ce sont l'OCIRT et le Conseil de surveillance du marché de l'emploi qui ont les compétences de sanction. Alors, Mesdames et Messieurs les députés, la minorité de la commission législative de ce plénum votera la validation totale de cette initiative. La validation totale, Mesdames et Messieurs les députés...

Le président. Il vous reste trente secondes, chère Madame.

Mme Loly Bolay. Je conclus Monsieur le président, et je reviendrai avec d'autres arguments juridiques au deuxième et au troisième débat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de rendre cette initiative valable dans tous les termes, dans la mesure où aujourd'hui il y a un gros problème à Genève et où il faut donner les moyens aux syndicats de faire leur travail sur le terrain. Je vous demande donc de suivre l'avis de la minorité de la commission législative. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la rapporteure de minorité. Je prie les personnes à la tribune de ne pas manifester, je vous en remercie.

M. Jacques Jeannerat (R). Mesdames et Messieurs les députés, le débat qui nous occupe ce soir me rappelle singulièrement celui que nous avons eu il y a quinze jours autour de la recevabilité de l'IN 150. Dans les deux cas, Mesdames et Messieurs, le parti socialiste nous gratifie d'une genevoiserie, en l'occurrence une initiative qui oublie allègrement qu'en 1815, Genève a rejoint une certaine Confédération helvétique. Notre République doit donc tenir compte du droit supérieur qui, il faut peut-être le souligner, bénéficie aussi de la caution démocratique. Contrairement, Monsieur le président, au débat d'il y a deux semaines, j'ai cette fois décidé de faire preuve de discipline personnelle et de m'en tenir à la recevabilité, même si cela m'en coûte. Je vous encourage à voter l'irrecevabilité totale de cette initiative, et ce pour plusieurs raisons.

Le fondement de l'initiative est la création d'une nouvelle police d'inspection des entreprises...

Une voix. Privée...

M. Jacques Jeannerat. Or, au contraire des institutions existantes, celle-ci ne serait plus tripartite mais composée uniquement de syndicalistes. L'initiative liste ensuite les pouvoirs et les prérogatives de cette police d'inspection. En l'occurrence, celle-ci serait en violation flagrante du droit fédéral, notamment par rapport à la loi sur les travailleurs détachés... (Commentaires.) En effet, concernant le contrôle des entreprises et des conditions de travail, la loi fédérale prévoit clairement des organes tripartites, c'est-à-dire incluant des représentants du monde syndical, des employeurs et de l'Etat. Ce que vise l'initiative n'est ni plus ni moins de vider les structures actuelles de leur sens, et de les remplacer par un organe composé uniquement de syndicalistes. On peut parler de putsch contre le partenariat social... (Protestations.) Putsch que le droit fédéral interdit expressément. Certes, Mesdames et Messieurs, les cantons ont le droit de déléguer certaines tâches du droit public mais pas n'importe comment. La Constitution fédérale exige le respect des droits fondamentaux, incluant le droit d'être traité équitablement par l'Etat, ainsi que les droits d'indépendance et d'impartialité. Or, il est inconcevable que la nouvelle inspection des entreprises, composée uniquement de syndicalistes, fasse preuve d'impartialité. Il n'est pas besoin d'avoir un esprit soupçonneux pour arriver à la conclusion que ce putsch de la gauche dure contre les institutions tripartites vise justement à combattre la neutralité et l'indépendance dont ces institutions sont garantes. Partant de ceci, et sans traiter du fond - vous le reconnaîtrez, Monsieur le président, j'ai fait un effort - nous vous demandons de voter l'irrecevabilité totale de cette initiative. Si, par malheur elle était refusée, notre groupe demandera et recommandera de voter l'irrecevabilité partielle. Je vous remercie.

Des voix. Bravo !

M. Patrick Lussi (UDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, certains vont se gausser, pour une fois l'UDC a réfléchi lors de son caucus... (Exclamations.) Une fois n'est pas coutume, je vous remercie ! Mesdames et Messieurs les députés, nous avons réfléchi, parce que la question est qu'on nous emmène... Je vais de nouveau me faire azorer, parce que le Conseil d'Etat, qui dirige la chancellerie, paie les juristes de la couronne pour essayer de démolir les initiatives les unes après les autres. Mais est-ce que cela est correct ? Tout le propos que je vais vous tenir, Mesdames et Messieurs les députés, portera là-dessus. D'ailleurs, ne peut-on pas dire aussi, juste en aparté, que nous observons ce soir l'une des causes de cet abstentionnisme citoyen que l'on décrie tellement ? Quand les gens dans la rue nous disent que ça ne sert à rien de signer ni d'aller voter, que le Conseil d'Etat ne fait de toute façon que ce qu'il veut, eh bien le cas précis en est la preuve; il ne fait exactement que ce qu'il veut.

Mesdames et Messieurs, revenons quand même un peu aux fondements. Revenons quand même à ce qu'est une initiative. C'est la réflexion d'associations légales - pas de terroristes ou autres, pour une fois que l'UDC le dit - qui se réunissent dans des comités, qui voient des choses qui ne jouent pas dans nos lois, dans nos systèmes de sécurité, dans nos sociétés, et qui décident de faire un texte. Ce texte est proposé, toujours légalement, dans la rue, sur des stands de récoltes des paraphes, des signatures. Une fois que ce texte est signé, les gens attendent, justement et normalement, que l'autre partie, qui n'a pas signé, puisse se prononcer lors d'un scrutin et d'un vote, car, Mesdames et Messieurs, ces initiatives, si on cherche un peu, elles ne sont pas pour nous ! Ce n'est pas nous qui devons décider si elles sont bonnes ou mauvaises. Nous en déciderons, et je vous le dirai plus tard, en temps opportun en donnant nos préavis. Mais ce soir, de quel droit, et je vous regarde dans les yeux, Mesdames et Messieurs les députés, nous permettons-nous de voler le droit du peuple à s'exprimer majoritairement sur un objet? Le fait de le valider aujourd'hui ne veut pas dire que cet objet sera adopté ipso facto ! Vous savez très bien, Madame la rapporteure de minorité, que l'UDC sera réticente sur certaines choses par rapport à cette initiative. Mais mon propos ce soir n'est pas là ! Nous restons sur la forme. Alors, Mesdames et Messieurs les députés, oui ! Oui, comme quelqu'un disait, je suis fier de servir le peuple dont une partie m'a élu - je ne mets pas tout le monde dans le même sac - oui j'entends agir pour le servir, pour que toutes les prérogatives auxquelles il a droit soient respectées. Et pour cela, Mesdames et Messieurs les députés, et uniquement pour respecter les initiants et ceux qui ont apposé leur paraphe, nous devons valider entièrement cette initiative 151. La place du débat politique, pour ou contre, doit avoir lieu et aura lieu mais dans les moments prévus pour cela, c'est-à-dire en commission, puis lors de la campagne qui précédera la votation. Mesdames et Messieurs les députés, l'UDC vous invite à suivre le rapport de minorité et à valider l'intégralité de l'initiative 151. Merci, Monsieur le président ! (Applaudissements.)

M. Serge Dal Busco (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, chers collègues, le groupe démocrate-chrétien, comme tous ceux représentés dans cette enceinte, respecte bien évidemment la volonté populaire et est animé d'un esprit démocratique. Lorsque nous prêtons serment, en devenant député, de respecter les lois et la réglementation, nous avons également, dans notre arsenal législatif, la prérogative et l'obligation, en l'occurrence, de nous déterminer sur la validité des initiatives. En nous prononçant sur celle-ci et en l'examinant, notamment sous l'angle de la conformité au droit supérieur, nous ne faisons rien d'autre que d'observer le mandat qui nous a été confié, tout en respectant évidemment le peuple qui nous a élus. Dans le cas d'espèce, nous devons donc vérifier, discuter et débattre de la conformité de cette initiative au droit supérieur. L'excellent rapporteur de majorité l'a très clairement exprimé, il y a un problème de conformité s'agissant de l'article 2A et de la création de cette inspection des entreprises, tout simplement parce qu'elle contrevient à des dispositions de droit supérieur, c'est-à-dire de droit fédéral. Elle contrevient notamment à cette fameuse loi sur les travailleurs détachés et sur d'autres dispositions du Code des obligations, qui ont été introduites précisément lorsque les accords bilatéraux sont entrés en vigueur dans le but d'instaurer des contrôles accrus sur des possibles dérives de l'application de ces accords.

La question de la délégation des tâches publiques est également totalement essentielle. Lorsque l'on délègue ces tâches publiques à des organismes qui ont été qualifiés de privés, et c'est effectivement le cas puisqu'ils ne sont pas publics, et qui sont représentés de manière unilatérale, on peut se poser des questions sur la légitimité des décisions que cet organisme peut prendre. Il y a donc véritablement la nécessité de se demander si l'article 29 de la Constitution, c'est-à-dire le droit de chaque citoyen à être traité de manière équitable, est garanti. Nous sommes arrivés à la conclusion, avec le groupe démocrate-chrétien, que tel n'était pas le cas et qu'effectivement, malgré tout le respect que nous portons aux signataires de cette initiative - qui l'ont signée de bonne foi parce que le fond du problème qu'elle soulève existe très certainement, qu'il y des questions à se poser et probablement même des mesures de renforcement, de contrôle, à mettre en oeuvre - les dispositions de conformité au droit supérieur ne sont pas respectées. Le groupe démocrate-chrétien va donc vous proposer d'invalider partiellement cette initiative, précisément sur les questions que je viens d'évoquer. En revanche, nous ne soutiendrons pas la proposition d'une invalidation totale parce que certaines dispositions de l'initiative sont conformes au droit supérieur. Il n'y a pas de raison, par exemple, d'invalider les dispositions qui demandent le renforcement des contrôles par l'OCIRT; il n'y a aucun problème de conformité quant à cette disposition-là et quant à d'autres d'entre elles. C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs, nous vous proposons de suivre intégralement les conclusions du rapport de majorité, soit de déclarer partiellement invalide cette initiative. Voilà ce que je pouvais vous dire au nom du groupe démocrate-chrétien, et je vous invite donc à suivre notre position. Je vous remercie.

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, ce travail que nous faisons aujourd'hui est toujours un peu particulier. Visiblement la constituante va changer les choses, puisque notre nouvelle constitution nous permettra de travailler un peu différemment par la suite.

Nous devons savoir si cette initiative est valide ou non; il ne s'agit pas de se prononcer sur le fond, normalement il s'agit bel et bien de se prononcer sur la validité. Vous avez pu lire les rapports, les Verts ont une lecture différente de la majorité de ce parlement; aux diverses questions qui nous ont été posées concernant la validité de l'initiative, nous avons simplement répondu oui. Pour nous, cette initiative est valide, et c'est la position que nous tiendrons.

Néanmoins, comme tout à l'heure nous avons parlé un moment du fond, il se trouve que les Verts tiennent à dire que oui, dans ce canton nous avons aujourd'hui des soucis de dumping, des soucis réels et des soucis qui concernent aussi les entreprises de la place qui travaillent correctement. Nous sommes donc surpris d'entendre un discours sous-jacent qui donne l'impression que, non, on ne veut pas plus de contrôles. Nous pensons qu'aujourd'hui il faut accompagner l'ouverture des frontières qui a été faite, et qu'il faut contrôler plus fortement. C'est une question d'égalité, non seulement pour les travailleurs, évidemment, mais aussi pour les entreprises qui se comportent de manière correcte, dans un monde concurrentiel où ne pas contrôler revient à fragiliser les entreprises qui respectent les conventions et qui travaillent honnêtement. Nous sommes donc surpris par le discours qui a été tenu sur le fond, parce que nous savons tous qu'aujourd'hui il y a une pression extrêmement forte sur les salaires dans ce canton. J'ai donc été étonné par les propos que j'ai entendus tout à l'heure. Maintenant, la question qui nous est posée est celle de la validité et sur celle-ci nous n'avons aucun doute, nous répondons oui. (Applaudissements.)

M. Edouard Cuendet (L). La problématique de la sous-enchère salariale est loin d'être négligée par les partenaires sociaux. Les milieux patronaux et les milieux syndicaux se parlent, essaient de renforcer certaines mesures, et ils trouvent de larges accords. Le problème de cette initiative, c'est qu'elle constitue un procès d'intentions unilatérales contre le monde des entreprises, contre les entrepreneurs. Je suis d'ailleurs très étonné que l'UDC se rallie à cette majorité de gauche qui tape à longueur de journée sur le monde de l'entreprise. Je trouve ça très regrettable. Au fond, on a affaire ici à une attaque frontale contre le partenariat social, comme ça a déjà été dit, un partenariat social qui a fait ses preuves et qui compte trois parties: les entreprises, les syndicats des employés et l'Etat. Cette volonté de lutter contre la sous-enchère salariale ne doit pas justifier une violation crasse du droit supérieur. Et ici je salue le travail effectué par les juristes de la couronne, comme on les appelle, qui ont étudié à fond cette initiative, qui en ont analysé tous les aspects et qui ont démontré que le problème principal était la non-conformité au droit supérieur et la partialité de l'institution que veulent créer les syndicats. Et là je cite un extrait du rapport du Conseil d'Etat, qui dit: «l'IN 151 propose la création d'une inspection des entreprises constituée exclusivement de représentants des travailleurs. Cette inspection ne comprendrait aucun représentant des employeurs, ni aucun représentant de l'Etat.» Le rapport ajoute ensuite: «Le fait que l'OCIRT ait des compétences parallèles ne change rien à ce qui précède. Par conséquent, la composition d'une inspection des entreprises comprenant uniquement des représentants des travailleurs désignés par la CGAS est contraire à l'article 29, alinéa 1, Cst.» Enfin, et là j'insiste sur le mot qui va suivre: «Ainsi, la privatisation du contrôle des entreprises ne respecte pas un droit fondamental et n'est donc pas conforme au droit.» Alors je reviens ici sur un élément important pour répondre à Mme Bolay, qui est toujours très prompte à critiquer le PLR: on ne peut pas justifier tous les dérapages sous prétexte d'actions syndicales. Je rappelle ici que le Tribunal fédéral vient de sanctionner les syndicalistes qui ont voulu récemment envahir un restaurant. Leur peine a été confirmée et le Tribunal fédéral a souligné la prépondérance des droits fondamentaux, ceux de la propriété privée notamment. D'ailleurs, je m'étonne de votre virulence à l'encontre de notre parti quand, chez vous, dans vos troupes, on a récemment évoqué l'hypothèse d'une séquestration de députés et de conseillers d'Etat comme mesure syndicale possible... (Protestations.) J'ai l'article du «Matin» de ce jour...

Le président. Monsieur le député, vous vous adressez au président.

M. Edouard Cuendet. Je cite votre collègue Marie Salima Moyard: «Le ras-le-bol est tel que certains de mes collègues auraient voulu aller plus loin en séquestrant des députés ou des conseillers d'Etat!». C'est inacceptable, ça vous fait rigoler mais moi pas du tout et je trouve ça lamentable... (Protestations.) Ça montre le jusqu'au-boutisme et la partialité de certains syndicalistes, partialité qui a été dénoncée par le Conseil d'Etat.

J'ajoute qu'il ne faut pas négliger un autre aspect, c'est l'aspect financier. Alors c'est drôle, quand j'ai parlé de l'aspect financier en commission - c'est moi qui l'ai soulevé, personne ne sera surpris - les syndicats ont fait les biches effarouchées. Parce que dans cette initiative ils ne se sont pas oubliés, ils prévoient une rémunération pour leurs enquêtes partiales, rémunération qui va encore augmenter la partialité, évidemment ! Ils ne vont pas renoncer à cette cagnotte comme ça ! En multipliant les enquêtes ils vont gagner plus d'argent, donc ils ont un intérêt absolu à le faire. Et puisque les syndicats seront rémunérés pour cela, les entreprises auront beau jeu de contester la partialité des enquêtes, ce qui conduira à une pluie de recours et créera un blocage total du contrôle. Cette mesure est donc totalement inadaptée, et le phénomène est encore plus critiquable du fait que les syndicats ne se sont pas oubliés sur l'aspect financier. Donc pour toutes ces raisons, je vous invite à suivre le rapport de majorité et déclarer cette initiative partiellement irrecevable, car manifestement contraire au droit supérieur. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Florian Gander (MCG). Tout d'abord, chers collègues, le MCG soutiendra cette initiative dans son intégralité. Cela pour une simple et bonne raison: laissez-moi vous rappeler que c'est déjà le MCG qui, en 2011, a ouvert la porte en déposant un texte avec la motion 2033, ce qui peut-être pour vous vaut des peanuts mais a permis l'engagement de deux inspecteurs supplémentaires à l'OCIRT. Cette motion avait été combattue, à l'époque, par les syndicalistes qui sont présents ici, nous tenons à le rappeler puisque deux députés MCG avaient été décapités par le SIT au motif que nous n'avions pas les mêmes idées. C'est faux et ce soir je vous le prouve ! Je tenais d'autant plus à le signaler que, pour nous, la sous-enchère salariale est quelque chose de grave. Nous sommes persuadés que depuis les accords bilatéraux, avec la sous-traitance en cascade, nous avons de plus en plus de personnes payées en dessous du salaire normal. Et nous sommes convaincus, au MCG, que s'il y a plus de contrôles sur la base de l'honnêteté de nos patrons - parce que nous sommes sûrs que certains patrons sont totalement honnêtes - et que si tout le monde est payé de manière égale, on engagera bien plus de résidents car il y aura moins de dumping salarial et moins de différence entre les Genevois et les étrangers. Le MCG vous demande donc de soutenir cette initiative dans son intégralité. Je vous remercie.

Des voix. Bravo !

Mme Christina Meissner (UDC). Je suis quand même assez atterrée parce qu'aujourd'hui on est là, en train de se poser des questions sur la validité, partielle ou non, ou sur l'invalidité de cette initiative. Mais je ne comprends pas pourquoi on a ce débat aujourd'hui ! Mesdames et Messieurs, il faut se donner la possibilité d'avoir le débat sur le fond en commission ! Mais pour cela, il faut admettre la recevabilité de l'initiative ! Et qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? On jette le bébé avec l'eau du bain plutôt que de se dire qu'il faudrait peut-être améliorer les conditions du bain du bébé ! Parce que le problème est là aujourd'hui ! Dehors, dans la rue, dans les entreprises, en Suisse et à Genève en particulier, on ne peut pas dire que ça va bien ! Il faut assumer notre rôle d'élu et s'en préoccuper. Et ce n'est pas en invalidant toutes les initiatives qui sont proposées par des citoyens qui voient le problème qu'on va y arriver. Alors laissons aussi au peuple le droit de s'exprimer, faisons en sorte que le fond, la forme et le tout soient respectés même si pour cela il faut un peu travailler ! C'est la raison pour laquelle aujourd'hui l'UDC vous dit d'aller de l'avant, de travailler sur le fond et de recevoir cette initiative. Et puis j'entends bien la droite, hormis l'UDC, dire que l'initiative ne respecte pas le droit supérieur, la commission tripartite, etc. Il s'agit de déléguer une partie des pouvoirs, donc, pour pouvoir définir ce que représente cette partie des pouvoirs et ce que l'inspection du travail pourra faire, il faut se préoccuper du fond... (Brouhaha.) On en revient donc toujours à la même chose, faisons notre travail plutôt que de bâcler celui des autres. Merci ! (Applaudissements.)

M. Christian Dandrès (S). Mesdames et Messieurs les députés, depuis le mois de mai 2012, le Grand Conseil a invalidé trois initiatives. A chaque fois, l'Entente, le PLR en tête, avait effectivement invoqué des lois de principe de la Constitution fédérale: IN 147, principe de clarté, non-conformité au droit fédéral; IN 148 idem; IN 149 a été validée, IN 150 non. Je crois que lors du dernier débat, M. Lussi avait fait preuve d'honnêteté et avait expliqué qu'en somme tout était bon pour invalider et ne pas soumettre au peuple l'initiative qui politiquement pouvait déplaire à la majorité. Dans la mesure où peu de députés ont la bonne foi de M. Lussi, il nous faut, session après session, jouer cette sorte de farce dont nos institutions ne sortent pas grandies. Alors qu'est-ce que l'Entente nous propose ce soir ? Sans surprise, défaut de conformité au droit fédéral. Elle invoque les garanties de procédure dont jouissent les citoyens, elle invoque également la liberté économique. Mesdames et Messieurs les députés, de quoi parlons-nous dans cette initiative ? Celle-ci vise à améliorer grandement les mesures d'accompagnement qui ont été prévues pour encadrer la libre circulation des personnes. La solution est intéressante parce qu'elle exploite l'engagement de personnes qui se vouent au quotidien à la défense des conditions de travail, de personnes qui oeuvrent dans notre canton. Je pense qu'il faut rappeler également que les garanties qui sont invoquées, soit l'article 29 de la constitution, sont préservées puisque, le rapporteur de minorité l'a expliqué, l'inspection des entreprises fait ici le porteur d'eau pour l'OCIRT et pour le Conseil de surveillance du marché de l'emploi. Ils doivent donc naturellement disposer d'outils pour pouvoir mener leurs enquêtes, et ces outils c'est l'accès aux entreprises. Et je crois qu'il y a un point qui a été oublié par le rapporteur de majorité, c'est que ces personnes sont soumises au secret de fonction et ne peuvent naturellement pas divulguer d'informations.

L'Entente fait également grand cas de l'impartialité de l'enquêteur, notion qu'à mon avis elle dévoie. Elle la dévoie parce que l'impartialité c'est celle qui est due entre les entreprises, c'est-à-dire que l'inspecteur ne doit pas traiter moins bien une entreprise plutôt qu'une autre. En revanche, l'inspecteur ne doit pas avoir de sympathie particulière pour le monde des entreprises, justement pour respecter ce principe. Et ici je pense qu'il faut faire un parallèle avec le Ministère public. Celui-ci, sous l'ancien droit de procédure, avait pour tâche d'instruire à charge un dossier. Je ne pense pas que l'Entente criait, à l'époque, qu'il y avait là une partialité particulière à l'égard du prévenu ou à l'égard de l'accusé, et je pense qu'il doit en aller de même de l'inspection des entreprises; celle-ci n'a pas à juger de la culpabilité éventuelle d'une entreprise mais doit simplement enquêter et transmettre le dossier à l'OCIRT ou au CSME.

Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le président, je vous encourage à lire le rapport, et notamment les auditions qui ont été faites de la FER et de l'UAPG, et je pense que ces auditions devraient achever de convaincre quiconque aurait encore un doute sur la nécessité de soumettre cette initiative au peuple. Les syndicats patronaux ont montré ici, je crois, leur esprit libertarien qu'on peut qualifier de cynique, puisqu'on a entendu le représentant de la FMB prendre le maquis au moment du renfort de la protection contre le dumping, ce qui absolument risible. Pour la FMB, le contrôle anti-dumping c'est, je cite, «pénaliser gravement les entreprises, c'est une entrave à la liberté économique, c'est stigmatiser l'entreprise», c'est la page 11 du rapport, pour les personnes qui l'ont sous les yeux. Mesdames et Messieurs les députés, je pense qu'effectivement il est temps de lever le voile sur ce qu'il se passe dans les entreprises pour préserver les conditions de travail, et c'est la raison pour laquelle les socialistes vous encouragent à voter la validité intégrale de cette initiative, afin que la population puisse se prononcer. (Applaudissements.)

Fin du débat: Session 02 (novembre 2012) - Séance 8 du 30.11.2012