Séance du jeudi 22 mars 2012 à 14h
57e législature - 3e année - 6e session - 35e séance

M 1950-B
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Anne Emery-Torracinta, Christian Bavarel, Philippe Schaller, Marie Salima Moyard, Mathilde Captyn, Alain Charbonnier, Christian Dandrès, François Lefort, Brigitte Schneider-Bidaux, Lydia Schneider Hausser, Fabiano Forte, Michel Forni, Anne Marie von Arx-Vernon, Olivier Norer : Il faut connaître l'ampleur et l'évolution de la pauvreté pour la combattre !

Débat

Le président. Nous sommes au point 54. La parole est demandée par Mme la députée Anne Emery-Torracinta.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce rapport du Conseil d'Etat est donc la réponse à une motion déposée par plusieurs partis politiques de ce Grand Conseil, motion qui a été travaillée pendant plusieurs semaines en commission des affaires sociales et qui a mis en évidence un certain nombre de problématiques dans notre canton, lesquelles étaient toutes liées à la pauvreté. Vous conviendrez comme moi que, dans une région qui est quand même l'une des plus riches du monde, il y a de quoi se poser des questions quand on sait qu'une partie de notre population est pauvre.

Tous partis confondus, la commission des affaires sociales était... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...arrivée à la conclusion qu'il était utile de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat en la modifiant quelque peu et en proposant trois invites. L'une de ces invites demandait - c'est la première - que, tous les deux ans, le Conseil d'Etat nous fasse un rapport «décrivant l'ampleur et l'évolution de la pauvreté à Genève de manière à permettre une évaluation et un suivi des politiques mises en oeuvre dans ce domaine». Que nous répond le Conseil d'Etat ? Je vous fais grâce des détails, mais, en gros, il nous dit que l'Etat a déjà tous les outils nécessaires pour prendre la mesure de ce phénomène de pauvreté et adapter ses politiques publiques en conséquence. En d'autres termes, on nous dit: «Circulez, Mesdames et Messieurs les députés, il n'y a rien à voir ! Nous, au gouvernement, nous savons ce qu'il y a à faire, nous connaissons le sujet, mais nous n'avons pas l'intention de vous donner les informations qui y sont liées.»

Certes, ces informations existent, mais elles existent de manière, je dirai, éparpillées. Et l'intérêt de ce que nous demandions, c'est que, justement, il y ait une réunion de toutes ces informations dans le cadre d'un rapport et que nous puissions, en tant que politiques, mesurer la pauvreté, son évolution, son ampleur, et surtout proposer des solutions.

Deuxième invite. Il s'agissait de «mesurer l'évolution de l'endettement ainsi qu'à analyser les facteurs clés qui provoquent cette problématique à Genève». Là, le Conseil d'Etat nous répond - et je veux bien lui en savoir gré - qu'il y a déjà quelque chose en route dans ce domaine. Donc, soit.

Troisième invite. Il s'agissait d'«évaluer l'impact de la pauvreté sur la qualité de la santé», en lien notamment avec les enquêtes pratiquées par le Bus Santé. Là aussi, la réponse est, à mon avis, totalement insuffisante, puisqu'on nous dit que, de toute façon, ce que fait le Bus Santé ne permettrait pas réellement de répondre aux questions posées et que, autrement, une étude de l'impact sur l'espérance de vie - comme le sollicite la motion - demanderait d'étudier systématiquement toutes les données de mortalité du canton de Genève: apparemment, cela n'intéresse pas le Conseil d'Etat.

Le président. Il vous faut conclure, Madame.

Mme Anne Emery-Torracinta. Je conclus, Monsieur le président ! Pour vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que je vous invite, simplement au nom du respect de la séparation des pouvoirs, à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

M. Philippe Schaller (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe démocrate-chrétien ne sera, concernant ce rapport, pas aussi sévère que le groupe socialiste. Nous avons été signataires de cette motion, mais, depuis son écriture ainsi que son dépôt au sein de ce parlement, il s'est passé un certain nombre de choses et plusieurs adaptations législatives. Le rapport du Conseil d'Etat le rappelle, ce que je fais brièvement: nous avons voté le PL 10600 soutenant les familles pauvres qui travaillent; nous avons également voté le projet de loi - confirmé par le peuple - sur l'aide individuelle au niveau du dispositif qui remplace et renforce l'insertion; nous avons aussi adopté en commission de l'économie le PL 10821 sur le chômage, projet que nous espérons voir adopter aujourd'hui; de plus, nous avons voté en commission des affaires sociales le PL 10823 relatif à la politique de cohésion sociale en milieu urbain, projet qui sera également à l'ordre du jour de ce plénum. Il y a eu, en outre, d'autres mesures prises par le Conseil d'Etat: mandat du CATI - instance intervenant comme observatoire des inégalités; rôle de cartographies et de tableaux de bord; mise en place du programme cantonal de lutte contre l'endettement, réunissant des acteurs publics et privés; mise en place d'une consultation mobile de soins communautaires aux HUG et renforcement de cet équipe mobile; suppression, au niveau fédéral, de la pénalité par refus des prestations en cas de non-paiement des primes, cette suppression permettant d'améliorer l'accès aux soins.

Nous remercions le Conseil d'Etat, parce que son rapport nous montre qu'il développe une certaine transversalité au sein du système social du canton. Mais le sujet de la pauvreté est complexe: comment faire, sans créer une structure supplémentaire ? Alourdir le travail des fonctionnaires, pour, in fine, quelles actions ?

Il est vrai que la pauvreté est multiple et insidieuse, l'urbanisation des villes et la globalisation de notre monde conduisant à des problématiques nouvelles. La lutte contre la pauvreté demande donc de rassembler de nombreux acteurs de terrain; elle demande également des analyses fines au sein des quartiers, des communautés, de groupes à risque. Acteurs publics, privés, institutions et associations doivent s'impliquer. C'est effectivement au niveau local: nous pensons que l'on peut agir de manière plus adéquate et plus efficace... (Brouhaha.) ...ainsi qu'avec une politique volontariste...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Philippe Schaller. ...et transversale. Et c'est pour cela que, en complément à cette motion et en complément au rapport du Conseil d'Etat, nous espérons que l'adoption du projet de loi 10823 - relatif à la politique de cohésion sociale en milieu urbain - nous permettra d'avoir une meilleure connaissance des poches de pauvreté, cibler les personnes à risque et avoir une action locale de tous les acteurs.

M. Eric Bertinat (UDC). Chers collègues, l'UDC est moyennement satisfaite de ce rapport. Moyennement, parce que, à travers les explications données, on peut constater que de nombreuses choses se font dans le cadre de la pauvreté et de l'endettement à Genève, mais que nous n'avons pas une réponse formelle de la part du Conseil d'Etat quant à savoir s'il nous livrera ou pas, tous les deux ans, un rapport, tel qu'il l'est demandé dans la motion. Voilà, si je puis dire, l'approche technique de cette motion.

Mais il y a aussi une approche plus politique à suivre, et elle doit avoir lieu, parce que, depuis environ deux ans, Genève subit les effets de la libre circulation. On attendait un miracle économique, mais on découvre surtout les problèmes que l'on ne nous avait pas annoncés, et que notre canton rencontre aujourd'hui avec la libre circulation: son impact, dur pour la plupart des salariés; les baisses de salaires que l'on peut observer un peu partout; la difficulté pour nos jeunes - et pour les moins jeunes - à retrouver de l'emploi. Par ailleurs, de nombreuses données ont, depuis deux ans, fondamentalement changé, non seulement dans le cadre du chômage, mais, bien évidemment - une fois que le chômage de longue durée entre en ligne de compte - aussi dans le cadre de la pauvreté. Cela, il faut pouvoir l'aborder maintenant en tenant compte des difficultés que rencontrent les Genevois.

Il y a deux ans encore, l'étudiant qui terminait ses études par un diplôme était presque assuré de trouver un emploi; le jeune qui sortait des filières d'apprentissage terminait son apprentissage, puis trouvait un emploi... C'est terminé aujourd'hui ! Ici, à Genève, les jeunes qui font un apprentissage ont bien souvent du mal à retrouver un emploi. Quant à ceux qui font des études, voire des études très poussées, ils ont toutes les peines du monde à venir sur le marché de l'emploi, parce qu'il y a une pression absolument folle de la part des pays européens. Il vous suffit de vous promener à Genève pour constater les nombreuses plaques minéralogiques de tous les pays d'Europe, et pour voir des gens venant directement chercher de l'emploi ici. Ils arrivent avec des capacités professionnelles assurées, mais également avec un appétit salarial moindre que celui que nous montrons, nous Genevois, pour vivre dans ce canton - ils l'auront évidemment dans quelques mois ou dans quelques années - et, aujourd'hui, il y a une réelle compétition dont nous devons tenir compte. Et, pour nous, ce rapport sur la pauvreté est un rapport indirect sur la situation non seulement de l'emploi à Genève, mais aussi des salaires qui y sont pratiqués depuis deux ans.

Dernière petite remarque. Lorsque le débat du 11 juin 2011 a eu lieu, notre collègue Mme la députée Rolle relevait les difficultés des agences de placement - paraît-il - à trouver ici le personnel nécessaire, agences qui allaient évidemment le recruter en France, ce qui ne faisait qu'accroître la difficulté pour les Genevois et les résidents vivant à Genève de trouver un emploi. J'ai eu hier, avec différents conseillers municipaux, une discussion sur des agences de placement qui, elles, se sont...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Eric Bertinat. Oui, Monsieur le président. ...engagées à aider les chômeurs à Genève: elles sont confrontées au problème inverse - puisqu'elles ne veulent pas aller recruter en France pour trouver plus facilement du personnel, mais vraiment aider le résident genevois à trouver de l'emploi - et elles se trouvent face à des difficultés monstrueuses, car il y a évidemment à disposition, à Genève, tout le personnel que vous voulez: personnel venant de l'Europe.

Donc, ce rapport ne nous satisfait pas. Et nous ferons de même que les socialistes: nous désirons le renvoyer au Conseil d'Etat.

M. Patrick Saudan (R). Mesdames et Messieurs les députés, les députés radicaux et libéraux du groupe PRL... (Commentaires.) ...vont prendre acte de ce rapport, cela néanmoins avec deux regrets.

Tout d'abord, je dois dire que nous sommes tout à fait en accord avec le Conseil d'Etat en ce qui concerne la conclusion de ce rapport, qui rappelle opportunément que notre canton utilise un dispositif dense de prestations sociales à même de lutter efficacement contre la précarité dans notre population genevoise.

Par rapport aux invites, et pour ce qui est de la première, demandant un rapport bisannuel pour faire le point sur «l'ampleur et l'évolution de la pauvreté» dans notre canton, il est vrai que le Conseil d'Etat dispose de multiples sources d'information, tant fédérales que cantonales, pour mesurer cette pauvreté et analyser son ampleur; néanmoins, un rapport synthétique bisannuel aurait pu tout à fait se concevoir. Cela n'a pas été le cas, c'est notre premier regret.

Concernant la deuxième invite, sur l'évolution de l'endettement dans la population genevoise et l'analyse des facteurs clés contribuant à ce phénomène qui est de plus en plus prégnant dans notre population - celle des jeunes en particulier - nous pensons que la politique menée par le Conseil d'Etat - avec son programme cantonal de lutte contre le surendettement qui vient d'être lancé - est la réponse adéquate. Pour nous, le Conseil d'Etat a donc répondu à satisfaction à cette deuxième invite.

En revanche, en ce qui concerne la troisième invite, sur l'impact de la pauvreté sur la qualité de la santé, nous devons déplorer que le Conseil d'Etat ne veuille pas utiliser les potentialités de l'unité d'investigation épidémiologique populationnelle, à savoir le Bus Santé, qui, à notre avis, est un instrument fantastique et serait facilement - facilement ! - adaptable pour mesurer l'impact de la pauvreté sur la santé des Genevois. Je vous rappelle qu'on parle de plus en plus de médecine urbaine et que les facteurs environnementaux deviennent toujours plus importants pour déterminer notre état de santé. C'est pour cela que nous encourageons le Conseil d'Etat à revoir sa position par rapport à une utilisation du Bus Santé dans l'évaluation de la pauvreté. Néanmoins, nous sommes conscients des efforts considérables que ce canton réalise pour les personnes en état de précarité, et nous prendrons acte de ce rapport.

Mme Esther Hartmann (Ve). Le groupe des Verts demandera le renvoi de la motion au Conseil d'Etat. Nous ne sommes pas du tout satisfaits par le rapport de ce dernier concernant cette motion. Nous sommes surpris d'entendre que le PLR va soutenir et prendre acte de ce rapport, alors qu'il admet qu'il n'est pas satisfait de deux réponses sur trois, ce qui représente quand même un pourcentage assez élevé.

Nous, par souci de cohérence, nous allons demander que cette motion soit à nouveau traitée par le Conseil d'Etat. Nous ne sommes pas satisfaits qu'il soit dit, par exemple concernant le Bus Santé, que ce dernier n'a pas les moyens de traiter les données. En commission on nous avait indiqué que ce Bus Santé pouvait effectuer ce travail-là d'une manière économique, rationnelle, et qu'il pouvait très bien ajuster ses instruments de mesure aux demandes de la commission ou aux demandes que l'on pourrait lui présenter. De plus, l'argument selon lequel les problèmes de remboursement de caisses maladie sont supprimés depuis le 1er janvier et que tout le monde pourra maintenant bénéficier d'une couverture de l'assurance-maladie ne nous semble pas satisfaisant. Une partie importante de la population renonce à la prise de soins: non seulement parce qu'elle ne peut pas, parce qu'elle n'est pas assurée ou parce qu'elle ne peut pas payer les primes maladie, mais aussi tout simplement parce qu'elle ne peut même pas payer les frais de franchise. Donc, c'est une population que l'on ne peut pas forcément mesurer statistiquement pour le moment.

Ainsi, pour ces différents motifs, nous renvoyons à nouveau la motion telle quelle au Conseil d'Etat.

M. Mauro Poggia (MCG). Chers collègues, le groupe MCG demandera le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat. Nous arrivons très exactement au même constat que ceux qui ont été évoqués par notre collègue M. Saudan, mais, en ce qui nous concerne, nous tirons les conséquences de ce constat: nous ne disons pas que nous ne sommes pas satisfaits, mais que nous prenons acte. Nous considérons qu'une insatisfaction doit forcément déboucher sur quelque chose de plus qu'une prise d'acte; c'est pour aller de l'avant et pour améliorer les démarches que nous sommes ici.

Ce rapport est intéressant, et nous ne sommes pas en train de dénigrer le travail fait par le Conseil d'Etat, et par M. François Longchamp en particulier, pour la lutte contre la précarité. Nous savons que des projets de lois sont sur le point d'être votés, d'autres l'ont été. C'est donc une préoccupation de notre Conseil d'Etat, et nous en sommes évidemment conscients. Par contre, la lutte contre la pauvreté implique d'abord une connaissance de l'évolution de cette pauvreté: on ne lutte un ennemi que lorsqu'on connaît les caractéristiques de cet ennemi. Or, ici, sur les trois invites figurant dans la motion, deux ne sont abordées que de manière incomplète par le Conseil d'Etat - elles ont été abordées par d'autres avant moi.

Je le répète, nous souhaitons effectivement un rapport tous les deux ans, pour savoir comment évolue la pauvreté. Il ne suffit pas de nous dire que la Confédération est là pour faire ce travail... Si la Confédération s'occupe de la pauvreté comme elle s'occupe de la sélection des avions de guerre, eh bien, je préfère, pour ma part, m'en charger !

Concernant la troisième invite, celle de l'évolution de l'impact de la pauvreté sur les soins, nous sommes tous conscients ici que la précarité de notre population amène de plus en plus de nos concitoyens à renoncer à se soigner comme leur état le nécessiterait, et c'est une préoccupation. Car, nous le savons tous, ne pas se soigner aujourd'hui c'est, évidemment, impliquer demain des coûts beaucoup plus importants ! Nous sommes heureusement dans une société solidaire qui ne laisse pas mourir les gens au bord de la route, et cela impliquera - si l'on veut raisonner en termes libéraux - des coûts supplémentaires pour la société. Donc, il y a une structure s'appelant Bus Santé qui est à disposition, et je pense que nous devons absolument lui maintenir son mandat - et augmenter ce mandat - afin de savoir comment cette précarisation de notre population a des impacts sur les soins.

Voilà pourquoi, Monsieur le président, chers collègues, nous considérons que ce rapport doit être renvoyé au Conseil d'Etat, afin qu'il améliore sa copie, tout en sachant qu'il est sur la bonne voie.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Nous passons maintenant au vote.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 1950 est adopté par 46 oui contre 28 non.

Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 1950 est donc refusé.