Séance du
jeudi 15 mars 2012 à
20h30
57e
législature -
3e
année -
6e
session -
29e
séance
R 688
Débat
Le président. Nous sommes au point 86... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Nous sommes au point 86... (Brouhaha.) S'il vous plaît, Messieurs du MCG, un peu de calme ! Le premier rédacteur et déposant est M. le député Bertrand Buchs, à qui je donne la parole.
M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Il est peut-être difficile ou bizarre qu'un médecin qui est un libéral et qui exerce comme libéral demande une planification pour l'ouverture des cabinets médicaux. Cela peut sembler contradictoire, mais ce ne l'est pas. Pourquoi ? Parce que, en 2002, la Confédération a décidé d'une clause du besoin... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) De 2002 à 2010... (Brouhaha.)
Le président. Monsieur le député, veuillez m'excuser de vous interrompre. Je prie les députés qui souhaitent avoir des mises au point politiques ou stratégiques de bien vouloir le faire dans l'une des salles attenantes ou d'écouter M. le député Bertrand Buchs. Je vous rends la parole, Monsieur le député.
M. Bertrand Buchs. Merci, Monsieur le président. Je disais que, de 2002 à 2010, le canton a pu faire une planification pour l'ouverture des cabinets, parce que la clause du besoin au niveau fédéral le permettait. Au départ, les médecins étaient contre cette clause du besoin, puis se sont rendu compte qu'elle avait un bon côté, parce que l'Etat a eu l'intelligence d'associer tous les acteurs de la santé dans cette planification. A partir de 2010, les médecins de famille ont pu s'installer sans clause du besoin et, à partir de cette année, tous les médecins peuvent s'installer.
Or que voit-on ? Malheureusement, au niveau des cabinets médicaux, Mesdames et Messieurs les députés, il n'y a pas de concurrence. On peut penser que, en permettant l'installation de multiples médecins, la concurrence va s'installer, les meilleurs vont rester et les moins bons partir. Malheureusement, ce n'est pas le cas, parce qu'il y a un tarif, parce que chaque cabinet médical qui est ouvert coûte beaucoup d'argent; cela montre que, à la longue, les coûts de la médecine flambent. Que se passe-t-il si les coûts de la médecine flambent au niveau cantonal ? Vos primes d'assurance-maladie vont monter.
Pendant les années de la clause du besoin, avec la collaboration du département, on a réussi à avoir une excellente gestion de l'ouverture des cabinets médicaux, qui n'était peut-être pas parfaite mais qui était bonne. Genève a été montré en exemple dans toute la Suisse; on a pris Genève en exemple pour montrer ce que l'on pouvait faire d'intelligent.
Ce ne sont peut-être pas tous les cantons qui ont besoin de planification, mais ce sont principalement les cantons qui ont une frontière, comme Bâle, Zurich ou Genève. Mais il faut laisser aux cantons la possibilité de faire une planification sanitaire. Actuellement, la loi ne le permet pas; c'est Berne qui le fait. Il faut une planification pour les cabinets médicaux. On ne peut pas continuer comme cela. Actuellement, plus de 120 personnes veulent s'installer. Les gens s'installent et il y a une espèce de volonté de certaines cliniques d'ouvrir énormément de cabinets médicaux. Il y a une volonté aussi d'investir énormément d'argent dans la santé. Le résultat est que l'on va avoir une anarchie complète au niveau de la demande, et surtout de l'offre. Faut-il autant de psychiatres que nous en avons à Genève ? Faut-il autant de chirurgiens que nous en avons à Genève ? Les médecins généralistes, les médecins de famille, ont de gros problèmes pour tourner. Il faut quand même se reposer la question de savoir ce qui peut être bien ou mal au niveau des cabinets médicaux et des besoins que l'on a quant aux spécialités.
Voici donc ce qu'il faudrait. C'est d'ailleurs pour cela que, avec cette résolution, nous voulons soutenir le travail de M. le conseiller d'Etat Unger, qui s'est déjà battu à Berne afin de pouvoir obtenir une planification au niveau cantonal. Il est important que nous renvoyions le plus vite possible...
Le président. Il vous faut conclure !
M. Bertrand Buchs. Merci, Monsieur le président. Il est important que nous renvoyions le plus vite possible aux Chambres fédérales cette résolution, pour qu'elles puissent en discuter le plus vite possible.
Mme Christine Serdaly Morgan (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, la clause du besoin est une question complexe, au carrefour de plusieurs autres. D'abord, même si l'on peut considérer la décision de la lever comme mauvaise, elle a été voulue au niveau national dans un concept de planification de la santé. Demander une exception cantonale non seulement ne sera pas simple, mais cela ne fait pas non plus sens, aujourd'hui, dans une politique de la santé qui doit être pensée à tout le moins en termes de région.
Par ailleurs, si plus de cabinets équivaut à plus de coûts, on peut dire oui a priori. Mais l'augmentation aujourd'hui constatée de la demande de droit de pratique ne va pas forcément déboucher sur l'ouverture de cabinets. Un cabinet, Mesdames et Messieurs les députés, c'est aussi une perspective de carrière. (Brouhaha.) Or si les étudiants qui se forment... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Or si les étudiants qui se forment aujourd'hui n'ont plus d'autres visions de leur métier que celle de l'exercer à l'hôpital, on risque de diminuer l'attractivité de la filière et d'accentuer encore la pénurie.
Enfin, ouvrir un cabinet tout seul peut certes contribuer à augmenter les coûts de la santé, mais ce n'est pas la seule manière d'envisager la médecine en cabinet. Il y a d'autres formes qui peuvent émerger, des formes en réseaux, qui peuvent contribuer à transformer les pratiques médicales pour une gestion plus économique de la santé.
N'évaluons donc pas la question tout seuls en la renvoyant à l'Assemblée fédérale, mais renvoyons-la à la commission de la santé de manière à ne pas raisonner tout seuls sur une question nationale, mais à l'évaluer d'abord collectivement.
M. Patrick Saudan (R). Mesdames et Messieurs les députés, les députés du groupe PLR vont également demander le renvoi de cette proposition de résolution à la commission de la santé. Le problème est important, et je remercie mon préopinant, M. Bertrand Buchs, de l'avoir amené dans notre enceinte. Les considérants de cette proposition de résolution sont tout à fait exacts. Depuis 2010 et la levée de la clause du besoin pour les généralistes, beaucoup de praticiens de premier recours de l'Union européenne se sont installés à Genève. Et, depuis janvier 2012, 120 demandes d'installation ont été déposées. Mais il faut savoir que, sur ces demandes d'installation, beaucoup proviennent de spécialistes suisses, en particulier des HUG, qui ont profité de la levée de la clause du besoin pour les spécialistes pour demander leur installation. Il est également vrai que l'accroissement du nombre de cabinets médicaux augmente les dépenses de santé et que certaines ne sont pas justifiées; cela va se reporter sur les primes de nos concitoyens et en provoquer l'augmentation. Il est aussi vrai que l'on admet tout à fait une régulation au niveau hospitalier, par exemple dans la médecine de pointe. Tout le monde en Suisse admet que les transplantations cardiaques, par exemple, ne doivent être pratiquées que dans un ou deux hôpitaux en Suisse. Donc le PLR, a priori, n'est pas opposé à une régulation du secteur privé dans certains domaines.
Alors pourquoi ne pas renvoyer directement cette résolution à Berne ? D'abord - et nous devons rendre hommage au conseiller d'Etat - le conseiller d'Etat a essayé depuis de nombreuses années d'obtenir une clause régionale du besoin, et a cependant essuyé des échecs à la Berne fédérale. Or ce n'est pas en renvoyant rapidement une résolution à l'Assemblée fédérale que nous allons réussir; nous allons juste lui assurer un classement vertical. En effet, comme le dit Mme Serdaly Morgan, ma préopinante, la solution ne peut être que régionale. Genève tout seul n'arrivera pas à fléchir la position de la Berne fédérale. Il faut savoir que les besoins en médecins sont dans certains cantons très différents des cantons frontaliers comme Genève, Bâle ou le canton de Vaud. C'est pour cela que, si l'on veut arriver à une planification intelligente, il nous faut l'accord des associations professionnelles et le soutien d'autres cantons.
Deuxièmement, le parti libéral-radical aborde cette problématique sous un angle un peu différent, qui est aussi celui de la nécessité d'une meilleure information pour les résidents genevois, et suisses en général, sur la qualité de la formation postgraduée des médecins qui s'installent en Suisse. C'est pour cela que nous avons déposé...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Patrick Saudan. Je vous remercie, Monsieur le président. Laissez-moi encore une minute. (Rires.) Et c'est pour cela que nous avons déposé une proposition...
Le président. Non !
M. Patrick Saudan. Je parle très peu, Monsieur le président !
Le président. Non !
M. Patrick Saudan. Nous avons déposé une proposition de motion qui rejoint un peu cette problématique et qui est à notre ordre du jour.
Donc oui, c'est une urgence, mais nous préférons renvoyer cette proposition de résolution à la commission de la santé pour qu'elle soit mieux étudiée, juridiquement solide et non en contradiction...
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député !
M. Patrick Saudan. ...avec les accords de libre circulation. (Le micro de l'orateur est coupé.)
M. Claude Aubert (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, dans le cadre du duo pédagogique PLR, je vais prendre la parole pour aller et continuer dans le sens de Mme Serdaly Morgan. Il faut savoir qu'il y a plusieurs plans qui s'entrecroisent et qu'il ne faudrait pas prendre le métier de médecin pour un métier en dehors des autres métiers; tout ce qui est de l'ordre de la libre circulation touche aussi bien la médecine que d'autres métiers. Par conséquent, il faut distinguer deux plans qui sont vraiment différents.
D'une part, un médecin en Suisse peut parfaitement demander un droit de pratique, s'installer et pratiquer sa profession à titre libéral, c'est-à-dire qu'il peut pratiquer sans être forcément à charge de l'assurance-maladie. Par conséquent, vous pouvez vous installer comme médecin et être libre praticien, dans mon idéal - qui est un monde PLR bien évidemment... (Rires.) Dans le monde PLR, la concurrence devrait pouvoir jouer comme pour n'importe quel autre métier.
En ce qui concerne l'aspect LaMal, cela signifie que, quand vous vous installez, vous pouvez vous installer à charge de la LaMal. L'écrasante majorité des médecins est à charge de la LaMal. Mais on n'est alors plus dans un métier que l'on appellera libéral, parce que le médecin n'assume en fait pas complètement les réalités économiques de sa profession.
Donc nous sommes intervenus - la Fédération des médecins suisses - au niveau de Berne, à l'époque auprès de Mme Dreifuss, pour faire remarquer qu'il est certes possible d'utiliser la libre circulation des personnes, bien sûr, mais que cela ne se passe ainsi dans aucun pays européen, directement, parce que tous les pays annoncent quelques obstacles pour l'installation. Par exemple, en Italie, je sais qu'il faut passer un examen de médecine légale, c'est-à-dire montrer que l'on connaît un certain nombre de choses. Autrement dit, chaque pays met une sorte de cautèle.
Par conséquent, il s'agirait de savoir où mettre la régulation. La régulation doit-elle se faire au niveau des médecins qui sont agréés pour travailler à charge de l'assurance-maladie, charge aux autres médecins de travailler autrement ?
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Claude Aubert. Dans ma conclusion, conformément à ce qu'a dit mon préopinant, nous demandons le renvoi en commission, parce qu'il faut que la flèche soit vraiment affûtée et acérée et que l'on ait cerné exactement ce que l'on veut demander aux Chambres fédérales. Donc nous demandons le renvoi en commission.
Mme Esther Hartmann (Ve). Je vais être la deuxième personne à prendre la parole ce soir à ce sujet, je crois, qui ne sera pas médecin. (Remarque.) Pour le moment ! Je vais donc avoir le point de vue de la patiente qui va voir le médecin. Si j'ai un grave problème de santé et que je me retrouve par exemple chez un neurochirurgien, je préfère savoir que mes frais de santé sont couverts par la LaMal plutôt qu'ils ne le soient pas. Autrement, j'aurais un problème pour me faire opérer, je pense, vu les frais que j'encourrais en raison d'une opération.
Maintenant, l'attitude de certains et ce que j'entends me rendent quand même assez perplexe. Au niveau fédéral, on parle constamment de réduction des frais de santé. On nous parle de managed care, on supprime le remboursement des frais de lunettes, on conseille aux gens de rester le moins possible à l'hôpital, on exerce des pressions sur les hôpitaux pour que les séjours hospitaliers soient de plus en plus brefs... Et tout d'un coup, en janvier 2012 - paf ! - voilà que l'on peut faire autant de cabinets médicaux que l'on veut, et voici donc que les primes risquent de nouveau de s'envoler et que, grâce à la libre entreprise, tous ces efforts conjugués - d'ailleurs promulgués en partie aussi par le parti libéral-radical à Berne - se trouvent un peu contredits.
Je suis pour une certaine cohérence. Je prône une certaine régulation aussi pour les cabinets médicaux. En conclusion, les députés Verts vont soutenir la résolution du PDC et le renvoi direct aux Chambres fédérales. Perdre du temps dans la situation actuelle - si urgente - par rapport aux risques d'explosion des frais de la santé à Genève, c'est de l'inconscience. Nous ne soutiendrons pas le renvoi à la commission de la santé. (Quelques applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC). Comme a dit ma préopinante, je serai peut-être le troisième non-médecin à m'exprimer et, à titre peut-être de futur patient potentiel... (Brouhaha.) ...j'aimerais dire deux choses. La première n'est pas fréquente. Je sais que le parti démocrate-chrétien et M. Unger en particulier ont toujours eu beaucoup de souci à défendre M. Tout-le-monde, M. De-la-rue, à ce sujet. Cette proposition de résolution, pour nous - c'est peut-être là que vous serez moins d'accord, Monsieur le conseiller d'Etat - est un peu la réalité que l'on n'ose pas dire. En effet, on a en somme prévu il y a trois ans une clause du besoin. Quand il y a eu ces ouvertures, cette clause du besoin s'est effacée, vu les délais. Puis maintenant, on s'aperçoit que, sans cette clause du besoin, cela ne fonctionne pas; vous l'avez clairement dit, je vous en remercie. J'aurais juste aimé que vous en disiez un peu plus sur les causes et les autres remèdes.
Je n'irai pas plus loin, parce que tout a été dit, mais je reviendrai simplement, Mesdames et Messieurs les députés, sur le fait de renvoyer en commission une évidence pour remettre ce qui est en place. Voici ce que dit l'invite et ce que demande cette proposition de résolution: «elle invite le Conseil d'Etat à demander aux Chambres fédérales de permettre aux cantons, qui le désirent, de pouvoir mettre sur pied une planification portant sur l'ouverture de nouveaux cabinets médicaux.» On refait pareil ! Pourquoi reprendre cela en commission ? Pourquoi faire venir une armada de juristes pour cela ? Mesdames et Messieurs les députés, l'UDC vous invite à accepter cette résolution et à la renvoyer directement à Berne.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme la députée Christina Meissner, à qui il reste une minute et trente secondes.
Mme Christina Meissner (UDC). Merci, Monsieur le président. Beaucoup de choses ont été dites, surtout par mon préopinant. Il faut simplement aussi admettre la réalité: l'ouverture des frontières implique une concurrence rude, extrêmement rude, qui va du bas en haut de l'échelle sociale, qui touche tout le monde, y compris les médecins ! Voilà le problème. Avec cette proposition de résolution, on n'ose pas dire que le problème est en fait qu'il y a trop de concurrence qui vient d'ailleurs et que - qui sait ? - ces médecins sont peut-être même meilleurs que les nôtres. Alors on s'attaque à la formation, on cherche des artifices. Mais admettons-le, la situation actuelle est telle que la concurrence, pour nous Suisses, nous Genevois, que l'on soit médecin ou pas, est terrible. Les bilatérales nous ont apporté un problème terrible. Et s'il faut trouver des artifices pour arriver, d'une manière ou d'une autre, à préserver des emplois aux résidents, ma foi, admettons que l'on peut approuver ces artifices. Mais, à un moment donné, il faudra bien admettre que cette libre circulation des personnes est un problème pour tous, et il faudra trouver des moyens d'y pallier.
Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée.
Mme Christina Meissner. Je crois même que M. Sarkozy dit la même chose. (Brouhaha.)
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Mauro Poggia.
M. Mauro Poggia (MCG). Je vous remercie, Monsieur le président. J'avais demandé à prendre la parole quand je n'avais entendu que des médecins. Je voulais quand même que ceux qui nous écoutent sachent que c'est une question qui préoccupe l'ensemble de la population. Je dirai aux médecins concernés que je suis heureux de les avoir entendus. J'aimerais qu'ils écoutent avec la même attention lorsqu'il y a des spécialistes de la sécurité qui s'expriment et qu'ils viennent de nos rangs.
Cela dit, en ce qui concerne cette résolution, nous considérons qu'elle doit effectivement être renvoyée directement à Berne pour être examinée, avec peu d'espoir d'un quelconque effet, mais peut-être d'autres cantons se joindront-ils à nous dans cette démarche. Il est vrai que la clause du besoin avait été critiquée. Je suis heureux de voir que même les libéraux considèrent qu'il y a peut-être des dysfonctionnements de la libre concurrence. Ce n'est pas parce que c'est un médecin qui s'est exprimé... J'imagine que c'est un fin observateur du système de la santé helvétique qui s'exprime. Il y a effectivement un problème. Nous le savons, l'ouverture de cabinets va engendrer une hausse des coûts de la santé. On peut se demander pourquoi, mais c'est ainsi. Je dirais presque que c'est naturel, même si cela implique, implicitement, que les nouveaux médecins installés auraient tendance à créer le besoin. Quoi qu'il en soit, c'est ainsi.
Qui a demandé que l'on arrête cette clause du besoin ? Pas les patients, que je sache. Pas les professionnels de la santé. Pourquoi, finalement, cette décision a-t-elle été prise ? Peut-être pour faire augmenter les coûts de la santé, puisque, quand les coûts de la santé augmentent, la réaction va finalement être de diminuer les prestations. Et devinez qui va gagner lorsque l'on va diminuer les prestations à charge de l'assurance sociale ? Ce sont évidemment ceux qui vont offrir de l'autre main ce que l'on retient de l'une. Donc ceux qui ont intérêt à ce que le système ne fonctionne pas, ou plutôt qu'il devienne insupportable financièrement, sont «les croque-morts» de l'économie de la santé - croque-morts pas pour tout le monde, bien sûr - ceux qui attendent précisément que nous soyons exsangues pour venir nous proposer, à ceux qui en ont la possibilité, évidemment pas à tout le monde, des assurances complémentaires très chères qui viendront se substituer à ce qu'on leur a enlevé de l'assurance de base. Alors c'est une préoccupation.
Vous savez que, pour moi, la solution est ailleurs. Elle viendra, j'espère dans un avenir pas trop lointain. Le système est malheureusement gangrené, parce que ceux qui ont le pouvoir ici ne sont plus ceux qui dirigent notre pays, mais ceux qui ont intérêt à faire de l'argent dans ce système. Alors nous pouvons effectivement nous en plaindre, nous devons nous en plaindre, mais sachant bien évidemment que cela fera autant de bruit que lorsqu'un poisson rouge s'excite dans un bocal.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Philippe Morel, à qui il reste trois minutes.
M. Philippe Morel (PDC). Merci, Monsieur le président. J'ai craint que le poisson rouge dont on vient de parler ne devienne un requin et que les poissons rouges, eux, soient les patients. Oui, je suis médecin... Non, pardon: je suis chirurgien. Mais c'est en fait en termes de patient que je vais m'exprimer ce soir, parce que je suis effrayé. Je suis effrayé de voir le potentiel d'augmentation du nombre de médecins dans notre canton et que, potentiellement, la qualité va diminuer. Bien sûr que le nombre appelle la prestation d'actes plus nombreux; je suis effrayé par cette pléthore. Je suis effrayé par l'impossibilité de planifier ce qui va nous arriver. La Société suisse d'anesthésiologie et de réanimation a soigneusement planifié ce qui allait arriver en Suisse dans les dix ans qui viennent. Actuellement, je suis président de la Société suisse de chirurgie. Nous planifions soigneusement pour essayer d'avoir une adéquation entre le nombre de médecins et de chirurgiens formés et les besoins de la population. Evidemment que, si l'on se trouve avec une inconnue aussi importante que celle que l'on est en train d'évoquer maintenant, c'est-à-dire l'afflux important de médecins étrangers, la planification est impossible; nous savons tous ce que cela implique sur les coûts de la santé d'une part, sur la qualité des prestations d'autre part, ainsi que sur la désorientation des patients face aux nombreux soins de santé entre lesquels ils auront le choix. Je suis donc effrayé.
Je pense que, tôt ou tard, une réglementation viendra. Si elle ne vient pas aujourd'hui, elle viendra plus tard. Or je pense que, plus tard, cela signifiera des problèmes pour les patients et une baisse claire de la qualité, avec une augmentation totalement intolérable des coûts. Je pense donc que ce premier coup d'épée, pour reprendre la comparaison du début, s'il est dans l'eau, risque tout de même d'avoir un effet initiateur sur un mouvement qui devra, à terme, réguler l'afflux des médecins et l'installation des cabinets, tout en conservant totalement l'aspect libéral de notre profession. L'un et l'autre me paraissent parfaitement compatibles. Je pense donc qu'il faut renvoyer cette proposition au Conseil d'Etat pour la Berne fédérale.
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur le député Stauffer, votre groupe a épuisé son temps de parole. (Remarque.) Je donne la parole à M. le président du Conseil d'Etat Pierre-François Unger.
M. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de résolution est importante. En effet, lors de la libéralisation de la médecine de premier recours, il y a deux ans, qui concerne donc en gros les généralistes et les pédiatres, on a vu s'accroître de manière énorme, proportionnellement, les dépenses à charge de ce type de spécialistes - et en ville. Il y a donc une relation de causalité tout à fait claire, alors même que l'on ne peut pas dire que, avant 2010, on ait été dans une situation de pénurie, qui générait par exemple des files d'attente pour les généralistes ou pour les internistes.
Parallèlement, et curieusement, les dépenses ont explosé mais les revenus des mêmes spécialistes ont fondu, parce que évidemment que, en devenant plus nombreux, ces médecins devaient «diluer» un peu, si j'ose dire, leurs revenus. Cela pousse à générer un certain nombre d'actes dont l'utilité n'est pas forcément démontrée.
Entre le 1er janvier de cette année et le 29 février, ce sont 182 droits de pratique qui ont été donnés - 182 droits de pratique ! - deux tiers pour des Suisses et un tiers pour des étrangers, qui sont déjà là ou qui sont en train d'arriver. Mais ce sont des chiffres énormes, lorsque l'on sait que, en gros, le coût généré à charge de l'assurance obligatoire de soins par un médecin qui s'installe est de l'ordre de 300 000 F ou 350 000 F par année ! Vous imaginez un peu la charge supplémentaire qui va être imposée aux assurés, naturellement, et à l'Etat d'autre part.
Alors cette proposition de résolution dit une chose de bon sens. Je suis d'accord, Madame Serdaly Morgan, qu'il faut avoir une vue plus systémique que cela. Mais, au niveau d'un canton comme Genève, nous avons un tiers de toutes les installations de Suisse, pendant la période. Ce n'est pas tolérable dans le canton qui est d'ores et déjà le plus onéreux pour les pouvoirs publics et pour chacun des assurés de ce canton. Il est donc urgent que l'on puisse discuter au niveau suisse, bien sûr, parce que la libération de la clause du besoin n'a pas du tout réglé les problèmes de désertification médicale auxquels on assiste dans d'autres régions de Suisse, mais cela nous indique simplement qu'il faut pouvoir s'organiser à l'échelle d'une région entre ceux qui manquent de médecins et ceux qui en ont un excès.
En effet, même le très libéral Claude Aubert, que je côtoie depuis bientôt quarante ans, reconnaît que la médecine n'a plus de libéral que le nom. Quand l'assurance est obligatoire, que les tarifs sont fixés et que le point TARMED n'a pas bougé à Genève, malgré les injonctions de M. Prix, qui voulait le baisser de 15% - de 15% ! - on est dans un système clos, fermé, et, pour les gens qui exercent à charge de l'assurance obligatoire de soins, nous ne sommes pas dans un système libéral. N'étant pas dans un système purement libéral, nous devons pouvoir réguler l'offre, de telle manière que les gens puissent encore s'assurer.
Alors que cet objet fasse un détour par la commission de la santé ou qu'il aille directement à Berne, ce problème doit être traité vite. En effet, lorsque ces médecins se seront installés - ce sont peut-être 200 maintenant, peut-être 400 à la fin de l'année - plus jamais il ne sera possible de revenir en arrière sur les coûts qui auront été induits par leur installation. C'est donc rapidement qu'il faut donner la possibilité aux cantons et aux régions de s'organiser entre elles pour assurer tout à la fois l'accès aux soins à chacun sur ces territoires, mais sans excès des soins dans aucune partie du territoire.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'un amendement de M. Eric Stauffer pour ajouter une deuxième invite ainsi conçue: «à appliquer les mêmes principes pour le secteur tertiaire contre l'afflux massif de frontaliers... (Exclamations.) ...et afin de protéger la population résidente comme les médecins.» Monsieur Stauffer, je vous donne une minute pour présenter votre amendement, une et pas plus.
M. Eric Stauffer (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le MCG est enchanté aujourd'hui d'entendre le PDC et le PLR venir dire qu'il faut protéger les médecins résidents contre l'afflux des médecins français qui viendraient s'installer à Genève. Nous le disons, Mesdames et Messieurs, depuis six ans ! Protégeons la population résidente ! C'est pour cette raison que, sans états d'âme, nous soutiendrons votre texte - et je retire ma demande de renvoi en commission.
Si vous pouviez avoir la même énergie, Mesdames et Messieurs, pour défendre les chômeurs, qui doivent avoir priorité sur l'emploi avant et envers les frontaliers, lesquels arrivent de plus en plus nombreux et causent des dégâts considérables dans le canton de Genève, la population vous en rendra grâce. Nous, c'est ce que nous continuerons à faire, très humblement, pour servir le peuple qui nous a portés aux fonctions que nous occupons.
Une voix. Bravo !
Le président. Monsieur le député, je n'ai pas bien compris si vous retiriez la demande de renvoi ou l'amendement. (Commentaires.) D'accord. Alors nous allons d'abord voter sur cet amendement, puis sur le renvoi de cette proposition de résolution. Nous nous prononçons donc sur l'amendement que je vous ai lu...
M. Eric Stauffer. Vote nominal ! (Appuyé.)
Mis aux voix à l'appel nominal, cet amendement est rejeté par 72 non contre 12 oui.
Le président. Nous avons été saisis d'une demande de renvoi à la commission de la santé, sur laquelle nous nous prononçons.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 688 à la commission de la santé est rejeté par 45 non contre 41 oui.
Mise aux voix, la résolution 688 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 67 oui contre 1 non et 13 abstentions. (Quelques applaudissements à l'annonce du résultat.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons traiter, à huis clos, le RD 925 au sujet de l'opposition formée par M. Eric Stauffer contre la décision du Bureau du Grand Conseil du 28 février 2012 le sanctionnant d'une exclusion de cinq mois des commissions dont il est membre. (Brouhaha.) En conséquence, je demande au Conseil d'Etat de bien vouloir se retirer, aux personnes qui sont à la tribune de bien vouloir la quitter, aux huissiers de fermer les portes et à Mme la mémorialiste de couper les micros et la retransmission sur Léman Bleu et sur notre site internet. Le temps que ce soit fait techniquement et que deux collaborateurs du Secrétariat général me fassent signe, et nous pourrons passer à la discussion à huis clos.
La séance publique est levée à 21h53.
Le Grand Conseil continue de siéger à huis clos.