Séance du
vendredi 11 février 2011 à
20h30
57e
législature -
2e
année -
5e
session -
28e
séance
PL 10600-A
Premier débat
Le président. C'est un débat de catégorie II: quarante minutes. J'entends que nous respections ce délai. La parole est à M. le rapporteur de majorité Serge Hiltpold.
M. Serge Hiltpold (L), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, la commission des affaires sociales s'est réunie lors de dix séances afin d'étudier ce projet de loi modifiant la loi sur les prestations complémentaires, dit projet des travailleurs pauvres ou des working poors. Couplé au précédent projet, le PL 10599, que nous venons de voter, il représente le deuxième volet de la politique sociale du Conseil d'Etat, ciblée et pragmatique. Ce nouveau projet de loi des travailleurs pauvres ne tombe pas dans le travers d'une politique dite de l'arrosoir, comme le préconisait hier le concept d'un salaire minimum cantonal pour tous. (Brouhaha.)
S'agissant des causes de ces situations, nous avons pu noter, dans le cadre des travaux de commission, que de nombreuses personnes étaient dans la spirale du surendettement, et plus particulièrement la classe des moins de 25 ans. Cette problématique est d'ailleurs débattue aux Chambres fédérales et mérite une réflexion particulière dans un sens politique plus large.
Avec les mesures envisagées dans ce projet, l'esprit est différent. C'est celui de la valorisation du travail, avec un effet de levier, et l'introduction du coefficient multiplicateur. Les taux minimums d'activité pour bénéficier de ces prestations complémentaires sont définis de la manière suivante dans les grandes lignes: 40% d'activité pour les familles monoparentales et 90% pour les couples ou familles dites maintenant biparentales.
Concernant les mesures concrètes, ce projet de loi propose entre autres la prise en charge de frais de garde effectifs et de soutien scolaire, avec un plafonnement de 6300 F par an pour les enfants de moins de 13 ans, et ne fait pas de distinction entre les couples mariés et non mariés. Il vise principalement les objectifs suivants: encourager le maintien ou la reprise d'un emploi, ou l'augmentation du taux d'activité, par la prise en compte d'un revenu hypothétique dans le calcul des prestations complémentaires. Il vise à couvrir le déficit de revenu de toute la famille, en prenant en compte le loyer et les primes d'assurance-maladie, deux postes très importants des dépenses des ménages. Et il s'aligne sur le concept des prestations complémentaires AVS-AI, parce qu'il s'agit des prestations liées au besoin.
Un autre élément qu'il est important de soulever est le fait que, dans le fonctionnement de ces prestations, les démarches visent à une certaine autonomie de ces familles, qui pourront toutefois, si elles le désirent, bénéficier d'un soutien social si elles l'estiment, elles, nécessaire. Un gain de temps leur sera épargné car elles sont en emploi et n'éprouvent pas le besoin fondamental de rencontrer un assistant social, étant socialement intégrées et ne devant pas justifier de leur condition.
Les modalités d'octroi ont suscité quelques inquiétudes en commission, et j'ai pris note de celles du rapporteur de minorité. Il est important de préciser que le cadre est extrêmement clair. Sont concernées les personnes ayant leur domicile et leur résidence habituelle sur le territoire de la République et canton de Genève depuis cinq ans, au moins, au moment du dépôt de la demande de prestations. Ces garanties semblent suffisantes pour empêcher le tourisme social décrit dans le rapport de minorité. Il serait en effet dommage de péjorer ces familles pour quelques cas isolés, si tant est qu'il y en ait.
Concernant les précisions techniques, les scénarios financiers, tout est présent dans le rapport. Je vous invite à consulter les annexes et divers tableaux qui ont été établis par le département. C'est extrêmement précis. Nous avons étudié cela en commission, avec moult scénarios possibles et imaginables, par exemple une famille avec plusieurs enfants, ou des couples séparés ou unis.
En conclusion, pour le moment, ce projet répond de manière efficace à ces 1700 familles pauvres. Le coût de ce projet est de 20 millions - ce n'est pas négligeable - mais ce dernier est ciblé: il valorise le travail et prend en compte les réalités sociales et économiques de cette catégorie de population, qui mérite notre soutien par le fruit de son travail et non de l'indigence.
Nous avons parlé tout à l'heure de la dignité des chômeurs. Maintenant, je pense que, en amont, nous devons aussi parler de la dignité des gens qui travaillent, qui se lèvent le matin, mais qui n'arrivent pas forcément à tourner de manière correcte. Hormis le débat et le concept politique sur les conditions de salaire, je pense, au niveau de la majorité de cette commission, que ce projet est pragmatique. Il est social et prend la bonne direction. Je vous invite à le soutenir. Je reviendrai plus tard sur les différents amendements proposés.
M. Eric Bertinat (UDC), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, à 22h15, il me faut un peu de courage pour être seul contre tous, puisque tous les partis soutiennent ce projet de loi. Et il faut être encore un peu plus courageux pour venir discuter - pas foncièrement contester le projet de loi - mais discuter de certains de ses aspects, alors que tout le monde semble conquis par la proposition de M. Longchamp.
Parmi les points que nous soulevons, il y a le salaire minimum. Il est assez amusant que l'ordonnance des points attribue à l'ordre du jour de ce mois à la fois l'initiative pour instaurer un salaire minimum et cette nouvelle loi sur les prestations cantonales complémentaires pour les familles. Pourquoi ? Parce que, hier - et le groupe UDC en était - nous avons contesté l'introduction d'un salaire minimum. En effet, à l'examen, à l'analyse des différentes études qui ont été fournies par des experts, nous nous sommes à une large majorité rendu compte que le salaire minimum avait plutôt tendance à appauvrir les gens et à poser d'infinis problèmes en raison de tout ce tissu d'aide sociale qui est aujourd'hui proposé par l'Etat.
Or, avec les prestations cantonales complémentaires pour des familles, on introduit de fait un salaire minimum. Ce même salaire que nous avons contesté hier, nous l'introduisons aujourd'hui par le biais de cette loi. En effet, cette loi vous montre que, sans le revenu minimum qui est décidé aujourd'hui, il est impossible de vivre à Genève. Le calque qui est fait sur la loi sur des prestations complémentaires à l'assurance-vieillesse et survivants et à l'assurance-invalidité touche des gens qui ne sont pas sur le secteur de l'emploi. Or, avec le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui, ce sont bel et bien des gens qui sont sur le marché de l'emploi, qui travaillent, et dont les revenus sont jugés ce soir par l'Etat et certainement par ce parlement comme n'étant pas suffisants pour vivre à Genève. Cette approche est juste. Nous ne la contestons pas. Aujourd'hui, quand on a des enfants, il est très difficile de vivre décemment à Genève sans avoir un revenu relativement aisé.
Mais de fait, aussi, nous expliquons aux citoyens genevois que, hier, nous avons refusé la proposition d'un salaire minimum et que, aujourd'hui, nous l'acceptons pour les familles. On peut même penser qu'il y a une certaine injustice. En effet, si vous avez des enfants, l'Etat juge que vous avez besoin d'un certain niveau salarial, un seuil sous lequel il n'est plus possible de vivre. Par conséquent, les gens qui n'ont pas charge de famille sont dans une classe différente et, à ce moment-là, peuvent gagner moins. Voilà l'un des premiers aspects qui nous a posé problème avec cette loi.
Le deuxième problème, c'est l'élargissement de la couverture sociale à l'Union européenne. En effet, en instaurant ce qui est un salaire minimum pour les familles, Genève assure évidemment un filet social plus que confortable et très attractif. Or il suffit d'avoir séjourné dans l'Union européenne cinq ans, de venir ici à Genève et d'avoir un salaire qui n'est pas suffisant pour vivre dans notre canton pour déclencher automatiquement l'aide du canton en la matière. Je note qu'il ne suffit pas d'être simplement européen. Quiconque sur cette planète a vécu dans un pays de l'Union européenne...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Eric Bertinat. ...et vient s'installer à Genève sera au bénéfice de cette loi. Les commissaires en ont pris conscience, puisqu'ils ont introduit dans la loi cette période de cinq ans qui, finalement, ne sert pas à grand-chose.
Voilà les deux principaux problèmes que nous pose cette loi, qui nous font aujourd'hui la rejeter. Il y a encore d'autres aspects que je voudrai mentionner, mais je n'ai pas le temps. Je reprendrai la parole à la fin, et j'y reviendrai dans ma conclusion.
M. Mauro Poggia (MCG). Chers collègues, la loi que nous allons aborder maintenant est une loi extrêmement importante, malgré l'heure tardive. C'est une loi nécessaire. C'est même une loi indispensable, puisqu'elle vient combler une lacune de notre filet social. On parle ici des working poors - il est vrai que la souffrance d'autrui est toujours plus supportable lorsqu'elle est décrite en langue étrangère. En d'autres termes, nous parlons de ces personnes qui travaillent et qui, malgré cette activité, n'arrivent pas à subvenir aux besoins minimums de notre société.
Nous allons évidemment, le groupe MCG, soutenir cette loi. Nous remercions d'ailleurs le Conseil d'Etat, et en particulier M. Longchamp, de la proposition qu'il a faite d'un projet de loi bien présenté, bien réfléchi. Certaines modifications y ont été apportées, mais rien de fondamental, parce que la préoccupation du Conseil d'Etat était aussi la nôtre. Et comment peut-il en aller autrement lorsque l'on gouverne à Genève et que l'on constate que, malheureusement, la paupérisation gagne constamment du terrain ?
Tout le monde est d'accord que cette loi doit être soutenue. La seule réserve, qui est émise par le groupe UDC, n'est pas absurde, je le dis d'entrée de cause, mais elle est... (Remarque.) UDC, j'ai dit, oui, tout à fait. Je reprends. Cette réserve n'est pas absurde, mais elle est incontournable. Que voulez-vous, la Suisse a accepté des conventions internationales qui l'obligent à placer sur un pied d'égalité ses ressortissants et les ressortissants des pays de l'Union européenne et de l'AELE. Cela signifie que, théoriquement - c'est vrai, théoriquement - une personne qui a résidé quatre ans et demi dans un pays de l'Union européenne et qui vient six mois à Genève pourrait demander que l'on comptabilise sa durée de résidence dans l'Union européenne pour atteindre les cinq ans en question. Est-ce une raison pour pénaliser ceux qui, aujourd'hui, à Genève, ont indiscutablement besoin de cette loi ? Evidemment pas !
Nous allons bien entendu réfléchir, si la situation est aussi dramatique que le présage ou le craint l'UDC, à des moyens pour tenter de faire en sorte que Genève ne devienne pas l'Eldorado des sans-emploi européens. Mais nous ne pouvons pas rester sans rien faire par rapport à ceux qui sont nos voisins et qui se trouvent dans le besoin.
Alors oui, Monsieur le rapporteur de minorité, votre préoccupation est juste. Elle est aussi la nôtre. Mais nous ne pouvons pas pénaliser ceux qui nous sont chers et pour qui nous sommes là aujourd'hui, sous prétexte que d'autres, des pique-assiette, pourraient venir bénéficier de ce plat qui leur est offert.
Une voix. Bravo !
M. Philippe Schaller (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe PDC est très favorable à ce projet de loi. Nous tenons à remercier d'une part le rapporteur de majorité pour la qualité de son travail, et d'autre part le conseiller d'Etat Longchamp de nous avoir présenté ce projet de loi. Il faut relever que, dans le canton de Vaud, M. Maillard a proposé un projet similaire. Il y a référendum en raison du mode de financement.
Comme le soulignent les chiffres de l'Office fédéral de la statistique et ceux de l'excellent rapport Ramirez, il existe dans ce canton une frange de la population précarisée qui est à l'aide sociale; elle est constituée de familles socialement et professionnellement insérées. C'est inacceptable. Ce projet de loi corrigera cet effet.
Nous n'avons pas la même inquiétude que le député Poggia ou que le rapporteur de minorité concernant l'appel que pourrait produire ce projet de loi vis-à-vis des personnes de l'Union européenne. Le cas échéant, nous pourrions intervenir si, effectivement, il y avait un afflux massif d'Européens qui viendraient en profiter.
Nous sommes aussi sensibles, et nous l'avons dit et exprimé également hier, au fait qu'il est nécessaire de mettre en place de tels dispositifs. Nous regrettons que le revenu du travail ne permet pas de vivre décemment. Nous voterons avec conviction ce projet de loi et nous vous remercions.
Mme Brigitte Schneider-Bidaux (Ve). Les Verts sont ce soir très heureux de pouvoir se prononcer sur cette loi, parce qu'elle fait partie du puzzle dont on s'apprête à voter la troisième pièce ce soir, la deuxième étant la loi que nous venons d'accepter. Si l'on adopte une loi pour permettre aux personnes qui ont de la peine à retrouver un emploi de pouvoir se former, ce que l'on vient de voter tout à l'heure, eh bien, il est normal que nous adoptions aussi un texte pour que les personnes sans emploi ou les personnes qui sont à l'aide sociale aient un revenu décent, et c'est ce que nous nous apprêtons à faire.
Nous les Verts avons voté hier l'initiative pour le salaire minimum. Il est vrai que, à ce moment-là, au moment où cette initiative a été lancée, cette loi n'était pas encore votée. Mais il n'empêche que, dans la logique des choses, nous avons voté hier, oui. Et bien entendu, nous voterons aujourd'hui aussi, oui.
M. Pierre Conne (R). Ce projet de loi vise à améliorer la situation économique des familles pauvres qui travaillent, donc évidemment le groupe radical soutiendra sans réserve ce projet de loi. Nous souhaitons également remercier le conseiller d'Etat Longchamp de nous avoir présenté ce projet, qui vient effectivement combler une lacune dans notre système de sécurité sociale.
L'un des premiers mérites de ce projet, déjà, est de reconnaître et de nommer un problème. D'une part, il reconnaît que les écarts croissants entre les charges et les revenus de certaines familles sont réellement inquiétants; d'autre part, il nomme un problème qui est celui des travailleurs pauvres, qui était peut-être dans notre culture et dans notre région quelque chose d'encore relativement tabou à ce jour. Il convient également de relever que les principales familles touchées sont les familles monoparentales ou les familles nombreuses et que, de ce fait, la situation des familles pauvres qui travaillent représente effectivement une véritable menace pour leur équilibre et pour le développement éducatif, scolaire, de leurs enfants, et la formation professionnelle des jeunes de ces familles. Voilà le problème.
La réponse proposée est une approche pragmatique, tournée vers ceux qui ont réellement besoin d'une aide financière, qui vise à maintenir la cohésion sociale et à favoriser le meilleur développement pour chacun. Ce projet propose de valoriser le travail et l'autonomie des familles qui se trouvent dans une situation qui le nécessite, en évitant, dans la technique qui est proposée, des effets de seuil. Par conséquent, c'est également un encouragement pour ces familles d'améliorer leurs revenus par le travail.
Les moyens utilisés sont essentiellement ceux de mobiliser les ressources collectives de la façon la plus efficace possible, et ce projet est la démonstration d'une politique sociale moderne.
Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons à accepter ce projet sans réserve.
Mme Anne Emery-Torracinta (S). Une fois n'est pas coutume - en tout cas pas coutume peut-être par rapport au débat que l'on a eu précédemment - j'aimerais remercier le conseiller d'Etat François Longchamp... (Remarque.) ...pour ce projet de loi... (Commentaires.) ...auquel le groupe socialiste adhérera presque sans réserve.
J'ai une toute petite réserve... (Exclamations.) ...qui ne concerne pas le Conseil d'Etat, mais qui concerne quand même le fond du problème. Si l'Etat doit offrir des compléments à des familles qui travaillent, c'est parce que - cela a été dit par plusieurs d'entre vous - les salaires sont trop bas ! Le vrai scandale, Mesdames et Messieurs les députés, est là ! Le scandale, c'est celui des working poors ! C'est celui des gens qui se lèvent le matin, qui travaillent quarante, quarante-quatre heures par semaine, et qui, au bout du compte, n'ont pas assez pour vivre eux-mêmes et surtout pour faire vivre leur famille. C'est la seule réserve que nous aurons. Au fond, si l'on était logique, on aurait dû voter le principe du salaire minimum plutôt que d'en arriver à un projet de loi comme celui-ci.
Cela dit, j'aimerais juste peut-être faire deux réflexions par rapport à ce qu'a dit M. Bertinat. Vous nous dites, Monsieur Bertinat: «Au fond, ce projet de loi, c'est comme si l'on instaurait non pas un salaire, mais un revenu minimum pour les familles.» C'est vrai, Monsieur Bertinat, mais c'est vrai pour à peu près, d'après les chiffres donnés par le département, 1700 familles. Savez-vous, Monsieur Bertinat, combien il y a de familles qui ont des enfants à Genève ? Non ? A peu près 60 000. Cela veut dire que, pour plus de 58 000 familles, la notion de revenu minimum n'existe pas ! Soit elles ont un revenu suffisant, soit elles ne l'ont pas mais sont en dehors des barèmes. Donc cela ne va pas régler les difficultés que connaissent de nombreuses familles. Cela va régler le problème des familles les plus précarisées, notamment les familles monoparentales - et c'est bien que nous le fassions, c'est bien que nous votions ce projet aujourd'hui - mais cela ne va pas régler les difficultés que connaissent de nombreuses familles aujourd'hui qui sont notamment les familles de la classe moyenne.
Voici une deuxième remarque pour M. Bertinat. Vous nous dites, au fond, ou vous sous-entendez, que ce projet de loi pourrait induire une sorte de tourisme social. Autrement dit, des gens pourraient venir à Genève parce que Genève offre plus que d'autres régions, soit d'autres cantons suisses soit d'autres régions d'Europe. Alors j'aimerais vous dire, Monsieur Bertinat, que le tourisme social est un mythe. C'est un mythe parce que, pour faire du tourisme social, d'abord, il faudrait être un excellent juriste. Il faudrait connaître les dédales de toutes les législations, non seulement celles de son propre pays, mais aussi les législations européennes. Il faudrait pouvoir en plus comparer et se dire: «Oui, alors là, effectivement, peut-être que dans telle situation, parce que ma situation est celle d'une famille monoparentale avec tant d'enfants et que je gagne moins que telle somme, alors oui, peut-être que Genève est plus intéressant.» Mais cette même famille, franchement, aurait largement avantage à vivre dans un autre canton suisse ou dans un autre pays d'Europe où peut-être que le logement sera moins cher et la fiscalité différente.
Donc, faire du tourisme social, c'est connaître parfaitement la législation, que ni l'un ni l'autre dans ce parlement, ni même M. le conseiller d'Etat Longchamp, ne connaît probablement. D'ailleurs, une étude très intéressante avait été faite par Mme Véréna Keller, qui travaille à la HES. Elle avait fait une étude sur le tourisme social en Suisse et avait montré que, en réalité, il n'y a pas de tourisme social, que le tourisme social est un mythe.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, ces quelques remarques étant faites, nous vous encourageons, au nom du groupe socialiste, à soutenir ce projet de loi.
M. Pierre Weiss (L). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a plusieurs vertus, et les critiques qui lui ont été faites ont un certain nombre de vices. Je commencerai par les vertus.
La première vertu de ce projet de loi, c'est de valoriser le travail et de montrer que l'on ne pratique pas une politique de l'arrosoir. C'est de montrer, au fond, la responsabilité que l'on prend envers ceux qui, dans notre société, sont dans une condition difficile. (Brouhaha.) Que faut-il en déduire ? Il faut en déduire que ce projet de loi est une preuve par l'acte que ceux qui parlent constamment de démantèlement de l'Etat social soit ne connaissent pas ce dont ils parlent, soit disent des contrevérités - pour être aimable. Il y a, de ce point de vue là, ce soir, si ce projet de loi est adopté, un montant de près de 20 millions, de 15 millions en l'occurrence, net, qui s'ajoutent à la vingtaine de millions non précisée que l'on a votée tout à l'heure. Autrement dit, depuis 17h cet après-midi, nous avons ajouté 35 millions aux dépenses de l'Etat social genevois. Si ajouter 35 millions, c'est démanteler l'Etat social, je me demande ce que serait diminuer de 35 millions les dépenses de l'Etat social. Ce serait peut-être le fortifier ! Mais en matière d'utilisation du langage, certains sont aussi bons que d'autres en matière d'utilisation du bonneteau.
La deuxième remarque que je voulais faire concerne les travailleurs pauvres. M. Poggia a parfaitement raison non seulement de dire le terme en français, mais qui plus est d'utiliser le français sans y être obligé, comme certains qui croient qu'il faut légiférer pour se comporter correctement. S'agissant des travailleurs pauvres, il y a effectivement raison de regretter que certains salaires soient insuffisants. Mais pourquoi sont-ils insuffisants ? Ils sont insuffisants, certes, parce qu'il y a un épouvantable marché du travail ! Nous ne sommes pas dans une économie collectiviste dirigée, où chacun aurait un travail avec évidemment les revenus qui s'y attachent. Mais là ce ne seraient pas des travailleurs pauvres, ce seraient des travailleurs très pauvres dont il s'agirait. Il y a un marché du travail et il y a surtout, pour certaines professions ou pour certaines personnes, une valeur ajoutée qui est trop faible. Et il est de notre responsabilité d'aider ces personnes-là ! Ou alors, à ce moment, il ne faut pas aider les entreprises de l'économie sociale et solidaire qui, précisément, ne pourraient pas offrir des salaires suffisants s'il n'y avait pas l'aide de l'Etat. (Brouhaha.) Il n'y a pas d'un côté les entreprises que nous subventionnons et dont il faut louer l'existence, et de l'autre côté des travailleurs pauvres dont certains critiquent l'existence parce qu'elle démontrerait une faille du système capitaliste. Le système capitaliste permet aux uns d'avoir les subventions par l'entreprise et aux autres par l'individu. Voilà en quoi il est bon.
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !
M. Pierre Weiss. Je conclurai en disant juste une chose. S'il est vrai que le tourisme social est largement un mythe, il ne faut pas non plus exclure qu'il y a un certain nombre d'abus, raison pour laquelle, par exemple, l'Hospice général a développé un service des enquêtes, raison pour laquelle l'Etat doit aussi éviter que des abus délégitiment l'aide sociale qui est accordée à ceux qui, pour la majorité d'entre eux, ont un comportement tout à fait honnête et demandent des prestations de façon justifiée. Je vous remercie. Le groupe libéral votera ce projet de loi.
M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, le vote de cette loi est un moment qui, n'ayons pas peur des mots, est assez historique. Nous serons le premier canton romand à avoir proposé une loi sur les prestations complémentaires familiales. Deux cantons aujourd'hui la connaissent: Soleure et le Tessin. C'est un débat qui est relativement consensuel, puisqu'une large majorité s'est exprimée en commission. Le projet vaudois, qui a été un copié-collé de celui que nous avons proposé à Genève, mais avec un mode de financement différent, est en train de tourner en pugilat politique. Cela démontre - je le dis à l'intention des médias, mais ils ne sont malheureusement plus là - que, quand on parle à longueur de journée de genevoiseries et de complexité du débat politique, il y a parfois des choses à Genève qui sont surprenantes et beaucoup plus surprenantes que dans d'autres cantons.
Cette loi est une reconnaissance de deux choses, d'une part de la nécessité et de l'urgence d'agir pour un certain nombre de familles pauvres, d'autre part de la vertu et de la valeur du travail. Il y a, dans notre canton, des familles modestes qui travaillent, qui ont fait le choix de travailler là où elles auraient pu avoir d'autres possibilités, celle de ne pas travailler, parce qu'il y a des situations dans lesquelles il est plus commode et parfois plus rentable de ne pas travailler que de travailler.
Cette loi encourage le travail pour 1700 familles, les 1700 familles les plus modestes de notre canton, des familles avec enfants. C'est une loi moderne, comme cela a été dit, qui va permettre, aujourd'hui, d'affronter ce qui est actuellement la plus grande urgence sociale dans notre canton. Ce ne sont pas les autres catégories sociales - une loi sociale et une politique sociale n'ont pas pour but de monter des catégories les unes contre les autres - mais il s'agit de constater aujourd'hui que c'est la situation des familles modestes qui travaillent qui est la plus délicate.
Monsieur le rapporteur de minorité, vous avez soulevé un problème qui n'est pas anodin, et je ne peux pas l'exclure totalement. Cela étant, j'aimerais porter à votre connaissance le fait que je suis allé représenter la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales avec mon collègue M. Peter Gomm, conseiller d'Etat du canton de Soleure, devant la Commission du Conseil national il y a quinze jours. Cette commission est aujourd'hui saisie d'un projet visant à instaurer une loi-cadre fédérale pour les prestations complémentaires familiales. Trois cantons les auront introduites, lorsque vous les aurez votées tout à l'heure. Mais il y a une nécessité de coordonner tout cela, parce que nous sommes en train, comme c'est parfois le cas en Suisse, de construire de manière disparate une chose qui, si elle était prise à temps, aurait pu être plus logique. La Confédération, à notre grande surprise, a cette fois compris qu'il était nécessaire de faire une loi-cadre et a précisément prévu une réponse aux interrogations que vous soulevez.
Cela étant, même si l'on ne peut pas en théorie exclure les situations que vous avez imaginées, il faut quand même rappeler deux choses. Il faut travailler à Genève et y être logé dans les conditions du barème. J'ai peine à comprendre comment une personne venant d'un pays étranger, qui travaille, puisqu'il faut avoir travaillé, qui a une obligation de domicile dans le canton durant un certain nombre de mois et qui y trouverait un logement entrant dans les normes de prise en compte des loyers pourrait faire le choix de se déplacer pour venir pour cette seule raison dans notre canton. Cela paraît relativement théorique. Je prends ici l'engagement de prendre d'autres dispositions - je l'ai dit devant la commission - si, par hypothèse, ces situations venaient à être nombreuses et que la loi fédérale ne pouvait pas les empêcher à temps. Nous aurions, dans cette hypothèse, quelques plans B pour éviter cela, si par extraordinaire la situation venait à se produire.
Mesdames et Messieurs, le vote de ce soir placera le canton de Genève face à une nouvelle réalité, face à une nouvelle volonté, qui s'inscrit parfaitement dans les débats qui ont eu lieu tout à l'heure et hier, celle d'aider de manière ciblée des gens qui en ont besoin et de pratiquer, dans notre canton, une politique qui soit une politique moderne. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous nous prononçons sur l'entrée en matière du PL 10600.
Mis aux voix, le projet de loi 10600 est adopté en premier débat par 78 oui contre 8 non.
Deuxième débat
Mis aux voix, le préambule est adopté.
Le président. Nous sommes à l'article 1, souligné. La première des modifications de la LPCC concerne son nouvel intitulé: «Loi sur les prestations complémentaires cantonales (LPCC)».
Mis aux voix, le titre (nouvel intitulé) est adopté.
Le président. Madame la députée Carrard, au sujet de l'article 1, je vous passe la parole.
Mme Prunella Carrard (S). Veuillez m'excuser; c'était au sujet de l'amendement à l'article 36A.
Le président. Il n'y a donc pas d'opposition.
Mis aux voix, l'article 1 (nouvelle teneur, sans modification la note) est adopté, de même que les articles 1A (nouvelle teneur, sans modification de la note) et 2 (nouvel intitulé, la teneur de l'article 2 restant inchangée).
Le président. Nous sommes à l'article 36A. Je passe la parole à Mme la députée Carrard.
Mme Prunella Carrard (S). Je dirai rapidement que cet amendement que nous vous avons proposé a été déposé sur vos tables, je pense aujourd'hui. Voici quelques précisions. La loi telle que nous allons la voter donne droit à des prestations complémentaires familiales aux familles qui ont des enfants à charge jusqu'à 18 ans, respectivement jusqu'à 20 ans si les enfants suivent une formation. Or lorsque que nous avons auditionné le Centre social protestant, Caritas ou encore l'Association des familles monoparentales, ces institutions nous ont fait une remarque à ce propos, basée sur leurs pratiques professionnelles. D'une part, l'apprentissage peut commencer vers 17 ans ou 18 ans et, en raison des difficultés de trouver une place rapidement, il n'est pas toujours terminé à 20 ans; l'apprentissage se termine parfois plus tard. D'autre part, les pensions alimentaires doivent être versées jusqu'à 25 ans pour les enfants qui sont en études. Il y a donc une certaine logique à mentionner l'âge de 25 ans dans cet alinéa, pour les jeunes qui poursuivent une formation.
Sur le principe, nous venons de longuement parler de la question du chômage, et surtout de l'importance d'avoir une bonne formation qualifiante. C'est extrêmement important bien entendu pour les jeunes, et il nous semble qu'il faut donc laisser un maximum de chances aux jeunes de bien se former pour leur donner les meilleures chances dans la vie. Ainsi, en nous appuyant sur l'expérience professionnelle des institutions que je viens de citer, nous vous proposons la modification de l'âge fixé dans la loi afin d'assurer aux familles ayant peu de moyens financiers la possibilité de soutenir leurs jeunes dans la construction de leur avenir.
Je précise enfin, et c'est noté dans le rapport de majorité, que l'obtention d'une éventuelle bourse d'études pour un jeune en formation serait bien évidemment prise en compte et intégrée dans le revenu du groupe familial donnant droit, ou non si le revenu est trop élevé, à des prestations complémentaires familiales.
M. Eric Bertinat (UDC), rapporteur de minorité. L'UDC ne va pas voter favorablement cet amendement, tout simplement parce que, comme je l'ai dit, nous sommes opposés à l'entretien étatique des foyers. Or c'est bien ce qui se passe avec cette loi. L'UDC aurait plutôt préféré que l'Etat investisse dans une aide qui réponde réellement aux difficultés quotidiennes, à savoir payer le loyer et les assurances-maladie, ce qui, littéralement, tue financièrement les familles. C'est là que l'on aurait aimé voir intervenir l'Etat.
Je rappellerai que l'UDC a déposé un texte parlementaire qui demandait une aide précise de l'Etat pour toutes les familles ayant des difficultés financières, afin de les aider par rapport aux dépenses de l'assurance-maladie. (Brouhaha. Le président agite la cloche.). On nous propose maintenant une loi qui est beaucoup plus globale, qui certes ne touche pas un nombre important de familles. Mais il n'en reste quand même pas moins que cette aide va dans le sens d'un entretien public des familles qui ne gagnent pas assez, sans réellement tenir compte de l'importance que représentent pour toutes les familles des dépenses telles que loyer et assurance-maladie.
Finalement, on échappe quand même au débat - et c'est dommage. On voit maintenant l'Etat compenser de faibles revenus sans remettre en question ces revenus. Mme Emery-Torracinta a soulevé ce problème, ce qui ne l'empêchera évidemment pas de voter cette loi. Mais voici ce qui ce qui passe à Genève: il y a des secteurs professionnels qui ne payent pas assez; il y a des loyers qui nous tuent, parce que la situation du logement est inacceptable à Genève; et puis il y a les assurances-maladie, qui frisent l'escroquerie et qui mettent littéralement à genoux les familles.
Alors on nous propose cette solution. Les socialistes veulent l'améliorer en incluant maintenant les enfants en études jusqu'à 25 ans. Nous ne les suivrons pas. Et nous rappellerons que, suite au débat que nous avons eu hier... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...sur le salaire minimum, on se trouve vraiment devant un parlement schizophrénique, qui suit une route que nous, nous ne suivrons pas.
M. Philippe Schaller (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe PDC est sensible à cette argumentation et à cet amendement. Effectivement, la structure des familles... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...aujourd'hui a bien changé, et il n'est pas rare que des enfants poursuivent leurs études. C'est d'ailleurs un avantage; nous avons vu précédemment que faire des études permet d'éviter d'être... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...au chômage ou en difficulté sociale. Donc nous soutiendrons cet amendement.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme la députée Anne Emery-Torracinta...
Mme Anne Emery-Torracinta (S). Je vous sens las, Monsieur le président, mais il ne reste que dix minutes; nous irons très rapidement.
J'aimerais juste préciser que tout le système, tout le dispositif social en Suisse, met 25 ans comme limite. Si vous prenez le cas des allocations familiales, pour les jeunes en formation, cela va jusqu'à 25 ans. Si vous prenez les rentes d'orphelins, s'ils sont en formation, c'est aussi 25 ans. Donc il y aurait une logique et une cohérence à inscrire la limite de 25 ans dans ce projet de loi.
M. Serge Hiltpold (L), rapporteur de majorité. Je me contenterai de parler uniquement de l'amendement... (Brouhaha.) ...dans le relatif bruit. Concernant l'amendement, cela a été longuement débattu dans la commission, avec un aspect assez constructif. Il convient tout d'abord de préciser que, au départ, cet âge était à 18 ans. Il a ensuite été relevé 20 ans. D'un point de vue extrêmement pragmatique, il faut savoir que nous avons voté un nouveau système de bourses d'études en décembre 2009. Et à partir 20 ans - je le dis pour les personnes qui auraient un doute sur le financement éventuel de ces formations - les bourses d'études et cette loi permettent d'assurer le relais entre 20 et 25 ans. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Donc de manière totalement cohérente par rapport à la loi que nous avons votée en décembre 2009, la majorité vous recommande de rejeter cet amendement.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous sommes en procédure de vote sur l'amendement à l'article 36A (nouveau), alinéa 1, lettre b, nouvelle teneur: «vivent en ménage commun avec des enfants de moins de 18 ans, respectivement 25 ans si l'enfant poursuit une formation donnant droit à une allocation de formation professionnelle au sens de l'article 3, alinéa 1, lettre b, de la loi sur les allocations familiales du 24 mars 2006 (ci-après: loi sur les allocations familiales);».
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 54 oui contre 34 non et 2 abstentions.
Mis aux voix, l'article 36A (nouveau) ainsi amendé est adopté.
Mis aux voix, l'article 36B (nouveau) est adopté, de même que les articles 36C (nouveau) à 39B (nouveau). (Brouhaha pendant la procédure de vote. Le président agite la cloche.)
Mis aux voix, l'article 1 (souligné) est adopté, de même que les articles 2 et 3 (soulignés).
Troisième débat
La loi 10600 est adoptée article par article en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 10600 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 67 oui contre 11 non et 12 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)