Séance du
jeudi 10 février 2011 à
20h30
57e
législature -
2e
année -
5e
session -
25e
séance
La séance est ouverte à 20h30, sous la présidence de M. Renaud Gautier, président.
Assistent à la séance: MM. Pierre-François Unger et François Longchamp, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées. (Brouhaha en provenance de la salle des Pas-Perdus, où la rencontre mensuelle accompagnant cette session porte sur le thème de la mobilité.) Je prie les personnes qui font du vélo de bien vouloir se taire !
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Mark Muller, président du Conseil d'Etat, Charles Beer, David Hiler, Isabel Rochat et Michèle Künzler, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Jacques Jeannerat, Christina Meissner, Guy Mettan et Jacqueline Roiz, députés.
Annonces et dépôts
Néant.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'ordre du jour appelle la prestation de serment de magistrats du pouvoir judiciaire. Je prie Mme le sautier de les faire entrer et l'assistance de bien vouloir se lever.
Madame Maud Baettig, vous êtes appelée à prêter serment de vos fonctions de juge au Tribunal civil à demi-charge, entrée en fonction immédiate.
Madame Gisèle Di Raffaele, Monsieur Jean-Claude Jaquet, Madame Monique Kast, Monsieur Maurizio Locciola, Madame Elena Petitpierre et Madame Hanumsha Qerkini-Ajdini, vous êtes appelés à prêter serment de vos fonctions de juge assesseur à la commission de conciliation en matière de baux et loyers représentant les locataires, entrée en fonction immédiate.
Monsieur José Aubareda et Monsieur Arnaud Turrettini, vous êtes appelés à prêter serment de vos fonctions de juge assesseur à la commission de conciliation en matière de baux et loyers, représentant les bailleurs, entrée en fonction immédiate.
Je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée et, lorsque cette lecture sera terminée, à l'appel de votre nom, vous répondrez soit «je le jure», soit «je le promets». Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement:
- d'être fidèle à la République et canton de Genève, comme citoyen et comme juge;
- de rendre la justice à tous également, au pauvre comme au riche, au faible comme au puissant, au Suisse comme à l'étranger;
- de me conformer strictement aux lois;
- de remplir ma charge avec dignité, rigueur, assiduité, diligence et humanité;
- de ne point fléchir dans l'exercice de mes fonctions, ni par intérêt, ni par faiblesse, ni par espérance, ni par crainte, ni par faveur, ni par haine pour l'une ou l'autre des parties;
- de n'écouter, enfin, aucune sollicitation et de ne recevoir, ni directement ni indirectement, aucun présent, aucune faveur, aucune promesse à l'occasion de mes fonctions.»
Ont prêté serment:
Mme Maud Baettig, élue juge au Tribunal civil à demi-charge;
Mme Gisèle Di Raffaele, M. Jean-Claude Jaquet, Mme Monique Kast, M. Maurizio Locciola, Mme Elena Petitpierre et Mme Hanumsha Qerkini-Ajdini, élus juges assesseurs à la commission de conciliation en matière de baux et loyers, représentant les groupements de locataires;
M. José Aubareda et M. Arnaud Turrettini, élus juges assesseurs à la commission de conciliation en matière de baux et loyers, représentant les bailleurs.
Veuillez baisser la main. Le Grand Conseil prend acte de votre serment et vous souhaite une heureuse carrière. La cérémonie est terminée. Vous pouvez vous retirer. (Applaudissements.)
Débat
M. Fabiano Forte (PDC), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, la commission de l'économie a traité de l'initiative 142 «Pour le droit à un salaire minimum» lors de six séances. Je vais vous exposer les raisons - non exhaustives, bien entendu - pour lesquelles la majorité de la commission vous recommande de rejeter la prise en considération de cette initiative.
Tout d'abord, les auditions des initiants ont pu démontrer que ces derniers n'avaient aucune idée, ni même une once de proposition, quant à l'autorité qui devrait fixer le salaire minimum, qu'ils ont par eux-mêmes évalué à 4000 F par mois sur treize mensualités. Cette évaluation, pour la majorité, ne tient bien entendu pas compte de la réalité, de la spécificité de notre canton.
D'autre part, nous avons pu constater que de nombreuses questions - de trop nombreuses questions - demeuraient sans réponse de la part des initiants, qui, de notre point de vue, via cette initiative, ont effectué une démarche beaucoup plus politique que pragmatique, qui ne trouve aucun ancrage dans le contexte économique et social genevois.
Selon la majorité, toujours, il y a un mécanisme qui doit prévaloir tant au plan cantonal qu'au plan national; je vous le rappelle, l'Union syndicale suisse a lancé une initiative populaire pour un salaire minimum. Pour la majorité, c'est le partenariat social qui doit prévaloir dans la négociation salariale, via les conventions collectives de travail. D'après la majorité de la commission, cette initiative aurait l'effet pervers de dynamiter - de dynamiter véritablement - le partenariat social, qui devrait être une préoccupation majeure - majeure ! - du monde syndical et de la minorité parlementaire de gauche. Si nous devions accepter cette initiative telle qu'elle nous a été soumise, il y a fort à parier que les employeurs pourraient se limiter au versement du seul salaire minimum et maintenir un maximum de travailleuses et de travailleurs au niveau dudit salaire minimum.
Pour votre information, Mesdames et Messieurs les députés, au début des années 1980, une personne sur dix était au bénéfice du SMIC en France. Cette proportion est aujourd'hui d'une personne sur six. Ce n'est pas là, Mesdames et Messieurs les députés, l'avenir que la majorité de la commission souhaite aux travailleuses et aux travailleurs de notre canton.
Il a été démontré, également, qu'un tel dispositif pouvait avoir un impact négatif sur l'emploi et sur les entreprises. En effet, que se passera-t-il si une entreprise n'est pas en mesure de pouvoir servir le salaire minimum ? Elle diminuera tout simplement la voilure et renoncera à embaucher. Donc il y a là un risque de destruction massive d'emplois, voire de non-création de nouveaux emplois.
J'aimerais revenir sur la détermination du salaire minimum. Une fois encore, la majorité de la commission n'a pu que constater, durant les nombreuses auditions que nous avons pu faire du patronat et du monde syndical, l'incapacité totale des uns et des autres à déterminer le montant du salaire minimum sur des bases solides, mais aussi sur des bases palpables. Et il y a un fait très important: quelle devrait être l'autorité qui fixerait ce salaire minimum ? Quelle devrait être l'autorité qui réévaluerait ce salaire minimum ? La majorité de la commission, comme d'ailleurs les syndicats, y voit là l'instauration du fait du roi - du fait du roi - qui trouverait ainsi, et selon les majorités politiques en place, un outil de politique électoraliste. (Applaudissements.)
Présidence de M. Pierre Losio, premier vice-président
Mme Christine Serdaly Morgan (S), rapporteuse de première minorité. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous nous prononçons ce soir sur une initiative qui a récolté plus de 12 000 signatures. Sauf à penser que le peuple est idiot, elle traduit une demande de justice sociale et économique. En ce sens, on ne peut qu'être satisfait d'être là à en débattre aujourd'hui, et demain de voir l'objet en débat et votation publiques. Nous sommes aussi satisfaits que cette question n'ait pas été éludée en considérant l'IN irrecevable. L'arrêt du Tribunal fédéral du 8 avril 2010 nous permet ainsi d'ouvrir une réflexion sur une question dont les socialistes ne prétendront pas qu'elle est simple, mais qu'ils sont d'accord d'empoigner à bras-le-corps, car il a été démontré, au cours des travaux de la commission de l'économie, qu'instaurer un salaire minimum était possible. Au terme de ces travaux, le groupe socialiste soutiendra cette initiative et ne souhaite pas lui opposer de contreprojet. Les quatre motifs principaux suivants fondent cette position.
Ainsi que je l'ai dit précédemment, la population a largement manifesté son adhésion à cette initiative. C'est notre premier motif.
La culture de la CCT, de la convention collective de travail, n'est pas prépondérante en Suisse, avec moins de 50% des secteurs couverts, et elle tend à se fragiliser par une augmentation des secteurs non couverts par des CCT, en particulier dans les services, mais aussi lors de l'implantation d'entreprises peu concernées par cette pratique. C'est notre deuxième motif.
Il a été mis en évidence, au travers de la présentation de travaux de recherche, que la notion de salaire minimum pouvait générer une dynamique favorable de redistribution en diminuant, certes, les profits. Ce sera notre troisième motif.
Enfin, il a été mis en évidence que, si le salaire minimum ne constituait évidemment pas la réponse à l'ensemble des problèmes sociaux, il s'agissait toutefois d'une mesure pertinente dans un ensemble plus large de mesures économiques et sociales.
Le texte proposé, Mesdames et Messieurs, a le mérite de la brièveté et de l'ouverture. Il ne prescrit pas la méthode et est ainsi conforme à l'esprit d'une constitution. Son but est clair, entendant affirmer que le travail doit pouvoir procurer les conditions d'une vie décente à une personne. Il respecte la liberté contractuelle et économique. Il promeut les conventions collectives de travail et prévoit une approche différenciée selon les secteurs économiques.
Affirmer aujourd'hui dans notre constitution locale, dans un monde globalisé, sur lequel les individus sentent n'avoir aucune prise, que le travail doit procurer les moyens de vivre n'est pas indécent aux yeux des socialistes. Oui, sa mise en oeuvre nécessitera un certain nombre de discussions, de manière à rester dans le cadre prescrit par la législation fédérale. Mais le Conseil fédéral dit deux choses dans un avis de droit sur le même sujet, que l'on retrouvera notamment à la page 35 du rapport IN 142-D. Voici la première: «Le salaire [...] relève du contrat de travail, régi par le droit civil fédéral. Il appartient aux parties de le déterminer d'un commun accord; la liberté contractuelle prévaut.». Cependant, il dit également que «[...] le droit public cantonal est [...] réservé. Un canton pourrait, pour des raisons relevant de la police économique, prescrire des salaires minimaux lorsque, par exemple, les salaires payés ne suffisent pas à couvrir le minimum vital.» Selon l'avis de droit du service juridique et législatif de l'Etat de Vaud, «il conviendrait, au moment de légiférer, de veiller à ne pas empiéter sur les situations déjà réglementées sur ce point par la législation fédérale.» De ce point de vue, l'initiative lancée au plan national ne fera que clarifier le cadre si elle était acceptée.
Le groupe socialiste est fondamentalement attaché à la notion de convention collective de travail. Il ne s'agit ainsi pas de déroger à une histoire forte et longue du partenariat social. Il s'agit de soutenir et d'imaginer ensuite, dans la loi d'application, une forme d'intervention de l'Etat qui agisse finalement de manière à stimuler ce partenariat social là où il est absent ou défectueux. C'est une action qui ne saurait évidemment se penser et se mettre en oeuvre qu'avec les partenaires sociaux au sein des instances existantes ou au sein d'instances à créer.
Mais à Genève, dans le secteur tertiaire en particulier, les pratiques culturelles en matière de ressources humaines de certaines entreprises ne font pas toujours bon ménage avec la notion de CCT. Il faut relever aussi que les CCT ne protègent pas de tout. Certaines ne fixent pas les salaires, d'autres prévoient des salaires minimaux qui sont aujourd'hui en dessous de certains revenus minimums sociaux définis. A contrario, il est aussi important de rappeler qu'une CCT ne sert pas uniquement à définir des salaires, et qu'un salaire minimum défini ne viderait ainsi pas de sa substance ni une CCT, ni donc le partenariat social.
Certes, il ne sera pas simple de fixer le montant du salaire minimum. Il n'est toutefois pas impossible à définir, comme l'a notamment montré M. Jean-Marc Falter, maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Genève, reçu au cours de nos travaux. Il y a une zone d'action que l'on peut qualifier de «grise», où le salaire défini n'est pas négatif pour l'emploi, mais où il est inconnu a priori. Ce juste salaire minimal reste à explorer de manière empirique, en définissant un cadre d'expérimentation sociale. C'est bien le principe retenu dans l'approche anglaise, qui a contribué, à partir d'un niveau de salaire relativement bas, à l'augmenter progressivement et régulièrement en évaluant ses effets. Si ce salaire a eu peu d'effet sur la pauvreté, il a eu un effet notable sur la redistribution de la richesse. Dans cette exploration du «bon» salaire, l'exemple des Etats-Unis montre que fixer un salaire trop bas conduit à des effets faibles, et le seul bénéfice reste une augmentation de la masse salariale, ce qui n'est déjà pas négligeable. Quant à l'exemple français, agité souvent comme repoussoir, l'échec peut notamment être attribué aux charges sociales très élevées qui conduisent à un coût élevé du bas salaire, ce qui n'est pas le cas en Suisse.
Les auditions ont clairement rappelé le fait que «revenu minimum» et «salaire minimum» étaient des notions différentes, relevant de politiques différentes mais pas antagonistes.
Le président. Madame le rapporteur, il va vous falloir conclure, je vous prie.
Mme Christine Serdaly Morgan. Je vais conclure. Le revenu minimum se réfère au ménage et le salaire minimum en est une composante. Est-il décent - et je conclurai par là - en tant que chef d'entreprise, de compter sur l'Etat, comme nous l'avons entendu, et donc sur l'impôt si souvent contesté, pour compléter le salaire de ses employés travaillant à plein temps, afin qu'ils disposent des moyens d'une vie décente ? Et même si le niveau de décence du chef d'entreprise n'est pas le même que celui de son employé, il n'est pas impossible, à nos yeux, de définir les besoins d'une vie, qui permettent de se nourrir, de se vêtir, de se loger, de s'instruire et de se divertir un peu. Sur ces considérations, le groupe socialiste vous invite à soutenir l'initiative telle quelle et sans lui opposer de contreprojet. (Applaudissements.)
Mme Esther Hartmann (Ve), rapporteuse de deuxième minorité. Ecoutez, le salaire minimum, cela m'a quand même interpellée. J'ai entendu dire que cette proposition n'était pas pragmatique, donc pas ancrée dans une réalité, ayant uniquement une visée politique. Oserai-je vous rappeler que, à Genève, le nombre de working poors, donc les personnes qui ne vivent pas de leur salaire, est en augmentation ? Oserai-je vous rappeler que pouvoir travailler, et travailler pour gagner sa vie, est un droit humain ? Que pouvoir gagner suffisamment pour être autonome est un droit humain fondamental ? Cela n'est-il pas être pragmatique ? Est-ce être en dehors des réalités ?
Que nous ont montré, actuellement, les auditions ? Nous avons entendu aussi bien les unions d'associations patronales, les syndicats et le département de la solidarité et de l'emploi dire que les conventions collectives de travail étaient ce qui était à privilégier. Cependant, toutes les parties ont observé qu'il y avait des situations indécentes, y compris les associations qui apportent une aide sociale. Elles ont par exemple remarqué que, à l'Etat, des emplois de solidarité étaient proposés aux gens, avec un salaire de 3000 F. Ce qui oblige l'Etat à apporter une aide complémentaire pour permettre à une famille de vivre décemment ! Ce qui est quand même un gros point d'interrogation. Des situations où des chômeurs entendent, quand ils cherchent un emploi, un employeur leur dire: «Ecoutez, je vous paie en dessous de 15 F de l'heure, parce que, de toute façon, l'assurance-chômage va compenser la perte», cela existe aussi. C'est indigne, c'est indécent ! Et pour moi, en plus, cela me pose le problème du subventionnement de l'Etat envers certains employeurs. Est-ce une mesure économique de subventionner certains emplois ?
Ensuite, il y a aussi le fait que l'on observe que le département, parfois, ne peut pas intervenir quand il constate que certaines conventions collectives sont balayées et que des personnes se retrouvent sans protection sociale pendant un moment. C'est aussi quelque chose qui pose problème, à mon sens. A mon avis, l'Etat doit pouvoir intervenir dans des situations extrêmes.
On peut aussi ajouter que, en Suisse, 40% des employés suisses ne bénéficient pas de la couverture d'une convention collective du travail; 40% échappent à toute possibilité de pouvoir protester lorsqu'ils ont des salaires indécents. Oserai-je aussi vous rappeler... Oui, oui, je vais vous le rappeler, Mesdames et Messieurs les députés, l'aide sociale ne devrait jamais être un moyen de compenser les manques de l'économie. Jamais !
Je pense, et les Verts pensent - je le rappelle - qu'il est important qu'un salaire minimum soit versé. Nous avons proposé, en commission, un contreprojet, parce que nous avions été quand même un peu sensibles à certaines remarques: il y a la crainte de l'augmentation du chômage qu'aurait pour effet un salaire minimal; des mesures seraient plus dans le domaine social qu'économique; quant à l'inapplicabilité de la mesure, pour le moment, on n'a encore rien tenté, mais c'est inapplicable. Pour ces raisons-là, nous avons proposé un contreprojet - qui avait ses faiblesses, nous l'admettons tout à fait - mais dans un esprit d'ouverture, pour proposer aux gens de réfléchir, quel que soit leur bord, à accepter un salaire minimum quand cela était nécessaire, quand l'Etat ne pouvait pas intervenir, quand les syndicats ne pouvaient plus négocier et quand il y avait des risques de sous-enchère salariale. Je rappellerai que l'Etat a été obligé... Le département a ouvert une ligne d'écoute pour procéder à des vérifications, donner des indications et informer sur la sous-enchère salariale. Donc c'est une situation qui est établie.
Je voudrais quand même rappeler que l'on cite la France comme exemple. (Remarque.) D'accord, la France est peut-être une catastrophe ! Je n'oserai jamais juger de la politique d'un Etat étranger. Par contre, je pourrai quand même citer l'exemple de l'Allemagne, où il n'y a pas de salaire minimum et où des conventions collectives de travail sont appliquées; or on voit se développer tout un marché de l'emploi à 600 euros pour un 100% - 600 euros ! - en pensant que l'aide sociale va compenser... Moralité de l'histoire: l'Allemagne pense et réfléchit à l'introduction d'un salaire minimum.
Je suis surprise aussi par la position d'un certain groupe, quand même, qui affirme défendre l'intérêt du citoyen genevois et qui, ensuite, va protester contre la mise en place d'un salaire minimum, alors que ce serait un moyen de lutter contre la sous-enchère salariale qui pourrait être causée par certaines situations. Je suis également surprise par certains rangs de la droite, qui disent ne pas être intrigués par l'aspect de concurrence déloyale qu'a une pratique salariale abusive. J'aurais tant souhaité - et les Verts auraient tant souhaité - que tout le monde se mette autour d'une table, pour réfléchir à un contreprojet et pour lutter contre ces situations abusives. Cela n'a pas a été le cas. Nous ne déposerons pas d'amendement en cette faveur...
Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée.
Mme Esther Hartmann. Oui, merci, Monsieur le président ! Mais nous laissons à toute personne de ce parlement la liberté de proposer un tel contreprojet. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la rapporteure. Mesdames et Messieurs les députés, je salue en votre nom la présence à la tribune de Mme Magdalena Filipowski, ancienne députée. (Applaudissements. Remarque.) Je vous prie de m'excuser; je salue également à la tribune la présence de Mme Jocelyne Haller, ancienne députée. (Applaudissements.) La parole est à M. le député Daniel Zaugg.
M. Daniel Zaugg (L). L'initiative 142 nous parle de garantir aux travailleurs des conditions de vie décentes. C'est évidemment un objectif louable que personne ne peut contester. Le problème de cette initiative est qu'elle est floue sur des points essentiels.
Déjà, comme l'a dit le rapporteur de majorité, on ne nous explique pas, dans l'initiative, quel est le montant du salaire minimal. Personne ne le sait. Les initiants disent que ce serait au Conseil d'Etat de le fixer. Le Conseil d'Etat, en audition, nous a expliqué qu'il n'avait aucune envie de le fixer. C'est un premier point très flou.
Il y a un deuxième aspect. Les initiants nous disent que l'on veut fixer un salaire initial en tenant compte à la fois des conventions collectives et des secteurs économiques. Donc, si je comprends bien, il s'agirait de prévoir des salaires minimaux différenciés par secteur. C'est effectivement ce que M. Vanek, initiant, nous a expliqué. Mais, je vous le demande, s'il s'agit d'assurer un niveau de vie décent, est-ce qu'il peut être différent si l'on est plombier ou serveuse ? Est-ce qu'il y a des gens qui seraient moins dommages que d'autres ? C'est une incohérence fondamentale dans cette initiative.
Ensuite, les auditions nous ont démontré, tout simplement, que le salaire minimal n'est pas le bon instrument pour garantir un niveau de vie décent. Il entraîne énormément d'effets pervers. Il entraîne, comme l'a dit le rapporteur de majorité, un nivellement des salaires par le bas. On l'a vu dans tous les pays où il y a un salaire minimal, les salaires ont été tirés vers le bas - je ne vous ressortirai pas les statistiques que M. Forte vous a citées tout à l'heure. On prend l'exemple du rapport de minorité socialiste, qui nous dit que l'on a quatre semaines de vacances obligatoires et que rien n'empêche les entreprises de donner plus de vacances: c'est tout à fait vrai ! Vous en connaissez beaucoup qui donnent plus de vacances ? (Remarque.) Je suis désolé, mais la plupart des entreprises s'en tiennent aux quatre semaines, et c'est une grande majorité.
De plus, il y a un risque d'inflation. Un risque d'inflation des prix, puisque, si l'on augmente les salaires, les prix vont augmenter ! Les entreprises ne vont pas juste verser de plus gros salaires sans répercuter cela sur leurs clients ! Et qui sera touché ? Ce sont les secteurs où il y a des bas salaires, notamment; par exemple, la grande distribution. Et qui sera le premier touché ? Ce sont les revenus les plus modestes.
En outre, une fois de plus, le rapporteur de majorité l'a déjà dit, il y a le côté destruction d'emplois. Nous sommes dans une économie de marché, n'en déplaise à certains, je suis désolé de le dire, qui est basée sur l'offre et la demande. Et quand le prix augmente, la demande diminue ! Donc, on va droit vers une situation dans laquelle des entreprises devront éventuellement fermer, parce qu'elles ne pourront plus assurer les salaires ! Par conséquent, on arrive à un chômage et à une augmentation du recours à l'aide sociale; on favorise le travail au noir ! Ce n'est pas ce que nous voulons.
En Suisse, nous avons une tradition de partenariat social. Le partenariat social est extrêmement fort en Suisse. Il l'est encore plus à Genève, en particulier. Le partenariat, c'est la négociation. C'est une négociation générale qui porte sur beaucoup d'aspects. Elle peut porter sur les vacances, sur les assurances maladie, et elle porte évidemment sur le salaire. Si l'on supprime l'aspect du salaire, en fixant un salaire minimal, énormément de partenaires sociaux vont se baser uniquement sur ce salaire minimal. On va enlever un élément fondamental dans ces négociations, et il n'y aura plus grand-chose à négocier. Donc il s'agit d'une destruction du partenariat social.
Maintenant, il faut encore dire que le seul canton de Suisse qui dispose actuellement du principe d'un salaire minimum inscrit dans sa constitution, c'est le canton du Jura. Il a ce principe depuis 1978 et ne l'a jamais appliqué. Parce qu'il n'a jamais réussi à l'appliquer d'une manière rationnelle, c'est quand même à relever !
Quelques mots sur le contreprojet Vert. Le contreprojet Vert introduit une notion intéressante. Il dit que le Conseil d'Etat ne fixerait un salaire minimal que s'il y avait un échec des négociations des conventions collectives. C'est intelligent. Mais comment constate-t-on l'échec des négociations ? Comment constate-t-on que cela ne marche plus ? Je m'excuse de le dire, mais, dans une négociation, sortir en claquant la porte fait partie des techniques de négociation. Va-t-on constater l'échec des négociations au premier claquement de porte ? Au deuxième ? Au troisième ? C'est extrêmement difficile à définir.
De plus, admettons, il y a échec des négociations - prenons un exemple, je ne sais pas... Prenons celui des ferblantiers. Il y a un échec des négociations de la convention collective des ferblantiers: le Conseil d'Etat intervient et fixe un salaire minimal; pas de chance, le salaire minimal que le Conseil d'Etat a fixé est plus élevé que celui qui a été négocié par les plombiers dans leur convention collective. Vous pensez que, au prochain coup, ils ne vont pas, eux aussi, rompre les négociations ? Donc finalement, le contreprojet Vert, c'est kif-kif, c'est un salaire minimal général, et cela ne changera absolument rien.
J'aimerais terminer en citant M. Guillaume Vuillemey, chercheur français, qui a dit la phrase suivante, laquelle, je trouve, illustre assez bien les choses: «En imposant un salaire minimum, le législateur ferme l'accès à l'emploi à tous les travailleurs dont la valeur de la production est inférieure à celle du salaire minimum [...].» Les libéraux refuseront ce projet.
M. Serge Dal Busco (PDC). Effectivement, une initiative comme celle-ci, avec 12 000 signatures, traduit, j'en conviens, un certain malaise social. On peut donc comprendre, surtout dans le contexte où cette initiative a été lancée, les initiants et les signataires de ce texte. C'est vrai que, il y a deux ou trois ans, le contexte était vraiment propre à une forme de mécontentement lorsqu'on entendait, d'un côté, articuler le montant de salaires et de bonus totalement indécents, du point de vue de l'échelle de salaires, alors que, de l'autre côté, des personnes n'arrivent pas à boucler leurs fins de mois.
On pourrait donc imaginer qu'un dispositif de ce genre, l'inscription dans la constitution de l'idée d'un salaire minimum, soit une bonne idée. En fait, c'est une mauvaise idée ! C'est une fausse bonne idée en tout cas, et une vraie mauvaise idée. Pourquoi ? Parce que les conséquences sont pires que le mal que l'on voudrait combattre. Dans l'absolu, il y a plus d'inconvénients avérés que d'avantages escomptés. Cela s'est parfaitement dit au sein de la commission, la rapporteure l'a magnifiquement évoqué. Si l'on pense, par exemple, à un pays voisin, en tout cas géographiquement parlant, il y a, cela été dit également, une tendance à l'alignement sur le minimum, un nivellement des salaires par le bas, une réduction de la marge de manoeuvre - d'un point de vue économique - des entreprises, lorsqu'elles sont confrontées à des difficultés; il y a encore une diminution de l'embauche et une augmentation de chômage, avec son corollaire habituel: davantage de travail au noir.
Par conséquent, la garantie d'un salaire minimal n'est pas une garantie contre la pauvreté. On le sait, la pauvreté a trait à d'autres éléments; il y a d'autres éléments qui entrent en ligne de compte. Il y a évidemment le revenu, mais il y a également la situation familiale et la situation du groupe familial. Il est aussi saisissant de constater que les pays qui s'en sortent le mieux d'un point de vue économique par rapport à la situation sur le chômage, des pays dont le niveau de vie est, en somme, comparable à celui de la Suisse - des pays nordiques - ne connaissent pas, non plus, le système du salaire minimal, mais connaissent, à l'instar d'ailleurs de ce que nous avons dans notre pays, un filet social relativement étendu, relativement généreux. Pour nous, l'absence de salaire minimal va effectivement de pair avec une couverture sociale adéquate.
Une autre chose a également été dite en commission, non seulement par des professeurs d'économie, dont on peut parfois douter de la bonne parole, mais surtout par des acteurs du domaine social, et cela m'a fortement surpris de le voir dans le rapport. Ces personnes, qui sont actives dans le domaine social - je pense à Caritas ou au Centre social protestant - ont clairement dit que le principe d'un salaire minimal n'est pas la panacée, n'est pas la solution. Je pense qu'il faut y réfléchir avant de prendre ce genre décision.
Tous ces éléments sont autant de bonnes raisons de refuser une telle initiative, mais il y a une raison fondamentale, et mon préopinant l'a évoquée: une telle inscription mettrait en pièces, réduirait à néant ce qui constitue en quelque sorte un pilier des relations sociales en Suisse, un pilier de notre prospérité: le partenariat social. Ce partenariat social, c'est lorsque des représentants des employeurs et des représentants des employés se retrouvent autour d'une table pour discuter non seulement des situations et des conditions salariales, mais de tout une autre série de données en relation avec le travail.
Donc, d'un point de vue même philosophique, changer quelque chose à ce système ayant fait ses preuves, c'est prendre de gros risques, c'est ouvrir la boîte de Pandore. Ce sera la fin de la recherche adaptée, par branche, de solutions négociées, finement calibrées; il faut relever la connaissance qu'ont les syndicats, lors de ces négociations par branche, des situations particulières - par branche. Et tout cela serait réduit à néant par une disposition constitutionnelle, qui est tout sauf judicieuse. Dans le même ordre d'idée, la proposition d'un contreprojet telle qu'elle a été évoquée par la deuxième rapporteuse de minorité n'entre pas non plus dans quelque chose à prendre en considération, pour les mêmes raisons que mon préopinant vient d'évoquer.
Tout cela nous fait dire qu'il faut, certes, refuser cette initiative, refuser l'idée même d'un contreprojet, tout en veillant - je crois que notre parlement va être saisi de la question et avoir l'occasion d'en débattre peut-être même ce soir - à la mise en place d'autres mesures, en accompagnement de cette philosophie, d'un filet social de dispositions adéquates pour garantir le revenu à ceux qui en ont besoin. (Applaudissements.)
Présidence de M. Renaud Gautier, président
Mme Brigitte Schneider-Bidaux (Ve). Les Verts seraient tentés de privilégier la convention collective, ou les conventions collectives, dans tous les cas. Malheureusement, il n'y a effectivement, comme l'ont dit Mme Hartmann et d'autres préopinants, que 60% des salariés qui sont couverts par une convention collective, et les autres ne le sont pas. Or les personnes qui ne bénéficient pas d'une convention collective sont celles qui ont les salaires les moins importants parmi celles qui travaillent en Suisse, et à Genève en particulier. Nous pensons donc que, même si ce n'est pas la panacée, même si cette initiative n'est pas forcément la meilleure, elle a le mérite d'exister.
Je souligne le rapport de Genève aux initiatives. Je rappellerai l'initiative concernant la maternité: le congé maternité a d'abord été gagné à Genève, puis en Suisse. Concernant le vote des femmes, il y a quarante ans, cela s'est passé de la même façon. Peut-être que le salaire minimum pourrait aussi être obtenu à Genève, prenant exemple sur l'initiative lancée par l'USS. Et l'USS, je dirai, n'est pas le dernier des manches en matière de syndicalisme, puisque c'est l'association faîtière des syndicats suisses et qu'elle vient de lancer cette initiative. Nous avons dix-huit mois pour récolter les signatures voulues, et je pense que nous en recueillerons beaucoup plus que le minimum requis afin que l'objet puisse être défendu devant le peuple.
En conclusion, je vous propose de ne plus parler du contreprojet, parce qu'il brouille les débats, et, en revanche, de soutenir l'initiative.
M. Edouard Cuendet (L). Je souhaiterais compléter par deux ou trois éléments la brillante intervention de mon collègue Daniel Zaugg.
Tout d'abord, le soutien formel apporté par le Tribunal fédéral a été plus qu'ambigu. En effet, le Tribunal fédéral, dans son arrêt, a certes reconnu la recevabilité formelle de l'initiative, mais a souligné dans de très nombreux développements que sa concrétisation au niveau du canton serait extrêmement difficile et devrait se rapprocher très fortement des minimums sociaux fixés par l'aide sociale cantonale. On est donc bien loin des 4000 F que certains nous font miroiter et, surtout, font miroiter aux citoyens. C'est ce qui a été dit dans le cadre de l'initiative: on a fait miroiter un montant de 4000 F, qui est irréaliste, faux et trompeur. Cela, je crois qu'il faut le dire vigoureusement.
D'ailleurs, le contreprojet proposé par les Verts - c'est intéressant, Mme Hartmann prône un contreprojet; sa collègue, Mme Schneider-Bidaux, dit qu'il faut l'enterrer... - de toute façon, a été rejeté aussi pour la raison simple qu'il était incompatible avec l'arrêt du Tribunal fédéral ! Et je crois que l'on n'a pas assez parlé de cet arrêt. C'est certes un peu formel, mais il faut en parler.
La deuxième ambiguïté, on la trouve au niveau des syndicats, lesquels ont été entendus à deux reprises. La première fois, ils ont vertement critiqué cette initiative - puisqu'ils s'étaient fait dépasser par leur gauche - ils ont dit qu'elle était destructrice du dialogue social et qu'elle était en opposition avec les conventions collectives. Ils se sont ravisés par la suite dans la perspective de leur initiative fédérale, mais leur soutien était assez modéré, et, en fait, ils la soutiennent comme la corde soutient le pendu.
Cette ambiguïté, on l'a aussi retrouvée chez les initiants eux-mêmes, ce qui est un comble ! Lors d'une audition assez surréaliste, le représentant des initiants a été absolument incapable de nous dire comment il entendait concrétiser cette initiative. Il a dit tout et son contraire, ce qui nous a forcés à faire de nombreuses auditions pour essayer de comprendre où l'on voulait aller.
Ce malaise et cette incohérence généralisés trouvent leur source dans le texte même de l'initiative, qui mélange allègrement les notions de salaire minimum et de revenu minimum. En effet, selon les normes sociales en vigueur, c'est bien le revenu global qui doit être pris en considération, et le salaire n'est qu'une partie de ce revenu global. Et c'est le revenu global qui doit assurer des qualités de vie décente. Donc, au fond, on parle de deux niveaux différents, ce qui entraîne précisément une incohérence dans le texte de l'initiative.
C'est pourquoi je vous invite, et le groupe libéral avec moi, à refuser cette initiative, qui est trompeuse, inapplicable et destructrice d'emplois et de dialogue social.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, pour les socialistes, il est bien clair que la question du salaire minimum ne résout pas la question du revenu disponible décent dont on doit disposer. Maintenant, est-ce une condition nécessaire ? Certainement. Ce n'est pas une condition suffisante, mais c'est une condition nécessaire pour avoir un revenu disponible décent. Dans ce sens-là, aujourd'hui, c'est certainement mieux que de ne rien faire.
J'ai l'impression, les socialistes ont l'impression que, de façon très pragmatique, les syndicats, comme les socialistes et le reste des partis et mouvements de gauche, sont attachés d'abord aux conventions collectives, au partenariat social, aux négociations entre partenaires sociaux. (Brouhaha.) Mais pour cela encore faut-il que ce dialogue existe et qu'il soit respecté ! Or les syndicats, de façon très pragmatique - c'est relevé dans leur argumentaire - ont simplement constaté qu'il y a des problèmes de plus en plus fréquents, notamment en raison des bilatérales, parce que cela pose toutes les questions de sous-traitance et de dumping salarial avec de la sous-traitance qui se fait à l'étranger. Et on ne peut nier ce problème aujourd'hui en Suisse ! Bien entendu, de nombreux secteurs économiques sont basés sur de micro-entreprises, dans lesquelles le contrôle des salaires est extrêmement difficile, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas de partenaires sociaux; alors les conventions collectives, certes, encourageons-les, mais que faisons-nous pour tous les autres ?! C'est bien cela, le problème ! Aujourd'hui, nous n'avons pas de solution pour essayer de garantir un minimum de revenu aux personnes qui sont dans des secteurs non couverts par des conventions collectives. Donc les syndicats sont très pragmatiques, et nous partageons leur analyse. C'est mieux que rien: mieux vaut fixer un salaire minimum, cela donne une base au-dessous de laquelle nous ne pouvons pas aller. Cela n'empêche pas de conclure des conventions collectives. Cela permet d'aller au-dessus, secteur par secteur, dans les négociations qui se font traditionnellement, et c'est très bien. Et certainement...
Le président. Monsieur Deneys, il vous faut conclure.
M. Roger Deneys. Déjà ?! C'est extrêmement difficile, dans ce parlement. (Remarque.)
Le président. Vous avez un petit rabais !
M. Roger Deneys. Il me semblait bien ! En fait, la base du problème, c'est aussi la façon d'appliquer le partenariat social ! Ce parlement, qui se targue des conventions collectives et des rapports directs entre patrons et syndicats, que fait-il, ce parlement ? Eh bien, il s'assied sur les intentions des partenaires sociaux quand il faut voter la LHOM et l'ouverture des magasins jusqu'à 20h. Il oublie le partenariat social. MCG en tête, la droite avec, vous vous asseyez sur le partenariat social que vous vantez ici ce soir ! (Brouhaha.)
En réalité, c'est un peu comme la diplomatie suisse: on peut pratiquer une diplomatie de la neutralité comme pendant la deuxième guerre mondiale; ou on peut mener une diplomatie de la neutralité active comme le fait Micheline Calmy-Rey - à raison - pour sauver les intérêts de la Suisse ! (Exclamations. Commentaires.) Eh bien, le Conseil d'Etat, aujourd'hui, pratique une diplomatie de la neutralité économique, qui s'apparente un peu à ce qui se faisait, je m'excuse, pendant la deuxième guerre mondiale ! C'est-à-dire que l'on ne fait rien et, simplement, on casse du sucre sur les syndicats ! On retrouve cela encore à la page 17 de ce rapport, où le conseiller d'Etat M. Longchamp dénigre une fois de plus les syndicats. Oui, Monsieur Longchamp, vous dénigrez les syndicats en disant que certains d'entre eux veulent lancer une guerre, etc., que ce sont les syndicats qui ne veulent... (Remarque.) C'est dans le rapport, je suis désolé ! (Remarque.) Eh bien voilà ! La réalité, c'est cela ! Le Conseil d'Etat et la majorité de ce parlement ne souhaitent pas le partenariat social, et les gens sont inquiets ! (Brouhaha.) Ils doivent vivre de façon de plus en plus précaire à Genève aujourd'hui ! Et, bien entendu, essayer d'agir au niveau des revenus est un élément de réponse.
Par ailleurs, comme la droite aime bien se faire peur et faire peur à ses électeurs, elle parle du salaire à 4000 F. Il n'est pas fait mention de ce montant dans l'initiative. M. Cuendet l'a rappelé, à raison, parce que, bien entendu, de façon très pragmatique, il faut pouvoir fixer ce montant de façon évolutive, pragmatique, en fonction des marchés. Il ne s'agit pas de dire: «Aujourd'hui, ce sera 4000 F», ce n'est pas vrai ! C'est bien normal, puisque c'est une initiative constitutionnelle, qui ne vise pas à fixer des montants précis.
Donc, pour cette bonne raison, Mesdames et Messieurs les députés, il est extrêmement judicieux de soumettre l'initiative au peuple, pour qu'il puisse faire part de son avis sur cette question. Parce que les gens sont touchés par la précarité ! De plus en plus de gens sont soumis à des conditions de travail extrêmement difficiles; avec leur revenu - ma foi, tout le monde ne bénéficie pas d'un logement fourni par le DCTI - eh bien, avec leur revenu de 4000 F ou en dessous, c'est extrêmement difficile de tourner ! Donc, pour cette simple raison, le salaire minimum, s'il est bien fixé, est l'un des éléments indispensables pour garantir un revenu décent aux Genevoises et aux Genevois. Par conséquent, nous vous invitons à soutenir cette initiative. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député - avec mes excuses réitérées. La parole est à M. Eric Bertinat.
M. Eric Bertinat (UDC). Je voudrais d'abord adresser des félicitations au rapporteur de la majorité. Je trouve ce rapport excellent, comme dit mon collègue Barrillier, excellent parce l'on comprend de manière générale que la demande formulée, à savoir un salaire minimum... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...nous fait sérieusement penser aux «Plaisirs démodés» chers à Charles Aznavour. Pourquoi dis-je cela ? Parce j'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'audition du professeur Jean-Marc Falter. On peut lire à la page 9, entre autres, que le salaire minimum est un outil «largement insuffisant pour assurer la redistribution» des richesses si chère à la gauche. Et de rappeler les mécanismes salariaux. En effet, ce qui se passe aujourd'hui à Genève, et d'une manière peut-être plus générale en Occident, est que le salaire minimum ne répond pas aux demandes qu'il peut engendrer, à savoir lutter contre la misère. Là aussi, le professeur Falter est très clair.
Les Etats occidentaux ont choisi l'alternative de l'aide sociale par différents truchements - nous allons le voir, peut-être ce soir ou demain - à savoir par le biais, par exemple, de prestations complémentaires pour les familles, prestations qui, selon moi, instaurent de fait un salaire minimum. Car leur revenu selon les prestations complémentaires est déjà la définition même d'un salaire minimum, puisque l'on parle bien d'un revenu plancher, auquel les gens qui n'y auraient pas droit ne pourraient pas vivre aujourd'hui en Suisse, et plus particulièrement à Genève.
Donc, ces mécanismes d'aide sociale, comme il est dit à la page 9 du rapport, fonctionnent comme des «trappes à la pauvreté». Je trouve l'image assez juste, et l'intervention actuelle de l'Etat est surtout beaucoup plus moderne que l'exigence qui nous est faite ce soir de fixer un salaire minimum, salaire que les initiants sont eux-mêmes bien incapables, du reste, de définir.
Je voudrais également relever un passage qui figure à la page 10 du rapport. Toujours d'après le professeur Jean-Marc Falter, «le salaire minimal aura peu d'effets sur la pauvreté en général et [...] au sein de la catégorie des bas salaires, ils sont peu nombreux à pouvoir être qualifiés de travailleurs pauvres.» Et d'expliquer que de nombreux effets pervers sont à attendre d'un salaire minimum. Evidemment, les effets pervers sont vis-à-vis des aides sociales qui existent déjà, de toute cette espèce de tissu d'aide sociale que nous avons mis en place et que nous avons continué à mettre en place, et qui nous coûte très cher. Ce fameux professeur Falter remarque également que le salaire minimum «pourrait même créer une forme d'incitation à se diriger vers le travail au noir.»
Bref, selon l'UDC, les initiants arrivent trop tard avec des exigences peu claires s'étendant à l'ensemble de la population, voire aux clandestins. C'est pourquoi nous refuserons l'entrée en matière de cette initiative et ne souhaitons absolument pas voir se préparer un contreprojet.
Des voix. Bravo ! Bravo Eric !
M. Mauro Poggia (MCG). Chers collègues, le débat doit indiscutablement avoir lieu. C'est un sujet qui doit être abordé, et le MCG remercie les socialistes de l'avoir posé. Il n'était pas simple, au sein du MCG, de prendre position sur cette initiative, car elle est séduisante. Elle a séduit d'ailleurs 12 000 personnes qui l'ont signée, qui considèrent effectivement que Genève s'appauvrit de jour en jour, et c'est une réalité: le nombre de chômeurs s'accroît; le nombre de personnes qui s'adressent à l'Hospice général est constant. On parlait de 300 nouvelles demandes mensuelles à l'Hospice général: vous imaginez ce que cela veut dire au niveau de la paupérisation de la population !
Alors il est vrai que proposer à ces personnes un salaire minimum peut les amener à considérer que, du jour au lendemain, il n'y aura tout simplement plus de «working poors», comme on les appelle - ces travailleurs pauvres qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts - malgré une activité lucrative dans notre canton. Mais c'est une fausse bonne idée, comme d'autres avant moi l'ont dit. C'est un leurre. C'est un leurre, parce que, malheureusement, les effets négatifs du salaire minimum se concentrent précisément sur celles et ceux que les politiciens bien intentionnés voudraient aider, c'est-à-dire celles et ceux dont la capacité de travail, évaluée en argent, aux yeux des employeurs potentiels, est inférieure à ce salaire minimum qui pourrait être proposé. Ce sont donc ces gens-là qui resteront sur le carreau, précisément parce que l'on aura mis la barre trop haut aux yeux des employeurs. En effet, si l'on peut fixer un salaire minimum, on ne peut encore pas - et je dirai que c'est une bonne chose - obliger les employeurs privés à engager des travailleuses et des travailleurs.
Regardez ce qui se passe à côté de chez nous, regardez en France: le SMIG a-t-il amélioré la situation sociale de la population française ? Certainement pas. Il a même empêché certaines personnes d'accéder à l'emploi. Le SMIG est et peut être une machine à exclure, à exclure précisément ces personnes dont je viens de parler. C'est aussi une machine à écraser les salaires, puisque vous constatez que, de plus en plus, dans les pays qui ont instauré ce salaire minimum, eh bien, le salaire de la plus grande partie de la population se rapproche inlassablement de ce salaire minimum.
Autre chose encore: c'est le chômage, bien évidemment ! Nous sommes dans un canton entouré par l'Union européenne, aux portes de la France. Le MCG vous a déjà expliqué à quel point, évidemment, la concurrence de travailleurs de l'Union européenne est ressentie durement pour le marché du travail genevois; parce qu'il n'y a pas seulement un dumping salarial, qui, lui, serait évidemment résolu par le salaire minimum, mais il y a un dumping de compétences. S'il faut payer un SMIC qui est jugé important pour une petite entreprise, elle préférera le verser à une personne surqualifiée qu'elle ira chercher ailleurs que sur le marché genevois ou suisse, plutôt que de l'offrir à une personne ici. Donc vous allez précisément, avec le salaire minimum que vous proposez, arriver à des solutions diamétralement opposées à celles que vous souhaitez et que nous souhaitons également.
Genève et la Suisse ont une culture de la convention collective, une culture du dialogue; nous sommes là pour pousser, évidemment, dans cette voie. Il est absolument important que nos employeurs prennent aussi conscience de leur responsabilité morale à moyen et à long terme à l'égard des travailleurs de ce pays et de ce canton. On peut faire des bénéfices plus importants aujourd'hui, mais où irons-nous si le nombre de chômeurs continue à croître et que la capacité de consommer de nos concitoyens diminue constamment ?
Donc, nous serons contre cette initiative, en vous remerciant de poser ce débat, qui aura lieu de manière publique en vue de cette votation. Mais nous ne soutiendrons cette initiative, car nous considérons que ses effets sont pires que le mal contre lequel vous luttez très justement.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Le Bureau propose de clore la liste. En plus de M. le conseiller d'Etat, auront encore le droit à la parole: Mmes et MM. Barrillier, Forte, Jeanneret, Serdaly Morgan, Meylan, Bolay, Hartmann, Schneider Hausser, Lefort, Deneys, Stauffer et Emery-Torracinta. La parole est à M. le député Gabriel Barrillier.
M. Gabriel Barrillier (R). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le vrai débat, ce soir, est de savoir si l'on veut, à Genève et en Suisse, puisqu'il y a une initiative qui a été déposée sur plan national, poursuivre dans la voie du partenariat social, c'est-à-dire poursuivre sur l'accord de paix de 1937. Je sais que c'est vieux... C'est ancien. Beaucoup, peut-être, ignorent cette situation. Mais c'est un système économique et social qui a fait que notre pays - il faut le reconnaître, je pense ! - n'est pas parmi les plus mal lotis de la planète.
Les syndicats, c'est assez fréquent, essaient de jouer sur la loi et sur les conventions collectives pour obtenir une amélioration. On a vécu cela à plusieurs reprises pour la durée du temps de travail, au sujet de laquelle les conventions collectives permettent des avancées, Mais, parfois, il y a des initiatives pour les quarante heures, pour les trente-cinq heures. Vous savez, le peuple suisse n'a jamais accepté ce double jeu; il n'apprécie pas que l'on essaie de jouer sur deux tableaux. Et là, il faut le reconnaître, les syndicats, à Genève, pour lancer cette initiative - et les syndicats de gauche, gauche, tout à gauche, les mouvements SolidaritéS - ont débordé les syndicats sur leur gauche - ont également joué ce jeu-là.
Maintenant, je pense qu'il a été clairement établi par tous les intervenants - on peut être d'accord ou pas - que le salaire minimum exerce une pression sur la rémunération générale, le niveau général de rémunération, et que c'est une pompe à chômeurs. Je pense que l'exemple français - il faut le dire ! - est éloquent: en France, les entreprises sont emprisonnées dans une camisole de force. Elles ne peuvent pas licencier. Il y a des conditions, qui ont été voulues par ce pays, souvent par décret; ce n'est pas le peuple qui a voté. Donc, il y a des conditions de fonctionnement du marché de l'emploi très strictes. Vous avez également des charges sociales très élevées, qui sont de l'ordre de 100%: 1 F versé en salaire génère 1 F de charge sociale pour financer un certain nombre de choses. Et le SMIG oblige les entreprises à verser un salaire minimum. Vous connaissez le résultat ?! Je n'ai pas de «Schadenfreude» vis-à-vis de nos amis Français, mais le résultat est là ! Prenez l'Italie, prenez l'Angleterre, prenez, on a dit, les Etats-Unis... Mais les Etats-Unis ne sont, je crois, vraiment pas un exemple. Maintenant, vous prenez les Etats, comme l'a dit M. Dal Busco tout à l'heure, les Etats du Nord, l'Autriche - eh oui, l'Autriche ! - l'Allemagne - qui a un système beaucoup plus souple. Un système qui repose sur le partenariat social et le tripartisme ! Oui ou non, ces Etats s'en sortent-ils mieux en matière de chômage, de croissance et de situation sur le marché de l'emploi ? Oui ! Nous nous trouvons dans une meilleure situation !
Je m'arrête juste sur le partenariat social. Alors, on dit: «De 40% à 60% sont couverts par les conventions collectives; nous, nous pensons au reste.» Mais je vous pose la question, aux socialistes et aux Verts: si vous démantelez le noyau, le réseau de conventions collectives couvrant plus de 50% par votre salaire minimum, eh bien, si vous le démantelez, comment allez-vous faire pour convaincre les secteurs non organisés de s'arrimer, de sorte qu'ils soient persuadés que le tripartisme est un bon système ? Comment allez-vous faire cela ? Donc là, je pense que votre raisonnement est faux !
Maintenant, j'aimerais dire à nos amis socialistes - oui, j'aimerais quand même vous le dire - dans vos rangs, vous avez des chefs d'entreprise - ils se reconnaîtront - des artisans, des PME... (Brouhaha.) ...qui connaissent l'avantage de ce système de négociation, qui savent ce que l'on fixe dans une négociation entre partenaires sociaux. Si l'on ne peut pas fixer le salaire, vous voulez me dire à quoi sert le partenariat social ? C'est le point essentiel d'une négociation ! Après, il y a les vacances et toute une série de choses. Mais le salaire, la rémunération, en fonction de la productivité, de la formation de chacun de vos employés, c'est l'alpha et l'oméga du partenariat social ! Si vous supprimez cela, que va-t-il rester ? Je regarde mon ami Fazio: réfléchissez à ce système qui a permis à la Suisse d'être à la pointe dans une économie relativement juste et équitable.
Aux Verts je dirai ceci: vous êtes en faveur du développement durable; je vous rappelle que, dans le développement durable, il y a le pôle social ! Et il y a le pôle économique, l'efficacité économique. Le pôle social, c'est le partenariat social ! Donc, foin d'angélisme, Madame la rapporteure de minorité ! On n'est pas dans une société d'angélisme, on est dans une société où il y a des rapports de forces. Je ne dis pas des «guerres de classes», parce que, cela, vous l'avez abandonné. Mais il y a des rapports de forces, et ces derniers, jusqu'à maintenant, ont permis, sans salaire minimum, une progression, de la maintenir, de même qu'une distribution de la croissance dans ce pays.
Vous l'aurez compris, le groupe radical est opposé à cette initiative. Et il attend les correctifs que vous allez voter dans les projets de lois qui vont suivre ce soir ou demain.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Claude Jeanneret (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, voilà un sujet extrêmement difficile à aborder, parce qu'il s'inspire de deux éléments qui s'opposent. L'un est un élément humain, social. Il est vrai qu'un salaire minimum permettant à chacun de recevoir un salaire décent, eh bien, je ne vois pas qui peut s'opposer à cette idée - il est clair qu'il y a des pays où les salaires étaient tellement misérables que l'idée d'un salaire minimum a éventuellement pu promouvoir un certain progrès. La Suisse est, je crois, le pays peut-être le moins organisé syndicalement, mais, malgré tout, les syndicats ont réussi à y imposer une discussion, une certaine compréhension mutuelle. De plus, je crois qu'on a la chance d'être dans un pays où un certain respect de l'humain existe, ce qui n'est pas le cas partout.
Il me semble que nous courons là, avec un salaire minimum, si l'on en inscrit légalement le montant, le risque gigantesque que, lors de discussions intersyndicales, on arrive à dire: «Mais pourquoi faire un effort puisqu'on dépasse largement le minimum ?» On arriverait aussi à ce stade lamentable de la France, où un SMIG est quelque chose que l'on n'ose même pas nommer. En Amérique, on a un salaire minimum de 7,5 dollars de l'heure... Cela fait 1350 F par mois ! Est-ce cela que l'on veut ici ? Je ne crois pas.
Il faut quand même réaliser une chose: nous avons une situation qui n'est pas toujours satisfaisante, mais qui est quand même beaucoup plus décente que ce que l'on peut voir dans les pays qui ont tenté cette forme d'imposition. L'Angleterre partait de tellement bas - on peut dire d'une misère - que cela ne pouvait pas s'aggraver. Mais, pour nous, le danger est que nous ne partons pas d'une misère: nous partons d'une qualité de vie remarquable. D'une qualité de vie où les gens - même s'il faut reconnaître qu'il y en a qui ont des difficultés - gagnent, dans l'ensemble, relativement bien leur vie. C'est la raison pour laquelle on voit affluer de toutes parts des gens pour venir travailler à Genève et ailleurs en Suisse.
Il faut dire aussi qu'un salaire minimum ne permet plus de reconnaître véritablement la valeur de l'individu. En Suisse, on a la chance extraordinaire que le collaborateur fidèle est de mieux en mieux payé. Vous savez, j'ai travaillé pendant de nombreuses années en France voisine; vous prenez quelqu'un à n'importe quel niveau, à n'importe quel âge, ayant telle ou telle formation, eh bien, on lui verse un salaire et cela s'arrête là. Mais ce n'est pas cela, le progrès social ! Le progrès social, c'est un partenariat ! Or, en instituant un salaire minimum, on risque de ruiner ce partenariat que l'on a obtenu en Suisse.
En plus de cela, il y a la différence suivante. Si un jeune homme ou une jeune fille habite chez ses parents sans payer de pension, gagne 2500 F par mois et en dispose comme argent de poche, je veux bien... Mais si une famille avec deux enfants gagne 4000 F par mois, j'aimerais voir comment ils peuvent vivre à Genève. Un salaire minimum: pour qui, pour quoi ? Et que cela représente-t-il par rapport au travail ?
Si nous étions dans le cas d'une exploitation véritablement outrancière, je dirai: oui, on doit rectifier le tir. Mais, dans le cas présent, je ne le crois pas. Il est vrai que, idéalement, ce que l'on propose est bien. Or ce n'est pas adapté à la Suisse. En Suisse, il y a quand même un respect réciproque permettant aux gens de vivre relativement bien quand ils travaillent. Si cela ne suffit pas, nous avons, en tout cas à Genève, des institutions sociales qui, on peut le dire, sont remarquables. Il serait dommage que, avec un salaire minimum, on en vienne à dire: «Mais puisque le salaire est assuré, pourquoi une aide sociale ? Puisque le salaire minimum est là, il y a n'a pas de raison que les gens demandent quelque chose de plus.»
Je crois donc que tout cela fait qu'un salaire minimum, malgré l'aura que ce terme peut avoir - parce que c'est vrai qu'il y a là un idéal - eh bien, ce salaire minimum n'est pas adapté - du tout ! - à la situation que nous vivons ! Alors je préfère de loin que l'on encourage les syndicats à travailler dans des secteurs où ils ne sont pas encore actifs et d'en créer. Je crois que la Suisse est un exemple de partenariat. La preuve est que l'on arrive, malgré le prix relativement élevé de notre production, à être des exportateurs remarquables: on a encore augmenté nos exportations l'année passée, alors qu'on connaît un niveau de vie que personne n'a.
J'entendais tout à l'heure une observation que je n'aime pas: «Si l'on augmente les salaires, cela doit augmenter le niveau de vie et on ne pourra plus produire.» C'est faux. Non, ce n'est pas en augmentant les salaires que l'on ne peut plus produire. Car on donne un plus grand pouvoir d'achat ! Je crois que nous avons aujourd'hui des salaires que l'on peut faire progresser. On peut être attentifs à améliorer le niveau de vie commun de nos concitoyens, mais le salaire minimum, de l'avis du MCG, n'est pas la solution. Raison pour laquelle nous refusons ce projet, mais tout en étant attentifs à ce que chacun reçoive un salaire que l'on peut dire équitable par rapport à son engagement dans l'entreprise.
M. Alain Meylan (L). Monsieur le président, chers collègues, sur l'initiative du salaire minimum, tout semble avoir été dit. Mais j'aimerais juste revenir sur deux ou trois points que je crois utile de préciser, le partenariat social, les conventions collectives, etc., évoqués par quelques personnes.
Cela fait vingt ans que je négocie des conventions collectives de travail. Je dois bien être le seul, dans ce parlement, à le faire directement. Il y avait notre actuel chef du département de l'instruction publique, de la culture et du sport, avec qui j'ai effectivement aussi croisé le fer lors de pourparlers, il y a quelques années, et qui négociait également des conventions collectives. Alors je pense pouvoir apporter un certain éclairage sur ce qui s'est passé ou ce qui se passe.
Le partenariat social est essentiel, on l'a dit. Il représente au niveau des conventions collectives 60% des employés, qui sont couverts par ces conventions collectives. Il est aussi issu de 1936, avec cette fameuse paix du travail, paix absolue, qui est inscrite dans toutes les conventions collectives, qui, après la négociation, amènent de la sérénité dans les rapports de travail, amènent de la stabilité dans notre monde économique, et amènent de la stabilité également dans le bien-être économique de tous. De ce point du vue là, mettre en danger ce partenariat, c'est mettre en danger ce qui a fait, ce qui fait encore et, j'en suis persuadé, ce qui fera toujours et encore pendant longtemps la force de la Suisse et particulièrement de Genève.
Quant aux éventuels problèmes que l'on aurait ou que l'on pourrait avoir dans certains secteurs, avec des salaires peut-être trop bas, nous avons, avec les accords bilatéraux, mis en place des mesures, ce que l'on appelle les mesures d'accompagnement, qui donnent la possibilité aux partenaires sociaux de contrôler et de regarder ce qui se fait dans le marché de l'emploi. Un organisme est dédié à cela à Genève et peut nous indiquer, le cas échéant, les secteurs où il y a des difficultés.
Quand il y a des difficultés, deux mesures sont à voir. Tout d'abord, l'Etat doit demander aux partenaires sociaux d'examiner s'il est possible d'avoir une convention collective, mandater les partenaires sociaux ou leur demander d'étudier la possibilité d'avoir une convention collective. C'est vrai que ce n'est peut-être pas possible dans tous les secteurs d'activité, soit parce qu'il manque une partie syndicale, soit parce qu'il manque une partie patronale, dans le sens des organisations.
S'il y a vraiment une difficulté, la dernière manière de contrôler le marché est une façon plus étatique, certes, mais qui peut être, et qui est, utilisée, à savoir: édicter un contrat type de travail avec un salaire minimum obligatoire. Donc c'est en dernier recours que l'on a la possibilité d'appliquer cette mesure, ce qui est fait; un contrat type de travail a notamment été édicté dans l'économie domestique et, récemment, chez les esthéticiennes. Ainsi, on a divers secteurs où l'on a vu qu'il y avait effectivement des problèmes. On s'est mis autour d'une table, partenaires sociaux, syndicat, patronat et Etat, et on a dit: «Oui, là, il faut agir», et l'on a agi. De cette manière, on arrive aussi à trouver un moyen de contrôler ce marché sans perturber l'ensemble, les 95% des règles des contrats de travail qui fonctionnent bien.
Si vous lisez le communiqué de presse qui est publié régulièrement sur les permis consentis dans notre canton, on remarque qu'il y a entre 4% et 5% de cas difficiles parmi les salaires octroyés. Ces cas remontent aux conventions collectives. Ils sont étudiés. Les entreprises sont interrogées sur ces cas. Et généralement, ces cas, que l'on peut quand même qualifier de relatifs, puisqu'ils représentent 4% - ce n'est pas l'ensemble du marché qui ne fonctionne pas - sont étudiés et font l'objet d'un rapport plus précis et plus circonscrit.
Donc, Mesdames et Messieurs, sur cet aspect du partenariat social, certains veulent donner des leçons. J'ai plusieurs exemples. J'ai cherché sur le site de l'OCIRT, l'organe qui fait en sorte que le partenariat fonctionne, et j'ai regardé si l'Association des entrepreneurs progressistes était éventuellement sur ce site. Je ne l'ai pas trouvée. Je ne crois pas que cette association très progressiste ait signé des conventions collectives. A ma connaissance, non. Donc, je pars du principe que... (Remarque.) «Progressistes»... Je ne sais pas si c'est effectivement un bon terme ! Mais, pour ce qui est d'autres associations professionnelles, je peux vous dire que, en quinze ou dix-huit ans, j'ai négocié des conventions. Certes, il y a eu des moments difficiles; il y a même eu des arrêts de travail, des conflits - c'est normal, cela fait partie du jeu. Mais, à la fin, je crois que nous nous retrouvons tous autour d'un document. Et ce dernier ne sert pas seulement à fixer des salaires minimaux, mais aussi, régulièrement, à se retrouver dans une commission paritaire, où l'on discute de formation professionnelle, de sécurité au travail et de thèmes au sujet desquels on est ensemble. Casser ces conventions collectives avec le risque de ce salaire minimum, c'est casser cette discussion-là, qui dépasse largement le salaire minimum ou le salaire. (Applaudissements.)
Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de l'époque, au moment où l'on avait discuté de la recevabilité de cette initiative, avait dit que cette dernière n'était pas recevable - d'ailleurs, vous l'avez déclarée non recevable - parce qu'elle ne respectait pas les compétences entre le canton et la Confédération. Le premier rapport du Conseil d'Etat avait donné des explications relatives à ces critères et avait reconnu que cette initiative était recevable. On a également beaucoup glosé, à l'époque, sur les contraintes juridiques et sur la portée limitée de cette initiative. Il n'empêche que le Conseil fédéral avait aussi dit que, selon l'article 6 du code civil, le droit cantonal est réservé et qu'un canton pourrait, pour des raisons politiques et économiques, recommander des salaires minimaux lorsque les salaires payés ne suffisent pas à couvrir le minimum vital. Eh bien, c'est ce que veut cette initiative: couvrir le minimum vital.
M. Poggia nous a parlé du SMIG. Il a beaucoup critiqué le SMIG, comme d'autres. J'aimerais juste rappeler, Mesdames et Messieurs les députés, que le SMIG est une avancée sociale. Or celui qui l'a mis en place n'était pas un gauchiste: c'était le général de Gaulle. C'est le général de Gaulle qui a mis en place le SMIG ! (Brouhaha.) Mesdames et Messieurs les députés, pourquoi ? Parce que les entreprises ne jouaient pas leur rôle en termes de responsabilités sociales.
Un revenu minimum, un salaire minimum vous choque ! Par contre, les salaires indécents, les bonus exorbitants, ceux-là ne vous choquent pas. Mais le salaire minimum, dans l'un des pays les plus riches du monde, cela vous choque ! Mesdames et Messieurs les députés, c'est vous qui nous choquez aujourd'hui. En effet, comment peut-on actuellement vivre à Genève lorsque l'on paie de plus en plus cher les assurances-maladie - quand on est en couple avec deux enfants, on paie 1200 F à 1300 F par mois - sans compter le téléphone et le loyer ! Et vous trouvez normal que ce soit l'Etat qui fasse le lien ?! On a évoqué tout à l'heure les demandes, dont le nombre croît sans cesse, à l'Hospice général... Mesdames et Messieurs les députés, je vous appelle à vos responsabilités, parce que nous, ici, sommes patrons ou femmes de patron, et nous savons aussi quelles sont nos responsabilités: avoir également ce rôle social que les entreprises doivent jouer dans un pays comme la Suisse !
Pour terminer, je vais vous répondre: «In dubio pro populo.» Cette initiative a été signée par 12 000 personnes. Vous verrez ce que le peuple va vous dire... Il va vous dire ce qu'il en pense ! Parce que le peuple, lui, ce qu'il veut, c'est vivre convenablement dans ce pays. Et nous nous réjouissons de voir quelle sera cette réponse. (Applaudissements.)
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Mesdames et Messieurs, quand on fait une randonnée sur une arête, le principe est de s'encorder; c'est dangereux. C'est vrai que, si l'un des randonneurs dérape - «dérupe», comme on dit - glisse... (Commentaires.) ...si l'on veut que la cordée tienne, il faut que quelqu'un se jette de l'autre côté de l'arête. Sinon, tout le monde part du même côté.
Ici, dans cette histoire que nous vivons sur le revenu minimum, nous savons bien que l'équilibre, l'arête, c'est l'économie de marché. Vous direz à M. Cuendet, Monsieur le président, que l'on n'est pas naïf à ce point-là - cela fait des décennies que l'on est dans une économie de marché ! Par contre, quand la mobilité, la flexibilité, la concurrence et la sous-enchère amènent des salaires qui ne sont plus possibles pour vivre à Genève et que les écarts deviennent de plus en plus importants et de plus en plus nombreux, il est normal, à un moment donné, que, pour faire l'équilibre, des personnes proposent des choses - dans l'autre extrême peut-être, pour certains - c'est-à-dire un salaire minimum. Il faut équilibrer ! Nous n'allons pas tous passer à l'Hospice général. Il faut imposer un stop technique ! Ce stop technique, Mesdames et Messieurs, oui, c'est l'initiative cantonale. Oui, ce sera certainement l'initiative fédérale; en tout cas, elle est bien en route.
Par contre, j'ai envie de dire au patronat, à l'un de ses partenaires, ou à plusieurs de ses partenaires sociaux que l'on remarque dans les bancs d'en face, eh bien, j'ai envie de dire que c'est le moment de montrer qu'il y a une véritable volonté de renouer un dialogue, de retrouver une efficacité dans ce dialogue. Vous avez encore l'opportunité de cette réponse, et nous avons encore l'opportunité de cette réponse ! Mais, pour que cette réponse et pour que ce dialogue puissent naître, les socialistes croient que cette initiative sur le revenu minimum est juste et indispensable. M. Meylan a parlé du CSME, du Conseil de surveillance du marché de l'emploi... Eh bien voilà ! C'est l'un des organismes. L'OCIRT aussi. C'est le moment de passer effectivement à des actions peut-être un peu plus actives - précisément - dans des domaines qui sont fragilisés. (Brouhaha.)
Maintenant, tout le monde doit s'y mettre, peut-être un peu plus rapidement et plus efficacement que jusqu'à présent. Parce que les 12 000 signatures des gens, comme l'a dit la députée Loly Bolay précédemment, ne sont pas tombées du ciel et ne couvrent pas encore tout le canton. Le vote nous dira ce que le peuple en pense. (Applaudissements.)
M. François Lefort (Ve). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous avons tout entendu ce soir: le salaire minimum, c'est mauvais, c'est destructeur d'emplois... Pourtant, curieusement, la majorité des pays de l'OCDE pratiquent le salaire minimum. Et ce ne sont pas des démocraties populaires ! La majorité des pays de l'Union européenne, qui ne sont non plus des démocraties populaires, pratiquent des salaires minimum. Le salaire minimum, on a aussi entendu, est antiéconomique... Pire: c'est un obstacle au partenariat social ! Quant aux USA, ils sont le pays de cocagne du libéralisme économique ! C'est votre patrie de... (Remarque.) Le pays de cocagne du libéralisme, il applique le salaire minimum depuis septante ans, Mesdames et Messieurs les députés ! Cela a même été l'un des premiers pays à l'appliquer ! En fait, il y a plusieurs types de salaires minimums: salaire minimum fédéral, salaire minimum par Etat, par ville et par région au sein de ces Etats. Et tout ceci, bien sûr, s'inscrit dans le cadre de partenariats sociaux ! Avec des syndicats forts ! Le salaire minimum, dans tous ces pays - dans l'OCDE, dans l'Union européenne et aux Etats-Unis, votre patrie - c'est le fruit du partenariat social. Le salaire minimum fait partie du partenariat social, c'est le résultat d'une négociation tripartite.
Alors cette discussion, ce soir, ne fait que mettre en exergue vos préjugés, vos oeillères, votre passéisme... (Exclamations. Remarque.) ...voire votre dogmatisme. Ce n'est finalement pas si grave, car le dernier mot reviendra de toute façon au peuple genevois, qui aura l'occasion de dire s'il veut inscrire le salaire minimum dans le partenariat social qui est si cher à vos coeurs. (Applaudissements.)
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai bien écouté les propos de M. Barrillier, tout à l'heure, et, comme je l'ai dit en introduction, je suis très attaché au partenariat social. Mais, comme vous l'avez évoqué, cela date de 1936-1937.
M. Gabriel Barrillier. Vous n'étiez pas né !
M. Roger Deneys. Justement, je n'étais pas né. Vous, vous étiez peut-être déjà dans ce parlement... (Rires.) ...mais toujours est-il... Monsieur Barrillier, je vous le dis confidentiellement: le monde a changé ! Nous sommes au XXIe siècle ! Les bilatérales ont été votées ! La mondialisation existe... L'OMC existe... A l'époque, il y avait des cartels en Suisse. Il y avait un certain nombre de mesures protectionnistes qui garantissaient un marché intérieur suisse cohérent, avec des restrictions contre le dumping de pays qui peuvent produire moins cher parce qu'ils n'ont pas les mêmes conditions sociales, précisément, et pas les mêmes conditions écologiques que la Suisse ! Eh bien voici, aujourd'hui, la réalité de la Suisse: en 2011, nous vivons dans une économie mondialisée qui met la pression sur les salariés suisses. A Genève, en particulier: nous sommes un canton frontalier ! C'est donc de façon très pragmatique, je crois, que les syndicats, justement, attachés eux aussi à ce partenariat social, sont arrivés à la conclusion que cette initiative était finalement quand même intéressante. (Brouhaha.)
Donc, après tout ce temps, il est certain que cette évolution demande d'autres types de réponses. Nous ne pouvons plus nous contenter des réponses d'il y a bientôt un siècle ! C'est l'évolution de la société, que nous le souhaitions ou non ! Pour cette simple raison, je pense que cette initiative est intéressante aussi parce qu'elle fixe quelque part, de façon pragmatique, la logique du droit opposable. Ici, c'est le principe. Le peuple se prononcera sur le principe d'un salaire minimum, et pas sur son montant ! C'est extrêmement important. Les fantasmes que vous avez évoqués sur le chômage, sur tout ce que cela pouvait avoir comme conséquences négatives si l'on fixait un salaire minimum trop élevé, ce message a bien été entendu par l'ensemble des partenaires sociaux. Le professeur d'université l'a évoqué. La fixation de ce montant est extrêmement délicate, mais c'est possible. Donc, aujourd'hui, nous nous prononçons sur le principe.
Je vais vous parler ici en tant que patron de PME. Je peux m'inquiéter si l'on dit: «Le salaire minimum, demain matin, est de 4000 F.» Je pourrai m'en inquiéter, parce que j'ai des collègues qui ne gagnent pas cela en tant que patron. Ils ne vont pas être d'accord, en disant: «Je ne suis pas d'accord. Moi je ne gagne pas cet argent, je ne vois pas pourquoi je devrais payer 4000 F à un salarié.» (Brouhaha.) C'est une réalité. Moi, j'en suis bien conscient. Mais il n'a jamais été question ici de dire: «Le montant est de 4000 F.» C'est bien une discussion pragmatique, qui doit avoir lieu secteur par secteur. Et, bien entendu, le but est de donner un droit opposable aux salariés, ainsi, évidemment, qu'aux patrons de PME ! La concurrence déloyale de celui qui casse les prix en engageant des sous-traitants se trouvant on ne sait où, ce ne sera plus possible ! Ce mécanisme, avec un montant correct fixé, protège aussi les PME genevoise ! Voilà donc la simple raison: garantir la survie de l'économie genevoise. En effet, les grandes entreprises n'ont pas ce problème, elles ont les conventions collectives. Ce sont bien les petites qui sont en priorité soumises à la concurrence et qui peuvent donc subir les conséquences de cette mondialisation.
Par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, je vous le rappelle, il s'agit ici du principe du salaire minimum. Il garantit des salaires corrects aux Genevoises et Genevois, soit un seuil au-dessous duquel on ne pourra en tout cas pas aller. Et, pour les PME, c'est une garantie de ne pas pouvoir autoriser n'importe quelle concurrence déloyale. Donc, je vous invite vraiment à voter, à accepter ce principe du salaire minimum. (Applaudissements.)
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, aujourd'hui, nous sommes à une quadrature du cercle, puisque nous avons d'un côté la gauche, qui vient nous dire: «Des salaires ne sont pas assez élevés; il faut empêcher le dumping salarial et protéger nos résidents genevois.» Eh bien, nous, cela fait six ans que nous disons cela au parlement ! Nous disons qu'il faut donner prioritairement l'emploi aux résidents genevois. Pas avec un salaire minimum, mais avec salaire décent ! Et, de l'autre côté, la droite vient nous dire: «Non, il ne faut pas de salaire minimum, parce que cela pourrait peut-être fausser la concurrence.» Alors, il faudrait savoir ! Il faudrait vous mettre d'accord ! On est pour ou on est contre l'Europe ? On est pour ou on est contre les frontaliers ? En effet, tout cela a évidemment une incidence dans tout.
Maintenant, laissez-moi peut-être, comme avant-dernier orateur dans ce débat, synthétiser ce que nous pensons de votre salaire minimum. Le salaire minimum deviendrait la référence absolue pour plus de 50% des travailleurs. Là, vous enlevez déjà toute possibilité de négocier des conventions collectives par profession. Laissez-moi vous expliquer aussi que vous enfoncez une porte ouverte, puisque, vous le constaterez - mais évidemment, pour cela, il faut lire l'ordre du jour un tout petit peu plus loin, c'est-à-dire au point 31 - nous allons traiter d'un projet de loi. Or, à la page 109 du rapport PL 10600-A, il y a ceci: «Seuil de sortie du régime des PC - prestations complémentaires - familles pour une personne seule». Prenons, par exemple, une maman qui a un enfant. Le seuil de sortie des prestations complémentaires - qui, par corollaire, est le seuil d'entrée dans l'aide sociale, on est bien d'accord, si c'est un seuil de sortie que l'on prend à l'envers - savez-vous à combien il est ? Je vais vous le dire. Il est de 4790 F pour une personne seule avec un enfant. Pour une personne seule avec deux enfants, il est de 5672 F. Et avec trois enfants, il est de 6049 F. C'est le seuil de sortie. C'est-à-dire le seuil d'entrée des aides complémentaires du social.
Alors, Mesdames et Messieurs, que voulez-vous ? Voulez-vous absolument anéantir les working poors et les soumettre tous à un nivellement ? Le nivellement, pour ceux qui ne comprendraient pas, c'est vers le bas; ce n'est pas vers le haut. Et finalement, de qui va-t-on faire le beurre ? On va faire le beurre des Français ! Vous avez, certains députés de l'Entente, critiqué le système français... Eh bien, il faudra inscrire cela d'une pierre blanche, ce soir, dans le Mémorial, car c'est assez rare pour le souligner. D'habitude, vous faites des éloges: «Ils ont de bons employés, mieux formés - les infirmières, par exemple»... J'en passe et des meilleures.
Par rapport au système français, sera-t-on encore équipé ? Nos résidents seront-ils équipés pour lutter contre cette concurrence ? Bien sûr que non ! Le SMIG, en France, c'est-à-dire à dix minutes d'ici... Bon, quand ce sont des bandits qui font des hold-up, aller à la frontière prend trois minutes. Mais pour le commun des mortels, les Genevois, il faut peut-être une demi-heure ou une heure, selon le moment auquel on circule... Juste de l'autre côté, le SMIG, le salaire minimum, il est à combien ? Il est à 980 euros. Alors à combien sera le salaire minimum de votre initiative ? Il reste à fixer. Avec les chiffres que je viens de vous dire, on va peut-être le mettre - on va faire une moyenne - disons à 4500 F, soit 3000 euros, 3100 euros. Extraordinaire ! Mesdames et Messieurs les smigards de France, bienvenue à Genève ! Les conditions sont parfaites, le salaire minimum est le triple de ce que vous gagnez en France, aucun patron ne pourra vous payer moins. Mais d'abord, qui est-ce qui paierait moins ? (Commentaires.) Est-ce qu'il y a des entrepreneurs, parmi les entrepreneurs de l'Entente, qui paieraient des salaires en dessous de 3000 F par mois ? Alors là, il faudrait voir ! Peut-être que, effectivement, il faudrait réinstaurer les commissions tripartites que vous avez vantées précédemment !
Non, Mesdames et Messieurs, le salaire minimum, même si le sentiment part d'une bonne intention, est destructeur pour les gens que vous prétendez défendre. Mais évidemment, cette gauche qui s'est embourgeoisée n'a plus ces valeurs de réalité, de référence, dans la Genève que nous vivons aujourd'hui. Oui, Monsieur Deneys, les temps ont changé ! Mais les temps ont changé aussi pour le parti socialiste ! Regardez la France: à force de vouloir faire un pays d'assistés, le parti socialiste a été littéralement en implosion totale. Mais oui, c'est comme cela, les choses changent... Et puis, il y a des partis émergents, qui prennent leurs responsabilités, qui viennent dire: «Eh bien voilà, il faut négocier des conventions collectives, qui, elles, vont réglementer tels et tels types de profession.»
Comment allez-vous faire ? Comment allez-vous faire un salaire minimum ? Avec ou sans diplôme... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...pour chaque profession ? Comment allez-vous faire ? Votre initiative n'est simplement pas réalisable. De plus, Mesdames et Messieurs, vous allez vraiment - vraiment ! - affaiblir ceux que vous prétendez défendre ! Mais c'est sûr que quand on s'est embourgeoisé comme vous l'avez fait, Mesdames et Messieurs, au fil de toutes ces années...
Le président. Monsieur Stauffer ! Monsieur Stauffer !
M. Eric Stauffer. Oui, Monsieur le président ?
Le président. Faites une pause, respirez, et revenez au sujet.
M. Eric Stauffer. Mais tout va bien, Monsieur le président. Vous savez, nous, nous savons nous exprimer. En tout cas, nous savons être entendus par le peuple, qui n'est pas dupe avec ces fausses bonnes idées. En effet, on aura finalement des jeunes qui auront obtenu leur CFC - par exemple, d'employé de bureau ou de mécanicien - et on leur dira: «Ah non, je vous engage au salaire minimum. C'est 3500 F... (Remarque.) ...ou 4000 F.» C'est super ! Et comment vivez-vous, avec une famille ? Vous irez quand même à l'assistance sociale. Et finalement....
Le président. Il vous reste vingt secondes, Monsieur le député.
M. Eric Stauffer. Je vais conclure, Monsieur le président ! ...ce n'était pas le but recherché.
Alors nous, au MCG, avec l'énergie que vous nous connaissez, nous combattrons votre initiative, parce qu'elle est mauvaise et toxique ! Comme la plupart des choses que vous faites pour les Genevois.
Mme Anne Emery-Torracinta (S). Mesdames et Messieurs les députés, cela fait un petit moment que je vous écoute avec beaucoup d'intérêt... (Exclamations. Commentaires. Le président agite la cloche.) ...et j'ai quelques problèmes de compréhension. Il va falloir que vous m'éclairiez, car je dois dire que je n'arrive plus à m'y retrouver. Une chatte ne retrouverait plus ses petits dans ce parlement ! Je vais vous en donner quelques exemples.
On nous vante, de ce côté de la table, le partenariat social. Soit ! Expliquez-moi, Mesdames et Messieurs les députés, pourquoi, à Genève, il existe une convention collective de travail ? Signée, donc, dans le cadre du partenariat social, qui prévoit un salaire minimum de 3000 F par mois. Je m'interroge: le partenariat social est-il suffisant ?
Deuxièmement, la question qui nous est posée ici est, au fond, celle de savoir comment on doit assurer pour chacun la possibilité de vivre dignement. Nous, les socialistes, nous disons que c'est le salaire qui doit permettre de vivre dignement. Et si j'en crois que ce vous nous dites, Mesdames et Messieurs les députés, si j'en crois surtout les votes lors du 31e point de l'ordre du jour, que nous allons traiter demain sur les prestations complémentaires pour les familles, j'ai vu que le rapporteur était un libéral et que tout le parlement avait accepté ce projet de loi. C'est-à-dire, Mesdames et Messieurs les députés, notamment les libéraux, que vous acceptez que l'Etat subventionne les familles ! Alors je ne comprends plus: voilà que les socialistes soutiennent le marché avec les salaires, et voilà que vous soutenez l'Etat. (Remarque.) Je veux bien comprendre, mais expliquez-moi pourquoi vous êtes en faveur des baisses d'impôts ! En effet, que l'Etat doive suppléer aux manques de l'économie, soit ! Mais alors, il faut que l'Etat ait les moyens de le faire ! Où est la cohérence, Mesdames et Messieurs les députés ?
Le MCG, maintenant... (Exclamations.) M. Poggia nous dit tout à l'heure... (Commentaires. Le président agite la cloche.) ...qu'il s'inquiète pour les chômeurs à Genève qui n'auraient plus assez pour vivre. Mais où est la cohérence, Mesdames et Messieurs les députés ? En effet, au sujet du prochain point à l'ordre du jour, qui concernera le chômage et la suppression du RMCAS, que dit le MCG ? Il souhaite la suppression d'une prestation pour mettre les chômeurs à l'aide sociale avec plusieurs centaines de francs en moins par mois. Où est la cohérence, Mesdames et Messieurs les députés ? M. Stauffer nous fait la leçon, en disant qu'il y a une inégalité entre la France et la Suisse, etc. Si j'ai bien compris son raisonnement, c'est que M. Stauffer souhaiterait que les salaires à Genève soient alignés sur le SMIC en France ! Je suis sûre que l'électorat du MCG sera d'accord avec M. Stauffer.
Et puis, où est la cohérence, Mesdames et Messieurs les députés, quand je lis ici un amendement proposé à la Constituante, le 11 novembre 2010, par M. Pierre Gauthier de l'AVIVO. Cet amendement, que disait-il ? «Toute personne a droit aux moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine, lesquels comprennent notamment les droits à l'alimentation, à l'habillement, aux soins et à l'assistance, à un logement convenable, y compris l'accès aux infrastructures indispensables ainsi qu'à la mobilité.» On pourrait penser que le MCG, qui défend toujours la veuve, l'orphelin, les pauvres, les Genevois, les autres... (Remarque.) ...accepterait cet amendement. Eh bien non, Mesdames et Messieurs les députés, il a refusé cet amendement !
Enfin, Monsieur Cuendet, je ne résisterai pas au plaisir... (Exclamations.) ...de vous poser une question. Vous nous dites, Monsieur Cuendet, que cette initiative est inapplicable. Alors je vous demande, Monsieur Cuendet: mais de quoi avez-vous peur ? Soutenez-la, et laissez le peuple se prononcer. (Applaudissements.)
Mme Esther Hartmann (Ve), rapporteuse de deuxième minorité. J'ai trouvé toutes ces interventions très enrichissantes. (Exclamations.) Oui, «enrichissantes», j'utilise volontairement ce terme. Un collègue libéral a parlé de la grande distribution, de la situation que cela poserait. Oserai-je rappeler que la grande distribution a été tellement soulagée, quand elle a vu arriver des distributeurs qui, normalement, ont tendance à payer très peu leurs employés pour vendre très peu cher leurs denrées, de pouvoir dire: «Mais il y a un salaire minimum qui est imposé par la convention collective étendue ! Il faut que vous la respectiez !» Tout d'un coup, la notion de salaire minimum ne vous gênait plus du tout ! Oui, la convention collective a été négociée, mais je vous rappelle que certaines entreprises ne signent pas de convention collective ! Que certaines personnes ne bénéficient pas de cette protection ! Cette initiative s'adresse à ces gens-là.
Nous soutenons les conventions collectives, nous soutenons le partenariat social, mais nous ne soutenons pas des pratiques indécentes. Vous parliez du fait du roi et disiez: «Mais est-ce l'Etat qui va déterminer le salaire minimum ?» Moi, je vais répondre: est-ce que ce sont les employeurs qui vont déterminer quel travail est décent et quel travail ne l'est pas, et quel travail mérite un salaire avec lequel on peut vivre et quel travail n'en mérite pas ? Quelqu'un qui a emploi pénible, par exemple nettoyer les toilettes, Mesdames et Messieurs, dans les banques, ne fait-il pas un travail tout à fait important ? (Brouhaha.) Mais oui, Mesdames et Messieurs les députés ! (Remarque.) Oui, mais il y a quelques années, je vous rappelle... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...certaines personnes étaient payées 11 F de l'heure ! Je vous rappelle quand même ce fait.
Je relèverai aussi que certains parlent de l'aide sociale, du filet social, de la préservation des revenus. Oui, mais j'ai entendu l'un de vos collègues dire: «Ah, mais l'aide sociale devient de plus en plus chère.» Que fera-t-on le jour où, tout d'un coup, cette aide sociale sera menacée parce que les majorités auront changé et que, de toute façon, il faudra diminuer l'aide sociale ? Que feront ces gens-là, qui n'auront plus ces revenus complémentaires ? C'est aussi une forme de fait du roi, mes chers collègues !
Je suis vraiment au regret de constater que des choix qui ont été effectués de manière très dogmatique, et pas forcément de notre côté politique, ont fait que vous avez refusé tout dialogue et même toute proposition d'un contreprojet, à tel point que nous renonçons à déposer un amendement ce soir, car nous sommes convaincus que cela ne va pas passer. Oui, nous sommes vraiment désolés de cela, parce que, effectivement, certaines de vos craintes étaient peut-être valables; malheureusement, vous avez refusé le dialogue. Nous allons soutenir cette initiative jusqu'au bout, car nous ne voyons pas d'autres solutions, vu la situation de l'emploi actuellement. (Applaudissements.)
Mme Christine Serdaly Morgan (S), rapporteuse de première minorité. Résumons, cela ressemble quand même un peu à un débat de sourds, où chacun a lu dans le rapport de majorité, en particulier, de même que dans les fragments d'auditions, ce qu'il souhaitait aller y chercher. Chacun a bien tenu son rôle. Mais aucune recherche ni aucune audition n'ont mis en évidence ni la diminution des salaires, ni l'augmentation du travail au noir, ni la disparition du partenariat social.
Les auditions, oui, ont exprimé des craintes. Les auditions, oui, ont indiqué que le salaire minimum n'était pas un moyen pour lutter contre la pauvreté, qu'il ne fallait pas confondre revenu minimum et salaire minimum, et que le salaire minimum pour une famille était une composante d'un ensemble de mesures permettant d'assurer une vie décente, pas la panacée.
Concernant la hauteur du salaire, le député Roger Deneys a reprécisé tout à l'heure qu'elle n'était pas évoquée dans l'initiative. Ce n'est pas le rôle de la constitution. L'initiative propose une question de valeur, un principe. Elle propose d'ailleurs des salaires minimaux.
«Augmenter le salaire reviendrait à augmenter les prix»... C'est une manière de le voir, Monsieur le député Zaugg. On peut aussi dire qu'augmenter les salaires contribuerait à réduire les profits, donc à mieux redistribuer l'argent en présence.
Quant à la décence, dans la notion de salaire minimum il y a le mot «minimum», que nous comprenons comme un socle, qui peut être amélioré selon les pratiques existantes dans chacun des secteurs et en fonction des conventions collectives de travail. (Brouhaha.)
Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais conclure en disant que le travail reste une valeur cardinale dans notre société, qui s'est bâtie sur sa valorisation depuis plusieurs siècles. Soutenir le principe d'un salaire minimum, permettant d'accéder à des conditions de vie décentes et répondant à une réalité cantonale, c'est donc affirmer que le travail a encore une valeur. C'est aussi promouvoir l'idée qu'un certain niveau de redistribution des profits n'est pas contraire à la liberté économique, mais porteur d'un projet de société où l'on affirme vouloir vivre ensemble et assumer pour ce faire une forme de solidarité. Ce n'est pas ma conception - ni celle des socialistes - de l'entreprise, d'imaginer un employé travaillant à plein temps qui, au bout de sa journée de travail, devrait aller à l'aide sociale pour joindre les deux bouts. Je vous remercie de votre attention et j'espère que le peuple, si ce n'est vous, réservera un bon accueil à cette initiative.
M. Fabiano Forte (PDC), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais souligner la qualité de nos débats ce soir, qui reflète la parfaite qualité des débats qui ont lieu en commission. Il y avait les pour, il y avait les contre, mais je crois que chacune et chacun d'entre nous a pu s'exprimer et exposer ses arguments. J'aimerais aussi dire, pour la compréhension de celles et ceux qui nous regardent et nous écoutent, que, si nous devions voter la prise en considération de cette initiative, elle entrerait en force comme une loi. Si nous ne votons pas la prise en considération de cette initiative, ce que vous propose la majorité, il reviendra au peuple de décider, via une votation populaire, et nous reprendrons certainement ce débat, qui est important.
Ce soir, on nous a donné l'exemple de certains modèles. On a cité la Grande-Bretagne: c'est très intéressant. Il est vrai que la Grande-Bretagne est un modèle de politique sociale... On nous a cité les Etats-Unis. Le salaire minimum, aux Etats-Unis, est de 7,38 dollars, soit, au cours de ce soir - vérification faite - 7,16 F de l'heure. Je répète: 7,16 F de l'heure ! Et ce montant varie d'un Etat à l'autre... Une fois de plus, la minorité parlementaire de gauche prend des exemples sur de véritables «modèles de politique sociale» ! Il fallait le souligner.
On a parlé de l'intervention de l'Etat; la majorité est en faveur d'un Etat instigateur et d'un Etat qui incite. On a cité la LHOM. Concernant la LHOM, Mesdames et Messieurs les députés, il faut rétablir une certaine vérité. Oui, il y avait un échec des négociations; oui, la majorité, voire l'unanimité de la commission de l'économie a attendu de connaître le résultat des négociations entre le patronat et les syndicats. Et devant le constat d'échec, l'autorité publique, qui est le Grand Conseil, qui fait partie de l'un des piliers de cette république, a voté la LHOM. Et je crois qu'il ne faut pas remettre en cause les décisions du parlement.
On a dit, il est vrai, qu'il y a un niveau de salaire au-dessous duquel il ne faut pas aller. Mais, si l'on fixe un salaire minimum à 4000 F... C'est le montant qui a été articulé. On nous a dit ce soir que l'on n'a pas articulé de montant: c'est faux, il a été articulé le montant de 4000 F. Eh bien, je le disais en introduction de mon rapport de majorité, une entreprise qui ne peut pas servir ce salaire de 4000 F soit diminue la voilure, soit n'embauche pas, soit a recours au travail au noir. Or je crois que nous ne souhaitons pas généraliser ce genre de pratique.
La précarité, Mesdames et Messieurs les députés, nous en sommes conscients: il y a des gens dans ce canton qui vivent en dessous d'un certain seuil qui leur permettrait de pouvoir payer un loyer - un loyer pour un appartement décent - qui leur permettrait de se nourrir, de téléphoner - puisqu'on a pris l'exemple du téléphone. Genève connaît un filet social important, relativement généreux. Ce n'est pas la panacée, on le reconnaît volontiers. Mais il ne faut pas oublier que l'on connaît le système de l'effet de seuil ! Alors, à quel niveau allons-nous fixer ce salaire minimum ? Va-t-on tenir compte des situations particulières de celles et ceux qui pourraient être au bénéfice de ce salaire minimum ? C'est une situation inextricable.
Vous avez dit également que le salaire minimum devait se négocier en fonction des branches... Très bien ! Mon collègue Zaugg a demandé: «Mais pourquoi, dans le domaine - par exemple - du nettoyage, le salaire minimum serait de tant, alors que, dans le secteur de la coiffure, il serait de tant ?» On instaure là une disparité.
On a parlé de droit opposable. Mais, de nouveau, le droit opposable, c'est quoi ? C'est de dire à un patron, s'il n'est pas d'accord avec le salaire minimum qui est fixé dans sa branche... Eh bien, c'est pouvoir le dire et c'est pouvoir bloquer les négociations, et on dynamite le partenariat social. Nous, majorité de la commission de l'économie, ne souhaitons pas donner la pelle pour creuser la tombe du partenariat social dans ce canton et, plus largement, dans ce pays. C'est la raison pour laquelle nous vous invitons à rejeter fermement la prise en considération de cette initiative. (Applaudissements.)
M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais tout d'abord, au nom du Conseil d'Etat, vous remercier pour ce débat. Il n'est pas courant d'avoir des débats d'une qualité aussi grande sur un sujet qui concerne chacun d'entre nous.
Beaucoup de choses ont été dites sur le partenariat social; je souhaite rappeler un certain nombre de règles qui sont celles qui le régissent. J'aimerais d'abord rappeler à celles et ceux qui pensent que les conventions collectives sont en voie de disparition que c'est, Madame la rapporteure de minorité, tout l'inverse qui se déroule. Il y avait, il y a douze ans, trois conventions collectives étendues dans notre canton. Il y a en a aujourd'hui vingt-cinq. Cela a été rendu possible par les mesures d'accompagnement, qui ont abaissé les seuils de majorité et les seuils d'extension des conventions collectives.
Une convention collective étendue s'applique à l'ensemble des collaborateurs et collaboratrices salariés du secteur et à l'ensemble des entreprises qui sont concernées, y compris celles qui n'en seraient pas signataires. Madame l'autre rapporteure de minorité, on ne peut pas dire qu'il y a des entreprises qui ont des salaires inférieurs lorsque les conventions collectives sont étendues. Vous avez cité celle du nettoyage; c'est une convention collective étendue.
On ne peut pas dire non plus que les conventions collectives concernent les secteurs qui sont les plus favorisés et que les secteurs qui seraient a priori les plus défavorisés ne sont pas couverts par des conventions collectives. C'est en réalité tout l'inverse. Parmi ces vingt-cinq conventions collectives étendues, qui regroupent 44% des salariés de notre canton, vous avez des conventions collectives étendues dans le nettoyage, dans le commerce de détail - des secteurs dont vous avez parlé - dans le gros oeuvre, dans d'autres secteurs encore.
Dans les secteurs qui n'ont pas de convention collective étendue, il y a deux possibilités. Il y a d'abord celle pour les partenaires sociaux d'éditer des contrats types de travail. Il y a d'autre part celle de constater que ces secteurs ne sont pas concernés par les problématiques dont vous dites vous inquiéter. Il y a par exemple le secteur de la fonction publique. Il n'y a pas de convention collective dans la fonction publique. Pourtant, vous conviendrez bien volontiers qu'il y a des conditions salariales qui ne sont probablement pas concernées par l'initiative dont vous parlez. Il y a le secteur des multinationales à Genève. Il y a le secteur des banques, qui, d'évidence, verse des salaires qui, semble-t-il, à écouter un certain nombre d'entre vous, sont assurément supérieurs à ces montants de salaires minimaux.
Il y a ensuite les problématiques de concrétisation de cette initiative. Mesdames et Messieurs, le peuple va voter sur cette initiative. Vous avez ce soir l'opportunité de donner le préavis de vote que vous entendez donner au peuple. Mais le peuple, quoi qu'il arrive, votera sur cette initiative, puisque cette dernière, comme le Conseil d'Etat vous y avait encouragés, est une initiative dont il convient de qualifier la forme de «recevable». Même si nous avions de gros doutes et même si le Tribunal fédéral a confirmé les gros doutes, cette initiative est recevable. Est-elle concrétisable ? Mesdames et Messieurs, lisons-la !
«L'Etat institue un salaire minimum [...].» L'Etat, il faudra d'abord dire de qui il s'agit. S'agit-il de vous, le Grand Conseil, du Conseil d'Etat, du département de la solidarité et de l'emploi, de l'OCIRT ? Il faudra le définir. Je vous assure que les débats seront compliqués. En effet, lisons la suite de l'initiative. Il faudra tenir compte «des secteurs économiques», ce qui voudra dire que nous aurons des salaires minimums qui seront différents selon les secteurs économiques.
Il y a deux sessions, nous avons discuté d'une proposition de motion sur un conflit social à l'aéroport. Il y a dans cette salle des gens qui ont prétendu que le salaire qui devait être fixé pour les gens qui nettoyaient des trains CFF n'était pas le même que celui de ceux qui nettoyaient des avions à l'aéroport. Je veux bien. Mais quand nous en serons à de telles nuances, et que l'ensemble de ce parlement va devoir, pour le seul secteur du nettoyage, avoir un avis sur la question de savoir quel est le salaire que nous devons appliquer pour le nettoyage d'avions par rapport au nettoyage de trains, en sachant qu'il doit y avoir une différence, je vous laisse imaginer les amusements !
Enfin, Mesdames et Messieurs, il faudra tenir compte «des salaires fixés dans les conventions collectives» - voilà un moyen bien habile de les affaiblir ! - afin de permettre aux gens de «disposer d'un salaire» qui leur garantit «des conditions de vie décentes.» Mesdames et Messieurs, si l'on veut fixer des salaires dans les conventions collectives qui traduisent des conditions de vie décentes, cela voudra dire qu'il faudra que nous fixions des salaires en fonction de l'ampleur du groupe familial, de l'ampleur des dépenses de la famille. Allons-nous inventer un système où les salaires des célibataires ne seront pas les mêmes que les salaires des gens mariés, et dans lequel les familles monoparentales auront des salaires différents de ceux des familles traditionnelles ? Je vous laisse imaginer le monde dans lequel nous irons si nous donnons l'indication aux patrons et aux entreprises qu'il est plus avantageux d'engager des gens célibataires sans enfants, et si possible dénués de l'espoir d'en avoir, plutôt que ceux qui pourraient en avoir un jour et qui auraient des salaires différents ! (Brouhaha.) Mesdames et Messieurs, il faut être sérieux ! C'est ce que propose le texte, nommément, de cette initiative. Il faut voir ce que cela signifie.
Ensuite, il a été question du partenariat social. Mesdames et Messieurs, le partenariat social, je le vis au quotidien. Le partenariat social s'entretient comme un bijou. C'est ce qui fait la force de la Suisse. C'est ce qui fait la force de la situation économique salariale des Suisses, qui, en comparaison internationale, sont ce qu'elles sont. Instituer un salaire minimum, c'est un puissant moyen de niveler les salaires vers le bas. En France, le salaire minimum est de 1365 euros. En l'espace de quinze ans, le nombre de personnes qui sont au salaire minimum en France a augmenté de 50%, passant de 10% à 16%. Comme puissant mouvement de nivellement des salaires, nous avons là assisté à quelque chose qui doit nous interpeller.
Chaque fois que l'Etat intervient dans le partenariat social, cela veut dire que le partenariat social s'affaiblit. Je vous l'ai dit lorsqu'il y avait le conflit du gros oeuvre, où vous avez souhaité que le Conseil d'Etat intervienne, et il l'avait d'ailleurs fait sans vous demander votre avis. Il y avait certaines difficultés dans ce secteur. Nous avons réussi à régler ces problématiques. Il y a eu des situations difficiles également à l'aéroport, avec une entreprise auprès de laquelle j'ai également dû assurer une méditation, une médiation difficile, parce qu'il y avait - oui, Monsieur Deneys - des conditions de discussion parfois étranges, et il faut le dire.
De la même manière que, ces cinq dernières années, depuis que j'ai pris mes fonctions à la tête du département de l'emploi, j'ai vu une évolution du discours syndical qui est inquiétante; de la même manière, Monsieur Deneys, il y a une évolution du côté patronal qui est aussi délicate. C'est précisément ce que j'ai dit. Qu'ai-je vu en cinq ans ? J'ai vu des gens et des secrétaires syndicaux, qui avaient le partenariat social chevillé au corps, prendre leur retraite, simplement parce qu'ils avaient atteint cet âge, et être remplacés parfois par des gens qui n'avaient pas cette tradition, parce qu'ils n'avaient peut-être pas vécu dix, vingt, trente ou quarante ans de négociations collectives, dans des situations difficiles, avec parfois des grèves, parfois pas.
Mais j'ai vu aussi, Monsieur, des organisation d'employeurs s'affaiblir, parce qu'il y a des patrons qui ne voient plus l'intérêt d'adhérer à des organisations patronales, parce que quand on a des succursales un peu partout, quand on est des entreprises multinationales, Genève n'est qu'un point de distribution dans un monde qui est parfois plus vaste. Cela aussi, Monsieur Deneys, affaiblit le partenariat social. En effet, le partenariat social, c'est la capacité d'avoir des syndicats forts qui relayent le discours de leurs affiliés, et c'est la capacité d'avoir des organisations patronales qui sont capables, elles aussi, d'amener un discours qui est à la fois le discours de défense de l'emploi et de défense des intérêts des entreprises. C'est cela qui fait, Mesdames et Messieurs, l'équilibre de la Suisse.
C'est pour cela que le Conseil d'Etat, dans son ensemble - le Conseil d'Etat dans son ensemble - est d'avis qu'il faut vous recommander de refuser cette initiative et de donner l'indication au peuple genevois de suivre cette recommandation.
De plus, je vous invite à lire avec attention le point suivant de votre ordre du jour, le rapport sur le PL 10600, qui instaure des prestations complémentaires familiales, qui, elles, tiendront compte de la taille de la famille, de la capacité de travail des personnes, et qui ne sont pas, loin s'en faut...
Le président. Il vous faut...
M. François Longchamp. ...comme nous aurons l'occasion d'en débattre demain, une incitation aux bas salaires.
Le président. ...songer à...
M. François Longchamp. Je vous remercie, Monsieur l'honorable président, de me rappeler qu'il est temps de conclure. J'en ai terminé. (Applaudissements.)
Le président. Merci de vos envols, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous sommes en procédure de vote quant à la prise en considération... (Remarque.) Vous permettez juste que je termine la phrase; je n'allais pas partir avant que de vous écouter, je vous promets ! Nous sommes donc en procédure de vote sur la prise en considération de l'IN, avec, si je vous ai bien compris, une demande de vote nominal. Et je suis sûr que vous êtes soutenu, Monsieur le député ! (Commentaires.) Quelques voix. (Appuyé.)
Mise aux voix à l'appel nominal, l'initiative 142 est refusée par 63 non contre 29 oui et 1 abstention.
Mis aux voix à l'appel nominal, le principe d'élaboration d'un contreprojet est refusé par 78 non contre 14 oui.
Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 142-D.
Le président. Mesdames et Messieurs, je vous souhaite un agréable retour chez vous et vous retrouve demain à 15h. (Exclamations. Applaudissements.)
La séance est levée à 22h35.