Séance du
jeudi 27 mai 2010 à
17h
57e
législature -
1re
année -
8e
session -
36e
séance
PL 10602-A
Premier débat
M. Miguel Limpo (Ve), rapporteur de majorité. Pour l'essentiel, tout figure déjà dans le rapport, mais je voulais quand même rappeler plusieurs axes de nos discussions en commission. Pour rappel, ce projet de loi de l'UDC - ou plutôt de M. Nidegger, candidat malheureux à l'élection du Conseil d'Etat en 2009 - supprime tout bonnement et simplement la possibilité, qui existe actuellement pour les électeurs, de voter pour un bulletin de parti ou d'une association.
L'UDC, en effet, part du postulat que les partis altèrent la volonté de l'électeur. L'écrasante majorité de la commission a considéré que ce n'est de loin pas le cas puisque la moitié des électeurs suit un parti politique ou une association, et l'autre moitié prend un bulletin vierge ou modifie son bulletin. L'électeur est donc parfaitement au clair sur ce qu'il fait.
La proposition de l'UDC, qui est soutenue par le MCG, constitue bel et bien un recul démocratique car elle nie l'existence même d'un électeur qui puisse voter, ou pour un parti politique, ou pour un bulletin d'association. Elle représente par là même un recul puisque cet électeur ne pourra plus, s'il le veut, choisir un bulletin de parti ou un bulletin d'une association. L'UDC et le MCG, qui sont les seuls partis de cette enceinte à ne pas être représentés au Conseil d'Etat, semblent avoir la défaite amère, en changeant les règles du jeu postérieurement. Peut-être l'UDC viendra-t-il, la prochaine fois, peu avant les élections cantonales, avec une proposition d'abaisser le quorum...
Par ailleurs, on voit que la moitié des électeurs fait confiance aux alliances électorales et considère qu'elles représentent une certaine cohérence vis-à-vis d'un programme de législature pour quatre ans. Pourquoi donc vouloir les supprimer, alors même qu'elles existent dans la réalité ? On peut le voir fréquemment dans ce parlement lors de certains votes.
Pour ces raisons et pour celles que je donnerai peut-être postérieurement, je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de refuser ce projet de loi.
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, je ne veux pas directement entrer dans la polémique du rapporteur de majorité. Il a quand même oublié de dire une chose importante: le système que propose l'UDC - et je dis bien que c'est l'UDC, et non, simplement, un candidat malheureux, comme vous le prétendez - est déjà en vigueur à satisfaction dans le canton de Zurich. Donc, n'oublions pas ceci et ne venons pas dire que nous voulons faire sauter les lobbies genevois - bien que ! «Bien que», puisque vous avez amené vous-même le sujet, je ne l'avais pas prévu dans mon argumentation, mon cher confrère...
Est-ce que l'abstention, grandement présente ces temps à Genève, avec... Lorsque l'on va vers les petites gens - oh, je ne parle des gens qui sont dans cet hémicycle et qui sont certainement très acquis à votre thèse, et c'est normal - elles nous parlent sans arrêt de copinage, disent que ça ne vaut plus la peine d'aller voter, que tous les marrons sont chauds, que tout est fait d'avance. Par rapport à ceci, il y a une chose principale que l'UDC tient à dire, c'est que nous voulons, pour l'électeur, dissocier deux choses: le scrutin législatif et les élections au Conseil d'Etat. Cela conduit à mener une personnalité à l'exécutif. Vous le voyez vous-mêmes: si nous sommes cent ici pour nous départager et exprimer nos opinions, le Conseil d'Etat n'a que sept élus qui sont censés faire le consensus.
Peut-être que ce consensus, nous aimerions aussi l'amener... Il s'agit de dire: est-ce le consensus des cent députés dans cet hémicycle ou est-ce que, peut-être, ça devrait être aussi la voix des gens qui sont dans la rue et qui, en fait, nous élisent et élisent le Conseil d'Etat ?
Enfin, je crois qu'il faut enlever cela tout de suite, vous avez dit que nous ne voulons plus les listes... La campagne électorale ne sera en rien altérée, les listes d'alliances, les groupements pourront avoir lieu. La seule chose que ce projet de loi stipule, c'est que, au dernier moment, l'électeur, en son âme et conscience, lorsqu'il est chez lui - ou derrière son ordinateur, puisque ça va être à la mode - ou dans l'isoloir, prend simplement son crayon et fait lui-même le choix. Et ce choix, c'est aussi une des critiques que nous avons formulées, non pas parce que nous n'avons pas été élus, mais vis-à-vis de la pauvreté des débats lors de la dernière élection au Conseil d'Etat. Nous aimerions, par ce biais, que les candidats au Conseil d'Etat se profilent un peu mieux, pas simplement derrière des slogans de parti, mais plus par rapport à leur intime conviction et - comme dirait un boxeur - leur envie de gagner. J'en ai terminé, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Je passe la parole à M. Stauffer.
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, on ne change pas une équipe qui gagne ! Et on comprend bien pourquoi, dans ce projet de loi, eh bien, on se retrouve seuls avec l'UDC - les deux partis qui représentent quand même un quart du parlement - ce n'est quand même pas rien, hein... (Commentaires.) ... et qui n'ont personne à l'exécutif ! J'aimerais quand même vous faire remarquer, chers collègues, qu'à force de faire preuve d'arrogance vis-à-vis du MCG et de l'UDC, eh bien, le MCG monte ! Et puis... (Commentaires.)
Une voix. Il descend !
M. Eric Stauffer. Le modeste député qui vous parle est juste arrivé, en valeur absolue, sixième meilleur élu du canton ! Et mon colistier, Mauro Poggia, huitième meilleur élu du canton ! Parmi les cent députés sur tout le canton ! Alors, finalement, Mesdames et Messieurs... (Commentaires. Brouhaha.) Qu'est-ce que nous pouvons dire ? (Brouhaha. Commentaires. Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Eric Stauffer. Merci ! Qu'est-ce que nous pouvons dire aujourd'hui ? Qu'avec le système que vous avez mis en place, chers collègues, et avec ces alliances, parfois contre-nature, que vous faites, eh bien, on se retrouve avec des conseillers d'Etat comme le radical François Longchamp, qui est membre de l'un des plus petits partis de ce Grand Conseil et qui accède à l'exécutif ! (Commentaires. Brouhaha.) Nous nous retrouvons... (Commentaires. Brouhaha.) Nous nous retrouvons avec des conseillers d'Etat du PDC... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Le président. Veuillez vous adresser à la présidence, Monsieur le député !
M. Eric Stauffer. Monsieur le président, vous transmettrez - je sais que vous arrivez à m'entendre, à défaut de m'écouter - vous transmettrez que le PDC - aussi l'un des plus petits partis au Grand Conseil - se retrouve avec un siège à l'exécutif ! (Remarque.) Alors, moi je vous le demande: comment est représenté le peuple au législatif par rapport à l'exécutif ?
Je vous enjoins de refuser ce projet de loi - nous, on va le soutenir pour des raisons évidentes - parce que, plus vous allez continuer à être comme ça, et plus le MCG va monter ! (Remarque.) Et on cassera ces alliances ! Déjà, dans certaines communes, le MCG est plus fort que l'Entente réunie ou que l'Alternative réunie ! Et l'on va continuer à progresser, parce que vous, vous continuez à vous moquer de la population !
M. Patrick Saudan (R). A entendre M. Stauffer et à lire le rapport de minorité, pour nos collègues UDC et MCG, le système actuel favorise le copinage, les arrangements entre les partis et, en fait, favorise la constitution de lobbies. Nous, nous pensons tout à fait différemment: pour nous, les élections au système majoritaire n'élisent pas seulement une femme ou un homme, elles élisent aussi une représentante ou un représentant d'un contrat politique - d'un contrat entre plusieurs partis qui partagent les mêmes valeurs ! Alors, je suis désolé pour vous, c'est vrai, l'UDC et le MCG ont des thèses tellement indigestes qu'elles n'arrivent pas à s'insérer dans un programme de gouvernement ! Comme cela peut se faire autant à gauche qu'à droite. C'est pour cela que je ne vais pas épiloguer plus longtemps. Le groupe radical refusera d'entrer en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Fabiano Forte (PDC). Le groupe démocrate-chrétien ne votera pas l'entrée en matière sur ce projet de loi. J'aimerais corriger une affirmation du rapport de minorité, selon laquelle la majorité aurait décrit les électeurs comme illettrés, sans réel discernement, incapables de comprendre et de remplir un bulletin de vote officiel. Alors j'aimerais, Monsieur le rapporteur de minorité, vous retourner la chose: l'électeur, qu'est-ce qu'il reçoit ? Il reçoit des bulletins de partis, avec des alliances formées sur des plateformes politiques, il reçoit une brochure explicative et il reçoit un bulletin de vote vierge. L'électeur a le libre choix de tracer telle ou telle candidate, tel ou tel candidat, et de rajouter tel ou tel candidat.
Vous êtes donc en train de faire croire à la population que le système actuel est celui de la république des petits copains; je ne sais pas depuis combien de temps cela dure, mais ça fait certainement plus longtemps que notre propre existence, en tout cas la mienne - et j'aimerais dire ici qu'on ne peut pas dire cela.
Monsieur le rapporteur de minorité, votre projet de loi prend les gens pour des imbéciles. Je considère que le système actuel permet à la population et à l'électeur de choisir librement pour qui ils veulent voter - c'est le propre d'une élection à la majoritaire, et c'est le propre de la politique que de faire des majorités pour gagner.
M. Serge Hiltpold (L). Mesdames et Messieurs les députés, je ferai quelques commentaires sur l'argumentation de l'auteur de ce projet de loi qui me semble relativement léger et méprisant envers les citoyens. Je cite quelques termes: «les partis politiques étouffent la volonté réelle de l'électeur»; «le système actuel ne permet pas de savoir si un élu l'est par inaction ou par une volonté de l'électeur.» Alors, si on va au fond des choses, partir sur des thématiques de restrictions à la liberté et à la démocratie - dues au simple fait, pour les gens, de prendre un crayon et de marquer le nom d'un candidat sur un bulletin - me semble un petit peu léger !
Dans le contexte actuel - parce que je pense qu'il faut quand même évoluer - on est à l'heure du vote par internet. Il y a des simplifications, il y a le vote par correspondance, et objectivement, pour les concitoyens que nous sommes, la possibilité de déposer un bulletin sans devoir le remplir à la main constitue aussi un gain de temps, un gain de simplification, et ce n'est pas en donnant un travail supplémentaire que vous allez amener des gens à voter.
Je pense que de nombreuses personnes se sont battues pour la liberté de vote, elles l'ont. Les gens qui choisissent de voter le font en parfaite conscience, en libre arbitre, et je ne pense absolument pas qu'on restreigne les droits démocratiques en ayant des bulletins imprimés. C'est pour ces raisons que je vous invite à rejeter ce projet de loi.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je salue à la tribune notre ancien collègue, M. Blaise Matthey. (Applaudissements.) Et je passe la parole à M. Poggia...
M. Mauro Poggia (MCG). Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. ...à qui il reste deux minutes !
M. Mauro Poggia. Merci de me le rappeler. Chers collègues, je ne compte pas vous convaincre, et si j'interviens, ce n'est pas en tant que mauvais perdant. Il y a des élections, elles ont été gagnées par d'autres, il faut le reconnaître. C'était la règle du jeu, certains ont gagné, certains ont perdu. Mais vous devez quand même admettre qu'il y a un problème.
Il y a un problème parce que cette élection au Conseil d'Etat intervient sur une imposture. C'est un vote de dupes puisqu'on fait croire à la population qu'il y a des unités de vues, des unités de conceptions de la société, alors que ce n'est pas le cas. Il y a une Entente, avec le PDC, avec les libéraux et les radicaux qui se mettent maintenant ensemble. Alors, quand seront-ils véritablement au diapason ? Nous l'avons vu il y a un instant, l'urgence était demandée pour un sujet important, celui de l'attribution des marchés du CEVA. Ce sujet est important pour les radicaux, il ne l'est pas pour les libéraux - peu importe que l'on attribue les travaux à des entreprises étrangères, ce n'est pas une préoccupation principale. On vous fait croire, on fait croire aux électeurs qu'il y a des unités de vues alors qu'il n'y en a pas. De la gauche, c'est le même point de vue: il y a une liste commune socialistes-Verts alors que, dans la très grande majorité des cas, les Verts ne votent pas comme les socialistes et vice-versa. Il y a donc évidemment un problème: comment se fait-il qu'un parti comme le MCG - qui a le courage de se présenter seul et de dire qu'il est différent, qu'il voit la politique différemment - qui fait 17% des voix, n'est absolument pas représenté au gouvernement ? Il faut réfléchir à un changement du système...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !
M. Mauro Poggia. Je conclus. Aujourd'hui, ce système vous convient, mais il viendra un jour - et ce jour est proche - où vous serez à ma place, et vous demanderez que les choses changent. Ne vous étonnez pas, à ce moment-là, d'avoir devant vous quelqu'un qui tiendra un discours ferme. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Jeanneret, le temps de parole de votre groupe étant épuisé, je ne peux pas vous la donner... (Commentaires.) ...et je donne le micro à Mme Baud.
Une voix. C'est scandaleux !
Mme Catherine Baud (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, voilà un joli projet de loi qui provient d'un candidat déçu... (Commentaires.) ...d'un candidat qui aurait souhaité une place au Conseil d'Etat, qui ne l'a malheureusement pas eue et qui souhaite, après coup, changer les règles. Ce n'est pas très fair-play, effectivement.
Une voix. Ce n'est pas étonnant ! (Commentaires.)
Mme Catherine Baud. Mais je suis quand même particulièrement choquée par ce que j'ai entendu: quand M. le député Poggia parle d'imposture, cela me paraît quand même pour le moins choquant. Oui, il y a effectivement des listes communes, il ne s'agit pas d'imposture, il s'agit de programmes ayant réellement des points communs ! S'il y a différents partis politiques, c'est qu'on n'est pas nécessairement tous d'accord, mais il y a quand même des liens qui nous rapprochent - et je crois qu'il est tout à fait normal que les électeurs en soient informés. De plus, les bulletins sont imprimés avec les noms des candidats, mais il y a également un bulletin vierge, à la fin, que les gens peuvent tout à fait remplir. Je crois donc que, au contraire, la législation nous permet d'avoir un large éventail de propositions pour les électeurs, et c'est tout à fait positif pour eux. On ne leur tient pas la main et, en même temps, on leur explique qui est qui.
Enfin, avoir d'avantage de «pipolisation» des candidats - puisqu'il faut appeler un chat un chat, en fait, on en est là, certains candidats veulent faire une campagne unique pour bien se mettre en avant - je ne crois pas que ce soit une bonne chose pour un Conseil d'Etat qui doit travailler de manière collégiale, et, au contraire, cela ne va pas du tout dans le bon sens. Les Verts refuseront donc l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Le parti socialiste n'entrera pas non plus en matière sur ce projet de loi, pour plusieurs raisons. La première, c'est qu'il nous semble que le plus important, quel que soit le système, c'est d'inciter, de promouvoir le vote des citoyens. C'est vrai qu'en demandant d'écrire les noms - car on peut aussi se tromper en les écrivant - c'est un tracas de plus. Quant à ce qui a été dit par les députés d'en face, je trouve que c'est non seulement exagéré, mais aussi presque contradictoire par rapport à votre présence dans cette enceinte. Le système actuel permet à des minorités d'arriver ici. Après, il nous semble qu'il est important que les citoyens soient informés des tendances, des liens d'intérêts et des valeurs que prônent les personnes qui, avant de l'obtenir, briguent un siège à l'exécutif.
Pour toutes ces raisons, le parti socialiste vous demande de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi.
M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je voulais simplement rappeler qu'on ne joue pas au jass avec les règles du poker ! Vous pourriez avoir un système majoritaire à 51%, Monsieur Stauffer, et ni vous ni moi ne serions dans cette salle. Les Verts n'existeraient certainement pas, parce que, à l'époque, le parti socialiste était plus puissant, et nous aurions été un courant de ce dernier. Ce n'est pas ce qui s'est passé, car nous avons un système proportionnel. Vous connaissez d'autres systèmes: le système américain, ou le système français qui est purement majoritaire sur une élection. Vous pouvez le faire, il faut avoir 51%, et vous avez des candidatures au centre. Je suis désolé: vous avez des règles du jeu, elles sont celles-ci. Vous pouvez décider qu'on en change, c'est votre droit le plus strict, néanmoins, les accords, la préparation et tout le reste se feront aussi. Aujourd'hui, dire: «J'ai un brelan d'as !» alors que vous êtes en train de jouer au jass, c'est assez lamentable.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, nous allons nous prononcer sur l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 10602 est rejeté en premier débat par 59 non contre 22 oui.
Le président. Nous passons maintenant au point 25 de notre ordre du jour.