Séance du
vendredi 12 février 2010 à
17h
57e
législature -
1re
année -
5e
session -
24e
séance
PL 9592-B
Suite du troisième débat
Mme Catherine Baud (Ve), rapporteuse de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a au moins un mérite, celui de nous faire voyager dans le temps, puisque, ce soir, nous sommes le 7 avril 2006 et nous sommes en troisième débat... (Exclamations.) Je raconte juste pourquoi, pour celles et ceux qui n'étaient pas là en 2006.
Effectivement, nous avions eu ce soir-là un débat houleux sur ce projet de loi, tel qu'il figure dans le document que vous avez devant vous. Finalement, les discussions avaient été interrompues au moment du troisième débat, personne n'étant arrivé à se mettre d'accord sur les amendements proposés. Une demande de renvoi à la commission de l'enseignement et de l'éducation ayant été acceptée, ce projet de loi fut ainsi adressé à cette dernière.
Or, en 2007, ce projet a été étudié lors d'une séance, et le principal signataire - c'était M. Christian Brunier - avait promis de le retirer. Ce texte a donc été mis au frigo pendant plusieurs années. Mais lorsque nous avons, en commission de l'enseignement, repris les différents objets en suspens en fin de législature, nous nous sommes rendu compte que ce projet de loi n'avait pas été retiré. Il a donc été remis à l'ordre du jour au printemps dernier et, finalement, la commission a été extrêmement rapide dans ses travaux puisqu'elle n'a demandé - peut-être est-ce un tort ? - aucune audition supplémentaire et n'est pas entrée en matière.
Il faut savoir qu'entretemps il y a eu deux interpellations urgentes sur le même sujet et deux réponses du Conseil d'Etat, qui allaient dans le sens d'une application de la langue française dans tous les documents de l'administration. J'en veux d'ailleurs pour preuve un petit exemple que j'ai observé hier, lorsque nous avons reçu le «Point de presse» du Conseil d'Etat. Il y avait un article sur le vote par internet, et il y avait en fait deux synonymes: vote en ligne, vote par internet et vote électronique. Donc pas de problème, on parlait bien français ! Et quand on voit dans «Le Temps» la relation de cet article du «Point de presse», on parle d'e-voting ! Par conséquent, on ne peut pas prétendre que c'est l'administration qui s'exprime mal, c'est plutôt la manière dont on relaie les informations qu'il faut incriminer !
En l'occurrence, nous nous retrouvons en troisième débat ce soir et nous avons en quelque sorte un préavis de la commission de l'enseignement, qui est de refuser de ce projet de loi. Nous voyons donc bien, depuis le temps qu'on l'étudie, que ce dernier pose manifestement problème. Ce projet de loi est plutôt mal ficelé et il a un inconvénient majeur, c'est que finalement il n'y a pas d'organisme qui pourrait contrôler le bon usage de la langue française.
En l'état, nous refuserons donc les amendements qui pourraient éventuellement être proposés et le projet de loi lui-même, car ce n'est pas ainsi qu'il faut procéder. J'ai par ailleurs précisé dans mon rapport de majorité qu'il serait opportun que la Constituante se penche sur ce sujet et inscrive la langue française dans la constitution, ce qui n'est pas le cas actuellement et qui est une exception par rapport aux cantons romands.
Je pense que le Conseil d'Etat et l'administration font bien leur travail et je crois que ce projet de loi est totalement inutile en l'état.
M. François Gillet (PDC), rapporteur de première minorité. Le début de mon intervention va mettre en évidence la position du groupe démocrate-chrétien sur un certain nombre de points concernant ce sujet. La conclusion sera plus personnelle... Vous le savez en effet, ce sujet comme d'autres qui sont non politiques peuvent parfois conduire à avoir des visions différentes au sein des groupes. C'est le cas pour cet objet au sein du groupe démocrate-chrétien.
Ce qui est sûr pour le PDC, c'est que l'importance des langues à Genève doit être mise en avant; nous avons soutenu, comme vous le savez, le développement de l'apprentissage des langues au sein de l'école genevoise. Et nous soutenons évidemment la Genève internationale. Il est évident que nous devons communiquer, notamment en anglais, lorsqu'il faut nous adresser à la Genève internationale et, plus largement, aux entreprises situées dans le canton.
Par contre, mon rapport de minorité met en évidence, je dirai, deux lacunes du travail de nos commissions. Mesdames et Messieurs les députés, la défense du français est un sujet important, et ce projet de loi, à mon sens, révèle la préoccupation d'un certain nombre de nos concitoyens qui vivent assez mal le fait de voir de plus en plus d'anglais, sur les affiches c'est une chose, mais aussi dans les diverses communications officielles. Il est inadmissible qu'aucune audition n'ait été effectuée dans les deux commissions qui ont examiné ce projet de loi, à savoir la commission des finances et, ensuite, celle de l'enseignement. Il est inadmissible, par exemple, que l'Association de défense du français, qui réalise depuis des années un travail considérable dans ce domaine dans toute la Suisse romande, n'ait pas été auditionnée sur ce sujet. Je crois qu'elle aurait pu apporter des éléments intéressants sur les différentes actions menées en Suisse romande relatives à la défense du français. Récemment, j'ai dénoncé personnellement le manque de volonté de la commission de l'enseignement, de sorte qu'elle accepte au moins cette audition. Et nous arrivons maintenant au résultat que je redoutais, à savoir que nous devons nous livrer en plénière à un exercice qui aurait manifestement dû être effectué en commission, c'est-à-dire que nous devons reprendre le texte d'un projet de loi qui est bon sur le fond, mais dont les différents articles vont trop loin.
Mesdames et Messieurs les députés, j'ai vécu pour ma part l'épisode précédent, où nous avions tenté, en deuxième débat, la course aux amendements... Je le répète: nous avons mieux à faire dans ce parlement que de nous livrer en plénière à un travail devant être effectué en commission !
Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, et dans le sens de la conclusion de mon rapport de minorité, je demanderai le renvoi de ce projet de loi à la commission de l'enseignement. Il me paraît tout à fait inutile de nous livrer ce soir à un concours d'amendements sur ce sujet !
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je passe la parole à M. Rappaz et je rappelle que, un renvoi en commission ayant été demandé, seuls peuvent s'exprimer les rapporteurs et le Conseil d'Etat.
M. Henry Rappaz (MCG), rapporteur de deuxième minorité. «Thank you, Mister President ! Ladies and Gentlemen, dear Friends and Colleagues» Ce soir, je vais simplement tenter de défendre un peu la langue française - pour commencer, je n'aime pas le franglais. Le Mouvement Citoyens Genevois tenait à rappeler aux députés socialistes et à l'UDC que ce projet de loi provient d'un ancien socialiste et d'un ancien UDC, et qu'il a été cosigné par de nombreux députés de gauche et de l'UDC. Voilà ce que je tenais à préciser avant de commencer !
Je vais tenter, par un petit florilège, de vous donner un aperçu de la gravité de la situation. Pour un opérateur extérieur comme Swisscom, j'ai dû chercher mon «top number» auprès des «directories» en composant sur mon «cellular»...
Le président. Monsieur le rapporteur, je dois vous interrompre, car vous devez vous exprimer uniquement sur le renvoi en commission. Vous pourrez reprendre la parole ensuite, si le renvoi en commission est refusé. (Commentaires.) Dites-nous si vous êtes d'accord avec ce renvoi ! (Commentaires.)
M. Henry Rappaz. Bien, nous sommes d'accord de renvoyer ce projet de loi en commission !
Le président. Parfait ! Vous pourrez reprendre la parole si le renvoi est refusé. Madame Baud, souhaitez-vous vous exprimer sur le renvoi en commission ?
Mme Catherine Baud (Ve), rapporteuse de majorité. Effectivement, Monsieur le président, il me semble tout à fait judicieux d'étudier correctement ce texte. Sous cette forme ou sous une autre, mais de l'étudier correctement !
Le président. Très bien ! Le Conseil d'Etat souhaite-t-il s'exprimer ? Comme ce n'est pas le cas, nous nous prononçons sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9592 à la commission de l'enseignement, de l'éducation et de la culture est rejeté par 40 non contre 34 oui et 6 abstentions.
Le président. Le débat continue donc. Je passe la parole à M. Rappaz.
M. Henry Rappaz (MCG). J'ai été interrompu au moment où je donnais, pour un seul opérateur, une liste d'anglicismes qui paraissent tous les jours dans la presse et dans nos courriers. Et l'on trouve les mêmes atteintes à notre langue dans les banques - avec la Swiss Banking - de même que dans les supermarchés, qui remplacent le mot «soldes» par «sales»... Il y a des centaines d'exemples pour montrer que le français disparaît chaque jour un peu plus.
Oui, Mesdames et Messieurs les députés, la défense du français est aujourdhui grandement menacée ! Notre rapport de minorité le prouve par l'absence de défenseurs de cette langue dans cette enceinte, puisque seuls le MCG et quelques autres fervents de la langue française ont fait front.
Cest vrai qu'il est agréable et que cela fait «branché» devrais-je dire «in» ou «cool» ? - de parler ou de chanter en anglais. Mais penser dans la belle langue de Voltaire restera pour nous toujours nettement supérieur, point à la ligne !
Lorsqu'on sait que la Californie envisage actuellement d'inscrire dans sa constitution que langlais sera la seule langue officielle, pour faire face à la percée de lespagnol, il est lamentable de constater que les valets politiques genevois de l'hégémonisme anglo-américain sur cette planète font tout pour promouvoir, voire imposer, l'utilisation de l'anglais dans notre canton et dans notre pays ! C'est plus grave encore, notamment à l'Etat et dans certains établissements publics ou subventionnés qui espèrent peut-être que Genève deviendra demain une simple succursale du monde anglo-américain avec siège décisionnel à Washington ! (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Le MCG, loin d'être extrémiste, concède toutefois une dérogation qui pourrait être accordée à certains secteurs de notre Université, pour l'utilisation de langlais, pour les cours spécifiquement donnés par des professeurs anglophones, mais uniquement lorsque cela se justifie.
Le projet de loi s'adresse à l'Etat et à son administration, nous le répétons ! Il est temps - il est grand temps ! - que le peuple et les politiques genevois se réveillent, comme seuls le font actuellement le MCG et certains dans cette enceinte qui viennent défendre ce projet de loi visant à imposer l'utilisation du français comme seule langue officielle dans l'administration genevoise ! Les autres partis, principalement une certaine droite anglomane et, pire, francophobe, semblent tout faire pour retarder le débat au Grand Conseil sur ce projet de loi, projet pourtant essentiel pour l'avenir francophone de ce canton.
Il est fondamental que le français reste la seule langue officielle du canton de Genève et que ce principe soit inscrit dans la nouvelle constitution. Cela serait la moindre des choses que l'on pourrait souhaiter ! Renoncer à ce principe reviendrait à abandonner notre identité et laisserait la porte ouverte à toutes sortes de revendications à l'avenir. A celle, par exemple, de voir les cours de nos écoles primaires ou du cycle dispensés dans la langue de Shakespeare, afin de mettre sur pied d'égalité les élèves serbes, portugais, russes ou africains ! (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Nous imposer l'anglais à outrance, c'est arracher nos racines et, à la longue, notre identité. L'Histoire le sait et le prouve !
Oui, Mesdames et Messieurs les députés, la langue française fait partie de notre identité, même si parfois, pour certains incultes, le français est considéré comme un simple outil de la vie courante. La beauté du «texto» est là pour le confirmer. Comme disent les jeunes: «C'est trop pas»... Au MCG, on préfère dire: ce n'est pas trop que de respecter notre langue !
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, je vois qu'il est 19h... Alors, chers usagers du français, je vous propose de reprendre le débat après les extraits de 20h30 et je clos la séance.
Fin du débat: Session 05 (février 2010) - Séance 25 du 12.02.2010