Séance du
vendredi 10 octobre 2008 à
20h30
56e
législature -
3e
année -
12e
session -
71e
séance
M 1728-A
Débat
M. Pierre Weiss (L), rapporteur. Madame la présidente, je pense que nous sommes arrivés dans une phase nouvelle des débats de notre Grand Conseil et de la rédaction des instruments parlementaires. De même que, au XIXe siècle, certains romanciers - même de talent, je pense à Alexandre Dumas - utilisaient des nègres, comme on disait alors, de même il se trouve aujourd'hui que l'on a affaire à des plagiaires, qui oublient peut-être ce qu'ils font, leur main gauche ignorant ce que fait leur main droite. Ces plagiaires copient des cours donnés sur internet à l'intention de publics d'entreprises, se les approprient sans payer de droits d'auteur - je ne sais pas si une facture de droits d'auteur est arrivée à ce Grand Conseil - et proposent une motion de cinq pages - je vous la montre, Madame la présidente - dont quatre copiées d'internet.
Ainsi, je crois qu'il nous faut remercier Daniel, nouveau membre de ce Grand Conseil, informaticien de son état, non élu, mais néanmoins actif, de qualité, en tout cas pour faire des résumés de l'histoire d'internet. Ce monsieur Daniel habite dans le sud de la France. Il a pris contact avec moi après la rédaction de mon rapport pour me dire qu'il serait très heureux, s'il le pouvait, de travailler pour l'Etat de Genève, puisque l'on utilisait gratuitement ce qu'il mettait à disposition sur internet. Il serait même prêt à être payé. Nous pourrions d'ailleurs présenter la facture à l'auteur de la motion.
Venons-en à cette motion, d'une «grande» importance, qui a été traitée à la commission des finances. Que veut cette motion ? Elle veut rendre accessible, dans les communes urbaines uniquement, le Web. De grandes entreprises compenseraient le coût de cette accessibilité.
Les débats en commission ont montré trois choses. Premièrement, le coût de la diffusion du Web est beaucoup plus élevé que ce qu'avaient imaginé les motionnaires - je ne parle pas de Daniel, en l'occurrence. Deuxièmement, là où des municipalités se sont mises à offrir ce genre de service, elles n'ont pas trouvé l'audience qu'elles espéraient. Troisièmement, le département des constructions et des technologies de l'information avait d'autres priorités, ce qu'a d'ailleurs reconnu comme étant un argument valable le représentant du parti des motionnaires - et de Daniel - dans les débats de la commission des finances. C'est pourquoi, lorsque nous sommes arrivés au vote, Madame la présidente, une large majorité de la commission a considéré que cette motion méritait un certain intérêt. Nous y avons consacré deux séances de commission, deux séances de sous-commission, puis nous avons décidé qu'il fallait passer à plus important. J'espère que Daniel prendra bonne note !
La présidente. Merci, Monsieur le député. Je rappelle que nous sommes dans un débat de catégorie II. C'est la commission elle-même qui le demande, puisqu'elle le dit à la page 3 du rapport: «La catégorie II des débats est retenue.» C'est donc trois minutes par groupe. La parole est à M. Claude Aubert pour le groupe libéral.
M. Claude Aubert (L). Madame la présidente, Mesdames les députées et Messieurs les députés, Genève est une ville qui a vu naître le Web. Mais Genève est aussi une ville horlogère. Je vais donc vous parler du temps, et du temps qui s'écoule. Nous avons 154 points à l'ordre du jour, dont 53 motions. Si nous passons vingt minutes par motion, nous avons dix-sept heures de travail non-stop. Avec trente minutes par motion, c'est vingt-six heures non-stop. Je pense que les groupes de ce parlement devraient se coordonner pour éviter que notre système ne soit tout simplement asphyxié. Il n'est d'ailleurs pas exclu que certains, consciemment, utilisent la motion précisément pour asphyxier le parlement, afin de pouvoir ensuite proclamer que les députés sont incompétents. Par conséquent, nous proposons, humblement, de suivre l'exemple des libéraux, c'est-à-dire de nous taire et de voter ! Parce que nous avons été élus non pas pour être loquaces, mais pour être efficaces. (Applaudissements.)
M. Pablo Garcia (S). J'essaierai d'être bref - loquace, malheureusement - mais efficace. Mesdames et Messieurs les députés, il y a dix ans, en 1999, le Conseil d'Etat se penchait sur le projet visionnaire «Smart Geneva» dont l'objet qui nous occupe ici est en quelque sorte le successeur. A l'époque, les autorités de notre canton le qualifiaient de symbole d'une Genève créative. Pourquoi tant d'engouement pour un projet qui fut refusé et constitua finalement un énorme gâchis, un acte manqué pour notre entrée dans le XXIe siècle ?
Pourtant, l'accès gratuit à internet sans fil offre des atouts de taille pour Genève et sa région urbaine. Nous savons que la création d'emplois passe aujourd'hui par des technologiques nouvelles, que ce soit l'informatique, les sciences de la vie ou la biologie. En offrant un cadre de connexion universel et gratuit, nous donnons un véritable outil de travail aux PME et aux multinationales qui s'installent à Genève et nous mettons en place une plus-value de taille pour l'économie de notre canton.
De plus, nous devons combattre une nouvelle forme d'inégalité, que nos sociétés modernes, industrielles, connaissent de plus en plus: celle de l'accès - ou du non-accès - à l'information et à la communication. Car la cyberdémocratisation est un nouvel enjeu. Nous le savons, internet structure nos moeurs sociales et politiques. De plus en plus, le citoyen s'informe au moyen du réseau, se mobilise via des groupes internet, des forums de discussion... Demain, peut-être, nous voterons à travers le réseau. Se développe dès lors ce qu'on appelle une classe virtuelle. Cette classe se démarque par ses moyens d'accès et de contrôle du réseau; elle s'organise et organise les industries de la communication et, surtout, sans le garde-fou de la démocratisation, fixera demain les règles du jeu du réseau internet. Tous ceux qui n'auront pas un accès facile, gratuit, et surtout sans les intermédiaires que sont les gros fournisseurs d'accès, se retrouveront exclus de cette révolution cyberculturelle.
Il y a dix ans, Mesdames et Messieurs les députés, nous avons raté le coche de l'innovation, de l'industrie de la communication et du bond technologique du réseau universel. Ne faisons pas aujourd'hui la même erreur ! Je suis déçu qu'une majorité risque de balayer, avec si peu de débat, cette question, car, en la considérant sous l'angle du financement, construire une centaine de bornes a certes un coût, mais retarder l'inévitable développement technologique de Genève nous coûtera bien plus encore ! Nous pouvons imaginer des partenariats public-privé, créer un consortium pour mener ce projet, impliquer des sociétés informatiques ou trouver des financements en demandant à des fondations qui se sont déjà déclarées intéressées par ce projet.
La présidente. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Pablo Garcia. Je termine, Madame la présidente. Toutes les pistes sont ouvertes. Encore faut-il que vous ne fermiez pas la porte - encore une fois - à ce projet unique, un projet d'avenir !
M. Henry Rappaz (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je tiens en premier lieu à remercier et à féliciter la Ville de Genève d'avoir rendu, elle, le WIFI gratuit dans notre ville, cela à la grande joie de ses utilisateurs. Comme nous le savons tous, le net est universel. Si des esprits chagrins se sont plu à rappeler que le texte de notre motion n'était qu'un copier-coller du site «alternativesud.org», nous devons relever qu'il était extrait d'un résumé historique incontournable, cela à la grande différence, je le rappelle, de certains partis de l'Entente qui se sont octroyé malhonnêtement, il y a quelque temps, le discours d'un président d'Etat voisin. Laissant stagner les opposants du progrès à l'âge de la bougie, le MCG réitère ses remerciements à la Ville de Genève d'avoir été plus intelligente que certains partis de la députation ici présente.
M. Antoine Bertschy (UDC). Madame la présidente, je vais résumer la position du groupe UDC en deux mots. Ces deux mots sont: «non» et «non». Le premier «non» à cause du coût: lorsque l'on investit pour quelque chose, on aimerait avoir autre chose en retour. En l'occurrence, il ne vaut pas la peine d'investir des millions pour un système WIFI que peu de gens utiliseront en fin de compte. Le second «non» parce que, d'après nous, ce n'est pas à l'Etat de Genève d'investir pour un tel système, mais cela doit faire partie d'une politique de proximité menée par les communes.
La Ville de Genève - pour une fois, je vais pouvoir en dire du bien - le fait parfaitement: elle a installé des bornes WIFI dans certains bâtiments et dans les parcs publics - elle édite d'ailleurs un remarquable plan qu'elle distribue auprès de l'office du tourisme et des organisations internationales pour indiquer où l'on peut se brancher. Je souhaite que les communes périurbaines installent le même genre de système dans les parcs, dans les maisons pour la jeunesse, etc. Mais ce n'est assurément pas à l'Etat de Genève de mettre en place un tel système. Je vous le demande: à quoi serviraient des bornes WIFI sur le pont du Mont-Blanc ou sur le pont Butin ?
M. Christian Bavarel (Ve). Il faut être beaucoup plus simple. En effet, j'ai entendu de grandes déclarations sur l'économie, les partenariats avec les entreprises, voire les rapports Nord-Sud... Mais ce n'est pas cela qu'on nous demande ! En réalité, la question est de savoir clairement si l'Etat de Genève veut développer le WIFI afin de pouvoir capter le Web dans la rue. Voilà la problématique !
En Suisse, nous connaissons trois échelons de décision: communal, cantonal et fédéral. Ainsi, par exemple, la Ville de Genève a décidé d'installer le WIFI dans le parc des Bastions et au jardin botanique; on trouve aussi le WIFI dans différents bistrots, notamment le café Papon ou Le Cabinet... Aujourd'hui, on trouve le WIFI partout ! Cette motion arrive donc comme la grêle après les vendanges: la question est déjà réglée ! Les choses se font et la technologie bouge bien plus vite que notre rythme parlementaire, qui n'est pas beaucoup plus rapide qu'un rythme de sénateur. Donc, pendant que nous pédalons tranquillement, les gens agissent, innovent, avancent, créent...
Et, aujourd'hui, les ordinateurs ont une petite carte sur le côté pour passer par le réseau de téléphonie mobile; le WIFI est donc une technologie dépassée. Ainsi, la technologie est allée plus vite que nous, puisque les gens créent continuellement des choses nouvelles. C'est pourquoi les parlementaires n'ont pas besoin de s'occuper de tout. Cela se passe tout seul et c'est très bien. Les libéraux en seront ravis et diront que c'est la main magique qui est encore intervenue...
M. Pierre Weiss. Invisible !
M. Christian Bavarel. La main invisible ! Et magique... Elle doit être les deux ! En tout cas, les Verts sont très clairs: ils ne voteront pas cette motion, car on est allé trop lentement et la question est déjà réglée.
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Eric Stauffer. Il vous reste deux minutes, Monsieur le député.
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je serai très bref. Il est vrai que la technique avance: la Ville de Genève a rendu le WIFI gratuit dans bien des endroits à Genève et on ne peut que la remercier.
En revanche, je trouve assez incroyable que des partis comme le parti libéral, et M. Weiss en particulier, se torturent lors de leurs interventions pour éviter de prononcer le nom du MCG et encore moins celui d'Eric Stauffer. Je vais vous en dire la raison. Les membres du parti libéral ont fait un petit pari: chaque fois qu'ils prononcent mon nom, ils doivent verser dix francs dans une cagnotte. Elle se monte à 1650 F exactement. Voilà comment les affaires de la république sont gérées, par des espèces d'humoristes qui ne font rire qu'une petite clique d'intellectuels autour d'eux. Voilà par qui nous sommes gouvernés !
La présidente. La parole est à M. Claude Jeanneret. Il vous reste une minute et vingt secondes, Monsieur le député.
M. Claude Jeanneret (MCG). Ce sera suffisant. Tout d'abord, la motion du MCG était d'entrée condamnée, puisqu'elle était proposée par le MCG. Inutile de dire qu'il n'y a pas eu de débat. Ensuite, on se rend compte qu'il y a des gens qui ne connaissent malheureusement pas l'infrastructure genevoise. Or, le DCTI, avec les Services industriels, a établi un énorme réseau de fibre optique qui n'est pas utilisé. Le MCG a proposé d'installer des bornes WIFI, ce qui ne coûterait pratiquement rien, surtout en cas de partenariat avec le privé. Une telle installation serait donc très bon marché.
Malheureusement, le débat a été d'un niveau tellement médiocre - mais tellement médiocre ! - en commission... Un député a même osé dire: «Comme, dans ma commune, à Soral, il n'y a pas de fibre optique, ce serait une inégalité de traitement, alors je refuse» ! Quand on en est à ce niveau-là, on rigole, parce que, avec un tel état d'esprit, il n'y aurait de tram nulle part à Genève...
Je me suis alors rendu compte d'une chose, Madame la présidente... Et c'est pour cela que le MCG a un peu baissé les bras. D'autres, comme la Ville de Genève et certaines communes, ont intelligemment repris le flambeau. Intelligemment, parce que le WIFI, ce n'est pas seulement installer des bornes, c'est aussi penser que l'avenir réside dans la communication - la cybercommunication, comme on vient de le dire. S'équiper est indispensable. Pourtant, certaines personnes n'arrivent même pas à imaginer cela aujourd'hui. Alors, Madame la présidente, je me suis donc rendu compte, devant l'incohérence de la discussion, que le génie a des limites que la bêtise ne connaît pas...
Des voix. Bravo ! (Exclamations.)
Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). J'aimerais rectifier quelques malhonnêtetés intellectuelles. Il y a eu quatre séances extrêmement sérieuses à la commission des finances et à la sous-commission informatique de la commission des finances. Cette étude a donc été faite avec le respect qui est dû à chaque examen de motion. Il a simplement été conclu que celle-ci n'était absolument pas une priorité pour l'Etat de Genève. Quant à nous, démocrates-chrétiens, nous pouvons effectivement saluer le fait que la Ville de Genève a été novatrice dans le domaine; d'autres communes pourront tout à fait copier un projet pilote qui a très bien abouti. Et si nous refusons cette motion, c'est parce qu'elle n'a rien à faire dans ce parlement.
La présidente. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Pierre Weiss. Vous avez une minute et quarante secondes, Monsieur le député.
M. Pierre Weiss (L), rapporteur. Je dirais à mon ami «Pablito» Garcia que, contrairement à ce qu'il croit, il ne faudrait pas une centaine, mais des centaines de bornes, payées par la collectivité, si l'on voulait avoir un réseau WIFI en ville de Genève. Je crois par ailleurs que notre collègue M. Bavarel a totalement raison: nous sommes en retard sur ce qu'accomplissent diverses entreprises privées dans le marché réel. Et il est certain que les grandes entreprises sur lesquelles les motionnaires comptaient pour réaliser cette motion n'y sont pas intéressées. J'ajouterai simplement à l'intention du commissaire des finances du MCG qu'il a lui-même dit en commission que cette motion n'était pas une priorité. Je crois que sa mémoire lui joue des tours, mais sans doute est-ce l'effet de son grand âge. (Rires.)
Mise aux voix, la proposition de motion 1728 est rejetée par 34 non contre 13 oui et 4 abstentions.