Séance du vendredi 25 avril 2008 à 15h
56e législature - 3e année - 7e session - 35e séance

M 1495-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Françoise Schenk-Gottret, Albert Rodrik, Christian Bavarel, Christian Brunier, Laurence Fehlmann Rielle, Anne Mahrer, Ariane Wisard-Blum, Sami Kanaan visant à introduire la "Vision zéro" en matière de prévention des accidents

Débat

Mme Françoise Schenk-Gottret (S). Lors du dépôt de cette motion, l'ambition de «Vision zéro» était grande, puisqu'il s'agissait de tendre à zéro mort et zéro accident à terme dans la circulation. Depuis, «Vision zéro» s'appelle Via Sicura, mais son ambition est la même. Tous les êtres humains ont le droit de se déplacer dans l'espace rue selon leurs besoins et sans craindre de dommages pour leur santé. Il n'est pas acceptable que la circulation routière cause des morts et des blessures graves.

Le groupe socialiste a pris connaissance avec grand intérêt du long rapport du Conseil d'Etat sur la motion 1495. Il en a apprécié les données scientifiques et techniques. Il félicite le Conseil d'Etat pour toutes les mesures déjà prises, mais il a constaté le caractère programmatique de nombreuses dispositions et déclarations. On sait que la mise en application de Via Sicura nécessite toute une réflexion. Pour une application cohérente de ses principes, que l'on retrouve dans sa charte, les interventions de Via Sicura doivent s'orienter selon les deux demandes suivantes: qui sont les usagers les plus vulnérables ? Quelles sont les causes de danger qui doivent être éliminées ? Outre répondre, il faut procéder à une analyse de la situation et de l'efficacité des mesures. Aussi, un groupe d'accompagnement est indispensable, qui vise à analyser les effets, à relever et évaluer les changements de structure et de la manière de se comporter ainsi que les résultats des efforts pour réduire les risques et les effets néfastes de la mobilité. Ce sont toutes choses qui ne doivent pas avoir un coût exorbitant et qui doivent être compatibles avec les restrictions budgétaires, linéaires et autres, voulues par le Conseil d'Etat et la majorité de ce parlement.

C'est pourquoi le groupe socialiste encourage vivement le Conseil d'Etat à mettre rapidement en oeuvre ce qui est prévu, car la vie humaine n'a pas de prix. Il prend acte de ce rapport.

M. René Desbaillets (L). Comme vous le savez, je suis membre du comité de l'Automobile Club de Suisse. Et, à la lecture de cette «Vision zéro», si l'on est bien d'accord d'essayer de diminuer au maximum les accidents et les morts sur la route, il y a quand même quelques remarques à formuler, notamment sur le fait de conduire le jour avec les phares allumés.

La mode de conduire avec les phares allumés est venue des motocyclistes il y a déjà plus d'une dizaine d'années, afin que l'on voie mieux une moto parfois difficile à discerner, notamment à la tombée de la nuit. En allumant les phares des voitures, il y aura confusion entre motos et voitures. Donc, s'il est possible que l'on voie mieux les voitures, on verra moins les motos. Et l'on sait quand même que les scooters et les motocyclistes sont beaucoup plus en danger et qu'ils subissent beaucoup plus de dégâts lorsqu'il y a des accidents. Alors, en priorité, avant de faire allumer les phares des voitures, il faudrait déjà que les vélos, eux, aient des phares et les allument ! Première remarque.

Deuxième remarque: je déplore que cette «Vision zéro» soit un petit peu «zéro idée»... C'est-à-dire que tout n'est que contrôles, interdire, punir, etc., et il n'y a rien de positif, d'incitatif, pour essayer de trouver des solutions à - il faut le reconnaître - la crise de la mobilité actuelle. On peut, par exemple, apprendre l'utilisation optimale d'un giratoire... Ceux qui circulent le savent, beaucoup de gens - une grande majorité d'automobilistes - confondent, s'arrêtent quand ils sont dans la giratoire alors qu'ils ont la priorité, n'osent pas s'infiltrer dans le trafic parce qu'il leur faut dix mètres de chaque côté ou parce qu'ils ont une voiture trop grosse par rapport à leur capacité de conduire, etc. On peut également réapprendre ! Quand j'ai passé mon permis, il y a quarante ans - et je n'ai jamais fait d'accident - j'avais appris à me mettre en présélection lorsque je voulais tourner à gauche ou à droite; à l'heure actuelle, des gens s'arrêtent au milieu de la route et attendent que le trafic d'en face passe, bloquant une colonne derrière eux, etc.

Signalons aussi la position des passages cloutés. Considérons le passage clouté situé à la sortie de la place des Nations: les gens descendent du tram et traversent la route sur le passage clouté; les voitures s'arrêtent devant les piétons et l'arrière de la voiture est sur les voies de tram, ce qui bloque tout le tram ! Il y a des aberrations...

«Vision zéro», c'est bien joli, mais il faudrait réfléchir à des mesures actives pour faire circuler tout en garantissant la sécurité. Je vous remercie.

Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Effectivement, depuis le 22 octobre 2004, la majorité de ce parlement acceptait le renvoi au Conseil d'Etat de cette motion qui visait à introduire à Genève le concept de «Vision zéro» en matière de prévention des accidents de la route. Et depuis ce renvoi, de 2004 à ce jour, j'ai dénombré quatre-vingt décès sur les routes de notre canton, avec - il faut le relever - une sensible diminution des morts depuis 2005, année de l'introduction du 0,5 pour mille. Il est indéniable que depuis le port de la ceinture obligatoire, seule mesure qui se soit avérée réellement efficace, d'autres actions devraient urgemment être entreprises au niveau cantonal pour diminuer le nombre d'accidents sur les routes de notre canton.

Une flopée de bonnes intentions est énumérée dans ce rapport, des réglementations fédérales aux contraintes techniques des véhicules. Il est même écrit que le nombre de décès à Genève est en dessous de la moyenne nationale. Il est relevé aussi, plus loin, que les accidents de la route ne doivent plus être considérés comme une fatalité. Pour moi, un mort sur la route est un mort de trop. Alors que fait-on ? Car pour les usagers de la route, qu'ils soient piétons, cyclistes ou automobilistes, rien n'a changé concrètement sur le terrain. Sans dogmatisme aucun, il existe une réelle échelle de vulnérabilité des usagers de la route. Les plus vulnérables sont les piétons, ensuite les cyclistes, les deux-roues motorisés, les voitures et, pour finir, les moins en danger, les gros véhicules comme les 4x4 ou les camions.

C'est une évidence, les plus faibles doivent être protégés les premiers, à commencer par les enfants et les seniors, piétons et cyclistes. Pourtant, les cyclistes risquent toujours leur vie sur les mêmes routes genevoises; parfois, malheureusement, ils sont même contraints d'utiliser les trottoirs pour éviter les risques, mettant ainsi, à leur tour, les piétons en danger. A ce propos, il est intéressant d'aller visiter le site de PRO VELO, sur lequel les cyclistes peuvent inscrire les endroits qu'ils estiment dangereux. La ville est couverte de petits points noirs: c'est édifiant ! Pourquoi le canton ne travaille-t-il pas avec cette association, pour prévoir des aménagements afin de diminuer le danger des sites répertoriés? Pourquoi le canton n'a-t-il pas encore publié une carte des endroits dangereux ? Est-il nécessaire d'attendre la bonne volonté de la Confédération pour entreprendre ce type de catalogue ?

Autre exemple: depuis le début de cette motion en 2004, il y a eu dix morts sur le quai de Cologny, et toujours rien de concret pour limiter efficacement la vitesse et éviter les collisions frontales trop souvent fatales.

Pour ce qui est de la prévention routière à l'école, permettez-moi de douter de son efficacité. Je ne mets absolument pas en cause la bonne volonté de la brigade d'éducation et de prévention de la police genevoise, qui fait un excellent travail avec les moyens qu'on lui donne, mais je crois qu'une autre approche doit être également développée pour que le message soit réellement efficace auprès des jeunes gens et des jeunes filles d'aujourd'hui, qui trop souvent confondent virtualité et réalité. Dans d'autres cantons, des associations ont une approche efficace auprès des jeunes, notamment en organisant des débats avec des accidentés de la route et des visites de services de paraplégie. Pourquoi pas à Genève ? J'ai fait un petit sondage auprès de mes trois enfants et de leurs amis âgés de 17 à 22 ans. Le seul souvenir qu'ils gardent de la prévention routière à l'école est le parcours à vélo organisé par la police en sixième année - ils avaient 12 ans. Ensuite, plus rien, aucun souvenir. C'est vraiment regrettable.

Pour conclure, j'aurais aimé voir le Conseil d'Etat passer des intentions à l'action. Un Conseil d'Etat d'une autre composition déclarait dans le point de presse du 11 décembre 2002, je lis: «Le Conseil d'Etat souhaite mettre à contribution tous les moyens susceptibles de faire diminuer de manière considérable le nombre de morts et blessés graves sur les routes du canton en s'investissant en particulier dans la démarche «Vision zéro», en étroite collaboration avec les communes et les partenaires concernés». J'ai l'impression qu'aujourd'hui on est toujours au point mort. (Applaudissements.)

M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, ce rapport est fort complet. Cependant il suscite de ma part un certain nombre d'interrogations - que je ne répéterai pas, Mme Wisard-Blum vient de les mentionner dans son intervention et je ne puis que les saluer. Je suis quand même quelque peu inquiet par rapport à la situation actuelle, tant au niveau du cycle d'orientation qu'au niveau, surtout, des classes primaires et enfantines. Alors que, ces dernières années, un enseignement était prévu à tous les degrés scolaires, y compris pour les enfants de six ans, il semblerait - et je prends le conditionnel à dessein - que l'effectif de la brigade d'éducation et de prévention ait été réduit et qu'un certain nombre de classes n'aient pas bénéficié de cours de sensibilisation et de prévention routière. Mesdames et Messieurs les députés, si cela est avéré, je pense qu'il est important, en matière de sécurité routière, de faire un effort particulier de sensibilisation dans les classes enfantines et primaires: c'est à ce moment qu'une influence peut être très positive sur le comportement dans le trafic. Il est vrai que les communes ont fait de gros efforts en déléguant des agents de sécurité municipaux; il est vrai que les communes ont prévu, partout où il y avait des points dangereux sur le chemin de l'école, des patrouilleuses et des patrouilleurs scolaires... Cependant, les enfants sortent, les enfants ont tendance à jouer sur la route, et s'il n'y a pas de prévention, de sensibilisation suffisante dès la première année enfantine, je pense qu'on sera confronté à un certain nombre d'accidents.

Je crois, Mesdames et Messieurs, qu'il est important de donner à la police les moyens de poursuivre sa tâche de sensibilisation - ce qu'elle accomplit maintenant depuis quarante ans au niveau de la brigade de prévention routière - et, aussi, les moyens pour qu'elle ne réduise pas son effectif, comme il semblerait qu'elle le fasse actuellement. Je vous remercie de votre attention.

M. Henry Rappaz (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je viens d'entendre des applaudissements pour certains orateurs. Une chose m'étonne beaucoup: en règle générale, je vois que, depuis quinze ans maintenant, les cyclistes roulent sans lumière la nuit, passent les feux sans punition... Et quand on parle de grands changements dans la circulation, je ne vois pas très bien de quoi l'on parle. Alors je voulais juste dire que le Mouvement Citoyens Genevois était encore étonné du manque de prévision et de décision pour remédier à la situation.

M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs le députés, nous avons voulu par ce rapport vous donner un état des lieux complet de ce qui a été fait, de ce qui se fait et de ce que nous entendons faire. Pour répondre à M. Desbaillets, ses suggestions d'améliorer l'éducation routière, de faire preuve d'imagination, d'apprendre aux automobilistes de nouvelles règles, font précisément partie du champ d'action numéro 7.2, «Formation et perfectionnement».

Pour répondre à Mme Ariane Wisard-Blum - qui, elle, m'écoute - j'aimerais rappeler, en ce qui concerne les cyclistes, que les associations de vélo participent aux travaux de la commission des pistes cyclables qui, dans le cadre du génie civil, planifie l'extension du réseau, notamment en analysant les endroits où, évidemment, cela est prioritaire. Qu'elles puissent être davantage intégrées, on ne peut que le souhaiter, mais ces associations sont déjà des partenaires tant du DCTI que du DI. Sur le fond, Madame la députée, je n'ai pas la même lecture que vous de ce rapport. Vous admettez que le nombre de morts a baissé, tout en disant qu'on n'a rien fait... Ce nombre de morts n'a pas baissé par hasard ! Il a bien baissé, parce qu'il y a eu un certain nombre d'actions. Et ces actions, je veux bien être d'accord qu'elles ne sont pas encore suffisantes, mais elles existent.

Vous nous reprochez aussi une absence de vision. Six champs d'action sont décrits en fin de rapport comme ceux dans lesquels nous voulons nous engager - ou dans lesquels nous sommes déjà engagés. Je ne pense pas que c'est un manque de vision, parce que la vision politique stratégique consiste en l'application de Via Sicura; à partir de là, il s'agit de savoir comment on la décline à Genève en terme d'infrastructure, de formation, de répression.

Pour répondre à M. le député Ducrot, je peux l'assurer que la police non seulement ne se désengage pas de la sécurité routière, mais bien au contraire, notamment par le biais des opérations PréDiRe, s'applique à renforcer systématiquement sa présence sur le terrain, notamment lors des rentrées scolaires. Et c'est exactement l'inverse de ce que vous décrivez. En terme d'effectif, je ne sais pas - vous connaissez les problèmes d'effectif de la police, toutes unités confondues - mais, en terme d'implication sur le terrain, j'affirme sans hésiter que sa présence est plus importante aujourd'hui qu'autrefois.

Pour vous dire l'importance que nous attachons à la sécurité routière, considérez ceci: auparavant, il y avait deux conférences de presse de la police pour présenter ses résultats, l'une sur la sécurité en général, l'autre sur la sécurité routière; je trouve cette dichotomie absurde, parce qu'aujourd'hui l'un des risques majeurs qu'effectivement toute personne, tout enfant en particulier, court, ce n'est pas tellement d'être victime d'un vilain délinquant la nuit, c'est surtout d'être renversé la journée sur un passage piéton ! Raison pour laquelle, pour bien montrer que l'insécurité routière est une composante majeure de la sécurité, j'ai regroupé aussi bien les statistiques que la présentation pour donner à la sécurité routière la visibilité et le degré de sérieux qu'elle doit avoir dans la politique genevoise.

Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 1495.