Séance du
vendredi 7 avril 2006 à
20h30
56e
législature -
1re
année -
7e
session -
34e
séance
La séance est ouverte à 20h30, sous la présidence de Mme Anne Mahrer, première vice-présidente.
Assistent à la séance: MM. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat, David Hiler, François Longchamp et Mark Muller, conseillers d'Etat.
Exhortation
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
La présidente. Ont fait excuser leur absence à cette séance: MM. Charles Beer, Laurent Moutinot et Robert Cramer, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. David Amsler, Guillaume Barazzone, Elisabeth Chatelain, Laurence Fehlmann Rielle, Sophie Fischer, François Gillet, Michel Halpérin, Virginie Keller Lopez, Christian Luscher, André Reymond, Jean Rossiaud, Françoise Schenk-Gottret, Pierre Schifferli, Louis Serex et Francis Walpen, députés.
Annonces et dépôts
Néant.
La présidente. Nous poursuivons notre ordre du jour.
Suite du premier débat
M. Christian Brunier (S). J'aimerais quand même revenir sur les propos de M. Weiss. Monsieur Weiss, que vous soyez contre notre projet de loi pour la promotion du français, je peux le comprendre. Mais, par contre, il faut bien le lire, ce projet de loi. Que nous dites-vous ? Vous nous avez dit que c'est une loi protectionniste. Je ne vois pas en quoi elle est protectionniste. Il s'agit simplement de dire que lorsque l'administration communique avec les citoyennes et citoyens de ce canton, elle communique en priorité en français. Ce qui n'interdit pas des textes qui favorisent la Genève internationale. Vous avez aussi dit que c'était une loi contre la Genève internationale. A l'article 5, on a bien sûr prévu qu'une ville internationale comme Genève puisse communiquer dans toutes les langues. Mais, quand on s'adresse aux citoyennes et citoyens de ce canton, il est normal qu'on utilise en priorité les mots de la langue française.
Deuxième chose, M. Weiss nous dit qu'à cause de cette loi des cours seront interdits à l'Université. Là aussi, Monsieur Weiss, relisez bien... Si vous arrêtiez de discuter avec vos collègues, vous comprendriez peut-être mieux la loi !
Une voix. Il ne veut pas comprendre !
M. Christian Brunier. Si vous lisez bien la loi, il n'y a aucun article - soyez honnête intellectuellement - où vous pouvez me dire qu'à cause de cet article un enseignement à l'Université devra être annulé ! Aucun ! Les cours de langue, bien sûr, vont continuer à être donnés, c'est évident ! Ce projet de loi n'attaque absolument pas ça, vous le savez très bien !
Vous nous dites en plus que l'Etat ferait la police de la langue. Mais pas du tout ! On ne demande pas que l'Etat contrôle sur un plan linguistique tout ce qui émane des entreprises, des associations et de je ne sais quoi encore. Ce n'est pas du tout le contenu de la loi. De nouveau, c'est la communication de l'administration publique qui doit se faire dans la langue de ce canton, qui est le français. Donc, c'est vraiment une loi qui semble minimaliste et finalement très pragmatique. Et vous le savez très bien ! Ce qui est choquant aujourd'hui, c'est par exemple - et cette loi s'attaque à ça - quand on a un enseignement à l'Université qui est donné dans sa totalité en français et que l'on élabore pour cette formation un programme rédigé uniquement en anglais. C'est un exemple très concret que vous devez bien connaître, puisque vous êtes un employé de l'Université. Vous savez très bien qu'à HEC, ils se le permettent. Alors que tous les cours sont en français, le programme est pourtant rédigé en anglais ! Pourquoi ? Je vais vous dire ce que c'est : ça s'appelle de la frime ! Qu'un programme soit rédigé en anglais pour un enseignement donné en anglais pour des besoins bien spécifiques, c'est logique. Mais pour un enseignement donné à HEC entièrement en français... Il y a eu plusieurs cas de ce type - que j'ai d'ailleurs signalés au département. Quel est le sens de ceci, à part de la frime - académique d'une certaine façon ? (Exclamations.)
Deuxième chose, j'ai croisé dernièrement, dans les couloirs d'une administration publique, une vieille dame à qui on avait dit d'appeler le «Call Center». Est-ce que cela a un sens qu'une administration dise à une vieille dame, qui parle le français, d'appeler le «Call Center» ? Je crois que personne n'a envie de ceci et c'est simplement ce que demande notre projet de loi. Arrêtons de frimer avec la langue anglaise et des termes anglo-saxons ! Récemment, une entreprise publique voulait commercialiser toute une ligne de produits, complètement en anglais, alors qu'il n'y avait aucune raison à cela. Je peux vous dire que si nous avons élaboré cette loi, c'est suite à cela. Nous étions, certains députés et moi-même, membres du conseil d'administration de cette entreprise publique, entreprise qui s'adresse, une fois encore, à des citoyennes et citoyens francophones. Que l'on décline ces produits en langue anglaise par rapport à la Genève internationale, c'est normal ! Et, d'ailleurs, le projet de loi le permet. Donc, en fait, notre loi est très minimaliste. Elle prévoit seulement, s'adressant à des personnes francophones, que l'administration publique, les entreprises et régies publiques qui sont francophones s'expriment avant tout en français.
Finalement, ce projet de loi s'inscrit complètement dans la lignée des lois existant au Québec et en France. Ce n'est pas faire du protectionnisme, c'est simplement vouloir s'adresser convenablement aux citoyens de ce canton - et la plupart de ces citoyens parlent en français. Considérant cela, il est normal que l'administration s'adresse en français à ces personnes. Et, lorsqu'il faut décliner cela pour la Genève internationale ou pour les personnes d'origine étrangère, eh bien, déclinons ceci dans leur langue. Ce projet de loi n'interdit en tout cas pas cela, au contraire ! Vous l'avez dit, Monsieur Weiss ! D'ailleurs, la plupart des signataires de ce projet de loi sont des défenseurs acharnés de la Genève internationale, la plupart sont des personnes polyglottes. Vous avez dit que le rapporteur de minorité était quelqu'un qui défendait régulièrement la Genève internationale et les personnes arrivant de l'étranger. C'est dans ce contexte que s'inscrit ce projet de loi. C'est un projet de loi pragmatique, minimaliste et qui correspond simplement aux besoins de la société !
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Henry Rappaz (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, découvrir les richesses de notre langue, l'enrichir et la faire rayonner, en défendre l'emploi, dans les écoles, à l'Université ! Oui, Mister Weiss, même à l'Université ! Vous qui connaissez pourtant les valeurs des racines d'un peuple et d'une langue, vous auriez dû être le porte-parole de cette démarche. Mais non ! Pour toutes ces raisons je dirai, dans la langue de Voltaire: le MCG ne soutiendra pas le projet de loi !
M. Pierre Kunz (R). Mesdames et Messieurs les députés, il y a des sujets, disait un écrivain, qui rendent bête et incohérent. Je ne voudrais pas être agressif à l'égard de notre collègue Brunier, mais n'était-il pas hier celui qui voulait nous interdire de vendre les actions de qui ? De Swisscom ! Qu'est-ce que Swisscom ! Moi, si j'étais vous, je me serai empressé de vendre Swisscom, parce que Swisscom est un anglicisme !
M. Roger Deneys (S). Merci, Madame la présidente. (Brouhaha.)
La présidente. S'il vous plaît ! S'il vous plaît !
M. Roger Deneys. Très brève intervention pour relever qu'en ce qui me concerne je suis un ardent partisan de la langue française. J'adore la langue française, j'adore parler, j'adore écrire, j'adore entendre. (Brouhaha.) Peut-être que vous n'appréciez pas la même chose que moi, mais ce n'est pas un problème. Je suis pour la diversité, cela n'a pas encore été dit, dans ce débat. Ce qui me navre dans ce projet de loi et fera que je m'abstiendrai, c'est que ce projet n'intègre pas cette notion de diversité et de richesse provenant des autres - des autres langues, des autres personnes. Cela est important pour moi. La langue française s'enrichit des autres. Ce qui me dérange un peu dans la formulation de ce projet de loi, c'est qu'il établit une sorte de dogme de la langue française fixée dans sa forme actuelle sans prendre en compte les possibilités d'évolution pour une langue. Travaillant dans le domaine de l'informatique, je regretterais qu'une langue ne puisse accepter des termes provenant de langues étrangères pour les intégrer à son patrimoine afin d'évoluer.
M. Christian Bavarel (Ve). Ce sujet semble essentiel ce soir. Nous sommes, chez les Verts, quelques peu surpris qu'il ait fallu un projet de loi pour ce sujet. Néanmoins, les Verts ne voteront pas ce projet de loi de manière unanime parce que, sur un sujet d'une telle importance, la diversité s'exprimera aussi au sein de notre groupe.
M. Christian Brunier (S). (Brouhaha.)
Je veux juste expliquer à mon collègue Roger Deneys le sens de ce projet de loi, parce que, visiblement, il en fait la même lecture que M. Weiss, c'est-à-dire une lecture un peu de travers. (Commentaires.) Vous, libéraux, vous aussi avez régulièrement des désaccords. Simplement, nous, nous arrivons à nous exprimer et à débattre publiquement de nos désaccords, et non pas secrètement. Rien dans ce projet de loi n'interdit la diversité. Bien au contraire ! D'ailleurs, nous sommes pour la diversité linguistique dans ce canton. Nous n'arrêtons pas de promouvoir la Genève internationale et ce projet de loi valorise la Genève internationale. Lisez-le, s'il vous plaît ! A l'article 5, il y a toutes les dispositions pour que l'administration puisse s'adresser aux personnes de langue étrangère dans leur langue, pour être mieux comprise. Nous sommes pour une langue française vivante, qui s'alimente des autres langues, des langues de la banlieue, qui s'alimente du langage épicène. Le parti socialiste a soutenu le langage épicène continuellement. (Huées.) Une langue évolue en fonction de la société, bien entendu. Ce projet de loi n'interdit pas cela. Je le redis, ce projet de loi est pragmatique. Il empêche juste les cours universitaires qui sont donnés en français de faire leur programme en anglais. Il interdit juste à l'administration de décliner ses slogans en anglais quand elle s'adresse à une population francophone. Monsieur Kunz, vous avez pris l'exemple de Swisscom. Trouvez-vous normal que Swisscom, une entreprise helvétique, s'adresse désormais à ses clients, dont la langue d'expression est essentiellement l'allemand, le français et l'italien, uniquement avec des termes anglais. Dans les factures de téléphone de cette entreprise, il y a des termes qui ne sont tout simplement pas compréhensibles pour certaines personnes. Un service public doit s'adresser à ses concitoyens en priorité dans la langue des concitoyens. J'estime normal que l'administration publique genevoise, les entreprises publiques genevoises... (Brouhaha.)
La présidente. S'il vous plaît, s'il vous plaît! Excusez-moi, Monsieur le député. Je vois que la langue française déchaîne les passions. C'est fort bien. Il serait bien toutefois que l'on écoute notre collègue.
M. Christian Brunier. Merci, Madame la présidente. Je le dis simplement, le projet de loi demande juste - à l'administration publique et aux entreprises publiques uniquement - d'utiliser en priorité des termes français quand elles s'adressent à la communauté genevoise. Lisez le projet de loi avant de le commenter n'importe comment ! Le projet prévoit une possibilité de dérogation pour la Genève internationale et pour les personnes étrangères qui habitent ce canton. C'est la moindre des choses que nous demandons. Arrêtons la frime anglo-saxonne et parlons la langue de ce canton ! (Applaudissements.)
M. Henry Rappaz (MCG). Madame la présidente, ma langue a fourché auparavant. Je voulais simplement préciser que le MCG soutiendra le projet de loi et non pas celui du parti libéral. (Exclamations.)
Une voix. Il faut qu'on lui amène sa lolette !
M. Pierre Weiss (L), rapporteur de majorité. Je suis entièrement d'accord avec M. Brunier lorsque il dit qu'il faut éviter la frime, notamment à l'Université. Mais, Monsieur Brunier, savez-vous qu'à l'Université, en Sciences ou en Faculté de médecine, entre 10% et 25% des cours de troisième cycle sont donnés en anglais ? Attendez ! Ce projet de loi interdit que de tels cours le soient à l'avenir.
Deuxièmement, je suis d'accord avec le rapporteur de minorité, M. Mettan, quand il dit que, lorsqu'une maison a un toit qui fuit, il convient de réparer ce toit afin de, pour reprendre son allégorie, préserver la chaleur du foyer. Mais M. Mettan tend à oublier qu'il n'y a pas qu'un toit dans une maison. Il y a aussi des portes dans les maisons qu'il a aimablement citées, y compris à Soral. Et les maisons de Soral ont des portes qui sont ouvertes sur les étrangers. (Brouhaha.) Je regrette que M. Mettan veuille les fermer elles aussi. C'est faire là preuve d'une singulière fermeture, non seulement législative, mais aussi fermeture d'esprit. J'ajouterai à cela que dans son excellent rapport, le rapporteur de minorité écrit, je le cite: «Le défaut de ce projet de loi est d'avoir voulu réparer les gouttières à la bétonnière. Il y a disproportion des moyens et excès de contrainte.» Je le cite encore: «Il convient juste de les encourager à les prendre [les mesures] sans camisole de force législative [...]». Il a raison ! Il ne faut pas de loi, il faut au contraire d'autres dispositions, raison pour laquelle le Conseil d'Etat sera invité à prendre des directives pour que l'on évite les dérives et que l'on respecte l'usage du français - langue à laquelle je suis autant attaché que M. Mettan. Contrairement à lui, même par esprit humoristique, je n'ai pas émaillé mon propos de termes anglais. Le Conseil d'Etat va bientôt les entendre ces conseils que nous lui donnerons, Monsieur notre cher collègue.
En d'autres termes, nous devons dans cette affaire rendre aux lois le respect qui leur est dû. Nous ne pouvons légiférer à tort et à travers. Nous ne pouvons transformer en loi nos envies du moment. Nous devons légiférer quand les choses sont d'importance. En d'autres cas, des motions, des directives sont suffisantes. Je vous remercie, Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, pour cette insoutenable attention aux propos que je viens d'avoir.
Une voix. En français, maintenant !
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur. Je passe la parole à M. Guy Mettan.
M. Guy Mettan (PDC), rapporteur de minorité. Juste trois petites remarques pour conclure ce petit tour de piste. D'abord pour vous dire qu'aujourd'hui le Conseil de la Fondation «Défense du français» s'est réuni ce matin jusqu'à 14h cet après-midi à Neuchâtel. J'y étais pour voir dans quelle mesure on pouvait améliorer la protection du français. Evidemment, le débat de ce soir était à l'ordre du jour de cette séance. Je tiens à dire que le conseil de cette fondation n'est pas du tout politique. Il réunit aussi bien l'éminent radical Thierry Béguin, ancien conseiller d'Etat neuchâtelois, une éminente libérale, Mme Suzanne Hurter, ou un éminent socialiste, M. Didier Berberat. Même M. Claude Marcet a été invité à s'exprimer, en tant que représentant de l'UDC. Moi je représentais aussi un parti. Il ne manque plus que les Verts et le MCG, mais ils sont les bienvenus dans ce conseil de fondation, sachez-le ! Ce conseil de fondation est transpolitique, ça n'a rien à voir avec la politique, c'est de nous-mêmes qu'il s'agit.
Deuxième remarque, vous avez parlé de la Genève internationale. Mais c'est précisément au nom de la défense de la Genève internationale que je souscris à ce projet de loi, ce soir. Pourquoi ? Parce qu'en votant une défense du français c'est toute les langues du monde qu'on défend ! C'est toutes les autres langues du monde qu'on défend. Et je vous jure que ce soir, nous ferons beaucoup de gens satisfaits dans la Genève internationale. Tous les représentants des autres langues officielles des Nations Unies - l'arabe, le chinois, l'anglais, le russe et l'espagnol - seront contents que nous votions ce projet de loi ce soir. C'est quelque chose que je tenais à rappeler.
Enfin, comme je l'ai dit tout à l'heure, comment voudrions-nous convaincre les Alémaniques de parler en français et d'apprendre le français dans les écoles ? Comment voudrions-nous convaincre l'administration fédérale de ne pas utiliser une espèce de sabir fédéral, si nous-mêmes montrons à tous ces gens que nous ne nous respectons pas nous-mêmes parce que nous méprisons notre propre langue ? (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur. Nous allons passer à la prise en considération de ce projet de loi 9592.
Mis aux voix, le projet de loi 9592 est adopté en premier débat par 43 oui contre 32 non et 4 abstentions.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les articles 1 et 2.
La présidente. On me transmet à l'instant une proposition d'amendement que je vous lis. Je n'ai évidemment pas eu le temps d'en prendre connaissance. Monsieur Hiltpold, je n'ai pas vu que vous demandiez la parole. Excusez-moi !
M. Hugues Hiltpold (R). Puisque nous en sommes à traiter en deuxième débat d'un projet de loi qui fait la promotion de la langue française, je me demande, dans l'article 1, si nous ne devrions pas plutôt parler de termes principalement «anglo-saxons» plutôt que «anglo-américains». Cela me semblerait plus adéquat eu égard au but poursuivi ! J'ai un amendement formel en ce sens.
La présidente. Il est vrai que l'article est déjà voté. Je n'avais pas vu votre demande de prise de parole. Je vais donc vous faire voter cet amendement: plutôt «anglo-saxon» que «anglo-américain» et nous revoterons les articles déjà adoptés.
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 57 oui contre 7 non et 8 abstentions.
Mis aux voix, l'article 1 ainsi amendé est adopté, de même que l'article 2.
La présidente. Je reviens à l'article 3. Nous avons été saisi d'un amendement dont voici la teneur. «Toutes les communications émanant des institutions mentionnées à l'article 2 doivent utiliser des terminologies uniquement françaises qui figurent dans la dernière édition du dictionnaire de l'Académie française.» (Brouhaha.) Il y a des demandes de parole. Monsieur Nidegger, je vous passe la parole. Excusez-moi, d'abord M. Gros, auteur de l'amendement.
M. Jean-Michel Gros (L). Il est évident que si nous avons voté l'entrée en matière de ce projet éminemment important pour notre législature, qui nous incite et qui incite l'administration, notre Conseil d'Etat ici présent, nos Universités, à parler le français, et uniquement le français, il convient de savoir quel français nous voulons parler. Ce français est pour le moment défini par l'Académie française, par le biais d'un dictionnaire qui a une publication annuelle. Donc, c'est ça le véritable français que nous devrions parler et dont nous devrions causer, si j'ose dire. Ce qui écarte évidemment beaucoup de «romandismes», beaucoup de termes issus de dictionnaires québécois, de dictionnaires jurassiens, de dictionnaires émanant d'un service de l'administration cantonale. Donc, il faut vraiment que nous allions jusqu'au bout de notre raisonnement et que nous parlions le français, le vrai, et que surtout l'administration se tienne à ce français-là. C'est pourquoi, si nous voulons tendre vers la pureté, comme l'ont exprimé les auteurs du projet de loi et M. le rapporteur de minorité, nous devons aller jusqu'au bout de notre raisonnement. C'est pourquoi je vous prie d'accepter cet amendement. (Applaudissements.)
M. Jacques Follonier (R). Quand on lit ce projet de loi qui est éminemment important pour la Genève dans laquelle nous vivons, j'ai juste un souci. Si on peut comprendre les buts que vise ce projet de loi, la manière qu'il a d'être si contraignant manque cruellement de sanctions et je ne vois pas quelles sanctions nous allons appliquer lorsque nous verrons que l'administration ne traite pas de manière adéquate les termes qu'elle doit utiliser. Dans ces conditions, je suis désolé, mais je pense que nous devrions réfléchir un peu plus à la manière dont nous entendons faire appliquer ce projet de loi.
La présidente. Monsieur le député, s'il vous plaît, vous devez vous exprimer sur l'amendement. Merci.
M. Jacques Follonier. Je ne m'exprimerai pas plus longtemps sur l'amendement. Simplement, je pense qu'il serait intéressant qu'on renvoie le projet de loi à la commission pour traiter des sanctions nécessaires.
Une voix. Manoeuvre dilatoire !
La présidente. Monsieur Follonier vient de faire une proposition de renvoi en commission. Nous aurons donc une personne par groupe pour s'exprimer sur le renvoi à la commission. La parole est à M. Brunier.
M. Christian Brunier (S). Vous êtes un peu mauvais perdant. C'est quand même étonnant que les personnes qui proposent un renvoi à la commission sont celles-là mêmes qui ont fait un traitement inacceptable de ce projet de loi en commission. Normalement, le travail de commission doit permettre d'analyser le projet de loi, d'auditionner des spécialistes, de réfléchir à tous les aspects pour bien concevoir la loi. Les personnes qui aujourd'hui demandent un retour en commission sont des personnes ou des représentants des partis qui, en commission des finances, ont traité le projet sur un coin de table, qui ont refusé toute audition et ont bâclé les travaux en quelques minutes, sans donner aucune attention à ce projet de loi. C'est malhonnête de vouloir le renvoyer à la commission ! Il faut maintenant assumer vos actes. Vous ne pouvez pas travailler de manière incorrecte en commission, puis arriver en plénière pour dire que, finalement, il faudrait étudier le sujet avec un peu plus d'attention. Vous avez mal bossé, vous avez dénigré ce projet de loi et vous n'aviez pas prévu une chose: c'est qu'aujourd'hui on est en train de faire une majorité sur ce projet de loi ! Si vous l'aviez traité avec un peu plus d'égards, peut-être que le débat aurait été différent.
Monsieur Gros, vous demandez de rigidifier cette loi qui est une loi pragmatique, je le redis. Vous voulez qu'il n'y ait que le dictionnaire de l'Académie française qui fasse foi. Vous savez très bien qu'en faisant ça vous voulez complètement tuer l'âme de ce projet de loi qui veut favoriser un français vivant, je l'ai dit tout à l'heure, Monsieur Gros. C'est le contraire de ce que veut ce projet de loi ! Nous voulons une langue vivante. Le français doit évoluer en fonction de la société. Tout le monde doit alimenter ce français, le langage épicène, le langage romand ou le langage des banlieues. Il faut qu'il s'enrichisse, ce langage, comme toutes les langues qui vivent. (Brouhaha.) Aujourd'hui, vous êtes en train de le bloquer. Vous voulez rigidifier ce projet de loi et nous refusons cet amendement, bien entendu.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Je vous rappelle qu'un député par groupe a droit à la parole au sujet de la proposition de renvoi en commission. Je vais maintenant passer la parole à M. Letellier.
M. Georges Letellier (Ind.). Voilà.
Une voix. Pour quel groupe prenez-vous la parole?
M. Georges Letellier. Pour mon groupe ! Vous permettez ? J'aimerais d'abord féliciter M. Mettan pour sa prestation. Je suis contre le renvoi en commission. D'autre part, j'aimerais quand même vous signaler qu'il existe à Genève un excellent Club de la grammaire, présidé par Pascal Junod... (Brouhaha.) Et si vous voulez parfaire votre français, Monsieur Weiss, je vous y invite cordialement.
M. Olivier Jornot (L). Je ne sais pas si c'est l'effet des dérapages de présidence, mais il me semble que les débats sont un peu désordonnés ce soir. Pourtant, c'est un projet qui a une grande importance. Je suis très surpris, à vrai dire, d'entendre la façon dont M. Brunier apostrophe les bancs d'en face. Je suis très surpris d'entendre les réactions des uns et des autres. Il me semble que nous avons traité, au cours de cette session et de sessions précédentes, de projets autrement plus importants pour l'avenir de cette République pour lesquels les uns et les autres ont été capables de se comporter de manière à peu près civilisée pendant les débats.
J'aimerais vous dire que, pour ma part, j'ai été très divisé, si vous me permettez... (Rires.) J'ai un peu de peine avec le français de l'Académie, pardonnez-moi ! J'ai été très partagé, très ennuyé, à la lecture de ce projet de loi parce qu'il me semblait poursuivre un objectif éminemment louable. En particulier, ce que nous avons entendu tout à l'heure, par rapport aux publicités, m'agace autant que vous, Monsieur Brunier.
D'un autre côté, on rédige un projet de loi comme ça, en reconnaissant soi-même dans le rapport de minorité, Monsieur Mettan, que ce qui a manqué aux rédacteurs du projet de loi et aux commissaires qui l'ont rejeté c'est une bonne compréhension de ce qu'est une langue. Vous avez reconnu, de ce point de vue là que, dans cette affaire, les uns et les autres avaient péché. Oui, les uns et les autres ont péché ! A partir du moment, ce soir, où l'on reconnaît que, contrairement à la majorité de la commission, cette assemblée a majoritairement envie de donner un signal fort en faveur de la défense de la langue française, il s'agit maintenant de se mettre au travail. Et de faire ce que les uns et les autres n'ont pas fait, je le regrette autant que vous, Monsieur Brunier. Faire ce travail c'est reconnaître, lorsqu'on met à l'article 5 que «les textes traduits spécifiquement dans une langue étrangère ne sont naturellement pas soumis à l'article 3», que cela veut dire que les services publics que vous évoquiez tout à l'heure pourront parfaitement faire toute leur publicité en anglais puisqu'ils auront spécifiquement traduit dans une langue étrangère les slogans qu'ils auront choisis. Je partage votre objectif par rapport au fait de ne pas angliciser toutes les publicités. Malheureusement, votre projet passe à côté. Lorsque que l'on dit que les textes ne sont pas soumis à l'article 3, cela signifie qu'à l'article 4 on n'a pas le droit de traduire spécifiquement et ça signifie donc que les réunions internes, et par conséquent tout ce qui se passe à l'Université, ne peuvent pas se dérouler dans une langue étrangère.
Alors, je vous le demande, Mesdames, Messieurs, voulons-nous, et je suis prêt à partager cet objectif, donner un signal fort en faveur de la langue française ? Voulez-vous que soit donné un signal fort en faveur de la langue française par l'administration et par le Council of State, qui apparemment n'a pas l'air de beaucoup se préoccuper ce soir du débat que nous avons ? Si nous voulons le faire, il faut le faire intelligemment, et le groupe libéral est prêt à participer intelligemment à ce travail. Cela implique de remettre l'ouvrage sur le métier, de telle manière à obtenir une loi qui soit intelligemment conçue, qui couvre les cas que vous avez voulu couvrir et qui atteigne son objectif, comme toute loi digne de ce nom votée par ce parlement.
Je vous invite donc, en effet, à renvoyer ce projet à une commission, peut-être dans une commission qui le traitera mieux, avec davantage d'intérêt pour les questions d'enseignement qu'une commission qui est censée se vouer aux finances de ce canton.
La présidente. Est-ce que, formellement, vous souhaitez renvoyer ce projet de loi à la commission de l'enseignement ?
M. Olivier Jornot. Je souhaite que ce projet de loi soit renvoyé en commission. Je pense que le mieux c'est qu'il le soit à la commission de l'enseignement, de telle manière qu'il soit traité avec une vision un petit peu différente.
M. Pascal Pétroz (PDC). Le groupe démocrate-chrétien s'opposera, bien évidemment, à ce renvoi en commission, qu'il considère être une manoeuvre dilatoire. Il est quand même relativement amusant de constater que cette demande de renvoi en commission a été formulée par le parti radical, qui n'était pas franchement très favorable à l'entrée en matière. Et M. Jornot vient de nous dire, avec la verve qu'on lui connaît, que le parti libéral se réjouissait de travailler sur un projet à propos duquel il venait de refuser d'entrer en matière. J'ai un peu de la peine à comprendre la cohérence de ce procédé.
Nous aurions pu nous associer à ce procédé, si d'entrée de cause, au début de ce débat, du côté du parti radical et du côté du parti libéral on avait reconnu avoir fait une erreur et mésestimé ce projet de loi et admis la nécessité de défendre la langue française. Ce qui relève de l'évidence, mais bon, parfois il faut un petit peu plus de temps pour le comprendre ! Si, d'entrée de cause, la demande de renvoi à la commission avait été formulée, les choses auraient été un peu différentes. Mais vous venez de tirer à boulet rouge sur ce projet de loi. Et, après avoir perdu, parce que l'entrée en matière a été votée, vous nous faites une demande qui est proprement dilatoire, raison pour laquelle nous nous opposerons, avec vigueur, au renvoi en commission.
M. Henry Rappaz (MCG). Voyant la haine qu'affiche le parti libéral contre la langue française, le MCG refuse le renvoi en commission.
M. Pierre Weiss (L), rapporteur de majorité. Je me suis abstenu de présenter un amendement pour l'article 2 de ce projet de loi. Je me réjouis de voir comment, d'une part, l'absence de mention des HES donnera à nos hautes écoles spécialisées un avantage concurrentiel par rapport à l'Université et, d'autre part, comment... (L'orateur est interpellé.) Non, l'article a déjà été adopté ! Et d'autre part, pour l'Université, je me réjouis de voir comment les problèmes concrets que j'ai évoqués tout à l'heure seront résolus en raison de l'interprétation pour le moins extensive, ou plutôt l'absence de prudence de ce projet de loi qui inclut l'Université.
En d'autres termes, je crois qu'il est extrêmement judicieux de renvoyer en commission ce qui nous est soumis ce soir pour revoir l'ensemble du dispositif. Il convenait, soit de suivre les conseils du rapporteur de minorité en transformant en motion ce qui était un projet de loi, soit de suivre ceux du rapporteur de majorité en refusant l'entrée en matière, mais non pas d'entrer en matière et de voter cette loi. Cela nous conduit au fond d'une impasse, raison pour laquelle je soutiens évidemment la proposition de renvoi en commission.
M. Guy Mettan (PDC), rapporteur de minorité. Ecoutez, plus la discussion va, plus je suis convaincu que mon rapport de minorité était effectivement beaucoup trop timoré et que j'aurais dû y défendre, avec la même vigueur que je le fais ce soir, ce projet de loi qu'il faut absolument voter maintenant.
Une voix. Ça s'appelle de l'opportunisme !
M. Guy Mettan. C'est M. Jornot qui m'en convainc. Toute l'argumentation du parti libéral et de certains radicaux a consisté à dire que la République avait des choses mille fois plus importantes à traiter que la défense du français, notamment le déficit public. J'en suis le premier convaincu. Mais pourquoi, alors, continuer à aller perdre son temps dans une commission. Votons ce projet de loi et passons à autre chose !
Deuxième chose, M. Follonier nous dit qu'il faut inclure le dictionnaire de l'Académie française comme référence dans le projet de loi. Mais non ! Tout ce qu'on dit, c'est que le français est une langue vivante ! C'est une langue libertaire ! C'est une langue qui est parlée par les Romands, les Belges, les Togolais, les Sénégalais, les Canadiens, les Maghrébins et j'en passe. Pourquoi faudrait-il réduire la langue française au dictionnaire le plus hexagonal de tous, celui de l'Académie française ? Ce n'est pas ce que nous voulons ici, quand nous défendons le français. Mesdames et Messieurs, nous avons fait une bonne partie du chemin, continuons à le faire et votons ce projet de loi !
La présidente. Je vais donc vous faire voter sur la proposition de renvoi à la commission de l'enseignement.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9592 à la commission de l'enseignement et de l'éducation est rejeté par 46 non contre 32 oui et 4 abstentions.
La présidente. Nous sommes donc en deuxième débat à l'article 3. Nous avons un amendement à cet article 3. Je vais le relire: «Toutes les communications émanant des institutions mentionnées à l'article 2 doivent utiliser des terminologies uniquement françaises qui figurent dans la dernière édition du dictionnaire de l'Académie française». Monsieur Deneys, vous avez demandé la parole à propos de cet amendement ? Alors je vous la passe.
M. Roger Deneys (S). Cet amendement est intéressant mais prouve qu'il y a des divergences majeures sur le contenu de ce projet de loi. En l'occurrence, et je trouve particulièrement intéressant et regrettable que cela n'ait pas encore été le cas, on aurait dû déposer un amendement à l'article 2, car dans les institutions soumises à cette loi, étonnamment, il n'y a pas le Grand Conseil ! Qu'allons-nous faire ? Le Grand Conseil ne respectera pas ce projet de loi ! C'est dramatique, il faut faire quelque chose ! Dans ce sens, vu la proposition de l'amendement... (L'orateur est interpellé.) Too late ! Exactly ! Comme dit M. Weiss: exactement, il est trop tard ! Que se passera-t-il, chaque fois que nous ferons le Mémorial ? Je vous propose que nous mettions trois petits points chaque fois que des mots qui ne sont pas dans le dictionnaire de l'Académie française seront utilisés lors de nos débats !
M. Renaud Gautier (L). Dans ce débat d'une très haute tenue intellectuelle, qui effectivement implique l'avenir, j'aimerais faire deux remarques. Il y a évidemment des commissions qui sont plus qualifiées que d'autres - en général celles dans lesquelles siège notre collègue Brunier qui a très bien démontré tout à l'heure que les «autres commissions», c'est de la «gnognotte». Est-ce qu'on dit «gnognotte» en français ? Confiez-lui ça, on verra le travail ! D'autre part, j'aimerais juste faire remarquer ici que ceux qui, ce soir, se font les défenseurs du français, plus riche s'il est local, pas local, s'il vient de France ou d'ailleurs, etc., sont aussi ceux qui défendent, comme de par hasard, le fait d'une éducation multilingue. Moi je veux bien, quand ça arrange, qu'on soit très en faveur d'une éducation multilingue, c'est-à-dire anglophone plus que germanophone. Mais, quand il s'agit d'un problème aussi fondamental que ça, on joue une certaine forme «d'ayatollah du français» en disant qu'il n'y a que ça à faire. Je pense que si l'on veut être rigoriste, il faut l'être à la mesure de ce que l'on veut, et qu'il faut donc effectivement s'appuyer sur la référence du français. Ce n'est pas une question d'être hexagonal ou pas, Monsieur Mettan, il se trouve simplement que le dictionnaire de l'Académie française est le dictionnaire de référence pour le français. Dans la mesure où l'on ne peut pas vouloir tout et son contraire, à part dans ce parlement, je pense que la logique qui veut que dorénavant on ne s'exprime plus qu'en français doit s'établir sur des bases claires. Ces bases doivent être celles du dictionnaire de l'Académie française, raison pour laquelle, par cohérence avec les votes que vous avez faits tout à l'heure et ceux que vous proposerez dans quelque temps sur l'école enfantine germanophone, anglophone, russophone, je vous suggère d'accepter cet amendement.
La présidente. Nous allons passer au vote sur cet amendement.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 53 non contre 23 oui et 2 abstentions.
Mis aux voix, l'article 3 est adopté, de même que l'article 4.
La présidente. Nous sommes saisis d'un amendement à l'article 5. Je ne suis pas sûre de pouvoir le déchiffrer. «Exceptions: les textes rédigés initialement dans une langue étrangère ne sont pas soumis à l'article 3». Je passe la parole à M. Hugues Hiltpold.
M. Hugues Hiltpold. Je renonce.
La présidente. Très bien. Je passe donc la parole à M. Pascal Pétroz.
M. Pascal Pétroz (PDC). Juste quelques brèves explications au sujet de cet amendement. Cet amendement présenté pour l'article 5 a pour objectif de rendre la loi plus compréhensible. Comme M. Olivier Jornot l'a bien relevé tout à l'heure, le fait de dire «les textes traduits spécifiquement dans une langue étrangère » ne veut pas dire grand chose et ce n'est pas d'une clarté absolument parfaite. Il s'agit de dire que les textes rédigés initialement dans une langue étrangère ne sont pas soumis à l'article 3. Ce qui veut dire que, en d'autres termes, quand on a des documents qui viennent d'ailleurs, l'on n'est pas obligé de les traduire et qu'ils peuvent être inclus tels quels dans les débats et dans le travail des institutions visées à l'article 2 de la loi. Il s'agit d'un amendement de pure forme qui vise à concrétiser de manière plus adéquate l'objectif des auteurs du projet de loi.
M. Jean-Michel Gros (L). J'ai envie de vous dire: ça suffit ! (Brouhaha.) J'avais cru que c'était un poisson d'avril, cette loi, je vous le dis franchement ! Nous allons peut-être voter cet amendement, mais il est encore moins compréhensible que la version originale, ce qui fait que le français, là-dedans, vous avouerez qu'il est bien malmené dans le projet de loi même qui veut défendre cette langue. Je croyais que nous plaisantions. Nous avons beaucoup ri, nous sommes rentrés du repas - les séances de 20h30 sont en général assez amusantes - mais je me dis qu'à un moment donné il faut arrêter ! (Brouhaha.) Alors je vous demande de réfléchir deux minutes à la portée d'une telle loi. Je vous demande de la relire attentivement, de voir qu'elle inclut les Universités alors que les HES n'y figurent pas. Rien n'est complet là-dedans ou tout est trop circonscrit. Soit on arrête la plaisanterie, soit nous continuons à nous tourner en ridicule. Nous pouvons continuer ce jeu-là, mais j'espère bien que tout le monde ne participera pas au vote.
La présidente. Je vais vous faire voter l'amendement à l'article 5.
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 40 oui contre 10 non et 19 abstentions.
Mis aux voix, l'article 5 ainsi amendé est adopté.
Mis aux voix, l'article 6 est adopté.
La présidente. Le troisième débat est-il demandé ? (Brouhaha.) Le Bureau, à l'unanimité, demande le troisième débat. (Huées et applaudissements.)
Troisième débat
La présidente. Nous sommes en troisième débat et je vous faire voter ce projet de loi.
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'article 1.
La présidente. Nous sommes saisis de deux amendements à l'article 2. Un premier amendement est présenté par M. Patrice Plojoux. En voici la teneur: «des institutions soumises à cette loi, il faut retirer l'Association des communes genevoises». (Rires et brouhaha.)
M. Patrice Plojoux (L). Le titre de ce projet de loi parle bien de la défense, plutôt de la promotion de la langue française au sein des services publics. Or, l'Association des communes genevoises est une association de droit privé et il sera très difficile de faire respecter cette loi par l'Association des communes genevoises. Dans ce cas, il faudrait que l'ensemble des associations de droit privé soit également soumis à cette loi.
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Alain Meylan. Il renonce. La parole est à M. Weiss. Vous aviez demandé la parole ? (Réponse inaudible de l'intéressé.) Alors nous n'y sommes pas encore. Nous allons donc voter l'amendement qui propose de retirer l'Association des communes genevoises de la liste des institutions soumises à la loi.
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 44 oui contre 13 non et 8 abstentions.
La présidente. Je passe au deuxième amendement, qui concerne aussi l'article 2. «Il s'agirait de biffer l'Université et d'ajouter le Grand Conseil.» Monsieur Weiss vous avez demandé la parole, je vous la passe.
M. Pierre Weiss (L), rapporteur de majorité. En ce qui concerne l'Université, j'ai dit tout à l'heure que des cours de troisième cycle avaient lieu en anglais. Afin d'éviter tout problème d'interprétation de la loi, je crois qu'il est nécessaire, et pour tenir compte également de son autonomie, de soustraire l'Université à l'application de cette règle.
En ce qui concerne d'autre part le Grand Conseil, et compte tenu notamment de l'amour pour la langue française orale et écrite manifestée par le MCG, je crois qu'il convient de soumettre aussi bien le MCG que le Grand Conseil à l'application de cette loi.
M. Christian Brunier (S). L'amendement sur l'Université n'est pas acceptable. Je le redis ! Monsieur Weiss, pour l'intérêt des débats, ce serait bien que les gens s'écoutent ! Le projet de loi n'interdit bien entendu pas les cours en anglais ou dans d'autres langues, c'est évident. Vous ne trouverez pas un article de ce projet de loi qui interdise ça. Des réunions internes de l'administration ne sont pas des cours de l'Université. C'est évident. Le règlement d'application pourra clarifier cela si vous le voulez. C'est sûr.
Par contre, supprimer l'Université de la liste des institutions soumises à cette loi, ça ne va pas du tout ! Parce que s'il y a une institution qui abuse aujourd'hui de l'anglais à toutes les sauces, pour des publications qui pourraient être faites en français, c'est bien l'Université ! Je vous l'ai dit, HEC s'amuse continuellement à sortir des programmes rédigés en anglais pour des cours donnés en français et en français uniquement. Quelle est la cohérence de ceci, à part une sorte de frime, une manière de frimer actuellement trop présente dans l'Université ? Je suis désolé, mais quand l'Université donne des cours en français, le programme doit être en français !
Arrêtons d'utiliser l'anglais à toutes les sauces. Pour les cours en anglais, il n'y a pas de problème et ce projet de loi n'interdit pas ceci. Pour les cours en français, faisons de la communication en français !
M. Roger Deneys (S). Mon avis est légèrement nuancé. Je pense que M. Weiss est plein de bon sens dans ses propositions d'amendement. Il paraît évidemment logique que le Grand Conseil soit soumis aux lois qu'il vote pour l'ensemble de la République, comme je l'ai relevé tout à l'heure. En ce qui concerne l'Université, j'aimerais quand même attirer votre attention sur le fait qu'il y a des disciplines, notamment scientifiques, dans lesquelles il y a des termes qui sont utilisés en anglais ne serait-ce que parce qu'ils sont de création récente et d'un usage qui ne dure pas forcément de nombreuses années. Quelque part, c'est relativement ridicule de les traduire pour un usage qui va peut-être durer le temps d'une approche scientifique, donc pas forcément des décennies... (Bavardages dans la salle. La présidente agite la cloche.)
La présidente. Je vous demande de respecter les personnes qui s'expriment. Je peux imaginer que vous trouviez ce débat un peu longuet, auquel cas il vous faut peut-être changer d'air un moment.
M. Roger Deneys. Merci, Madame la présidente. En ce qui concerne l'Université, j'insiste là-dessus, ce n'est pas le fait qu'il y ait des cours en anglais qui pose problème dans la loi, c'est le fait que des enseignements universitaires, notamment scientifiques, utilisent des termes anglais, à bon escient et pas à tort et à travers. Il ne faut pas confondre la publicité avec la recherche et, franchement, c'est appauvrir le monde scientifique et universitaire genevois que de voter l'application de cette disposition pour l'Université.
La présidente. Je vous signale que je suis saisie d'un nouvel amendement qui consiste à biffer le pouvoir judiciaire des institutions soumises à cette loi. Je vous avertis que nous voterons séparément sur ces trois propositions différentes.
Mme Véronique Pürro (S). Alors: trois socialistes, trois avis différents ! (Brouhaha dans la salle.)
La présidente. S'il vous plaît ! Vous écoutez notre collègue qui s'exprime ou alors vous allez dans une autre salle.
Mme Véronique Pürro. Je disais que trois avis socialistes s'enchaînent et sont un peu différents les uns des autres. Personnellement, je suis plutôt opposée à cette loi. Je m'abstiendrai évidemment pour ne pas voter différemment de mon groupe. Mais s'il y a un endroit, et là je partage totalement les propos de M. Brunier, où cette loi a un sens, c'est bien à l'Université. Il n'y a qu'à regarder comment évoluent les choses dans cette institution: les titres sont délivrés en anglais et les publicités faites à l'extérieur le sont en anglais, comme l'a indiqué mon collègue précédemment. De plus en plus, les enseignants qui ne maîtrisent pas cette langue sont écartés des débats, des discussions ou des missions à l'extérieur, y compris en Suisse. Quand un professeur d'Université est invité à s'exprimer, il n'a plus besoin de savoir l'allemand, mais plutôt l'anglais, et là je crois qu'on assiste effectivement dans cette institution à une dérive qu'on ne voit nulle part ailleurs. Je voterai contre cette demande d'amendement... (Brouhaha.)
La présidente. S'il vous plaît ! Je vous demande de respecter la parole des personnes qui s'expriment. Je vous remercie.
Mme Véronique Pürro. Je ne sais pas si le match qui se donne à la télévision de la buvette est retransmis en anglais, en espagnol ou en portugais, mais j'invite mes collègues qui ne sont pas intéressés par cette discussion à aller suivre cet autre genre de débat... (L'oratrice est interpellée.) Excusez-moi ! Comment ? Je ne suis pas toujours...
La présidente. S'il vous plaît, je souhaiterais que nous avancions, nous devons encore poursuivre notre ordre du jour et j'aimerais bien qu'on termine relativement rapidement. (Le silence se fait.)
Mme Véronique Pürro. Aaah ! C'est vrai que cela fait un moment que l'on discute de ce sujet, mais je crois qu'il est suffisamment important pour qu'on y consacre une heure ou deux. Parce que, si la loi est adoptée, ce qui risque bien d'être le cas, j'imagine que tout ce que nous aurons dit ne sera pas inutile pour son interprétation. C'est une loi importante qui risque quand même de changer considérablement les choses, si elle est appliquée comme elle devra l'être. Donc, les personnes qui ne sont pas intéressées par la discussion n'ont qu'à se déplacer à la buvette. En passant, je vous remercie vivement pour la manière dont vous présidez les travaux, Madame la présidente, parce que contrairement au président actuel... (Huées.) Ce n'est pas le débat, mais je saisis l'occasion d'avoir la parole pour le souligner, parce qu'on a un peu tendance, avec notre président, à être traité au pas de charge, comme du bétail. Je dois dire que c'est très agréable avec vous, Madame la présidente, parce que, non seulement on a le droit à la parole, mais les travaux avancent de manière rapide et claire.
La présidente. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à Mme Michèle Künzler.
Mme Michèle Künzler (Ve). J'aimerais juste demander que l'on repense à un renvoi en commission. Le débat s'enlise; il y a beaucoup d'amendements proposés et il y a visiblement une majorité pour adopter cette loi. Je n'en fais pas partie. Pour adopter une loi claire, qui soit vraiment applicable, il faut l'étudier en commission, et ce n'est pas ici qu'on le fera. Je vous propose donc de revoter sur un renvoi en commission, parce que c'est vraiment quelque chose de confus pour l'instant. On peut soit faire n'importe quoi soit rédiger une loi qui puisse s'appliquer ! Je vous propose de faire une loi applicable, si vous êtes majoritaires. Merci ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Madame la députée. Je souhaiterais savoir dans quelle commission vous souhaitez renvoyer ce projet de loi ? (Réponse inaudible.) Je vais passer la parole à M. Nidegger sur le renvoi en commission de l'enseignement.
M. Yves Nidegger (UDC). Le débat a quelque chose d'assez surréaliste, ce soir. Si une majorité devait accepter cette loi, la seule chose qui est certaine, c'est que la loi serait mauvaise ! Ceux qui nous regardent sur Léman Bleu doivent se poser des questions quant à leur prochain vote ! Sur une question qui peut effectivement avoir un impact sur la vie d'un peu tout le monde, on a, au gré des humeurs, des institutions qui seraient ou pas soumises à une loi, qui obligerait à parler une certaine langue, dont on n'est par ailleurs pas tout à fait sûr de son contenu. L'Université, par exemple, au nom d'un principe tout simple qui est celui de la liberté académique, ne peut évidemment pas être soumise à une telle règle. Que dire des facultés de langues ? On a parlé du pouvoir judiciaire qui s'exprime assez fréquemment, y compris dans ses jugements, avec des locutions latines et qui ne pourrait plus le faire. Tout cela démontre que l'on doit, comme ma préopinante l'a proposé, renvoyer ce projet en commission, pour qu'on puisse en débattre de manière sérieuse, ce qui n'est pas le cas ce soir. La commission de l'enseignement paraît effectivement adaptée.
M. Christian Brunier (S). Mesdames et Messieurs les députés, au soir des dernières élections, il y avait au moins une chose qui nous rassemblait, c'était de dire que nous avions entendu le message des électeurs et électrices qui avaient l'impression que dans ce parlement on ne travaillait pas toujours d'une manière sérieuse, qu'il y avait beaucoup de manoeuvres dilatoires pour essayer de ne pas aboutir à un vote, quand cela dérangeait un groupe. Ce soir, nous retombons dans le même cas de figure. Une majorité a maltraité ce projet de loi en commission en se disant qu'il n'y avait aucune chance que cette loi recueille une majorité en plénière. Maintenant, d'un seul coup, choc de la plénière: une majorité se dessine ! Et la minorité de ce soir, qui a maltraité cette loi en commission, aligne maintenant les manoeuvres dilatoires, en présentant une série d'amendements qui ne tiennent pas la route. Vous le savez très bien et M. Gros est en train de s'en amuser. Vous proposez des renvois en commission alors que vous n'avez pas voulu, en commission, travailler sur ce projet de loi.
Je m'excuse, mais ce que vous avez reproché, notamment à l'Alliance de gauche, vous êtes en train de faire la même chose ce soir ! On avait commencé ce début de législature dans une ambiance un peu différente, où malgré nos différences idéologiques majeures, on était au moins capable de travailler en plénière, de s'écouter et de ne pas faire trop de manoeuvres dilatoires.
Aujourd'hui, nous retombons dans tous les travers de la dernière législature. Je trouve cela scandaleux et je pense que le message des électrices et électeurs n'a pas été écouté très longtemps. Je vous demande maintenant de refuser le renvoi en commission et de voter ce projet de loi tout de suite. (Applaudissements.)
M. Jacques Jeannerat (R). Visiblement, la commission qui a étudié ce projet de loi dans un premier temps est peut-être allée un peu vite. Preuve en est le débat que nous avons ce soir. Un nombre d'amendements aussi nombreux dans un troisième débat... (Il est interrompu.) Mais je veux bien croire, Monsieur Brunier, qu'il y a peut-être des effets dilatoires de la part de certains ! A titre personnel, je suis favorable à ce projet de loi, mais en l'état je pense qu'on fait un mauvais travail ! Il faut que ce projet de loi retourne en commission, par exemple celle de l'enseignement, c'est l'avis de tout le groupe radical.
Mme Janine Hagmann (L). C'est un peu dommage que nous donnions aux téléspectateurs de Léman Bleu, ce soir, cette image d'un groupe de personnes qui n'agissent pas de façon responsable. Monsieur Brunier, s'il vous plaît, vous me laissez parler, vous êtes gentil ! Je pense que nous devons agir avec une certaine dignité.
La situation vécue est effectivement assez amusante parce que ce projet de loi a été traité presque par dessus la jambe par la commission des finances. Moi-même, qui suis présidente de la commission de l'enseignement, je me suis moquée de mes camarades de groupe qui ont voulu discuter ce projet de loi à la commission des finances, en leur disant: «A la commission des finances, vous voulez toujours tout accaparer !» Manifestement, ce n'était pas un sujet pour la commission des finances ! S'il vous plaît ! C'est la commission de l'enseignement qui doit travailler sur ce projet de loi. La commission de l'enseignement a étudié beaucoup de sujets qui lui sont proches. Je l'ai dit dans mon intervention antérieure: il y a des bonnes idées dans ce projet de loi - elles pourraient être reprises - mais le projet en soi n'est pas bon. M. Mettan, rapporteur de minorité, proposait, c'est en gras dans le rapport de commission, de transformer le projet de loi 9592 en motion au vu de la tournure des débats. Ensuite, dans le même rapport on nous dit que l'entrée en matière a été refusée par 9 voix contre 3. Vous vous rendez compte ? C'est quand même quelque chose qui n'est pas tout à fait normal ! Cela montre bien qu'il manque une étude sur ce sujet, maintenant. Montrons une fois que nous sommes raisonnables et arrêtons ces petites bagarres dont la population n'a que faire ! Je crois que la raison veut maintenant que nous renvoyions ce débat en commission.
J'en ai parlé en venant ce soir, par hasard, avec M. Hiler. M. Hiler me disait que le Conseil d'Etat n'en a pas besoin, de ce projet de loi. Le Conseil d'Etat sait qu'il doit utiliser des termes français ! Alors bon, vous voulez absolument légiférer ? Mais si nous voulons légiférer, ce que moi je ne trouvais pas utile, faisons-le comme il faut, s'il vous plaît ! Suivez-nous et renvoyez ce projet de loi à la commission de l'enseignement.
La présidente. Je vais vous faire voter sur le renvoi à la commission de l'enseignement.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9592 à la commission de l'enseignement et de l'éducation est adopté par 41 oui contre 33 non et 4 abstentions.
Premier débat
M. Pierre Kunz (R), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente... (La présidente fait tinter sa cloche.)
La présidente. S'il vous plaît ! S'il vous plaît !
M. Pierre Kunz. Eh bien ! Dans le climat de franche camaraderie, franco-, sénégalo-, québéco-genevoise qui règne ce soir, je vais prendre la liberté de répondre à ceux qui, hier soir, au sujet des deux projets de lois précédents, m'accusaient de n'avoir pas tenu compte des gens que nous avions auditionnés en commission. Pour cela j'aimerais simplement, en toute sérénité puisque ce soir l'ambiance est bonne, lire mon rapport afin que les gens qui me reprochaient cela et dont je ne me souviens plus du nom se rendent compte qu'ils n'ont pas bien lu le rapport en question. Je cite. «La majorité de la commission était évidemment peu encline à entrer en matière...» (Brouhaha. L'orateur s'interrompt.) Un petit coup de cloche, Madame la présidente ? (La présidente agite sa cloche.) Merci, vous êtes bien aimable. (Il reprend la citation.) «La majorité de la commission était évidemment peu encline à entrer en matière sur des textes rédigés dans la précipitation, sans cohérence entre eux et ne s'inscrivant absolument pas dans la politique genevoise suivie en matière fiscale et économique. Mais...» et ça c'est important pour mes interlocuteurs d'hier soir, «...étant donné la gravité de la situation du chômage à Genève, cette majorité a finalement accepté de procéder aux onze auditions listées plus haut. Sans enthousiasme, certes, et sans illusion...» Et là j'aimerais un tout petit moment de silence pour me dédouaner auprès de vous, Mesdames et Messieurs... (La présidente agite sa cloche. L'orateur reprend sa citation.) «...sans illusion puisque, moins d'un an auparavant, tous ces acteurs avaient déjà apporté leur contribution lors des travaux de la commission relatifs à la réforme de la loi cantonale sur le chômage.» Toutes ces auditions ont fait l'objet d'un excellent rapport de mon collègue Pierre Weiss que vous avez tous certainement en mémoire.
Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, je me suis permis dans les deux premiers projets de lois de ne pas reprendre la totalité des auditions. J'espère qu'ainsi vous voudrez bien remettre les choses en l'état. Mais vous aurez constaté que dans le projet de loi qui nous occupe maintenant, le 9624, j'ai cité les propos des personnes auditionnées, qui soit avaient un éclairage différent à amener à la discussion soit voulaient souligner leurs points de vues. D'où la liste des, une, deux, trois, quatre citations que vous trouvez dans le rapport de majorité relatif à ce projet de loi. Je voulais profiter de l'occasion de ce projet de loi qui fait un peu penser à des mémoires d'outre-tombe puisqu'il a été rédigé par des personnes qui ne sont plus ici, mais je n'ai pas l'intention de commenter le rapport de minorité au-delà.
La présidente. Je passe la parole à M. Deneys qui, je pense, remplace M. Pagani.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité ad interim. Je ferai le «Pagani» de ce rapport. Je ne sais pas si c'est dans le dictionnaire de l'Académie française, mais on pourrait le rajouter pour l'occasion. Ce projet de loi avait été déposé par mes collègues de l'Alliance de gauche dans le but de favoriser l'engagement de chômeurs par les entreprises qui font des bénéfices de plus de 1 million de francs, notamment en obligeant ces entreprises à financer des emplois temporaires. Les socialistes n'ont pas forcément la même vision que l'Alliance de gauche qui considère que les bénéfices sont immoraux et qu'il faudrait les interdire ou les supprimer. Toutefois, il est vrai qu'il y a un problème dans notre société quand des entreprises, notamment des grandes entreprises, font des bénéfices importants et, alors qu'elles font des bénéfices, procèdent à des plans sociaux et licencient des personnes parce qu'elles disent vouloir anticiper. Evidemment, c'est le grand mot en économie: anticiper. On anticipe une évolution des marchés, on anticipe sur une concurrence qui va se développer. Evidemment, cela se fait sur le dos des personnes qu'on emploie: on rationalise, on supprime, on délocalise. Les socialistes, même s'ils ne partagent pas exactement le point de vue de l'Alliance de gauche, estiment que c'est problématique et qu'on ne peut pas accepter cela dans une société comme la nôtre, à Genève, où nous avons, il faut le rappeler, plus de 20 000 personnes sans emploi alors que de nombreuses entreprises font des bénéfices de plus de 1 million de francs.
M. Pagani, dans son rapport de minorité, l'a très bien relevé. En 2003, 596 personnes morales ont fait un bénéfice imposé de plus de 1 million de francs, alors que ce nombre d'entreprises n'était que de 371 en 1996, moins de 10 ans plus tôt. On peut donc considérer avec raison que ces entreprises devraient contribuer à la lutte contre le chômage, même modestement. Ce que déplorent ici les socialistes, ce n'est pas le refus de ce projet de loi tel qu'il a été formulé par l'Alliance de gauche, c'est le fait que la commission de l'économie, après de nombreuses auditions, n'ait pas accepté d'entrer en matière. Pour nous, ce n'est pas forcément sous cette forme que ce projet de loi aurait dû être adopté, notamment parce que plusieurs personnes auditionnées ont relevé que le projet de loi serait très difficile à appliquer, ou que la loi ne proposait pas forcément la méthode optimale pour toucher les entreprises. Il n'empêche que le problème reste posé. Comme il se pose à la Boillat aujourd'hui, avec Swissmetal. Nous avons là des entreprises qui font des bénéfices et qui cherchent à faire des bénéfices supérieurs encore, en se débarrassant des personnes qui ont du travail. Et ça, ce n'est pas acceptable dans notre société, notamment parce que cela crée des différences importantes par rapport au niveau de vie des uns et des autres. Les socialistes déplorent qu'on n'ait pas refait une étude plus poussée et qu'on n'ait pas pu faire des amendements, pour voir comment on pouvait toucher ces entreprises qui réalisent des bénéfices importants.
J'aimerais revenir sur les propos initiaux de M. Kunz et sur son rapport. Certes, Monsieur Kunz, vous avez dit des choses, mais j'aimerais quand même insister sur le fait qu'un rapport de commission doit essayer de relater les propos des différentes personnes auditionnées, même si elles ont déjà été entendues dans un autre cadre. C'est important parce que ces personnes sont auditionnées pour répondre à des questions sur des projets spécifiques, en général un projet de loi. Il est important d'entendre leurs réponses, qu'elles vous plaisent ou qu'elles ne vous plaisent pas. Encore une fois, Monsieur Kunz, vous avez le droit de ne pas penser comme moi; vous avez le droit de penser que ces projets de lois sont inutiles et incohérents. Seulement, dans un rapport, vous avez la possibilité d'exposer les travaux de la commission, si possible objectivement, par exemple en mettant des italiques pour vos citations et vos jugements de valeur. Parce que ce qui restera dans la mémoire de ce Grand Conseil, c'est, je dois le dire, un rapport franchement pas très fourni, pour un sujet qui concerne plus de vingt mille personnes à Genève, et ça, c'est regrettable.
M. Edouard Cuendet (L). On peut regretter une chose dans ce rapport, et en cela je suis d'accord avec M. Deneys, c'est qu'il ne contient pas l'exposé des motifs. Parce que, dans l'exposé des motifs, les initiateurs du projet s'en prennent directement et nommément à deux secteurs, le secteur bancaire et l'horlogerie, en les accusant des pires turpitudes possibles. Je cite d'ailleurs la conclusion de l'exposé des motifs qui, pour le secteur bancaire, vous fera peut-être sourire. «Les responsables de ces entreprises doivent embaucher du personnel en respectant les conventions collectives, si elles existent, avec des contrats de durée indéterminée et des salaires qui permettent de vivre décemment dans le canton.» Ces deux secteurs florissants engagent beaucoup de monde et il paraît totalement scandaleux et irresponsable de les stigmatiser de la sorte. Donc, le PL 9624 propose une augmentation d'impôt massive pour punir les entreprises les plus dynamiques du canton, qui sont non seulement les plus gros contribuables, mais aussi les plus gros employeurs à l'heure actuelle.
Pour mémoire, ça intéressera peut-être ce parlement, selon les derniers chiffres de l'OCSTAT, l'horlogerie et le secteur bancaire fournissent déjà 46% de l'impôt sur le bénéfice perçu par le canton. De plus, parmi les 20 plus gros employeurs du canton, on trouve huit groupes bancaires et trois horlogers, ce qui fait déjà plus de la majorité. A cela s'ajoute qu'en 2005 c'est le secteur horloger qui a créé le plus d'emplois à Genève. Donc, si par le plus grand des hasards et par impossible, le Grand Conseil venait à entrer en matière sur cette loi, quel signe donnerait-il à ces deux secteurs, les plus dynamiques, les plus gros employeurs et les plus gros pourvoyeurs d'impôts ? En plus, ce qu'il ne me paraît pas non plus inutile de rappeler, c'est qu'en matière de fiscalité des personnes morales Genève est en queue de peloton en Suisse. Seul le canton des Grisons a une fiscalité plus défavorable pour les entreprises que Genève, dans la moyenne suisse. Cette loi est absolument inique puisqu'au fond elle veut punir les employeurs qui sont les plus gros contribuables, qui embauchent le plus et qui créent le plus d'emplois avec la plus grande valeur ajoutée. En conséquence, je vous invite à ne pas entrer en matière sur le PL 9624 et à le rejeter.
M. Gilbert Catelain (UDC). Je suis étonné qu'un groupe - qui se dit pour une caisse maladie unique en Suisse, pour une prime maladie unique, pour la garantie d'une équité de traitement entre tous les cotisants - puisse se prononcer pour des impôts sur le bénéfice différents au niveau suisse. Avec la même logique, on pourrait prendre en considération le taux moyen suisse d'imposition et, à ce moment-là, il faudrait baisser l'impôt sur les entreprises et sur le bénéfice des entreprises. Donc, il y a quelque chose que je ne comprends pas, quand on sait que le principal argument pour inciter des entreprises à s'implanter dans ce canton, notamment dans le secteur tertiaire, c'est encore l'aspect fiscal.
Toutefois, ce n'est pas ce qui nous dérange le plus dans ce projet de loi. D'une part et essentiellement, il vise non pas forcément, en tout cas pour les initiants de l'Alliance de gauche, à uniquement augmenter la contribution des entreprises à la fiscalité. Il s'agit aussi d'affecter cet impôt à la création d'emplois temporaires. Je ne suis pas sûr que ce soit le but du parti socialiste et de M. Deneys en particulier, dont je me souviens que, lors d'une édition de la course de l'Escalade des députés, il s'était empressé de découper le symbole du sponsor qui se trouvait sur son dossard. Ceci explique clairement pourquoi M. Deneys s'est empressé de reprendre ce rapport de minorité: parce qu'il est antibanque, tout simplement.
Une voix. Comme Tornare !
M. Gilbert Catelain. Revenons-en aux emplois temporaires. Qu'a dit le professeur Flückiger lors de son audition ? Il a dit une chose et tout le monde était d'accord, car il n'y a pas un commissaire qui a relevé cette déclaration de M. Flückiger. Il a dit que les emplois temporaires ne permettaient pas d'intégrer les chômeurs, ne permettaient pas de les remettre sur le marché du travail. Il l'a dit et, dans une précédente législature, il y a eu une sorte d'accord magnifique au Grand Conseil entre les différents partis pour vouloir un traitement social du chômage. Tout le monde savait que ce projet engendrerait des effets pervers et que jamais il ne permettrait aux chômeurs de réintégrer le marché du travail. Cela, le professeur Flückiger l'a dit et M. Deneys, qui était dans la commission, ne l'a pas contesté. Donc, la position du groupe socialiste ce soir n'est pas de vouloir financer des OTC dont ils savent très bien qu'ils ne servent à rien. Le but est uniquement fiscal et vise à augmenter les recettes fiscales de l'Etat, et je crois qu'il faut effectivement dire ce qu'il en est. Ce projet de loi est inique. Le but visé par le groupe socialiste est malsain et trompeur. Pour ce motif, je vous propose de suivre le vote de la commission et de refuser ce projet de loi.
M. Alberto Velasco (S). J'aimerais dire à M. Catelain que c'est plutôt son discours qui est malsain. Je vais vous dire pourquoi votre discours est malsain. Parce que si vous avez lu le projet de loi, Monsieur Catelain, on ne parle pas ici d'emplois temporaires. Si vous avez lu le projet de loi... (L'orateur est interrompu par M. Catelain.)
La présidente. C'est à M. Velasco de parler, Monsieur le député.
M. Alberto Velasco. On est encore en démocratie, Monsieur Catelain ! Ce projet ne concerne pas uniquement les emplois temporaires, il concerne les chômeurs en général ! Il ne sert donc à rien de faire un procès d'intention à ce projet de loi.
Revenons au sujet ! Mesdames et Messieurs les députés, j'ai entendu l'exposé de notre ami Cuendet. Je dis «ami» entre guillemets, évidemment, dans le cadre de ce débat. Il est vrai que la philosophie du projet de loi est problématique. Je suis d'accord avec le fait que, quand une entreprise a simplement besoin de x personnes pour satisfaire ses besoins de production, il ne faut pas l'obliger à employer x+3 ou x+50 personnes. Les banques peuvent bien licencier des personnes par dizaines ou par centaines, si elles n'ont pas besoin de ces personnes. On ne va pas obliger une entreprise à employer plus de personnes qu'elle n'en a besoin. Là, on est d'accord ! Vous voyez jusqu'où je vais !
Par contre, que propose le projet de loi ? Ces mêmes personnes morales qui licencient des personnes et font que c'est l'Etat qui devra s'en occuper ensuite, par le biais de l'Hospice général, de l'office cantonal du chômage, ou même de l'Hôpital pour soigner les dysfonctionnements conséquences de la situation de ces gens. Madame, vous n'avez pas besoin de rire, le sujet est suffisamment grave. De telles situations engendrent des coûts importants pour la société et puisque les entreprises licencient des gens, qu'elles participent donc aux coûts sociaux ! Il est vrai que cette loi englobe un projet fiscal, un projet de redistribution. En réalité, ce projet est juste. On peut discuter des conditions de son application, de l'importance de la place financière suisse, des banques qui vont s'écrouler, des dizaines et des dizaines de chômeurs qu'il y aurait en plus. Mais on ne peut pas tout avoir: on ne peut pas licencier des gens comme on veut, payer le moins d'impôts possible et demander à l'Etat ensuite de s'occuper des conséquences de cette attitude en finançant le chômage. Il y a là un problème. Soit vous demandez à l'Etat de garantir et financer une protection sociale aux gens sans emploi, mis au rebut par l'économie, et, dans ce cas, vous donnez à l'Etat les moyens de le faire. Et les moyens de l'Etat, c'est l'impôt. Soit, dans le cas contraire, vous assumez la charge de ces personnes: vous payez moins d'impôts, vous gardez vos bénéfices, mais vous vous occupez de ces gens-là.
Que dit en outre ce projet de loi ? Il s'appliquerait à partir de 1 million de francs de bénéfice. En plus, le projet propose de dégrever la fiscalité des entreprises qui auront engagé un certain nombre de chômeurs ou de personnes d'un certain âge. C'est cela que dit le projet de loi ! Je veux bien que vous discutiez le projet de loi sur le fond, mais pas que vous le discréditiez comme vous le faites. Vous ne l'avez même pas lu ! Cette attitude ne me surprend pas, venant des gens de l'UDC, car à la limite je ne sais même pas s'ils comprendraient le projet, s'ils le lisaient ! Pour les autres, pour les libéraux, attaquez le projet de loi sur le fond ! Là, il est toutefois inattaquable. En ce qui concerne son application, Monsieur Cuendet, on pourra peut-être discuter, mais sur le fond je ne peux qu'être d'accord avec la philosophie défendue par ce projet. Le soutien du parti socialiste à ce projet de loi n'est pas aussi incrédule que vous le pensez, il est bien réfléchi.
M. Georges Letellier (Ind.). Je pense que nous sommes placés devant un dilemme. D'un côté, vous voulez imposer les sociétés qui font plus de 1 million de francs de bénéfice, en particulier dans l'horlogerie alors que c'est dans ce secteur qu'il ne faudrait surtout pas faire de bêtises. Il ne faut pas tirer sur l'ambulance: l'horlogerie, on en a besoin ! Elle crée des emplois, elle promeut l'image de marque de la Suisse et de Genève et je pense qu'il faut laisser ce secteur tranquille. Par contre, en ce qui concerne les banques, j'ai une autre opinion. Je serais d'accord que l'on impose les bénéfices spéculatifs des banques et des privés ! Parce qu'aujourd'hui le grand mal de notre société est celui-là: nous n'investissons plus dans l'économie, nous investissons uniquement pour faire des profits et même des «superprofits». Cela ne peut plus durer et le monde ne peut pas tourner comme ça. Je propose qu'on renvoie cette loi et qu'on la change peut-être, car il y a quelque chose à faire du côté des banques.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité ad interim. Pour répondre brièvement à M. Catelain, effectivement, il y a des banques, telles que l'UBS, que je n'aime pas forcément beaucoup, pour différentes raisons dont notamment son passé en Afrique du Sud durant l'apartheid. (Huées.) Monsieur Catelain, je suis actionnaire d'une banque et j'en suis très fier: il s'agit de la Banque alternative, qui a une politique transparente, qui fait des placements éthiques et qui défend le tissu économique local de proximité.
Je pense qu'en l'occurrence M. Letellier a quand même dit quelque chose de très juste, aujourd'hui. On a un problème: l'économie de l'argent pour l'argent et l'économie réelle comme l'industrie, ce sont deux choses très différentes.
Nous, les socialistes, nous ne sommes pas opposés aux bénéfices. Simplement, quand on fait plus de 1 million de francs de bénéfice, la question se pose de savoir si on peut contribuer à lutter contre le chômage, alors qu'il y a plus de 20 000 personnes au chômage. C'est ça la question ! Je rappelle les taux proposés par le projet de loi à M. Cuendet. Pour un bénéfice situé entre un et deux millions de francs, le taux appliqué passerait de 10% à 10,5%. On ne peut pas dire qu'on assassine les bénéfices. Peut-être qu'on pourrait discuter de l'application de la loi; cela a été relevé tant par les milieux syndicaux que patronaux: dans sa forme actuelle, ce projet de loi n'est que très difficilement applicable. Par contre, nous, socialistes, regrettons que l'on ne cherche pas un mécanisme qui organise la contribution des gros bénéfices à la lutte contre le chômage. Monsieur Catelain, une fois de plus, vous ne lisez pas bien les textes soumis. Le chiffre 2 de l'article 20A parle effectivement des emplois temporaires (ETC) en premier, mais il mentionne ensuite les stages, les allocations de retour en emploi (ARE) et tous les dispositifs existants. Je sais que vous n'aimez pas les ETC et c'est votre droit, mais soyez honnête: quand vous lisez un chiffre dans un projet de loi, lisez-le jusqu'au bout !
M. Gilbert Catelain (UDC). Admettons qu'on soit d'accord avec la loi elle-même. La valeur qui a été prise en compte pour déterminer comment et quand il faut que les entreprises participent fiscalement aux mesures d'indemnisation des chômeurs est, de mon point de vue, fausse. Pourquoi ? Considérons une entreprise de 40 000 employés, par exemple la Société générale de surveillance. Si elle fait 1 million de francs de bénéfices, elle sera proche de la faillite, ou en tout cas à la limite du déficit, si elle doit se soumettre à cette loi, contrairement à une entreprise qui n'emploierait que deux personnes. La base du raisonnement utilisé pour déterminer l'indemnisation n'est pas bonne. Prendre cette seule valeur du bénéfice comme base pour déterminer la contribution d'une entreprise à l'indemnisation des chômeurs est une erreur. Pour ce motif, seul le refus du projet de loi doit être envisagé.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité ad interim. Pour répondre à cette dernière remarque, c'est bien pour cela que nous, socialistes, nous n'étions pas forcément très chauds sur ce projet de loi, tel qu'il était formulé. Nous aurions souhaité une entrée en matière pour pouvoir l'amender. Votre remarque sur le bénéfice par employé est évidemment très pertinente, parce que ce n'est pas le bénéfice uniquement qui doit être déterminant. Il faut aussi prendre en considération le nombre de collaborateurs dans l'entreprise. Pour nous, cet aspect aurait dû être étudié en commission. Comme on l'a dit aussi, l'applicabilité de ce projet de loi tel quel semble trop questionnable. Toutefois, on peut imaginer et concevoir que les entreprises qui font d'énormes bénéfices contribuent à la lutte contre le chômage à Genève. Cela devrait même être un devoir moral.
M. Alberto Velasco (S). Je voudrais dire à M. Catelain que quand il débat comme ça, cela devient intéressant, voyez-vous. Je reprends l'exemple cité tout à l'heure. Vous dites qu'une entreprise de 40 000 employés serait à la limite de la faillite avec un bénéfice de 1 million de francs si elle était soumise à la loi. Non ! A la rigueur, elle serait dans une situation de «break even point»... (Commentaires.) C'est-à-dire à la limite du résultat zéro. Cela ne veut pas dire, Monsieur Catelain, qu'elle serait en faillite. Je suis d'accord avec vous qu'il serait injuste de taxer une entreprise qui fait un bénéfice de 1 million de francs. Le projet de loi prévoit une imposition à partir de 1 million de francs.
Une voix. Cela se négocie !
M. Alberto Velasco. Ce n'est pas la même chose ! Cela concerne les entreprises qui font 2, 3, 4, 5 ou 6 millions de francs de bénéfice. On ne dit pas qu'à partir de 1 million, on enlève tout. A partir de 1 million, on écrème seulement d'un ou deux pourcents. Ce n'est pas grand-chose. C'est cela que dit le projet de loi.
M. Pierre Kunz. Cela va être renvoyé en commission ! Arrête ! Toutes les caméras te filment.
M. Alberto Velasco. D'un point de vue idéologique, je comprends que vous soyez contre cela: idéologiquement, vous êtes contre tout impôt. Bon, mais derrière cela, il faut reconnaître un esprit de justice quand même, vis-à-vis des gens qui s'occupent des chômeurs. Il faut bien payer ces prestations. Avec quels moyens ? L'Etat n'a pas de mines ou de terres agricoles. Il n'y a qu'un moyen pour payer ces prestations, c'est l'impôt républicain. C'est le seul moyen à la disposition de l'Etat et ces messieurs-là, chaque fois que l'on décide de s'attaquer au problème, n'ouvrent même pas leur esprit au débat. L'applicabilité est peut-être problématique, mais, sur le fond, ce projet de loi a un sens, un sens social !
M. David Hiler, conseiller d'Etat. J'ai entendu et, je crois, compris les arguments des uns et des autres. J'ai en revanche, je m'excuse de vous le dire, les plus grands doutes que les arguments développés par M. Deneys et par M. Velasco s'appliquent exactement à ce projet de loi, cela pour plusieurs raisons.
Je crois qu'il faut repartir de quelques éléments factuels. A Genève, en 2005, les personnes morales ont versé 1 milliard de francs d'impôts. Lorsqu'ils peuvent comptabiliser une contribution des entreprises ascendant à 10% ou 12% de l'ensemble des impôts de leur canton, mes collègues de Vaud ou de Neuchâtel, considèrent déjà cela comme énorme. Chez nous, à Genève, la contribution totale des entreprises équivaut à 20% des impôts perçus par le canton. Les bénéfices des entreprises financent les prestations publiques à hauteur de 1 milliard de francs. Or, l'impression qui se dégageait du débat, c'était, qu'en somme les entreprises n'étaient pas des contribuables. Si, elles le sont ! C'est un premier élément.
Deuxièmement, je suis très surpris par la mise en cause de l'industrie horlogère. L'industrie horlogère, aujourd'hui, engage. Elle n'engage pas des chômeurs, peut-être, mais elle engage du monde. Pour le reste, je comprends parfaitement - et le Conseil d'Etat ne peut que comprendre in corpore - ce sentiment de l'absurdité d'un monde où on met au chômage des dizaines de millions de personnes et où, par derrière, il faut construire des systèmes sociaux coûteux et généralement inefficaces, pour non pas replacer, mais simplement permettre à ces personnes mises au chômage de survivre - car c'est souvent malheureusement juste de cela dont il s'agit.
Ce qui est certain dans le cas d'espèce, c'est que la réponse proposée n'est pas la bonne, quelles que soient les modifications proposées. Nous avons une chance extrême, je vous le redis. Je vois bien la différence entre Genève et Neuchâtel, quand je parle avec M. Studer. Nous avons la chance extrême d'avoir à notre disposition un chèque d'un milliard de francs permettant d'améliorer la capacité des personnes qui résident à Genève à retrouver un emploi, en renforçant leurs compétences, en améliorant leurs formations, en donnant des possibilités réelles d'obtenir un certificat de capacité pour celles qui n'en ont pas, et cela quel que soit leur âge. La question que vous avez posée déjà hier et à laquelle mon collègue Longchamp vous a répondu, je crois, portait sur ce que nous allions faire pour venir au secours de ceux qui aujourd'hui ne trouvent pas de travail, de ceux dont j'ai pu dire ici qu'ils étaient enfermés dans la cage de l'assistance. De quoi les pouvoirs publics sont-ils capables ? Sont-ils capables de développer des plans qui permettent d'agir efficacement, avec les sommes colossales qui sont investies aujourd'hui: 350 millions de francs rien que pour les emplois temporaires et l'aide individuelle fournie par l'Hospice. Sommes-nous capables de développer une politique qui permette à chacun de revenir sur le marché de l'emploi, dans une région où, contrairement à d'autres, des emplois se créent chaque jour ? Sommes-nous capables, avec un budget de l'instruction publique tout de même fort avantageux par rapport à une bonne partie du monde et, même par rapport à d'autres cantons suisses, de donner la formation qui permette à chacune et à chacun de nos jeunes d'être employable demain ?
En dernière analyse, - et c'est pour cela que ce genre de discussion m'inquiète toujours un peu - plutôt que d'imaginer toutes sortes de projets qui visent à augmenter une fiscalité pour finalement seulement subvenir aux besoins de plus de chômeurs, sommes-nous capables, en lieu et place de cela, de réinventer un partenariat social et de parler de ces enjeux avec les entreprises ? En ce qui les concerne, les banques - surtout les grandes, pour tout arranger, il faut quand même le dire - font partie des entreprises qui forment le plus de personnes. Tout simplement parce qu'elles sont de grande taille et qu'elles n'ont pas de problèmes par rapport aux différentes subtilités des lois sur l'apprentissage. Est-ce vraiment la voie qui est proposée là ? Non ! Je doute aujourd'hui, si l'on veut vraiment convaincre des entreprises de participer à la solution du chômage, si l'on veut lutter contre la stigmatisation des chômeurs, si l'on veut assurer un avenir aux jeunes, je doute que cela puisse se faire parle biais de ce type de projet de loi. Je pense bien plus certainement que cela doit se faire par une revitalisation des rapports entre l'Etat de Genève et les partenaires sociaux, non pas par le biais de toutes sortes de commissions, officielles ou non, mais bien en essayant de se fixer un projet pour Genève. D'autres pays l'ont fait, dans le Nord de l'Europe. Nous aussi, Monsieur Velasco, nous avons des moyens. La question est de savoir si nous affectons toujours ces moyens à juste titre. Je suis toujours scandalisé, comme homme de gauche, que l'on puisse dire que Genève manque de moyens. C'est une insulte au reste de la population du monde. Nous avons des moyens, nous devons trouver aujourd'hui les bonnes méthodes pour les utiliser et visiblement nous avons jusque là fait fausse route, y compris sur les emplois temporaires. Toutefois, comme vous, j'ai refusé et je refuse toujours que l'on abandonne cette solution tant que l'on n'aura pas trouvé mieux.
Maintenant, il s'agit - et c'est ce que mon collègue Longchamp vous a promis hier - de venir avec un projet qui permette une meilleure réinsertion des chômeurs, avec les mêmes millions si ce n'est même un peu plus, parce que c'est une priorité. De sorte à obtenir enfin des résultats et redonner espoir aux personnes privées de travail. Vous m'excuserez de vous le dire, le fait que nous taxions un peu plus les entreprises par-ci ou par-là, ce n'est pas ça qui redonnera aux chômeurs leur place dans la société, ni même ce qui leur redonnera espoir. Si jamais nous devions être amenés à demander plus d'impôt, ce ne serait pas pour l'une ou l'autre idée, ce serait plutôt pour améliorer les conditions-cadre des chômeurs; ce ne serait certainement pas sur un seul objet. Il est certain que nous avons aujourd'hui, en millions, les sommes nécessaires pour faire une bonne politique. Il est certain aussi que nous avons à Genève un tissu économique exceptionnellement vivant. Je crains parfois que ces polémiques - où les uns paraissent, je m'excuse de le dire, justifier l'injustifiable et les autres chercher des boucs émissaires à l'injustifiable - ne soient pas de nature à faciliter demain le partenariat social vivifié dont nous avons besoin pour résoudre nos problèmes. (Applaudissements.)
Mis aux voix, le projet de loi 9624 est rejeté en premier débat par 66 non contre 13 oui.
La présidente. Mesdames et Messieurs, l'ordre du jour appelle le traitement des RD 581 et 602, rapports de la commission de réexamen en matière de naturalisation. Ces points seront traités à huis clos.
La séance publique est levée à 22h10.
Le Grand Conseil continue de siéger à huis clos.
Ces objets sont clos.
La séance est levée à 23h25.