Séance du vendredi 2 décembre 2005 à 15h
56e législature - 1re année - 2e session - 6e séance

RD 567-A
Rapport de la commission des affaires communales, régionales et internationales chargée d'étudier le rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil concernant la politique régionale, transfrontalière et européenne
Rapport de M. Christian Brunier (S)

Débat

M. Christian Brunier (S), rapporteur. Je crois qu'une grande partie de ce parlement est très attachée à la politique régionale. Vous savez que le monde politique est de temps en temps précurseur d'une idée, mais, là, nous sommes plutôt suiveur, puisque la population régionale vit depuis des décennies de manière transfrontalière. Nous devons donc adapter les institutions et adapter la politique à ce qui se passe réellement au niveau de la population: les gens vivent au-delà des frontalières, c'est tant mieux et c'est vraiment l'avenir de notre région.

Il y a huit ans, le parlement avait engagé un certain nombre de dossiers au niveau transfrontalier, le CEVA notamment, à propos duquel le parlement, unanime en tout cas à l'époque, avait donné le ton. Le gouvernement avait un peu plus de peine à suivre: les relations transfrontalières étaient relativement faibles, les contacts entre les maires de communes, les conseillers régionaux, les responsables politiques suisses, français ou vaudois étaient relativement rares. Depuis la politique s'est accélérée - il faut bien dire que le Conseil d'Etat actuel a donné un sérieux coup d'accélérateur. Je vais mentionner quelques dossiers.

Aujourd'hui, au niveau des transports publics, de plus en plus de bus traversent la frontière - j'ai évoqué le dossier CEVA; une grande politique au niveau de la gestion de l'eau et des rivières s'est enclenchée entre la France voisine et Genève; la Maison de la formation à Annemasse est en train de se développer, Genève est impliquée dans des projets d'aménagement en cours autour de la gare d'Annemasse: une vraie dynamique s'est donc créée. Elle est, certes, encore insuffisante, et il faut la développer, mais je pense que l'on peut néanmoins adresser nos félicitations au gouvernement pour cette impulsion.

Je vous demande donc - et c'est l'avis de la commission - de prendre acte de ce rapport et de féliciter le gouvernement pour l'action qu'il a entreprise en politique régionale. C'est un début, il faudrait encore faire beaucoup. Il y a d'ailleurs un certain nombre de projets parlementaires pour, notamment, créer des institutions régionales, et ça c'est l'avenir. Il faudra encore du temps et de l'énergie, mais nous sommes sur la bonne voie.

M. Eric Leyvraz (UDC). L'UDC prend acte de ce rapport montrant l'amélioration des échanges transfrontaliers. Elle constate cependant que dans la réalité de tous les jours, si la Suisse applique scrupuleusement - et parfois avec zèle - les accords passés avec l'Union européenne, nos industriels, commerçants et producteurs qui veulent exporter leurs biens et services, ne serait-ce qu'en zone franche se heurtent encore trop souvent aux tracasseries et chicaneries administratives de notre grand voisin. Exemple: les paysans ne peuvent pas faire passer de bétail ailleurs qu'à Bardonnex. Si vous êtes un petit artisan français, vous rentrez avec une simple liste en passant par la douane, et on vous laisse tranquille; un artisan suisse a besoin d'un carnet ATA, il doit payer une caution, il doit disposer d'un numéro français de TVA, qu'il n'a évidemment pas, ce qui l'oblige à recourir aux services d'une fiduciaire et lui coûte de l'argent.

En ce qui concerne la viticulture, dont je suis un représentant, si vous voulez exporter ne serait-ce que cent bouteilles à cinq kilomètres de votre cave, c'est un tel parcours du combattant... (L'orateur est interpellé.) ... que Swiss Wine nous propose de passer par Bâle et l'Allemagne pour pouvoir exporter ces bouteilles.

C'est inadmissible, et l'UDC luttera pour que le commerce genevois obtienne le respect de ce qui relève tout simplement de son droit: une égalité de traitement.

M. Eric Stauffer (MCG). Nous saluons l'initiative pour une région et une régionalisation. Cependant, pour compléter ce que vient de dire mon collègue, nous aimerions attirer l'attention du gouvernement sur la réciprocité qui présente quelques lacunes: l'administration française, prétextant des problèmes d'ordre administratif et logistiques, est très réticente à appliquer la réciprocité, notamment en matière d'investissements. On parle du CEVA; c'est sûr que, dans le cadre d'un concept global de régionalisation, ce serait quelque chose de très bien. Sauf que nous avons entendu que la partie française n'entendait pas financer maintenant sa part, prétextant à nouveau des problèmes administratifs et je ne sais quoi d'autre.

Partant de là, il faut absolument dire à nos amis français qu'ils doivent jouer la carte de l'équitabilité, puisque nous sommes un peuple bon et discipliné et que nous respectons scrupuleusement les accords, ce qui n'est pas toujours le cas du côté français. J'en veux pour preuve les emplois: c'est sûr que, du point de vue économique, l'on voit mal travailler un ressortissant suisse dans l'administration française; néanmoins, il n'existe aucune réciprocité dans ce domaine, puisque l'obligation est faite pour un employé de l'administration française d'avoir la nationalité française. Nous voulons juste attirer l'attention du gouvernement pour qu'il exige la réciprocité dans tous les domaines et non pas seulement tout ce qui va dans le sens des Français. En ce qui concerne notamment les cours d'eau, les Français sont très intéressés, puisque cela va dans leur sens; en revanche, lorsqu'il s'agit du CEVA, c'est une autre histoire.

M. Christian Brunier (S), rapporteur. M. Stauffer est un nouveau député, on va donc lui laisser un peu de temps pour qu'il apprenne son métier parlementaire. Il dit que l'assainissement de l'eau rend finalement service aux Français... Mais je rappelle quand même que Genève est le bassin versant au niveau de toute l'hydraulique et que, lorsqu'il y a des eaux polluées qui viennent de France, c'est Genève qui déguste. La collaboration, c'est pour assainir l'eau qui satisfait finalement toute la région.

Bien sûr, il y a de nombreux aspects sur lesquels Genève est en avance sur la France, mais il y en a aussi beaucoup où la France subit Genève. J'en rappellerai quelques-uns. En matière de main-d'oeuvre qualifiée, une bonne partie de celle de la région française vient sur Genève, et il y a aujourd'hui un vrai déficit de main-d'oeuvre qualifiée en France voisine - Genève exporte massivement sa crise du logement en France voisine. Au niveau économique, une bonne partie des entreprises florissantes sont attirées à Genève sans une véritable collaboration de promotion économique... Je crois donc que nous avons toutes et tous à apprendre les uns des autres. La politique régionale devrait avant tout servir à harmoniser les positions et à ce que chacun y gagne: il est possible de jouer gagnant-gagnant avec la région ! Mais ce n'est actuellement pas le cas dans bien des domaines.

Finalement, c'est difficile de construire une région et difficile aussi de construire une région florissante. La collaboration n'est jamais facile, mais, je le redis: sans collaboration, il n'y a pas d'avenir ni pour le côté français ni pour Genève. Et puis, il y a deux façons de réagir face aux problèmes: la première consiste à voir les dysfonctionnements et à essayer de les corriger - c'est la politique d'une majorité des partis présents dans ce parlement; la seconde consiste à mettre les pieds au mur et à exploiter les situations difficiles pour susciter la polémique et un débat populiste. Et ce n'est pas comme cela qu'on résoudra les problèmes, tant français que suisses.

Le président. Je rappelle que nous sommes dans un débat concernant les extraits et qui, par conséquent, suppose un certain consensus. Si vous avez l'impression que le consensus est perdu sur ce projet, je renverrai ce point à un ordre du jour plus développé si vous préférez. Nous avons encore trois personnes inscrites: M. le député Stauffer, M. le député Pierre Weiss et M. le conseiller d'Etat Moutinot. Je vous propose d'en rester là pour ce débat, si vous voulez bien, puisqu'il suffit que nous prenions acte de ce rapport - et qu'il nous reste une ou deux choses à faire aujourd'hui.

M. Eric Stauffer (MCG). Nous sommes peut-être des nouveaux députés mais nous avons néanmoins une très bonne connaissance et une bonne vue d'ensemble de la régionalisation. C'est sûr que la crise du logement a été exportée en France, ça ne fait pas l'ombre d'un doute; mais avant de jeter la pierre du côté français, il faudrait voir pour quelles raisons Genève a exporté sa crise du logement. Je vous renverrai en fait à la construction genevoise.

Monsieur le président, j'attire encore une fois l'attention du gouvernement sur la réciprocité concernant les grands projets. Il va de soi que c'est une nécessité à moyen et long terme, néanmoins nos amis français ne jouent pas le jeu sur certains dossiers mentionnés dans ce rapport.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je crois que nous avons bien entendu.

M. Pierre Weiss (L). J'aimerais dire faire choses toutes simples: la première consiste à féliciter mon collègue Brunier de s'intéresser autant que d'autres partis aux questions régionales - il l'a fait excellemment dans son rapport. La deuxième est de penser que les années à venir nous permettront de mieux connaître les salaires réels offerts à la fonction publique française, ce qui occasionnera certainement autant de venues de frontaliers français vers Genève que de départs vers la France de frontaliers genevois. Je suis persuadé que M. Stauffer connaît aussi bien ces salaires que moi.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Je voudrais remercier le rapporteur Christian Brunier, et au-delà de lui l'ensemble du Grand Conseil, pour ses propos élogieux à l'égard du gouvernement: nous n'y sommes pas habitués. Le gouvernement a apporté un grand soin à la politique régionale et le fera encore plus, vous le savez, grâce au nouveau découpage des départements.

Pour répondre à M. le député Eric Leyvraz, vous avez raison de dire qu'un certain nombre de flux, d'activités, de transferts doivent être améliorés. Un certain nombre l'ont déjà été notamment en matière de marchés publics, pour les soumissionnaires suisses sur les marchés français, et nous poursuivrons nos efforts dans ce sens.

Quant à vous, Monsieur le député Stauffer, je suis obligé de vous dire qu'on ne peut pas reprocher à nos amis français, comme vous l'avez fait, de ne pas jouer le jeu. Ils ont des intérêts à défendre, des problèmes franco-français à résoudre, et je peux vous assurer de la détermination de l'ensemble des collectivités françaises et que tant l'Etat français central que la commune d'Annemasse vont trouver des solutions pour le financement de la partie française de CEVA.

Le Grand Conseil prend acte du rapport de la commission RD 567-A.