Séance du
jeudi 3 novembre 2005 à
17h
56e
législature -
1re
année -
1re
session -
1re
séance
Allocution de la doyenne d'âge
Allocution de la doyenne d'âge, Mme Janine Hagmann
La présidente. Madame la présidente du Conseil d'Etat, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs, en ma qualité de doyenne d'âge du Grand Conseil, accompagnée de la benjamine Mme Flamand, secrétaire, et de Mme le sautier, j'ai eu le plaisir et la fierté d'ouvrir la 56e session de ce parlement. Plaisir, car j'occupe - d'une manière éphémère, il est vrai - une place enviée, qui me permet, entre autres, de visualiser facilement chacun. Fierté, car une prestation de serment est un moment solennel de l'existence.
Entre la benjamine et moi-même, près d'un demi-siècle s'est écoulé. Par une expérience vécue en Afrique, j'ai constaté que celui que la population appelle «le vieux» est considéré comme «le sage», l'homme d'expérience. Il est donc écouté et respecté. Chez les Occidentaux, «le vieux» - je pourrais dire «la vieille», car chez nous le statut de la femme a heureusement évolué - jouit d'une connotation plutôt péjorative, plus proche de la sénilité et du radotage que du respect et de l'écoute. Je suis fière de représenter, avec quelques rares collègues présents dans cette enceinte, près du quart de la population genevoise et espère jouir d'une considération toute africaine ! (Rires.)
J'étais sur terre lors de la guerre de 39-45 et mes premiers souvenirs me rappellent la carte murale de l'Europe, punaisée dans le hall de la maison familiale et recouverte de petits drapeaux que mon père déplaçait avec plaisir lorsque les troupes alliées faisaient reculer celles de l'occupant allemand. Pour Mme Flamand, cette tranche d'histoire fait partie de ses connaissances livresques... Dans ma jeunesse, un ordinateur était quelqu'un qui conférait un ordre ecclésiastique; une puce était un parasite; une souris une nourriture pour chat; un site un point de vue panoramique; les paraboles se trouvaient dans la Bible, et les faits et gestes des députés n'étaient connus que des rares lecteurs du Mémorial, la chaîne de télévision Léman Bleu n'était pas encore née. Ma jeune collègue n'a pas connu une cité sans problèmes de circulation et de stationnement... Cette diversité est l'une des composantes de la représentativité de la population dans cet hémicycle, même si la classe d'âge des 40-60 ans est surreprésentée. Et si le pourcentage de femmes - bien qu'en augmentation - est encore insuffisant, nous sommes cent pour représenter toute la population, pour servir de courroie de transmission, pour influer sur le cours de l'histoire genevoise.
Voltaire prétendait que trois choses influençaient l'esprit des hommes : le climat, le gouvernement et la religion. Occupons-nous du gouvernement ! Vous êtes près de la moitié, dans cette salle, Mesdames et Messieurs, à exercer pour la première fois un mandat de député au Grand Conseil. Vous avez rejoint, par votre engagement pour la société, ceux qui ont essayé de réfléchir, de militer, de participer à la construction du monde de demain. Un point commun nous rallie tous: nous avons la volonté de défendre ou transformer, de soutenir ou contester la société dans laquelle nous vivons, dans le but de l'améliorer. Voilà pourquoi, malgré nos divergences, malgré nos différences de conception, n'oublions jamais que nous sommes ici de par la volonté populaire et que nous avons une obligation de résultats. L'élu qui obtient le moins de suffrages représente tout de même 6539 citoyens qui comptent sur lui et il a autant de responsabilité que celui qui est plébiscité par 17 624 voix.
En notre qualité de députés au sein des familles politiques, nous participons activement à l'organisation collective de notre cité. Chez les Grecs, «polis», et chez les Romains, «civitas», la cité de l'Antiquité désignait une collectivité indépendante de tout pouvoir extérieur, qui gérait les affaires quotidiennes et élaborait la loi commune par la libre délibération et la prise de décisions collectives. La cité antique pouvait connaître plusieurs formes de gouvernement: aristocratique, si le pouvoir n'était exercé que par quelques familles privilégiées; oligarchique, s'il était exercé par un petit nombre de magistrats s'arrogeant tous les pouvoirs; démocratique, s'il était exercé par tous les citoyens. A Genève, la loi est la même pour tous. Nous vivons dans un système démocratique, nous respectons la liberté et la dignité d'autrui.
La population de la République et canton de Genève comprend, grosso modo: un tiers de Genevois, un tiers de Confédérés et un tiers de ressortissants étrangers. Robert de Traz disait: «Habiter Genève, c'est vivre dans une république très particulière, très localisée; c'est aussi habiter l'Europe.» Puissions-nous participer au rayonnement et au fameux esprit de notre cité !
Le nom de Genève proviendrait d'une langue parlée par les Celtes. Il signifierait «bouche de l'eau». Les humains descendus de leurs cavernes se sont arrêtés à l'endroit où deux collines se font face et ferment la plaine lacustre en laissant un seul passage étroit. Tout a vraisemblablement commencé par un pont. Le premier pont sur le Rhône fut construit par des Celtes: les Allobroges. Ce pont occupait approximativement l'emplacement de l'actuel pont de l'Ile. Détruit par César en 58 avant Jésus Christ, il fut rebâti par les Romains et nous vaut d'être cité dans «La Guerre des Gaules». Les Celtes déterminèrent également le tracé de l'axe principal de la Vieille-Ville: rue de l'Hôtel-de-Ville, Grand-Rue, rue de la Cité. Dans l'Antiquité, toutes les routes de la rive gauche aboutissaient au Bourg-de-Four.
Vous constaterez que rien n'a changé, puisque Mme Flamand et moi-même venons de deux communes voisines et amies: Collonge-Bellerive et Vandoeuvres. Ces communes, situées sur la rive gauche, entre Arve et Lac, sont bien représentées dans cette enceinte. Mesdames et Messieurs, vous aurez de nombreuses occasions de l'admirer, cette Vieille-Ville ! Ses rues sinueuses, ses antiques portes ouvragées, ses baies à accolade, ses toits aux tuiles romaines vous deviendront familiers. Vous apprendrez vite à parcourir le chemin qui mène du parking St-Antoine à l'Hôtel-de-Ville, à traverser le Bourg-de-Four qui était au Moyen-Age le centre des foires. Vous constaterez que cette place est restée un lieu de rassemblement, surtout pendant les beaux jours, et qu'il fait bon s'y arrêter... Si votre emploi du temps, qui va devenir bien chargé, vous le permet ! Essayez de garder des yeux emplis de curiosité, voire d'admiration, pour cet environnement que nous avons le devoir de transmettre aux générations futures !
Mon parcours politique m'a permis d'oeuvrer pendant seize ans dans une des plus belles communes du canton: Vandoeuvres. Conseillère municipale, puis adjointe, puis maire, j'ai eu la chance de vanter les qualités environnementales de cette région s'ouvrant sur le Mont-Blanc, et où les bocages de chênes sont souvent intacts. La mairie, bâtiment entouré d'un très beau parc, date de 1775. Elle est construite en pisé, ce qui devient rare sur le territoire genevois. Son premier propriétaire s'appelait - ô ironie ! - Marc-François de Roches; il a été député au Conseil Représentatif dès la Restauration puis conseiller d'Etat. Quant à son deuxième propriétaire, ce n'était autre que M. Latois qui a donné son nom au verbe « latoiser », lequel signifie, comme certains l'ont appris à leurs dépends, biffer des noms sur une liste de partis - il n'est jamais agréable de subir le latoisage... C'est à se demander si cette demeure ne possède pas des vertus qui incitent à s'intéresser à la chose publique. J'y ai uni de nombreux couples auxquels je recommandais, à partir de deux «je», de former un «nous»... n'est-ce pas Yvan ?
Aujourd'hui, j'entame un quatrième mandat de députée avec la volonté de continuer à promouvoir une politique libérale fondée sur le respect des principes démocratiques, sur le sens des responsabilités et de la solidarité. Nos choix de société nous opposent souvent les uns aux autres. Cependant, j'ose espérer que notre volonté de permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même sera plus forte que nos clivages. L'exercice du mandat de député est exigeant, tant sur le plan des connaissances et des capacités cognitives que sur le plan de l'investissement qu'il suppose. C'est une charge astreignante. Le fonctionnement de notre parlement laisse à désirer, et aucune des dernières législatures n'a réussi à l'améliorer de façon significative. Peut-être est-ce dû en partie à une prérogative dont jouissent les députés genevois, cas unique en Suisse, celle de pouvoir déposer un projet de loi ? Ou encore au fait que le Grand Conseil genevois se distingue par un nombre très élevé de commissions permanentes ? En comparaison intercantonale, le parlement genevois se caractérise par une activité record. En se référant à nouveau à Voltaire qui disait : «Si les lois sont mauvaises, il faut les brûler», ne devrions-nous pas mieux évaluer ce que nous produisons ? J'émets le voeu que cette législature trouve une solution au problème récurrent de surcharge constaté par chacun.
Ce soir, nous sommes baignés par une légère euphorie, c'est le moment des bonnes résolutions: attention, elles sont parfois difficiles à tenir ! Mettre en adéquation les intérêts publics et la volonté des citoyens ne va pas forcément de soi. Efforçons-nous de travailler pour l'intérêt général, dans le respect des valeurs que nos prédécesseurs nous ont léguées ! Sur le fronton de notre Université, Antoine Carteret, chef du DIP de 1870 à 1887, a fait inscrire: «Le peuple de Genève, en consacrant cet édifice aux études supérieures, rend hommage aux bienfaits de l'instruction, garante de ses libertés.» Le peuple de Genève, Mesdames et Messieurs, est conscient des progrès, de l'avancement des connaissances dus à la formation; il est attaché à ses libertés et ne peut être mis sous tutelle. A nous de faire en sorte de mettre en pratique cette légende !
Pour terminer, j'aimerais faire quelques clins d'oeil: bravo à Marie-Françoise de Tassigny, présidente sortante, et au Bureau qui l'a accompagnée jusqu'à ce jour ! Salut à ceux qui volontairement ou involontairement ont quitté cet hémicycle ! Au revoir, Martine Brunschwig Graf et Carlo Lamprecht, au plaisir de vous retrouver dans d'autres lieux ! Sachez que je vous ai beaucoup appréciés. Bonne chance à tous ceux qui briguent un mandat à l'exécutif ! Merci à Mme le sautier, chère Maria-Anna, et au service du Grand Conseil pour l'aide infatigable que vous nous apportez ! Merci au service de la Chancellerie et à tous ceux qui, souvent dans l'ombre, sont disponibles, compétents et aimables.
Bienvenue aux représentants des médias, nombreux ce soir... (Brouhaha.) En leur rappelant qu'ils sont d'importants formateurs d'opinions et qu'ils devraient rester des transmetteurs d'informations objectives ! (Exclamations.)
A Eléonore, ma petite-fille présente à la galerie, un souhait: que toi et tes camarades du cycle d'orientation portent le feu sacré d'un engagement citoyen, afin que chacun agisse bientôt en acteur responsable dans notre communauté genevoise.
Bon vent à vous toutes et tous qui venez de prêter serment ! Nous formons désormais une équipe dont la diversité des individualités n'est pas à démontrer. Nous avons un but commun: que Genève gagne ! Or, n'oublions pas que pour qu'une équipe gagne elle doit être soudée.
Vive la République et canton de Genève ! (Applaudissements. M. Pierre Weiss remet un bouquet de fleurs à Mme Janine Hagmann.)
Formation du Bureau