Séance du jeudi 15 septembre 2005 à 17h
55e législature - 4e année - 11e session - 63e séance

IN 126
Initiative populaire Energie-Eau : notre affaire! Respect de la volonté populaire
IN 126-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la validité et la prise en considération de l'initiative populaire 126 "Energie-Eau : notre affaire! Respect de la volonté populaire"

Préconsultation

M. Rémy Pagani (AdG). Nous avons lancé un référendum contre la libéralisation du marché de l'électricité, il y a de cela deux ans si mes souvenirs sont exacts. Nous avons gagné contre les mesures qui visaient à rendre la Suisse, si j'ose dire, compatible avec les tendances néolibérales... (Exclamations.)...qui règnent au sein de l'Europe. Le peuple suisse, son corps électoral, s'est opposé à ces mesures. Toutefois, la COMCO, après ce vote remporté par une majorité certaine, a décidé que le marché de l'électricité en Suisse ne pouvait pas être entre les mains de la collectivité. Et un avis juridique a été émis selon lequel le marché de l'électricité était quand même ouvert, bien que le peuple se soit prononcé contre cela.

Nous avons donc décidé de lancer des initiatives dans la plupart des cantons - à Fribourg, dans le canton de Vaud et ici, à Genève - pour faire en sorte que ce monopole de l'électricité, du gaz et de l'eau soit garanti, ce monopole les Services industriels protègent depuis de longues années - que notre collectivité protège depuis de longues années. Notre but était de permettre à tout un chacun - et j'insiste là-dessus: à tout un chacun, non pas comme en France où les pauvres n'ont plus droit à l'électricité - de pouvoir bénéficier de ces énergies, soit l'électricité, l'eau et le gaz qui sont indispensables.

En fait, on a vu cet été le Conseil d'Etat «se tortiller» pour trouver tous les arguments tendant à nous faire penser que ni l'électricité ni le gaz ne devraient être protégés par notre collectivité. Nous y sommes totalement opposés ! Nous estimons que cette initiative va dans le bon sens - dans celui qu'a voulu le corps électoral suisse dans sa grande majorité - pour protéger ses ressources essentielles qui sont, aujourd'hui déjà, de plus en plus rares, notamment l'eau, et qui, demain, feront cruellement défaut à nos enfants.

Nous estimons que cette initiative est vitale pour notre canton et nous vous recommandons de la voter sans contreprojet, bien que le Conseil d'Etat ait, une fois de plus, entravé cette volonté populaire en invitant notre Conseil à lui opposer un contreprojet qui, bien évidemment, séparera les électeurs entre ceux qui seront pour le contreprojet du Conseil d'Etat et... (L'orateur est interpellé.)En effet, on peut voter deux fois, oui ! Mais on sait quels sont les objectifs de ce contreprojet, Monsieur Cramer ! On sait très bien qu'il vise à limer un peu les griffes de cette initiative.

C'est pourquoi nous espérons que le corps électoral renverra ce contreprojet, quel que soit son contenu, pour soutenir cette initiative.

La présidente. Le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. Sont encore inscrits Mme Sylvia Leuenberger, MM. Ernest Greiner, Alberto Velasco, Blaise Matthey, Souhail Mouhanna et Robert Cramer, conseiller d'Etat. Pour l'instant, je remercie Mme la vice-présidente de nous donner, comme il l'a été demandé, lecture du courrier 2075.

Courrier 2075

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Que demande cette initiative ? Elle vise à assurer la sécurité et la qualité de l'approvisionnement et de la distribution en eau, en électricité et en gaz. Elle vise à garantir le respect de l'environnement et à défendre une véritable égalité de traitement entre les usagers des SIG afin d'éviter des passe-droits pour les gros consommateurs.

Que dit notre politique énergétique actuelle ? Grosso modo, la même chose! Depuis vingt ans, nous avons mis en place petit à petit un article constitutionnel et des lois d'application, dont découle un plan directeur qui fixe les principes de notre politique cantonale en matière d'approvisionnement, de transformation, de distribution et d'utilisation de l'énergie. Ces principes visent, comme cette initiative, une utilisation rationnelle de l'énergie, la maîtrise de notre approvisionnement et la promotion du développement prioritaire des énergies indigènes et renouvelables. C'est grâce à cela que nous avons réussi à garantir l'approvisionnement sans recourir à l'énergie nucléaire.

Que se passe-t-il actuellement ? M. Pagani l'a dit: le peuple a refusé la libéralisation des marchés de l'électricité; il n'y a pas encore de loi fédérale qui réglemente l'ouverture des marchés; plusieurs cantons suisses ont déjà légiféré sur des monopoles de leurs services industriels. Enfin, il faut noter que la hausse des prix du pétrole sur le marché international va rendre nos prix de l'électricité de plus en plus compétitifs.

A notre grande stupéfaction, le Conseil d'Etat conclut que, si cette initiative est bien recevable sur la forme, il faut la refuser sur le fond en ce qui concerne le monopole de l'électricité et du gaz. Pour moi, c'est complètement incompréhensible: Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, tout votre rapport fait un plaidoyer pour la qualité de notre énergie électrique et sa gestion à Genève, mais vous refusez de légiférer pour protéger cette politique avant-gardiste et compétitive ! Alors même qu'il y a un vide juridique au niveau fédéral et cantonal...

Nous n'avons, comme on l'a déjà dit, qu'un monopole de fait et non de droit, et on risque donc l'ouverture sauvage du marché. L'électricité, faut-il le rappeler, n'est pas un bien comme les autres: elle dépend à 80% de l'eau, qui ne peut pas être privatisée. Et si l'offre n'est pas maîtrisée, elle risque d'encourager des demandes sauvages auprès des centrales très polluantes et peu sûres de pays qui n'ont pas encore nos principes.

Il est donc évident que nous ne soutiendrons pas la position incompréhensible du Conseil d'Etat, qui va à l'encontre de toute la théorie développée dans son propre rapport. (Applaudissements.)

M. Ernest Greiner (R). Dans l'exposé des motifs, vous pouvez lire: «...nous proposons simplement de confirmer l'état de fait existant...». Cela m'interpelle, car le rapport du Conseil d'Etat représente tout de même trente et une pages... Trente et une pages pour confirmer un état existant, c'est énorme ! Néanmoins, le sujet de l'énergie et de l'eau est extrêmement sensible, et les réactions face aux dégâts d'eau importants, dus peut-être à un mauvais entretien, ou face aux pannes générales d'électricité qui ont paralysé les chemins de fer, le confirment.

Il est vrai, et on l'oublie peut-être trop vite, que la population genevoise fait preuve d'une sensibilité extraordinaire quant aux services publics: il y a une année à peine, l'initiative «Une poste pour tous» a été très largement soutenue à Genève, malgré les recommandations, à Berne, du parlement et du Conseil fédéral de la refuser. On a peut-être aussi oublié qu'à un certain moment on a créé des services publics précisément dans le but de garantir, par l'Etat, l'égalité des citoyens. Cela dans une logique des services publics et non pas pour suivre une logique industrielle.

Il est dommage que les opinions soient aujourd'hui scindées en deux tendances: les pro-monopole et les anti-monopole. Ce qui est grave à long terme, c'est que, lorsqu'il y a un transfert du pouvoir des services publics à des entités privées, le citoyen, représenté par le parlement, perd une certaine influence, car les entités privées sont difficilement contrôlables. Et très vite, celles et ceux qui poussent loin la libéralisation sont aussi pris au piège.

Je vous cite un petit exemple: pas plus tard qu'aujourd'hui, dans la «Tribune de Genève», vous avez pu lire que la douane-poste ferme... On avait justement choisi de laisser les intéressés régler seuls le problème ! Aujourd'hui, l'Etat ne peut plus intervenir: le train est parti ! Les directions de ces grandes entreprises ont choisi de suivre une logique économique, et la logique du service public et de la proximité se perd de plus en plus.

Ce n'est pas tout: je crois qu'il faut bien analyser les avantages et les inconvénients d'une éventuelle ouverture du marché de l'eau et de l'énergie, afin que l'on ne nous reproche pas, par la suite, d'avoir été trop larges d'esprit pour faire plaisir à quelques uns. Néanmoins, une ouverture intelligente, voire une évolution du monopole, est toujours meilleure qu'un système qui se borne à rester tel quel dans un monde qui bouge rapidement.

En tout cas, nous, radicaux, espérons que les deux tendances - pour ou contre les services publics, pour ou contre le monopole - travailleront dans un état d'esprit positif et constructif lors des débats en commission, et qu'ils ne seront pas adversaires mais plutôt solidaires dans leur recherche pour garantir à long terme de l'énergie et de l'eau pour la population genevoise. Nous attendons donc avec plaisir les différents rapports.

M. Alberto Velasco (S). Je dois dire avoir été surpris en lisant attentivement les arguments du Conseil d'Etat. Tout d'abord, parce que les arguments que l'on donne pour que l'eau soit un monopole ne sont pas les plus pertinents. Le Conseil d'Etat met en avant la préservation des cours d'eau et des nappes souterraines, la garantie d'un approvisionnement en eau potable de qualité et l'économie des infrastructures; ces arguments sont valables, mais l'argument fondamental est que le respect de la vie est sacré dans notre civilisation et que le droit de toute personne à la vie est un droit inaliénable. L'atteinte à la vie de chacun de nous est une atteinte à sa dignité, et nous savons tous que le fait de ne pas avoir accès à l'eau est une atteinte à la vie et, par conséquent, une atteinte à la dignité. L'eau, Monsieur le conseiller, est un droit universel !

Il est vrai que cela pourrait ne pas justifier que ce soit un monopole. Encore faut-il savoir si ce bien est épuisable et s'il est rare. Or, c'est le cas et c'est à ce titre que l'eau doit rester un bien commun au monopole de l'Etat. J'aurais bien aimé, Monsieur le conseiller d'Etat, qu'en préambule vous mentionniez cette raison plutôt que d'évoquer des questions techniques et de préservation des nappes phréatiques.

Quant au gaz, c'est incroyable, parce que vous prétendez que le gaz tendra à disparaître et qu'il est donc une énergie transitoire; même si c'est un moyen transitoire, vous savez très bien que les réserves de gaz sont pratiquement supérieures à celles de pétrole. Je pense qu'aujourd'hui, selon nos informations, nous sommes dans une situation où il vaut mieux utiliser du gaz que du pétrole. Et j'ai été surpris de lire dans le rapport que les conduites pourront, par la suite, véhiculer de l'hydrogène pour alimenter les piles à combustible. Vous savez, Monsieur le président, que les piles à combustible sont alimentées aussi par gaz ! Le gaz d'aujourd'hui sert à alimenter les piles à combustible... Le réseau du gaz est donc stratégique, et c'est pour cela qu'il doit être au monopole de notre république.

Sur la question de l'électricité, un des arguments que vous développez est qu'il y a des échanges d'électricité. Or il a été prouvé qu'aujourd'hui la libéralisation ne peut pas s'accomplir dans les faits parce que les lignes à haute tension sont saturées et qu'il y a des déclenchements - on l'a vu en Suisse, en Italie et en France. Nous savons très bien que la construction de lignes à haute tension de 400 000 volts est extrêmement onéreuse et qu'aucune compagnie ni aucun Etat ne veut construire des infrastructures. On est donc en train de mettre en place une organisation qu'on est incapable d'assumer du point de vue des infrastructures... C'est ridicule !

La logique serait que chaque république ou chaque région ait une certaine indépendance énergétique pour, précisément, limiter les transferts d'énergie, les pertes d'énergie et les pertes de charge. Et c'est aussi la logique que nous trouvons derrière cette initiative ! Moi, par exemple, Monsieur le président, je ne m'oppose pas à ce qu'il y ait des transferts d'énergie: il y a toujours eu des échanges d'énergie, mais d'une manière solidaire. C'est à dire que, comme la Suisse avait des excédents d'énergie alors que d'autres pays en manquaient, il y avait des échanges et une comptabilisation de l'énergie échangée. Mais il n'y avait pas de marché boursier de l'énergie à l'époque ! Le problème, c'est qu'aujourd'hui, avec ces marchés boursiers, les prix de l'énergie ne reflètent plus les coûts de production.

Enfin, et vous le savez, Monsieur le président, malheureusement, les infrastructures que l'on a construites dans ce pays pour produire l'électricité et approvisionner les cantons en énergie font l'objet de certains enjeux et vont se retrouver considérées comme des outils financiers: qui rapporteront à ceux qui les possèdent mais ne garantiront pas forcément au canton la quantité d'énergie produite. C'est là un élément qui mérite réflexion. Il y a beaucoup d'interrogations aujourd'hui... Nous sommes face à une crise du pétrole. Nous savons très bien qu'il y a eu un problème aux Etats-Unis où, dans plusieurs régions, la libéralisation a dû être stoppée et des éléments de régulation réintroduits - cela a été fait notamment en Californie et en Oregon. Et nous avons pu constater que le coût de l'électricité a augmenté dans les pays qui ont libéralisé le marché.

Enfin, Monsieur le président, dans tout ceci on voit aujourd'hui que des oligopoles se forment là où il y a des libéralisations. Ces oligopoles, par les lois logiques du marché, redeviendront précisément des monopoles. Or, ce que nous sommes en réalité en train de faire, c'est de remplacer des monopoles d'Etat par des monopoles privés. Personnellement, je suis pour le bien public et je défends les valeurs républicaines: je préfère que les biens stratégiques, nécessaires pour l'économie et pour les citoyens, restent sous forme de monopole d'Etat. Merci, Monsieur le président.

La présidente. Je vous rappelle que vous vous adressez à la présidente !

M. Alberto Velasco. Madame la présidente, nous soutiendrons donc ces initiatives et nous apporterons nos compléments dans les différentes commissions, pour démontrer que les arguments du Conseil d'Etat ne sont pas valables.

M. Blaise Matthey (L). Le prix, c'est aussi notre affaire. Le prix de l'énergie, le prix des fluides, c'est notre affaire. Pourquoi ? Parce que c'est votre affaire à vous tous, tous les jours, et c'est aussi l'affaire des entreprises. Et les entreprises de ce canton paient plus cher qu'ailleurs !

Toute la question est de savoir si le monopole empêche toute réflexion sur le prix, sur le prix de chacun des fluides, et, si c'est le cas, il faut le dire tout de suite. Pour ma part, je considère que la question du monopole doit être examinée à l'aune des nécessités de l'économie de notre canton, celle-là même que vous voulez autant que moi développer, de manière à créer encore plus d'emplois qu'à présent, c'est à dire, de toute façon, le plus d'emplois de tout le pays.

Nous voulons une économie qui soit encore compétitive et nous devons intégrer dans cette réflexion la question du prix de l'énergie. C'est vrai, nous devons aussi réfléchir à la question de la qualité de l'approvisionnement: il s'agit d'avoir une vision aussi large que possible, mais ce n'est pas parce qu'on instaure un monopole qu'on a forcément la garantie qu'il sera de qualité. Je pense que les débats qui suivront dans les commissions concernées permettront de bien faire le point, comme le Conseil d'Etat l'a d'ailleurs déjà fait, sur l'ensemble de ces aspects qui varient forcément d'une énergie ou d'un fluide à un autre.

Le deuxième point qui me paraît essentiel, car l'initiative est inquiétante à ce sujet, et je rappelle que notre Grand Conseil s'est prononcé sur une motion relative à cela, c'est l'étendue du monopole. Le monopole, à l'heure actuelle, on ne sait pas jusqu'où il va ! On sait que ce monopole est fort pour les Services industriels parce qu'ils disposent du meilleur indicateur d'adresses du canton, à savoir, leur fichier. Et avec ce fichier, Mesdames et Messieurs, on peut faire beaucoup.

Il y a des discussions actuellement pour savoir jusqu'où on va: je suis partisan d'avoir des services industriels modernes et efficaces. Je ne suis pas partisan d'avoir des services industriels qui, grâce à leur monopole, prennent une partie du travail actuellement fait par nos petites et moyennes entreprises, par nos petites et moyennes industries. Voilà, Madame la présidente, c'est tout. (Applaudissements.)

La présidente. Je donne la parole à M. le député Mouhanna. Je rappelle que la liste est close. Ensuite, M. le conseiller d'Etat Robert Cramer s'exprimera, puis nous renverrons cette initiative.

M. Souhail Mouhanna (AdG). Je vais commencer mon intervention en disant deux mots au sujet de l'intervention de M. Matthey. Il a parlé des prix, parce que c'est essentiel, mais je crois qu'il a oublié d'évoquer le profit... Parce que, finalement - Monsieur Matthey, vous le savez très bien - ce que cherchent les institutions, les personnes, les actionnaires, qui veulent empêcher le monopole des Services industriels et qui veulent libéraliser, privatiser, ce secteur, eh bien, c'est: accumuler des profits !

Nous avons vu au détriment de quoi cela se passe: au détriment de la qualité et, aussi, des prix, qui finissent par augmenter - nous l'avons vu aux Etats-Unis, notamment en Californie où les services publics ont été privatisés, ou en Angleterre, avec les chemins de fer. Je mentionnerai également l'affaire Enron aux Etats-Unis et le prix du pétrole qui monte, pour le profit des actionnaires des compagnies pétrolières. Alors, arrêtez de nous vendre des arguments de ce type! Vous savez très bien que ce sont des arguments complètement faux et qu'en réalité le but est justement de privatiser les services publics au bénéfice de quelques uns et au détriment de l'ensemble de la population.

J'aimerais maintenant revenir au rapport du Conseil d'Etat. Je suis désolé de dire au Conseil d'Etat que ce rapport dénote une mauvaise foi manifeste dans la manière de présenter l'argumentaire. Par exemple, le Conseil d'Etat écrit: «Ainsi, dans une vision à long terme, les énergies fossiles n'existeront plus ou seront accessibles à des coûts prohibitifs.» Il parle du gaz. Je ne sais pas si l'électricité va, à un moment ou à un autre, ne plus faire appel au pétrole, qui est aussi une énergie fossile... Je ne sais pas ce que vous entendez par cela. En tout cas, l'argument selon lequel le Conseil d'Etat rejette le monopole sur le gaz, qui consiste à dire que c'est une énergie de transition, me semble plutôt une raison supplémentaire pour maintenir ou imposer de droit un monopole sur ce secteur de l'énergie.

Ensuite, c'est un comble, le Conseil d'Etat écrit: «A cette occasion, le refus de la LME par le peuple suisse et en particulier par les électeurs genevois à plus de 60% - c'est bien qu'on le rappelle! - avait été principalement attribué aux interrogations - aux interrogations ! - des citoyens concernant, en particulier, la garantie du maintien de la sécurité de l'approvisionnement... ». Mais, Monsieur le conseiller d'Etat, il ne s'agit pas d'interrogations: c'est une volonté exprimée par peuple genevois. Le peuple genevois, justement, veut une garantie de l'approvisionnement et de la qualité; il ne veut pas que l'énergie soit de provenance nucléaire, il l'a manifesté très clairement ! Ce ne sont pas des «interrogations». Vous jouez sur les mots et vous méprisez la volonté populaire, je vous le dis avec beaucoup d'insistance.

Ensuite, le Conseil d'Etat écrit - et là aussi, c'est grave - qu'il a effectivement choisi d'ouvrir progressivement le marché de l'électricité... Donc, le Conseil d'Etat veut effectivement ouvrir aux privatisations un secteur essentiel des services publics. Et il dit également: «Cependant, les SIG se préparent à l'éventualité de libéralisation des marchés tant au niveau de leur organisation qu'au niveau de la fourniture de leurs prestations.» Vous allez dans le sens de privatisation, et à cela, vous le savez, nous nous opposons de toutes nos forces. Je crois qu'il y a également une majorité de la population qui refusera ces privatisations.

Enfin, dans sa conclusion, que dit le Conseil d'Etat ? C'est extraordinaire, il dit: «Quant à l'opportunité du triple monopole proposé par l'initiative, le Conseil d'Etat, pour des raisons liées au respect de la politique cantonale de l'énergie, à la sécurité de l'approvisionnement et pour tenir compte des débats actuellement en cours aux Chambres fédérales en matière d'organisation du secteur de l'électricité... ». C'est incroyable ! D'une part, vous interprétez à l'avance ce qui va sortir des Chambres fédérales et, d'autre part, vous avez déjà vu que bien plus que des débats aux Chambres fédérales il y a eu des décisions des Chambres fédérales - par exemple concernant l'ouverture de la loi sur le marché de l'électricité - et vous avez vu qu'il y a eu des référendums et que le peuple a refusé justement cette loi ! Il est alors curieux que vous utilisiez ces débats pour aller contre le monopole et vers les privatisations !

C'est la raison pour laquelle je dis que votre argumentaire est faible. Il est constitué uniquement pour justifier ce que vous avez dit au détour d'un paragraphe: que, effectivement, vous êtes pour l'ouverture du marché de l'électricité, donc pour les privatisations ! Par conséquent, vous êtes contre la volonté populaire. Eh bien, nous nous ferons fort d'aller de l'avant pour nous opposer à votre politique de privatisation !

M. Philippe Glatz (PDC). Le groupe démocrate-chrétien souhaitait véritablement s'exprimer dans le cadre de ce débat parce qu'il partage les préoccupations de tous ceux qui souhaitent éviter toute marchandisation de l'eau ou de tout autre bien commun. A ce titre, nous avons déposé devant ce Grand Conseil un projet de loi constitutionnel dont j'aimerais ici vous rappeler la teneur parce qu'il pourrait faire un très bon contreprojet à cette initiative, comme le souhaite le Conseil d'Etat.

Que dit notre projet de loi constitutionnel? Il dit en premier lieu - et j'ai entendu tout à l'heure M. Velasco s'exprimer sur l'eau - que l'eau n'est pas simplement un monopole, mais que nul ne peut se déclarer propriétaire de l'eau. C'est un des principes essentiels qui permettra d'éviter toute marchandisation de l'eau ou de tout autre bien commun. Et ces biens communs doivent être considérés comme appartenant au patrimoine commun de l'humanité. Si nul ne peut s'en déclarer propriétaire, l'Etat, lui, a le droit de s'en déclarer dépositaire. A ce titre, il doit assumer la haute surveillance et la haute gestion de ce bien commun. C'est ce que nous demandons.

En effet, et dans les principes, il faut que puisse être confiée à une entité nationale, à une entité cantonale par exemple, la souveraineté sur les ressources en eau de son territoire. Dès lors que l'on accorde à l'Etat cette souveraineté sur les ressources en eau, il convient que ce même Etat, naturellement, en règle librement la gestion, la répartition et la distribution. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, cela n'implique nullement qu'il revient nécessairement à l'Etat d'assurer par lui-même cette gestion ! (Remarque.)L'Etat doit rester libre ! Libre, en fonction des circonstances, de décider comment il entend assumer sa tâche, qui est de haute surveillance et de haute gestion. Cette tâche consiste au premier chef à donner des règles pour la gestion, la répartition et la distribution. L'Etat peut donc confier les tâches de distribution et de gestion à des entités choisies par lui; ceci est parfaitement démocratique parce que, lorsqu'on parle de souveraineté, on parle également de contrôle démocratique. Or, il reviendra en définitive au peuple, par l'intermédiaire de l'Etat, par l'intermédiaire de ses représentants, de choisir à qui il souhaite confier la gestion, la distribution ou la répartition de ces biens communs.

La présidente. Il faut terminer, Monsieur le député.

M. Philippe Glatz. Et ceci, de mon point de vue, est beaucoup plus démocratique que ce qui nous est proposé aujourd'hui, qui nous pourrions avoir possibilité de choisir librement ce qu'il y a de meilleur. (Applaudissements.)

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Nos institutions sont ainsi faites que, lorsqu'une initiative populaire a récolté le nombre de signatures nécessaires, elle revient au Grand Conseil, qui procède en deux temps. Dans un premier temps, il doit examiner si l'initiative est recevable, si elle est juridiquement acceptable. Cela, il le fait par une décision. Ensuite, s'il estime qu'elle est recevable, il en examine les mérites. Dans ce débat, on a très rapidement passé la première phase, grâce au bon rapport du Conseil d'Etat qui vous dit que cette initiative est effectivement recevable, pour venir immédiatement au débat sur le fond.

Permettez-moi donc de dire à mon tour deux ou trois mots dans ce débat sur le fond. Tout d'abord, il n'est pas étonnant que les initiants et les partis politiques qui ont soutenu cette initiative nous indiquent qu'ils sont favorables à l'initiative qu'ils ont déposée - le Conseil d'Etat n'osait pas imaginer que, sur la base de la lecture de son rapport, l'initiative serait retirée. C'est donc dire que, jusque là, nous ne sommes pas dans le domaine des surprises.

J'estime cependant nécessaire d'intervenir, parce que j'ai entendu dans cette discussion un certain nombre de propos qui m'ont semblé un peu approximatifs. Il me semble que l'on fait des confusions entre la notion de production, la notion de transport, la notion de distribution, et entre les différents fluides dont il est question. Toutes ces choses vont certainement s'éclaircir, puisque c'est d'ici à un an ou un an et demi que l'on en arrivera véritablement au débat de fond quant à cette initiative. Mais anticipons un peu ce débat pendant cette préconsultation et permettez-moi de m'efforcer à deux ou trois éclaircissements, ou en tout cas à quelques précisions quant à la pensée du Conseil d'Etat.

Premièrement, le Conseil d'Etat est d'avis qu'aujourd'hui nous sommes dans une situation de monopole de fait en ce qui concerne l'eau, le gaz et l'électricité. Est-ce donc dire que cette initiative est totalement inutile puisqu'elle enfoncerait une porte ouverte ? Assurément pas, et cela mérite que l'on examine les choses de façon plus précise pour chacun de ces trois fluides. Je le ferai extrêmement brièvement au regard de toute notre législation et de tous les principes adoptés par ce Grand Conseil au cours des dernières années.

Tout d'abord, en ce qui concerne l'eau, nous sommes dans une situation très particulière, puisque l'Etat est propriétaire de la ressource - toutes les sources d'eau sont des sources d'eau publiques - et, dans le même temps, les Services industriels, par un monopole de fait, assurent l'entier de la distribution. Il semble justement au Conseil d'Etat que cette situation est la plus fragile: étant propriétaire de la ressource, l'Etat la concède actuellement aux Services industriels; c'est donc dire que demain un autre interlocuteur pourrait venir se mettre sur les rangs et, également, postuler pour obtenir une concession.

Au fond, dans tous les propos qu'a tenus M. Glatz, je n'ai rien entendu d'autre que la description du système juridique actuel. L'eau est un bien public. Elle est concédée par l'Etat aux conditions que l'Etat pose et que l'on retrouve dans la loi sur l'eau dont M. Velasco a donné tout à l'heure un certain nombre de caractéristiques et qui vise précisément à préserver ce bien public. Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat estime qu'il faut aller plus loin sur ce point ! Aujourd'hui, effectivement, il y a dans le monde dans lequel nous vivons des mouvements très forts de marchandisation de l'eau; ces mouvements sont à nos frontières, ils se manifestent très clairement en France où le système d'eau est concédé à des grandes entreprises.

Le Conseil d'Etat pense que cela n'est pas souhaitable pour notre canton: nous avons la chance de bénéficier d'un système de distribution d'eau de très haute qualité. Il me semble que l'on doit se donner la garantie que ce système d'eau restera toujours en mains publiques, grâce à un régime de monopole.

Si l'on parle de gaz, on parle de quelque chose de totalement différent: on ne produit pas de gaz sur le territoire de notre canton, Mesdames et Messieurs les députés ! C'est donc dire que le seul élément sur lequel les Services industriels interviennent est la distribution. Si demain la législation devait changer sur ce point et que les Services industriels devenaient libres de choisir leurs fournisseurs, je ne vois pas en quoi cela poserait problème. D'autant moins que, si vous relisez la conception générale de l'énergie, adoptée par ce Grand Conseil - essentiellement, d'ailleurs, par les voix de la gauche - vous verrez que l'enthousiasme pour le gaz est extrêmement modéré. Ce que l'on recherche avant tout, c'est d'avoir recours aux énergies renouvelables.

A cet égard, je suis consterné d'avoir entendu dans cette enceinte des propos quant à l'électricité tels que «Comment, par des énergies renouvelables, arriverait-on à produire de l'électricité ? On doit avoir recours au pétrole!» Figurez-vous, Monsieur Mouhanna, que dans ce canton 96% des consommateurs sont approvisionnés avec de l'électricité d'origine renouvelable, ce qui représente 85% de la consommation.

Reste la question de l'électricité. Quant à l'électricité, le Conseil d'Etat est lié par ce qu'il a fait dans le passé: on ne bâtit pas dans le vide! Aujourd'hui l'électricité est un monopole de fait; et aujourd'hui aussi il y a au parlement fédéral des débats sur la libéralisation du marché de l'électricité. Et quelles que soient les décisions que l'on pourrait prendre à Genève, cette question-là n'est pas de notre compétence, mais de celle de la Confédération.

Dans le cadre de ces débats, le Conseil d'Etat a été appelé à s'exprimer, et il s'est prononcé en faveur du projet du Conseil fédéral. Je vous le dis à toutes et à tous, et quels que soient les bancs sur lesquels vous siégez: le Conseil d'Etat s'est prononcé en faveur du projet du Conseil fédéral, de tout le projet du Conseil fédéral, et uniquement du projet du Conseil fédéral. C'est un projet qui prévoit une libéralisation en deux phases et qui réserve de larges possibilités de recourir aux énergies d'origine renouvelables. Si ce projet est soutenu, nous admettrons, comme nous l'avons dit, d'entrer dans un processus de libéralisation partielle en tout cas dans un premier temps. Voilà la raison pour laquelle, vu cette prise de position dans le débat national et vu le fait que nous sommes actuellement dans une situation transitoire, il nous semble qu'il n'est pas opportun de favoriser aujourd'hui un monopole de droit des Services industriels en ce qui concerne l'électricité.

J'ajoute à cela que mes propos ne doivent surtout pas être interprétés comme signifiant que le Conseil d'Etat entend démanteler le système actuel, qui est un système de monopole de fait, qui veut que le Conseil d'Etat approuve les tarifs de l'électricité. Ce système existe à Genève, c'est le système légal, et, cette loi, nous l'appliquerons jusqu'à ce que, cas échéant, elle soit modifiée à l'occasion des débats actuellement en cours au niveau fédéral.

Si la loi fédérale n'est pas modifiée, ou n'est pas modifiée conformément à ce que souhaite le Conseil fédéral, il y aura toujours la place pour que la discussion se poursuive. Il est certain que d'ici à ce que l'examen de cette initiative soit terminé, on en saura beaucoup plus sur ce qui se passera au niveau fédéral. Peut-être qu'une situation nouvelle amènera des réflexions nouvelles sur la question posée par l'initiative quant à l'électricité.

Un dernier mot, qui sera le mot de la conclusion: M. Matthey a largement évoqué d'autres questions qui sont liées au monopole et qui ne sont pas posées par l'initiative, et, notamment, dans une situation de monopole quelle place reste-t-il pour les entreprises genevoises? Nous sommes en train, vous le savez, de travailler de façon très sérieuse là-dessus, avec les entrepreneurs genevois qui sont actifs dans ce domaine et avec les Services industriels. Le souci du gouvernement est, bien sûr, de faire en sorte que tout ce qui peut être effectué par les entreprises genevoises dans ce canton le soit par elles. Nous souhaitons également préserver - comme nous préservons les PME - cette grosse entreprise industrielle que sont les SIG, afin, si ces derniers doivent un jour se trouver en concurrence avec de gros groupes étrangers sur les dossiers étant de leur compétence, qu'ils ne soient pas désarmés par des décisions de nature politique, mais qu'ils puissent jouer leur rôle dans cette concurrence-là.

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, la réflexion du Conseil d'Etat quant au fond de cette initiative. Nous aurons largement l'occasion d'en débattre ces prochains mois, et vraisemblablement ces prochaines années.

Le rapport du Conseil d'Etat IN 126-A est renvoyé à la commission législative.

L'IN 126 est renvoyée à la commission législative.