Séance du jeudi 23 juin 2005 à 15h
55e législature - 4e année - 10e session - 53e séance

M 1232-A
Rapport de la commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'étudier la proposition de motion de Mme et MM. Fabienne Blanc-Kuhn, Liliane Charrière Debelle, Pierre-Alain Champod, Christian Brunier pour davantage d'égalité entre les femmes et les hommes au sein des filières de formation professionnelle
Rapport de Mme Jeannine de Haller (AdG)

Débat

Mme Jeannine De Haller (AdG), rapporteuse. Je n'ai pas grand-chose à ajouter, si ce n'est que pour dire que j'ai quand même fait mieux que le Conseil d'Etat qui a pris quinze ans pour répondre aux motions: je n'ai mis que quatre ans à rédiger mon rapport, et je vous prie de m'en excuser.

Mme Anne Mahrer (Ve). Détrompez-vous: cette motion est totalement d'actualité. Je constate qu'en juin 2005 les préjugés ont toujours la vie belle et les modèles que l'on voudrait proposer à nos élèves sont encore très rares. Ils sont si rares que lorsque l'on invite des jeunes filles qui ont choisi d'autres filières de formation que les filières traditionnelles à venir parler de leur parcours, on les qualifie de pionnières. Pionnières, elles le sont véritablement: certaines sont monteuses électriciennes, électroniciennes, informaticiennes, horlogères, aiguilleuses du ciel, mais elles se comptent sur les doigts de la main.

Le choix d'un métier pour les filles reste traditionnel et conformiste. Elles se cantonnent dans un nombre restreint de filières, pour obtenir des emplois souvent moins bien rémunérés.

Ce qui est plus inquiétant encore, Mesdames et Messieurs les députés, c'est que très souvent ces filles ne terminent pas leur formation professionnelle. C'est une des causes du nombre restreint de diplômes obtenus par les jeunes filles. Il faut leur rappeler l'importance de la formation professionnelle terminée et élargir les perspectives de leur choix.

Il est vrai que l'OFP a réalisé des efforts dans ce sens, mais tout est encore à faire. Il ne suffit pas de publier des brochures; il faut agir sur le terrain, entreprendre des actions concrètes dans les cycles d'orientation, organiser des rencontres. En bref, il faut être plus actif. De plus, l'Etat devrait montrer l'exemple en tant que formateur et employeur et promouvoir auprès des filles et des garçons l'apprentissage dans des formations non traditionnelles. Enfin, lorsque les diplômes sont obtenus, il faut reconnaître qu'il est difficile, pour celles qui ont fait un choix non traditionnel, de se faire une place au sein des entreprises. Nous attendons donc avec intérêt le rapport du Conseil d'Etat.

La présidente. Je donne la parole à M. Velasco.

M. Alberto Velasco. Madame la présidente, je renonce à la prendre.

M. Christian Brunier (S). Pour une fois, je vais faire appel au Forum de Davos, qui vient de mener une étude auprès d'une cinquantaine de pays pour savoir quel était le niveau de promotion de l'égalité en leur sein. Le résultat de la Suisse est très négatif, puisqu'elle occupe la trente-septième place. En matière de formation pour les filles et les jeunes femmes, la Suisse a un score catastrophique, mais - consolation - nous sommes devant l'Afghanistan et l'Iran... Néanmoins, nos résultats sont fort inquiétants. Il faut donc agir.

Nous avions déposé un projet, il y a de cela quelques années, en 2001, mais les choses évoluent relativement peu. Je rappelle les chiffres: 97% des CFC au CEPTA sont obtenus par des garçons; à l'Ecole d'ingénieurs de Genève, 93% des élèves sont des garçons, il n'y a que 7% de jeunes filles. Une prise de conscience est donc nécessaire. (Remarques. Brouhaha.)Je vois que cela fait rire certains...

Je crois que la promotion de l'égalité passe aussi, naturellement, par la promotion de l'éducation, de l'enseignement et de la formation, mais il y a aussi des questions d'image. Je vous rappelle qu'en section architecture-génie civil à l'Ecole d'ingénieurs, qui a une image assez masculine, il n'y a que 11,6% de femmes, alors qu'à l'Ecole d'architecture, donc dans la même filière, en quelque sorte, mais dans une école dont l'image est beaucoup plus ouverte, il y a 37% de femmes. L'image peut donc changer sensiblement les choses.

Nous avons là un travail important à entreprendre. Je rappelle qu'aujourd'hui encore, dans certains corps d'enseignement, il y a des enseignants qui découragent quasiment les filles à aller dans certaines écoles. Par exemple, je sais qu'au cycle d'orientation certains se laissent aller à dire que l'Ecole d'ingénieurs est une école «pour mecs»! Eh bien non, ces métiers sont aussi bien pour les jeunes filles que pour les jeunes hommes !

Le département et l'Etat doivent mener un travail de promotion, relation avec les écoles et avec les milieux professionnels. C'est pourquoi je vous invite à renvoyer cette motion, qui nous semble malheureusement toujours d'actualité, au Conseil d'Etat pour susciter une vraie prise de conscience et une mobilisation de sa part.

J'ai vu que dans les remèdes, il y avait notamment la Journée des filles. La Journée des filles est un concept magnifique, qui ne fonctionnait pas encore dans toutes les entreprises, mais qui commençait à avoir un certain succès. Aujourd'hui, malheureusement, la Journée des filles a été limitée aux filles de cinquième primaire. Je le déplore, je pense qu'il s'agit d'un mauvais geste politique, et j'espère que l'on pourra retrouver une Journée des filles digne de ce nom et qu'elle sera en cohérence avec toute une série d'actions pour promouvoir les professions aussi bien auprès des jeunes filles qu'auprès des jeunes hommes.

Mme Janine Hagmann (L). Le groupe libéral acceptera évidemment le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat, car certains éléments doivent bien sûr être mis en place.

Nous nous réjouissons de voir si les mentalités ont évolué depuis quatre ans, puisque l'étude de cette motion à la commission de l'enseignement - motion qui nous avait d'ailleurs fort intéressés - date de plusieurs années. Merci, Madame de Haller, d'avoir enfin rendu votre rapport.

Aujourd'hui, justement, nous avons reçu le rapport du Service pour la promotion de l'égalité, qui contient des informations intéressantes.

En tant que libérale, j'ai un conseil à donner aux autres groupes: dans les formations que vous pourriez donner à vos candidats et candidates aux futures élections, dites-leur qu'il n'est pas exclu que les femmes deviennent conseillères d'Etat. Nous l'avons mis en pratique : nous en avons deux. Suivez l'exemple du groupe libéral ! ( Applaudissements.)

M. Gabriel Barrillier (R). Cette motion est d'actualité. J'aimerais vous donner quelques exemples concrets qui démontrent que l'avancement de l'égalité des chances dans les professions fait partie du souci quotidien des entreprises et des associations professionnelles. Les rapports, c'est bien; les motions renvoyées au Conseil d'Etat, c'est bien aussi, mais ce qui se passe sur le terrain, c'est mieux. J'aimerais attirer votre attention sur les efforts constants effectués pour promouvoir les jeunes filles dans des professions qui ne sont pas forcément les leurs.

En 2001, la Cité des métiers bénéficiait de la collaboration étroite du Service pour la promotion de l'égalité qui faisait partie de tous les groupes de travail. Nous avions fait en sorte que toutes les professions soient offertes, soient féminisées, et que leur accès soit ouvert aux femmes. Vous savez que la Cité des métiers sera une nouvelle fois organisée en novembre 2006 et que les travaux préparatoires sont bien avancés; cette manifestation sera encore beaucoup plus importante et beaucoup plus large qu'il y a cinq ans. Je puis vous dire, en tant que membre du comité d'organisation, que le Service pour la promotion de l'égalité aura également une place de choix dans l'organisation de cette manifestation.

La deuxième chose que j'aimerais vous dire est que dans nos métiers - ceux des arts et métiers, la construction, et les métiers plutôt masculins en général - nous faisons des efforts constants pour avoir des jeunes femmes. Il y en a quelques unes, évidemment, mais pas assez, et je partage donc les soucis de mes préopinants. Il faut que nous puissions prouver aux parents et aux jeunes filles qu'elles ont leur place dans ces professions. Dans les faits, la documentation diffusée par les milieux économiques, les artisans, les associations professionnelles et les responsables de la formation professionnelle vise à promouvoir une véritable égalité, et les jeunes filles sont les bienvenues dans nos métiers. Une voix. Bravo!

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Au nom du groupe démocrate chrétien, je crois qu'il est effectivement important de donner un signe politique fort. Nous savons que les services et les entreprises ont de très bonnes intentions, et M. Barrillier est un homme de parole, nous pouvons donc le croire. Il n'empêche que le signe politique doit être encore plus fort, et nous nous associons à ce qui a été dit.

Ce rapport doit donc être renvoyé au Conseil d'Etat, car la question est urgente, et nous comptons sur lui pour y répondre.

M. Gilbert Catelain (UDC). Je ne sais pas si nous sommes en train de faire un faux débat ou si nous devrions proposer, comme l'a fait le ministre Sarkozy, une sorte de «discrimination positive». Je rappelle que dans certains secteurs, notamment le secteur administratif, cette discrimination positive existe: les candidatures féminines sont privilégiées, mais malgré, cette discrimination, les résultats ne sont pas au niveau espéré. Je n'oserai pas dire qu'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif, mais je crois que le marché est totalement ouvert et les filières complètement ouvertes. Dans toute une série de professions, y compris à l'Etat, on recherche impérativement des femmes, et ces professions sont handicapées dans leur fonctionnement par manque de personnel féminin. L'effort de recrutement s'effectue aussi dans ces catégories-là, mais, malheureusement, le blocage ne vient pas simplement du masculin et du féminin, mais de la mentalité, et peut-être de certaines jeunes femmes qui ne veulent pas embrasser certaines professions qui leur paraissent trop dures ou trop contraignantes. Alors, je ne crois pas qu'il faille culpabiliser le Conseil d'Etat.

Nous avons reçu un rapport, il faut en prendre acte et tenir compte du fait qu'un changement de mentalité ne se fait pas en quelques années, ni même en quinze ans. Il faudra peut-être davantage de temps en Suisse que dans d'autres pays... Je ne suis pas persuadé, contrairement à M. Brunier, que la situation soit forcément si positive ailleurs: la notion de rang statistique n'implique pas toujours une grande différence de résultat. Il faudra peut-être encore une ou deux générations pour qu'une femme accepte de suivre une formation de charpentier, de menuisier, de gendarme ou autre.

Nous, représentants de l'UDC, ne désirons pas en faire un thème politique. Je pense que c'est contreproductif, c'est stigmatiser des fronts, c'est faire une sorte de guerre de religion, et nous ne sommes pas partie prenante dans ce genre de débat.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Je crois que nous sommes face à un thème récurrent, important, et qu'il n'est pas si facile d'aborder. La preuve en est apportée par le rythme des travaux prioritaires du Grand Conseil. En effet, cette motion date de plusieurs années - 1997 - et elle revient à l'ordre du jour presque huit ans plus tard, non que les députés et députées aient été indifférents, mais simplement parce qu'au-delà d'une convergence que le vote unanime laisse entrevoir, il y a la difficulté d'aborder le «comment»: comment atteindre le but proposé par la motion ?

J'aimerais ajouter au constat le fait que certains chiffres sont inquiétants. Si vous me le permettez, je citerai rapidement le Service de recherche en éducation et ses indicateurs pour la formation professionnelle qui démontrent que l'écart entre jeunes filles et de jeunes hommes en apprentissage ne cesse de croître au détriment des jeunes filles. C'est un élément qu'il convient de noter. Nous ne sommes pas face à une situation imparfaite qu'il conviendrait de corriger, nous sommes face à une situation qui ne cesse de se détériorer.

Deuxième élément marquant: le choix des professions. Le choix de professions typiquement «à connotation féminine» est resté stable, alors que le choix des professions «à connotation masculine» n'a cessé de diminuer, ce qui montre encore une fois que les indicateurs sont inquiétants. Ils dénotent une détérioration, et non une stabilité ou une correction des inégalités constatées. Il faut donc agir, mais les leviers pour cela ne sont malheureusement pas légion et, surtout, ne sont pas miraculeux. Nous devons d'abord noter que le département de l'instruction publique en fait du choix des professions une de ses priorités, et c'est une priorité sur laquelle je me suis engagé personnellement.

Le troisième élément, c'est que, dans le cadre des sept objectifs prioritaires pour la formation professionnelle, les partenaires sociaux et le département de l'instruction publique se sont engagés dans cette direction de manière plus concrète, plus précise, pour obtenir un certain nombre de résultats en la matière. L'exemple de la Cité des métiers et de la collaboration avec le Service pour la promotion de l'égalité, mentionné tout à l'heure par M. Barrillier, est là pour le montrer: il y a une volonté des partenaires sociaux, patronaux et syndicaux d'arriver à enrayer la détérioration que j'ai évoquée précédemment. Voilà pour ce qui est d'un élément exemplatif découlant des sept objectifs prioritaires pour la formation professionnelle.

A cela, Monsieur Brunier, s'ajoute la Journée des filles. Parlons-en quelques minutes ! La Journée des filles présente l'avantage d'exister dans toute la Suisse. Elle est éminemment intéressante, cependant, d'une certaine manière, elle a évolué dans un sens qui n'était pas celui fixé au départ. J'en veux pour preuve que, en effet, quelques entreprises - citons parmi elles l'Université de Genève, la Télévision suisse romande et les Services industriels - en avaient fait une journée portes ouvertes pour l'ensemble des jeunes femmes. C'était très intéressant pour les personnes qui travaillent dans les entreprises et pour les jeunes femmes qui avaient l'occasion de s'y rendre, mais, en réalité, c'est l'arbre qui cache la forêt. En effet, de nombreuses jeunes filles n'ont pas de parents qui travaillent dans ces entreprises et n'ont donc pas la possibilité de les y rejoindre. C'est pourquoi, en accord avec le Service de la promotion de l'égalité, nous avons redimensionné le dispositif pour toucher l'ensemble des élèves de cinquième primaire, de manière que pratiquement toutes les élèves - soit par un programme issu de leurs parents, de leur père en particulier, soit par un programme institutionnel - puissent réellement sortir de l'école pour découvrir des métiers réputés être masculins. Et je crois qu'il est important de ne pas confondre la Journée des filles avec une journée portes ouvertes, aussi intéressante soit-elle sur le plan social et sur le plan de l'égalité.

Autre point important: la manière d'agir et d'enrayer concrètement l'évolution négative. Il y a l'orientation, et l'Office d'orientation et de formation professionnelle s'y engage énormément. Au-delà de la Journée des filles et de la Cité des métiers, il y a, au quotidien, tout un travail d'orientation devant être effectué dès les premières années; par ailleurs, on doit accumuler les informations permettant de diversifier les propositions et on doit casser les tabous.

Le dernier élément - et j'aimerais rendre M. Barrillier attentif à ce point de nos réflexions - concerne l'appui aux entreprises qui seraient intéressées par l'engagement de jeunes femmes dans des apprentissages ne leur étant habituellement pas ouverts. Parce que les jeunes femmes ont des entraves. Citons l'exemple des sanitaires, des vestiaires et des douches: leur l'aménagement, nécessaire pour arriver à l'égalité dans un certain nombre de métiers, est effectivement coûteux. C'est pourquoi nous devons, en tant que pouvoirs publics, réfléchir à ce qui stimule et encourage les entreprises décidées à s'engager en matière d'égalité, en le leur permettant sans que ce soit à leur détriment financier. Un élément de mesure, un élément d'impulsion, doit donc être donné par les pouvoirs publics.

Et, puisque vous accepterez sans doute cette motion, je me ferai le plaisir de vous répondre le plus rapidement possible. En tout cas, je prends l'engagement de respecter le délai de six mois pour présenter l'ensemble des mesures détaillées, de manière à pouvoir soutenir ce qui est symbolique et ce qui est concret en matière d'égalité. Parce qu'on sait que le chemin est encore long et que nous sommes très loin d'être sortis de l'auberge.

Mise aux voix, la motion 1232 est adoptée par 49 oui (unanimité des votants).