Séance du jeudi 5 novembre 1998 à 17h
54e législature - 2e année - 1re session - 44e séance

M 1232
15. Proposition de motion de Mmes et MM. Fabienne Blanc-Kühn, Liliane Charrière Debelle, Pierre-Alain Champod et Christian Brunier pour davantage d'égalité entre les femmes et les hommes au sein des filières de formation professionnelle. ( )M1232

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

- la volonté de diminuer les inégalités entre femmes et hommes au niveau de la formation professionnelle,

- le faible accès des jeunes filles à certaines formations professionnelles tant en système dual qu'à plein temps à l'école,

- le nombre restreint de diplômes obtenus par des jeunes filles suivant une formation professionnelle tant en système dual qu'à plein temps à l'école,

invite le Conseil d'Etat

- à faire rapport au Grand Conseil sur :

• les causes du très faible accès des jeunes filles à certaines formations professionnelles tant en système dual qu'à plein temps à l'école ;

• les causes du nombre restreint de diplômes obtenus par des jeunes filles suivant une formation professionnelle tant en système dual qu'à plein temps à l'école.

- à faire des propositions visant à faciliter l'intégration des jeunes filles dans toutes les filières professionnelles et à les placer dans de meilleures conditions de réussite scolaire.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Dans le domaine de la formation professionnelle, les inégalités entre femmes et hommes subsistent plus que jamais. En consultant les statistiques de l'enseignement public et privé à Genève, on constate en effet que la proportion de jeunes filles dans certaines formations professionnelles reste à un niveau très bas.

Elèves masculins et féminins en 1997

Ecole

Sexe (nb abs)

Sexe (%)

Masc.

Fém.

Total

Masc.

Fém.

CEPTA (CFC à plein temps à l'école)

650

20

670

97,0%

3,0%

Mécanique-automobile

260

2

262

99,2%

0,8%

Horlogerie-électricité

225

15

240

93,7%

6,3%

Bâtiment

165

3

168

98,2%

1,8%

CEPTA (diplôme à plein temps à l'école)

122

6

128

95,3%

4,7%

Ecole d'ingénieurs (jour)

856

62

918

93,2%

6,8%

Arch.-Génie civil

251

33

284

88,4%

11,6%

Mécan.-élec.-horlogerie

524

24

548

96,3%

3,7%

CEPTA dual (CFC école + emploi)

1869

296

2165

86,3%

13,7%

Mécanique-automobile

465

3

468

99,4%

0,6%

Horlogerie-électricité

208

8

216

96,3%

3,7%

Bâtiment

856

37

893

95,9%

4,1%

Alim.-Chimie-Artisanat

340

248

588

57,8%

42,2%

Ecole d'horiculture

105

23

128

82,0%

18,0%

Ecole d'ingénieurs ETS (hort.)

75

30

105

71,4%

28,6%

Ecole Supérieure de Commerce

1256

1308

2564

49,0%

51,0%

Collège de Genève

2396

3275

5671

42,3%

57,7%

Ecole de Culture Générale

554

870

1424

38,9%

61,1%

Source: Annuaire statistique de l'enseignement public et privé à Genève, 1997, pp. 41 à 47.

Comme on peut l'observer dans le tableau ci-dessus, la répartition des élèves selon le sexe dans les différents établissements scolaires fait apparaître des disparités très importantes selon les formations suivies. Alors que l'on constate une représentation quasi équivalente des garçons et filles dans les filières gymnasiales, la présence masculine est beaucoup plus forte au niveau de la formation professionnelle. Ainsi, dans le cadre des CFC obtenus à plein temps au CEPTA, la proportion de garçons atteint 97,0 %, tandis que pour les autres formations proposées, le taux reste très élevé (86,3 % de garçons pour le CEPTA dual et 95,3 % pour les diplômes délivrés au CEPTA). On peut enfin noter que l'école d'ingénieurs se distingue également par une proportion de filles très faible, avec un taux de moins de 7 %.

Le cas de l'Ecole d'ingénieurs est d'ailleurs très intéressant. En effet, dans le cadre de sa formation en architecture et en génie civil, cette école n'a attiré que 11,6 % de jeunes filles en 1997. Or, pour la même année, le taux de présence féminine s'élevait à 37,6 % à l'Ecole d'architecture de l'Université de Genève. Il semble donc indéniable que d'autres facteurs, que physiologiques ou liés à la motivation personnelle, entravent l'accès à certaines formations pour les jeunes filles. Sinon, comment expliquer que la proportion féminine passe du simple au triple, entre le niveau post obligatoire et universitaire, pour une formation quasi équivalente ? De la tradition masculine de certains établissements au manque de mesures d'intégration pour les jeunes filles, les pistes à explorer sont nombreuses.

Si le déséquilibre entre les deux sexes dans les filières de formation professionnelle est un problème en soi, les conséquences qu'il entraîne sont encore plus graves. En effet, la faible présence féminine dans certaines formations, a semble-t-il une influence certaine sur l'obtention d'un diplôme ou d'un certificat fédéral de capacité selon le sexe. Si les statistiques sont lacunaires dans ce domaine, on observe en effet que les différences au niveau des certifications délivrées selon le sexe sont encore plus importantes qu'au niveau des effectifs.

Diplômes délivrés en 1997

Ecole

Sexe (nb abs.)

Sexe (%)

Masc.

Fém.

Total

Masc.

Fém.

Ecoles de métiers (plein temps)

60

0

60

100.0%

0.0%

Ecoles de métiers (dual)

111

5

116

95.7%

4.3%

Bâtiment

5

0

5

100.0%

0.0%

Mécanique machines

49

2

51

96.1%

3.9%

Mécanique véhicules

16

0

16

100.0%

0.0%

Electronique

14

0

14

100.0%

0.0%

Horlogerie

27

3

30

90.0%

10.0%

Ecole d'ingénieurs (jour)

164

14

178

92.1%

7.9%

Dipl. Architecte

40

9

49

81.6%

18.4%

Dipl. Ingénieur

124

5

129

96.1%

3.9%

Source: Annuaire statistique de l'enseignement public et privé à Genève, 1997, p. 118.

Ainsi en 1997, la proportion de jeunes filles diplômées dans les écoles professionnelles était très faible. Certes, ce nombre de diplômes devrait être mis en relation avec le nombre de personnes ayant entrepris cette même formation, mais les statisticiens et statisticiennes de l'enseignement ont préféré renoncer à construire des taux de réussite pour les formations professionnelles. En effet, compte tenu des réorientations en cours d'étude et des différences dans la durée des différentes formations, il n'est pas possible de déterminer aisément un taux de réussite à l'intérieur d'un établissement.

Reste l'observation des chiffres. En 1997, on constate donc que le nombre de diplômes obtenus par des jeunes filles est ridiculement bas. Il est d'ailleurs frappant d'observer qu'aucune fille n'a obtenu un CFC dans les écoles de métiers dans la formation à plein temps, et que dans les domaines du bâtiment, de la mécanique sur véhicule et de l'électronique, la proportion de jeunes filles diplômées a également été nulle. Nous référant aux expériences de professionnels de l'éducation, ces chiffres semblent confirmer le fait que les jeunes filles qui s'engagent dans des formations où elles sont largement minoritaires, parviennent plus difficilement au terme de leurs études que leurs camarades masculins.

Cette motion souhaite donc que le Conseil d'Etat analyse les causes d'une part du faible accès des jeunes filles à certaines formations professionnelles, et d'autre part des difficultés rencontrées par les élèves de sexe féminin à achever leur formation. En plus d'un état des lieux de la situation actuelle, il s'agirait bien entendu de faire des propositions concrètes visant à corriger rapidement les inégalités entre hommes et femmes au niveau de la formation professionnelle. C'est dans cet esprit que nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à accepter cette motion.

Débat

M. Christian Brunier (S). Durant ce siècle, l'égalité des sexes a progressé. Néanmoins, dans ce domaine-là, il y a encore un sérieux travail à entreprendre pour arriver à une réelle égalité. L'accès limité à certaines formations, à certaines professions est une source importante de discrimination. Le fait de prétendre que certaines professions n'attirent pas les femmes n'est pas crédible à la lecture de certains chiffres, n'en déplaise à certains défenseurs du machisme primaire.

Prenons l'école d'ingénieurs qui est un cas assez représentatif. Dans le cadre de sa formation en architecture et en génie civil, l'école d'ingénieurs n'a attiré que 11,6% de jeunes filles en 1997. Parallèlement, à l'école d'architecture de l'université de Genève, dans un domaine comparable, le taux de présence féminine s'élevait à 37,6%. On voit que la différence est importante. Il est certain que l'image masculine de certains établissements ou le manque d'ouverture de certaines structures aux femmes sont des causes contre lesquelles nous devons lutter. En analysant de plus près les conditions d'obtention de certains types de diplômes, nous pouvons prendre conscience de l'ampleur du mal. Il est particulièrement étonnant, voire choquant de constater qu'en 1997 aucune femme n'a obtenu de diplômes dans les secteurs de l'électronique ou du bâtiment, que ce soit dans les écoles à plein temps ou dans les écoles duales. Dans ces conditions, nous demandons au Conseil d'Etat d'élaborer un rapport sur les causes de ces discriminations et de proposer des solutions pour y remédier.

Mme Janine Hagmann (L). Le groupe libéral vous propose de renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement. En effet, suite aux propos de mon collègue Brunier, nous trouvons que le sujet est intéressant; nous savons aussi qu'il est à la mode, qu'il vous tient spécialement à coeur. J'avais dit déjà une fois que ce sujet était un peu votre jument de bataille. Nous sommes néanmoins d'accord de la renvoyer en commission, ne serait-ce que pour prouver que beaucoup de choses ont déjà été faites. Peut-être nous sera-t-il démontré que la motion est un peu superfétatoire. Hier, en prenant par hasard une brochure sur les métiers, j'ai trouvé une réclame très intéressante. L'Union industrielle genevoise, l'office d'orientation et de formation professionnelle et le bureau de l'égalité ont réalisé une grande affiche disant : «Les filles partent à la découverte des métiers techniques». Les filles parlent elles-mêmes des métiers techniques et des conférences ont lieu à ce sujet pour que des filles deviennent poly-mécaniciennes, laborantines en physique, automaticiennes, électroniciennes, etc.

Aujourd'hui heureusement les temps changent; aucun métier, aucun secteur économique n'est fermé aux femmes. Personnellement, j'aimerais ajouter que, pour moi, le sexe n'a jamais été une priorité... (Rires et exclamations.) ...mais que la priorité ce sont les compétences... Et alors, je peux le dire à mon âge ! Si certains sont déçus, tant pis !

Laissons aux femmes la sensibilité de choisir encore leur profession et étudions tout cela en commission.

Mme Marie-Thérèse Engelberts (PDC). Force nous est de constater que le monde est organisé de manière dichotomique : le bien le mal, les hommes les femmes, la droite la gauche. En fait, on peut déduire que le principe d'égalité devrait être compris comme la mise en oeuvre de tout ce qui facilitera la réalisation des uns et des autres. Je trouve la manière dont la motion est proposée un peu factice. On peut réaliser effectivement qu'il y a des tendances plutôt féminines, ou des professions plutôt féminines et d'autres plutôt masculines. Dans le domaine de la santé, on constate, par exemple, une augmentation de la représentation masculine. En moins de vingt ans, on est passé dans notre canton de 4% d'étudiants garçons à 14% aujourd'hui dans le domaine des soins infirmiers. Ce qui est une progression assez considérable. Par contre, d'un point de vue politique et plus spécifiquement en ce qui concerne l'attitude du département de l'instruction publique dans le domaine de la formation, il est vrai que l'on est en droit de connaître et de renforcer les stratégies qui sont mises en place pour aller dans le sens d'un principe d'égalité. Ceci dans le but de permettre l'ouverture des formations, quoique je pense que celle-ci est assurée. Ce qui nous semble manquer, c'est plutôt un état d'esprit respectueux des spécificités de chacun et de chacune. Dans ce sens-là, le PDC recommande de renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation.