Séance du jeudi 5 novembre 1998 à 17h
54e législature - 2e année - 1re session - 44e séance

M 1231
14. Proposition de motion de Mmes et MM. Elisabeth Reusse-Decrey, Jacqueline Cogne, Christian Brunier et Albert Rodrik concernant la création d'un «bureau des droits de la personne». ( )M1231

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

- le rôle important de Genève dans la défense des droits de l'homme ;

- le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme célébré cette année ;

- les violations de plus en plus fréquentes et graves de cet accord international nécessitant la mise en place de nouvelles mesures et structures ;

invite le Conseil d'Etat

à créer un «bureau des droits de la personne».

EXPOSÉ DES MOTIFS

Préambule : de plus en plus souvent les "; droits de l'homme " sont appelés désormais "; droits de la personne ", même si pour l'heure l'appellation officielle reste "; droits de l'homme ". D'où dans ce texte la double utilisation, selon que sont cités titres ou traités officiels ou principes.

Le 10 décembre 1948, l'Assemblée générale des Nations Unies proclamait la Déclaration universelle des droits de l'homme comme "; l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette déclaration constamment à l'esprit, s'efforcent, par l'enseignement et l'éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d'en assurer, par des mesures progressives d'ordre national et international, la reconnaissance et l'application universelles et effectives, tant parmi les populations des Etats membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction. "

1998 marque donc le 50e anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme. Et pourtant l'heure n'est ni à la fête ni aux célébrations pompeuses. 50 ans après avoir été proclamée, la Déclaration des droits de l'homme n'a jamais été autant bafouée. "; Un échec accablant " s'exclamait récemment Mme Mary Robinson, haut-commissaire aux droits de l'homme.

Ce texte voté au lendemain de la seconde guerre mondiale est presque parfait. Ce n'est pas son contenu, qui est un échec, c'est son application et son respect. De plus en plus il faut se rendre à l'évidence. De beaux textes ne suffisent pas et ne suffiront jamais. Seule l'éducation, la formation, la connaissance des droits et des responsabilités de chacun, l'imprégnation de certaines valeurs pourront avoir des effets sur le comportement de la population et de nos dirigeants.

Au cours des années passées, la Suisse a adhéré à différents traités relatifs aux droits de la personne l'engageant notamment à multiplier ses efforts en matière d'éducation à ces droits. Malheureusement les initiatives sont restées très locales et occasionnelles. Contrairement à d'autres Etats européens, la Suisse ne s'est pas dotée d'une institution indépendante, d'envergure nationale, ayant pour mission de s'occuper des droits humains sous tous leurs aspects.

Et pourtant les droits de la personne, leur respect, la formation à leur connaissance devient une préoccupation internationale. Après la conférence de Vienne, en 1993, l'ONU a décidé de créer le haut-commissariat aux droits de l'homme. Puis, ce sont nos autorités fédérales qui ont suivi cet exemple et créé en 1994 une division ad hoc (la division de politique IV) au sein du DFAE, marquant ainsi la volonté affichée du Conseil fédéral de créer une division indépendante pour toutes les questions touchant aux enjeux politiques émanant des droits de la personne.

Et à Genève

Notre canton vient d'avoir l'honneur d'inaugurer au Palais Wilson le haut-commissariat aux droits de l'homme. De nombreuses ONG s'occupant de la défense de droits humains bafoués ont leur siège à Genève. Aujourd'hui, l'Etat devrait suivre cette impulsion donnée par l'ONU et la Confédération et s'inscrire dans la dynamique locale du haut-commissariat et du monde des ONG. L'Etat de Genève devrait se doter de sa propre structure.

Il y a quelques années notre canton a fait oeuvre de pionnier en créant le bureau de l'égalité. Poursuivons sur cette voie dans le domaine des droits de la personne. Bureau des droits de la personne ? Monsieur ou Madame droits de la personne ? Qu'importe son nom. Il aura pour tâche essentielle d'assurer des projets de formation, d'éducation et de sensibilisation au sein du DIP, voire aussi dans d'autres secteurs publics ou privés (police, employeurs, syndicats, etc.). Il serait aussi chargé de créer des liens étroits avec la vie associative oeuvrant dans ce domaine, afin de pouvoir bénéficier de ses connaissances et compétences très riches.

Certes, il serait faux de laisser croire que le DIP est resté, jusqu'à aujourd'hui, inactif dans ce domaine. Déjà sous l'impulsion de M. le conseiller d'Etat Dominique Föllmi, une telle "; cellule " existait, mais celle-ci a rapidement disparu. A l'heure actuelle quelques enseignants disposent d'heures de décharge pour traiter de certains sujets ayant trait aux droits de la personne, mais aucun lien n'existe entre les différents degrés et aucune stratégie globale n'est proposée. Et cela est regrettable, car un tel fonctionnement nuit non seulement à l'efficacité des projets, mais démultiplie le travail qui est inévitablement mené de manière identique dans divers secteurs sans synergie commune.

Financement

Un tel projet engendrera bien évidemment des coûts ! Un salaire (à plein temps ou à temps partiel) et des charges de fonctionnement. Pour en assurer le financement, et afin de ne pas alourdir le budget de l'Etat ni priver le secteur de l'enseignement d'un poste, nous proposons de couvrir ces frais par le biais du "; fonds jeunesse " (réf. 36.04.01 - 233.26) créé pour venir en aide aux enfants touchés par la tuberculose. Cette maladie ayant quasi disparu sous nos latitudes, le Conseil d'Etat a alors pris la décision, le 4 juillet 1990 de modifier l'affectation de ce fonds qui est désormais destiné à favoriser l'instruction, la scolarisation ou l'intégration scolaire d'enfants et d'adolescents.

Malgré cette modification d'affectation, ce fonds est relativement peu sollicité. Ces dernières années il n'a que peu été utilisé et il pourrait donc être attribué à ce projet. Il est aussi à noter que les heures de décharge dégagées pour certains enseignants dans le domaine des droits de la personne tomberont, engendrant ainsi des économies. Et il sera temps dans 3 ou 4 ans de procéder à une évaluation de cette nouvelle structure.

Conclusion

Genève connaîtra une année 1998 riche en événements concernant le 50e anniversaire de la Déclaration universelle.

A la fin août, et grâce à un appui très important de la Confédération, une rencontre mondiale de défenseurs des droits de l'homme a eu lieu dans notre canton, dont la cérémonie de clôture s'est déroulée dans la salle même du Grand Conseil.

Plus de trente projets d'expositions, manifestations, conférences, débats, etc., émailleront tout l'automne à Genève, avec le soutien du Conseil d'Etat, et le 10 décembre, date anniversaire de la Convention, un prix des droits de l'homme sera attribué dans notre ville à un défenseur particulièrement méritant.

Cette motion demandant au Conseil d'Etat d'instaurer un "; bureau des droits de la personne " nous permet d'associer notre canton à cet événement important et de participer à la construction d'un monde plus respectueux de l'être humain.

Le renvoi de cette proposition en Commission des finances permettra de mieux découvrir encore les enjeux importants qu'un tel projet pourrait faire naître et ses auteurs vous remercient d'avance, Mesdames et Messieurs les députés, de lui faire bon accueil.

Débat

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi de citer une phrase pour commencer : «Ce qui est important, c'est la mise en oeuvre des droits de l'homme.» Cette phrase, c'est M. Halpérin qui l'a exprimée lors de la dernière séance de notre Grand Conseil. Et, pour que nous puissions vivre cette mise en oeuvre des droits de l'homme, il faut de l'information, il faut de la formation, de la sensibilisation et de l'expérience. Il faut que tous ces paramètres soient assurés, et c'est ce que propose cette motion.

On peut faire aujourd'hui deux constats : le premier, c'est que rarement les droits de l'homme, cinquante après avoir été prononcés, n'ont été autant bafoués. Le deuxième constat, c'est que le rôle de la société civile dans la mise en oeuvre des droits humains est de plus en plus important, est de plus en plus reconnu. Les besoins concernent aussi bien l'analyse des actions possibles que la transmission de connaissances et de perspectives. Mobiliser la société civile, c'est lui offrir la chance de voir chaque individu prendre en compte les droits humains, tant au plan éthique qu'au plan politique. Quand je dis société civile, je ne dis pas seulement un ensemble d'individus, mais un large éventail de groupements, d'organisations et aussi de structures d'Etat.

Mesdames et Messieurs les députés, la société civile est responsable de la mise en oeuvre des droits de l'homme et on doit lui donner les moyens d'assurer cette mise en oeuvre. Je propose que cette motion soit renvoyée en commission des finances pour que celles et ceux qui douteraient éventuellement du bien-fondé de cette motion puissent entendre un certain nombre de personnes qui travaillent déjà dans ce secteur de manière admirable, et que ces personnes puissent venir faire valoir leurs arguments.

Mme Janine Berberat (L). Le groupe libéral soutient le renvoi en commission de cette motion et plus précisément en commission des finances, compte tenu des coûts à prévoir et de la proposition de financement qui est faite. Toutefois, Madame la députée Reusse-Decrey, si personne ne conteste la nécessité de promouvoir la défense des droits de l'homme, on peut se demander si la multiplication de bureaux, associations ou autres ne va pas plutôt dans le sens d'une division des énergies apportées et des moyens.

Genève doit-elle vraiment, à l'instar de l'ONU et de la Confédération, créer son propre bureau de la personne ? Ne pourrions-nous pas, dans un esprit d'ouverture et de collaboration, participer à ce qui se fait déjà ? Les structures existantes seraient-elles imperméables les unes aux autres ? L'idée est de créer au sein du DIP des projets de formation, d'éducation et de sensibilisation. Selon les motionnaires, les bonnes volontés existent déjà et des heures de décharge pour traiter de certains sujets ayant trait aux droits de l'homme sont accordées. On peut imaginer qu'un très grand nombre, pour ne pas dire tous les enseignants, sont concernés pas ce message et le transmettent tout au long de leurs cours. La difficulté pour eux ne réside pas forcément dans l'absence d'un bureau de la personne, mais peut-être dans la difficulté de trouver encore de la place dans la grille horaire des élèves, grille qui n'est pas extensible à toutes les nombreuses demandes émanant de notre Grand Conseil.

On peut aussi se poser la question sur la problématique des fonds. On nous propose d'utiliser un fonds qui ne sert à rien ou presque. Initialement, il était destiné à venir en aide aux enfants touchés par la tuberculose. Cette maladie ayant heureusement disparu, on a affecté ce fonds à favoriser l'instruction, la scolarisation et l'intégration d'enfants et d'adolescents. Nous apprenons que, malgré cette nouvelle affectation qui répond pourtant à une préoccupation très actuelle des enseignants, ce fonds n'est pas vraiment sollicité. Pourquoi et combien y a-t-il de fonds dormants, oubliés ou convertis à d'autres buts que ceux initialement prévus ?

Certes, vouloir participer à la création d'un monde meilleur en sensibilisant et en formant les jeunes comme les moins jeunes au respect et aux droits de l'autre doit être une de nos préoccupations majeures. Mais faut-il pour cela créer une vitrine supplémentaire, même si elle était cent pour cent genevoise ? Notre souci de rétablir des finances saines pour les générations futures ne fait-il pas aussi partie du respect des droits de la personne ?

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, il est sage effectivement que vous renvoyiez cette motion à la commission des finances. A cet égard, j'aimerais dire deux choses : tout d'abord la motion est relativement ambiguë parce qu'elle fait allusion à l'activité toute particulière de cette année qui fête le 50e anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme. Si la préoccupation des motionnaires est de savoir comment l'école y est associée, quelles sont ses activités, et de s'assurer qu'on y a mis quelques forces, relevons que la commission des finances a appris effectivement l'autre jour qu'un enseignant avait été délégué tout particulièrement pour assurer un certain nombre d'événements dont on a vu par ailleurs les effets, notamment à l'inauguration du Palais Wilson et dans d'autres activités menées par les écoles.

Nous avons donc bel et bien, par le biais d'un coordinateur dont les tâches sont d'ailleurs prolongées sur ces prochaines années, la possibilité de mener un certain nombre d'actions. Mais je peux déjà dire ce que je dirai à la commission des finances : il est hors de question d'assurer une activité permanente - si c'est cela que vous souhaitez - par le biais d'un fonds qui a justement pour définition de soutenir des activités ponctuelles mais en aucun cas de financer une activité permanente pour laquelle, un jour ou l'autre, les moyens seront épuisés. Vous auriez ensuite à me demander d'intégrer de nouveaux postes dans le budget.

Madame la députée, cela n'est pas raisonnable. Je crois que la commission des finances sera à même de le comprendre lorsque nous en discuterons.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des finances.