Séance du
jeudi 28 avril 2005 à
8h
55e
législature -
4e
année -
7e
session -
39e
séance
PL 8858-A
Premier débat
M. Mark Muller (L), rapporteur de majorité ad interim. Il ne s'agit pas de mon rapport, mais de celui de mon collègue Olivier Vaucher qui a démissionné la semaine dernière et que je remplace au pied levé.
Nous avons déposé ce projet de loi il y a quelques temps pour résoudre un problème bien particulier, lié à l'application de la loi sur les forêts. La loi actuelle proscrit toute construction sur une distance de 30 mètres à partir de la lisière d'une forêt. Dans un grand nombre de cas, cela réduit sensiblement les possibilités de construire, notamment en zone villas où la forêt est encore très présente. Il nous a donc paru nécessaire de trouver une solution à ce problème, c'est-à-dire d'essayer d'assouplir un peu la législation pour répondre aux voeux de certains propriétaires de villa qui veulent pouvoir construire sur leur terrain.
Nous avons fait cette proposition qui, dans un premier temps, allait certes un peu loin - mais il est toujours bon d'émettre des propositions claires pour ouvrir le débat - et une discussion constructive a pu se développer en commission, grâce aux remarques du responsable de l'application de la loi sur les forêts, M. Joly. Et, de manière relativement consensuelle - malgré ce que le rapporteur de minorité pourrait laisser croire - nous avons trouvé la solution suivante: une personne qui souhaite déroger à la limite des 30 mètres pourra dorénavant le faire, moyennant l'adoption d'un plan de quartier ou d'un plan d'alignement. Cela signifie qu'un contrôle sur les conditions d'obtention de cette dérogation sera effectué. En effet, adopter un plan de quartier nécessite une procédure assez lourde qui passe notamment par un préavis municipal, par une enquête publique et par une décision du Conseil d'Etat. Pour obtenir un plan d'alignement, la procédure est assez proche de celle que l'on doit respecter pour l'adoption d'un plan localisé de quartier.
Il existe ainsi des garanties pour que l'on ne porte pas préjudice à la protection de la forêt et que l'on ne construise pas, non plus, des bâtiments qui, à terme, seraient mis en danger par des arbres trop proches. Il me semble donc que cette solution est équilibrée et qu'elle devrait trouver un large soutien.
M. Rémy Pagani (AdG), rapporteur de minorité. Contrairement à ce que vient de dire M. Muller, ce n'est pas l'unanimité de la commission qui s'est déclarée favorable à ce projet, mais une large majorité seulement. Je rappelle que l'Alliance de gauche était contre et que Verts et socialistes s'étaient abstenus, car le sujet est très complexe et demande réflexion.
Comme M. Muller l'a dit, nous nous trouvons face à un projet de loi visant à faire admettre dans notre législation qu'un acquéreur de parcelle - qui voudrait exploiter le potentiel de cette parcelle alors qu'un bois s'y trouve - pourrait dorénavant bénéficier d'un pseudo-droit de bâtir, y compris sur la forêt implantée sur cette parcelle. L'ensemble de la commission s'est rendu compte que c'était totalement impossible d'un point de vue légal - puisque personne n'admettrait que l'on puisse faire bénéficier d'un report de droit de bâtir sur une forêt.
Par conséquent, les députés de la majorité de droite se sont repliés sur d'autres subterfuges juridiques pour permettre d'utiliser au maximum les potentialités d'un terrain à bâtir et faire sauter le verrou des 30 mètres. C'est un sujet complètement scabreux, qui laisserait entendre que l'on peut construire à 10 mètres de la forêt - c'est ce qui vous est proposé - avec une certaine cautèle, notamment correspondre au plan d'alignement éventuel qui pourrait subsister.
En faisant sauter ce verrou des 30 mètres à la forêt, on se retrouvera avec des demandes d'indemnités d'acquéreurs de biens bâtis - par des promoteurs qui, dans un premier temps, trouvaient très bucolique de construire à 10 mètres de la forêt - mais qui, bien vite, se rendraient compte que la forêt a ses inconvénients, comme celui, par exemple, de maintenir une humidité constante et de dégrader beaucoup plus rapidement les bâtiments qui lui sont proches. Et si les arbres venaient à tomber sur les constructions...
Mettre le doigt dans cet engrenage, c'est aller vers des catastrophes. Non seulement des catastrophes pour les propriétaires des immeubles, mais aussi pour l'Etat ! Puisque le propriétaire d'une villa qui viendrait à subir ces inconvénients pourrait se retourner contre la décision, que la majorité de droite et l'UDC vont prendre, et demander des indemnités - du moment que nous donnons la possibilité de construire des logements insalubres... La jurisprudence du Tribunal fédéral l'indique très clairement et certaines affaires nous ont d'ailleurs été citées en commission.
Je vous invite donc à rejeter nettement cette possibilité, d'une part parce qu'un certain nombre d'inconvénients intrinsèques viendraient à subsister pour les propriétaires d'immeubles ou de villas construits à 10 mètres de la forêt. D'autre part, parce que nous estimons que, d'un point de vue légal, il est préférable de fixer la limite à 30 mètres et de permettre des dérogations, et il y en a... (L'orateur est interpellé.)Non, Monsieur Muller, ce ne sont pas des dérogations que vous proposez ! Vous nous proposez d'inscrire dans la loi les 10 mètres à la forêt. Or nous estimons beaucoup plus juste de partir de 30 mètres et d'accorder, le cas échéant, des dérogations pour aménager des parkings ou des petits édicules qui permettraient de viabiliser les terrains dans les 30 mètres à la forêt.
M. Alain Etienne (S). Dans sa teneur initiale, le projet de loi proposé par la droite de ce parlement n'était pas conforme au droit fédéral, il faut bien l'admettre, mais durant cette législature, nous avons été habitués à ce genre situation.
Le groupe socialiste est très réservé quant à ce projet de loi. Tout d'abord, il est fait référence à la modification de la loi sur les eaux, adoptée par ce Grand Conseil, modification que les socialistes avaient refusée.
Concernant cette nouvelle proposition, nous avons de la peine à en mesurer les applications, c'est pourquoi certains et certaines d'entre nous continuerons à s'abstenir. D'autres pourraient voter ce projet de loi, mais sans grande conviction.
Mme Michèle Künzler (Ve). Ce qui est gênant pour un projet de loi qui traite de modification de la loi sur les forêts, c'est que l'on commence l'argumentaire en soulevant le cruel besoin de logements. Nous sommes tous d'accord sur ce point-là, mais doit-on construire sur la forêt, en portant préjudice à la nature ? Je pense que c'est une très mauvaise idée.
Sur Genève, 100 hectares de forêt sont déjà en zone constructible. Comme pour les hameaux, pour les forêts ou pour les zones agricoles, je trouve vraiment dommage que, pendant ces quatre ans, on n'ait pas progressé dans le reclassement des zones. Cela nous aurait évité bien des conflits !
Venons-en maintenant au point précis. Pour les Verts, il est très important de maintenir la zone des 30 mètres. Non seulement pour la forêt mais aussi pour les êtres humains. M. Pagani l'a rappelé, il faut une saine distance entre les deux, pour que les arbres n'empiètent pas non plus sur le territoire des êtres humains ni ne tombent sur les maisons - comme c'est arrivé récemment, même en pleine ville, et fendant la maison en deux. Il n'y a heureusement pas eu de blessés, mais il aurait pu y en avoir. La logique veut que l'on n'approche pas des arbres de trop près et qu'il y ait une zone de sécurité.
Il est vrai que nous nous sommes abstenus, car nous doutons de pouvoir appliquer cette dérogation des 30 mètres en prétendant que la lisière n'est pas touchée. Si l'on applique réellement la loi, je ne vois honnêtement pas comment on pourrait approcher de plus près que 30 mètres, car la lisière est toujours concernée.
Pour l'instant, nous approuverons les propos du rapporteur de minorité, cela clarifiera la situation. Si l'on peut parfois avoir des dérogations et si la loi passe telle qu'elle est proposée, j'espère que toutes les instances qui seront appelées à se prononcer appliqueront la loi avec beaucoup de rigueur: il en va de la santé et de la sécurité des habitants, mais aussi du bien-être des forêts.
M. Jacques Baud (UDC). Je suis toujours quelque peu stupéfait par l'attitude de M. Pagani et sa haine des promoteurs. Il y a là quelque chose qui me paraît un peu forcé. Tous ceux qui voudraient construire des logements - hormis l'Etat - ne seraient que des voyous et des gens malhonnêtes ? Cela me choque un peu.
Quant au fait qu'il serait dangereux, pour construire, d'être plus proche des arbres que trente mètres, je me pose la question: les arbres sur les trottoirs de nos villes seraient-ils dangereux pour les immeubles et les passants ? N'exagérons pas trop !
D'un autre côté, pour la Tulette, là, il faut densifier... Mais dès qu'il s'agit des villas, alors non: ce sont les riches, ce n'est pas permis ! Il y a tout de même une certaine exagération, que je regrette, de la part de la gauche, parce qu'elle n'est pas raisonnabée et que cela va un peu loin.
Il est bien évident que nous voterons pour ce projet de loi.
M. Mark Muller (L), rapporteur de majorité ad interim. J'aimerais revenir sur une ou deux déclarations. Le groupe libéral est également très attaché à la protection des forêts. Son objectif n'est évidemment pas d'empiéter sur la forêt ou d'y bâtir des logements, comme la députée des Verts l'a laissé entendre.
J'aimerais aussi rappeler que la forêt s'étend, elle progresse dans notre pays, il n'y a pas de danger d'atteinte irrémédiable à la substance même de notre aire forestière nationale. Je ne crois pas que l'on puisse peindre le diable sur la muraille comme cela a été fait.
Deuxième élément: je vous rappelle que nous sommes liés par une loi fédérale. Notre loi cantonale ne fait qu'appliquer cette loi fédérale qui limite la zone inconstructible à 10 mètres; nous avons donc la législation cantonale la plus protectrice pour la forêt, et ce n'est pas un mal. Aujourd'hui, nous proposons simplement d'assouplir un peu les règles assez sévères que nous nous sommes imposées par voie dérogatoire.
Dernier point que j'aimerais aborder suite à l'intervention de M. Pagani: il ne s'agit pas ici de remettre en cause de manière généralisée la limite des 30 mètres, mais il s'agit d'étendre un peu les possibilités d'y déroger. Le principe restera toujours le respect de la limite des 30 mètres, mais on voudrait faciliter un peu les dérogations et, encore une fois, dans le cadre de l'adoption de plans, c'est-à-dire toujours dans une procédure - assez lourde - où tout le monde peut s'exprimer. Il me semble donc qu'il n'y a pas de danger à voter cet assouplissement.
M. Rémy Pagani (AdG), rapporteur de minorité. Le sujet est extrêmement complexe, bien qu'il ne le paraisse pas au premier abord: ce n'est pas simplement le fait de déroger aux 30 mètres, mais que la suppression de cette limite soit entrée en force au moment de l'adoption de la présente loi. Un certain nombre de dérogations seront accordées, et cela laissera la porte ouverte à des dérogations en masse.
Aujourd'hui, le département a une vision claire de la limite à 30 mètres, il l'applique de manière stricte et il y déroge dans certaines circonstances; mais demain, avec la suppression qui nous est proposée, le département connaîtra des difficultés: évidemment, les autorités vous diront qu'il n'est pas possible de construire à moins de 30 mètres, mais des recours seront déposés auprès des tribunaux et le département aura beaucoup de mal à justifier sa position.
C'est pourquoi nous proposons, pour garantir le droit, de réintroduire ce segment de phrase: «... en force au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi...». Il nous paraît utile et nécessaire d'octroyer au département les moyens juridiques de résister aux demandes pléthoriques de dérogation qui seront déposées: elles seront refusées dans un premier temps et, parce que les tribunaux appliqueront la décision que nous risquons de prendre ce matin, le département devra finalement s'y soumettre.
La présidente. Nous allons nous prononcer sur l'entrée en matière et, ensuite, nous prendrons une pause... Monsieur Grobet, souhaitez-vous vous exprimer sur l'entrée en matière ou sur les amendements ?
M. Christian Grobet (AdG). Je ne souhaite pas évoquer ces amendements. J'ai beaucoup de respect pour M. Pagani, pour beaucoup de ses amendements, mais, là, je crois qu'il fait fausse route... (Rires.)Même en réintroduisant cette disposition, qui va être supprimée, cela pourrait aller à fins contraires de ce que vous souhaitez.
Je m'explique. A mon avis, la disposition des lois entrées en force aurait dû figurer dans une disposition transitoire au moment où la loi sur la forêt a été votée. Pourquoi ? Parce qu'on voulait éviter d'appliquer la loi avec effet rétroactif. Et l'on a intégré cela dans cet article pour éviter, précisément, qu'on applique la nouvelle loi à des projets alors que les zones n'étaient pas encore en force.
En examinant la disposition que vous voulez réintroduire, on pourrait l'interpréter en disant que cette dernière ne s'applique pas à des zones créées ultérieurement. La suppression de cette disposition est donc un simple toilettage qui ne modifie absolument pas le sens de la loi. Je ne vois pas en quoi cela entraînerait des dérogations supplémentaires; elles résulteront de l'introduction de la notion de plan d'alignement qui sera forcément interprétée de manière restrictive. Car, bien qu'il ne soit pas mentionné dans la loi d'application sur l'aménagement du territoire, le plan d'alignement implique, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une procédure d'adoption conforme au plan d'affectation du sol, c'est-à-dire une mise à l'enquête publique, un préavis du Conseil municipal, etc.
Objectivement, je crois que la disposition que vous voulez réintroduire était une simple disposition transitoire au moment où la loi avait été adoptée et qui, aujourd'hui, n'a plus de sens.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. A l'origine, ce projet de loi était quelque peu excessif. Aujourd'hui, votre commission d'aménagement est parvenue à trouver une solution qui respecte le principe de base d'interdire les constructions à 30 mètres de la forêt, tout en permettant d'introduire - avec une souplesse raisonnable et les garde-fous qui évitent que l'exception devienne la règle - un système acceptable.
Je rappelle que parmi les cas bizarres entourant cette loi se trouve celui où, quand une route sépare une parcelle de la forêt, les 30 mètres se calculent en traversant la route. Cela n'a évidemment aucun sens par rapport à la protection de la forêt elle-même, déjà limitée par la route.
Il y a un certain nombre de cas de ce genre où, de toute évidence, un plan d'alignement - qui est un instrument suffisamment strict et raisonnable - peut régler cette problématique.
Par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à voter ce projet tel qu'il ressort des travaux de la commission d'aménagement.
Mis aux voix, ce projet de loi est adopté en premier débat par 45 oui contre 16 non et 4 abstentions.
Deuxième débat: Session 07 (avril 2005) - Séance 40 du 28.04.2005
La présidente. Nous prenons une pause de 15 minutes. Nous nous retrouverons à 10h10 et poursuivrons l'examen de ce projet de loi.