Séance du
jeudi 10 juin 2004 à
17h
55e
législature -
3e
année -
9e
session -
45e
séance
PL 8501-A
Premier débat
Le président. M. le rapporteur Pierre Weiss est remplacé au pied levé par M. Renaud Gautier. Monsieur le rapporteur, avez-vous quelque chose à ajouter à votre rapport ?
Une voix. Oui ! (Commentaires.)
M. Renaud Gautier(L). Monsieur le président, je n'ai rien à ajouter... (Rires.)
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur ! Monsieur Christian Grobet, vous avez la parole.
M. Christian Grobet (AdG). Nous ne sommes évidemment pas étonnés que la majorité de droite ne veuille pas entrer en matière sur ce projet de loi, quand bien même la population est de plus en plus préoccupée par la suppression ou, en tout cas, l'affaiblissement d'un certain nombre de services publics. Il n'y a qu'à voir ce qui se passe pour la Poste. On sait qu'un certain nombre de services publics sont menacés, que la droite a la volonté de les privatiser, notamment ceux qui sont lucratifs, comme l'aéroport.
Nous estimons par conséquent tout à fait logique que des questions de cette importance soient automatiquement soumises à l'approbation du peuple, à travers le référendum obligatoire. C'est vrai, ce projet de loi correspond à un volet d'une initiative que nous avons lancée, laquelle, malheureusement, a été annulée par le Grand Conseil... (L'orateur est interpellé.)Oui, le Tribunal fédéral, a rendu un arrêt que je regrette... Vous pouvez toujours sourire, Monsieur Luscher, vous avez marqué un but, mais vous n'avez pas encore marqué le deuxième, car, cette fois-ci, le Tribunal fédéral a été, à mon avis, plus attentif ! Je porte le plus grand respect au Tribunal fédéral, mais je persiste à dire que l'initiative qui a été annulée aurait très bien pu être scindée en deux. Ou, alors, un volet aurait pu être annulé. Quoi qu'il en soit, une solution aurait pu être trouvée, comme le Tribunal fédéral l'a fait pour l'initiative 120 relative aux droits des locataires. J'ai oublié le numéro, je crois qu'il s'agit de l'initiative 120 ou 121...
Une voix. 121 !
M. Christian Grobet. 121, bien ! Pardon ?
Une voix. 120 !
M. Christian Grobet. 120, c'est ce qu'il me semble ! Je voulais simplement souligner qu'il y a eu cette fois-ci délibération publique. Je ne sais pas pourquoi l'initiative précédente - sauf erreur, l'initiative 119 - n'avait pas fait l'objet d'un débat public... Vous vous réjouissez que votre mauvais coup ait réussi, Monsieur Luscher... Moi, je suis... (L'orateur est interpellé par M. Luscher.)D'accord, d'accord ! Moi, figurez-vous, je suis toujours... (L'orateur est interpellé.)Ne vous abritez pas derrière le Tribunal fédéral, parce qu'en matière de droit public, vous savez très bien que, si l'initiative avait été admise par le Grand Conseil, elle aurait probablement été confirmée par le Tribunal fédéral ! C'est le paradoxe de la situation, à savoir que la décision prise peut être confirmée qu'elle soit positive ou négative... Moi, je m'en réfère à la jurisprudence généreuse que le Tribunal fédéral avait eue pour l'initiative «L'Energie, notre affaire» qui avait recommandé au Grand Conseil de trouver une solution, ce qui avait été fait, à l'époque, alors qu'il y avait une majorité de droite au Grand Conseil. Mais il est vrai que celle-ci était certainement plus respectueuse du fonctionnement des institutions que la majorité actuelle... C'est, du reste, à la suite de l'initiative «L'Energie, notre affaire» que notre constitution a été modifiée, précisément pour imposer au Grand Conseil - et c'était bien qu'un juge fédéral l'ait rappelé - que ce n'était pas une Kann-Vorschrift,mais une obligation pour le Grand Conseil de rechercher une solution pour sauver une initiative qui ne respectait pas le principe. Personnellement, je ne suis pas convaincu par le premier arrêt du Tribunal fédéral, qui porte précisément sur la question dont nous débattons ce soir. Par contre, j'ai été heureux de constater, il y a deux ou trois semaines, que le Tribunal fédéral était nettement plus ouvert, puisqu'il a tenu compte des droits des citoyennes et des citoyens de se prononcer.
Nous aurons peut-être l'occasion - rassurez-vous, Monsieur Luscher ! - de revenir sur ce sujet, et nous verrons bien comment le problème sera traité...
M. Alberto Velasco (S). Nous, les socialistes, nous étions au départ assez réservés par rapport à ce projet de loi, dont la dernière phrase stipule, je cite: «Il en est de même pour toute cessation d'activité ou transfert d'actifs à un établissement public autonome ou à une entreprise ou une institution de droit privé.» C'est vrai, cela pose problème, car on ne peut pas considérer un transfert d'actifs comme la privatisation d'un service de l'Etat...
Cela dit, nous aurions souhaité entrer en matière sur ce projet de loi et l'examiner, car il soulève de réels problèmes. Nous aimerions bien savoir quels sont les services de l'Etat qui seraient prétendument «privatisables» ou que la droite voudrait privatiser, et nous pourrions expliquer pourquoi il faut les privatiser ou pas.
C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, nous allons accepter l'entrée en matière de ce projet de loi, en espérant vous avoir un peu convaincus.
M. Souhail Mouhanna (AdG). Le rapporteur - député de la majorité - se permet de se moquer dans son commentaire de ce qu'on peut appeler «les droits populaires»... En effet, il dit, je cite: «Le tout procède davantage d'une conception au fond populiste de la démocratie directe qui tiendrait dans la formule «tout le pouvoir au peuple», voire plébiscitaire, au sens originel, que d'un ancrage dans la tradition libérale de l'équilibre des pouvoirs héritée notamment de Montesquieu.»
J'ai cherché tout à l'heure la constitution de la République et canton de Genève, dont je vais vous lire l'article 1 du titre premier: «Souveraineté. Alinéa 1: la République de Genève forme un des cantons souverains de la Confédération Suisse. Alinéa 2: la souveraineté réside dans le peuple. Tous les pouvoirs politiques et toutes les fonctions publiques ne sont qu'une délégation de sa suprême autorité. Le peuple se compose de l'ensemble des citoyens. La forme du gouvernement est une démocratie représentative.» Voilà ce que dit la constitution et voilà ce que se permet de dire le rapporteur, M. Pierre Weiss ! Pour lui, le respect des droits populaires est une notion dépassée, c'est «tout le pouvoir au peuple» selon Montesquieu !
Il dit à un autre endroit de son rapport, je cite: «... participe non seulement d'une méfiance fondamentale envers la sagesse de ce Grand Conseil...». Et celui qui écrit cela, Monsieur le président, est le même qui s'est permis de présenter il y a quelques jours, en commission des finances, des amendements qui ont dû être retirés tant ils étaient en totale contradiction avec les articles de la loi, notamment la loi sur la gestion administrative et financière !
A travers ce projet de loi, nous avons simplement voulu faire en sorte que toute modification des structures de l'Etat, qui lui donnent, justement, la possibilité de maîtriser un certain nombre de services publics, soit soumise au Grand Conseil, avec référendum obligatoire, pour que le peuple puisse se prononcer. Ce serait respecter les principes élémentaires de la démocratie. Je retiens, dans le refus de la majorité de droite d'entrer en matière, une volonté de démanteler l'Etat et le non-respect des droits démocratiques ! Voilà ce que je tenais à dire.
M. David Hiler (Ve). Nous regrettons que la majorité n'ait pas voulu entrer en matière sur ce projet...
Nous aurions pu trouver une solution pour distinguer clairement les processus d'autonomisation, auxquels nous sommes en principe favorables - pour autant que le contrôle parlementaire soit garanti, comme il l'est aujourd'hui pour l'essentiel - et les privatisations à proprement parler, qui représentent des abandons par l'Etat d'un certain nombre de tâches. La majorité a refusé d'entrer en matière, de sorte que nous n'avons pas du tout pu débattre de ces distinctions, ni des transferts d'actifs. Pour notre part et contrairement à l'Alliance de gauche, nous ne voyons pas en quoi le fait de transférer des actifs aux TPG serait une privatisation...
Nous regrettons et nous trouvons injuste, en réalité, que la constitution rende le référendum obligatoire pour les impôts, mais pas quand il s'agit d'abandons de tâches de l'Etat. Et c'est pour cette raison que les Verts ont voté l'entrée en matière de ce projet de loi en commission, et c'est pour cette raison que nous proposons aujourd'hui, bien sûr, d'entrer en matière, afin que la commission puisse examiner les différents volets et prendre une position motivée.
M. Gabriel Barrillier (R). C'est un peu par hasard que ce projet de loi est en discussion aujourd'hui... On ne le sait pas très bien...
Je dirai tout d'abord à mes collègues que ce projet de loi n'est pas utile, puisque, jusqu'à maintenant, à chaque fois qu'une décision de transfert, d'autonomisation ou de privatisation, a été prise par ce Grand Conseil, un référendum a été lancé, alors même qu'il était facultatif... Rappelez-vous - c'est peut-être un mauvais souvenir pour certains - la privatisation ou l'autonomisation du Service des automobiles ! Rappelez-vous - il y a une dizaine d'années - la Clinique de Montana ! Ces cas sont l'illustration qu'il est possible de contester de telles décisions, et, en certaines occasions, le peuple vous a donné raison. Alors où est le déni de démocratie ? Où est l'attaque contre les droits populaires ?
Je ferai une deuxième remarque. Si nous acceptions ce projet de loi, cela signifierait que, d'avance - je dis bien «d'avance» - nous nous engagerions à soumettre automatiquement et obligatoirement au peuple toute décision, de la plus importante - je peux être d'accord sur ce point - à la plus minime, comme le transfert d'un service d'un département à un autre département ! Eh bien, moi, Mesdames et Messieurs les députés, je préfère la méthode envisagée avec GE-Pilote, qui permettra de discuter, d'examiner le fonctionnement de l'Etat et d'étudier comment le rendre le plus efficace possible ! En tout cas, je ne suis pas du tout favorable au «bétonnage» du fonctionnement de ces institutions ! Et puis, je connais peut-être moins bien Montesquieu que M. Mouhanna, mais, si le parlement se dessaisit d'avance de la plupart de ses compétences, je me demande à quoi il sert encore de discuter ici !
Nous refuserons l'entrée en matière de ce projet de loi.
M. Mark Muller (L). Le groupe libéral refusera également l'entrée en matière de ce projet de loi, pour la raison principale qu'il vise, en fait, à conférer un rang constitutionnel à tous les services publics qui existent à toutes les tâches publiques accomplies aujourd'hui par l'Etat...
Il me semble important de respecter un certain nombre de règles institutionnelles, notamment celles qui permettent de distinguer, d'une part, ce qui doit être considéré de rang constitutionnel, sur le fond, c'est-à-dire les normes fondamentales de notre Etat - toute modification de ces normes devant faire l'objet d'un référendum obligatoire - et, d'autre part, ce qui doit être régi par des règles de rang législatif, dont les modifications font l'objet d'un référendum facultatif.
C'est vrai que la tendance, depuis un certain temps, est de vouloir faire passer dans la constitution toute une série de règles... Cela a commencé par la fiscalité... A titre personnel, je n'ai jamais considéré que c'était une très bonne idée de devoir systématiquement soumettre au peuple chaque modification de la fiscalité du canton. D'ailleurs, à plusieurs reprises ces dernières années, nous avons pu constater les effets pervers induits. En effet, il a fallu soumettre au peuple des objets sur lesquels tout le monde était d'accord, ce qui est particulièrement absurde ! L'initiative 120, qui vient d'être largement sabrée par le Tribunal fédéral, propose la même chose pour tout ce qui concerne le logement... Je ne trouve pas cela très judicieux non plus !
Et là, vous nous proposez la même démarche pour tout ce qui relève des tâches de l'Etat, des services publics, des prestations ! Je pense que cela va beaucoup trop loin !
C'est pour cette raison, Mesdames et Messieurs les députés, que nous n'entrerons pas en matière sur ce projet de loi.
M. Rémy Pagani (AdG). Je serai bref... (Rires et exclamations. Le président agite la cloche.)J'interviens pour demander le renvoi en commission de ce projet de loi, Monsieur le président.
M. Mark Muller se demande pourquoi nous voulons inclure dans la constitution l'obligation de soumettre au peuple toute baisse d'impôt... Je lui répondrai simplement que c'est parce que lui et les députés de droite et de l'UDC ont tout fait, ces quatre dernières années, pour empêcher tout consensus à ce niveau, alors que nous arrivions toujours à trouver un consensus par le passé. A chaque fois que le peuple prend des décisions, notamment sur la LDTR, ces messieurs les remettent en question en utilisant la technique du saucissonnage, en déposant des projets de lois sur des points très précis, et, jusqu'à présent, nous avons démontré que nous étions capables de mobiliser le corps électoral et de les battre. Mais maintenant, cela suffit, Monsieur Mark Muller ! Nous avons effectivement fait recours au Tribunal fédéral, qui nous a donné raison... (Exclamations.)... en ce sens que nous devrons, dorénavant, si le corps électoral le veut bien, voter tout ce que le peuple a fait - il devra le défaire - et nous en sommes très contents !
M. Gilbert Catelain (UDC). L'UDC ne soutiendra pas la proposition de l'Alliance de gauche de renvoyer ce projet de loi en commission. La raison est relativement simple, elle est explicitée dans le rapport établi par le parti libéral. (L'orateur est interpellé.)L'excellent rapport, effectivement !
D'une part, les activités de l'Etat ne sont pas définies... On pourrait effectivement discuter toute la nuit pour savoir ce qu'est ou pas une activité dépendant exclusivement de l'Etat. Grosso modo, il y en a trois: la perception des taxes, l'instruction publique et la sécurité. Tout le reste peut être privatisé. Nous risquons effectivement de nous trouver en porte-à-faux entre une exigence constitutionnelle et une sous-exigence constitutionnelle, qui consisterait à définir le service public.
D'autre part, je rappelle que Genève en général et les partis de gauche en particulier sont très attachés à une adhésion de la Suisse à l'Union européenne... Vous devez tout de même savoir à cet égard que le principal objectif de cette dernière est de privatiser l'ensemble des services liés à l'économie ! Je pense à la Poste: l'ensemble des services postaux est privatisé - ou sera privatisé; je pense à l'énergie, avec le conflit EDF en France, puisque cette dernière a reçu l'ordre de la commission de Bruxelles de privatiser... Et je vois assez mal comment, dans un futur proche ou lointain, nous pourrions remplir l'exigence constitutionnelle que vous voulez nous faire accepter !
Présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny, première vice-présidente
M. Patrick Schmied (PDC). Le parti démocrate-chrétien est d'accord avec ceux qui rejettent cette idée... Cela signifie des blocages supplémentaires, comme si cette République n'en connaissait pas suffisamment ! Et puis, ce projet de loi à un objectif tactique à la base - mais la ficelle est un peu grosse - il s'agit de l'aéroport !
Nous refuserons donc ce projet de loi.
M. Christian Luscher (L). Je vais m'exprimer sur le renvoi en commission de ce projet de loi, demandé par M. Pagani...
Je tiens à vous féliciter, Monsieur Pagani, car vous réussissez à nous dire aujourd'hui que le Tribunal fédéral vous a donné raison, alors que l'arrêt n'est même pas encore sorti de presse et que personne n'a pu le lire ! Vraiment, je vous félicite, Monsieur Pagani !
L'initiative 120 a certes donné lieu à une délibération publique devant le Tribunal fédéral, mais vous n'y étiez pas... Alors, je vous félicite d'autant plus: vous pouvez commenter un arrêt qui n'est même pas rédigé par le Tribunal fédéral et, en plus, vous étiez absent à la délibération publique ! Véritablement vous êtes un mage du monde judiciaire ! (Rires.)
Vous persistez à dire, Monsieur Pagani, que c'est la droite qui impose des baisses d'impôt dans cette République... Vous vous moquez du souverain ! M. Mouhanna le rappelait tout à l'heure: c'est le peuple qui décide de ce genre de chose. Et lorsque le peuple décide d'approuver les baisses d'impôt proposées par la majorité de ce parlement, il faut vous soumettre à sa décision, Monsieur Pagani, comme le suggérait tout à l'heure M. Mouhanna ! En l'occurrence: vox populi, vox Dei.Monsieur Pagani, vous devez vous y soumettre comme tout le monde !
Il y a lieu, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer ce projet de loi, non pas en commission mais aux oubliettes ! C'est un très mauvais projet de loi ! Il comporte de la méfiance et de la défiance vis-à-vis de ce parlement, parlement dans lequel, Monsieur Pagani, vous vous croyez la plupart du temps en droit de nous abreuver de vos commentaires !
Mesdames et Messieurs les députés, il faut donc renvoyer ce projet aux oubliettes et refuser son entrée en matière.
Présidence de M. Pascal Pétroz, président
M. Alberto Velasco (S). J'aimerais dire à M. Luscher que si le peuple, aujourd'hui, peut se prononcer sur les baisses ou les augmentations des impôts, c'est parce que ce droit a un jour été introduit dans la constitution ! Il est donc normal, si le service public doit être privatisé ou l'Etat dépossédé d'un de ses actifs, qu'il puisse s'exprimer. Cela me semble des plus logique et des plus démocratique !
Même si nous, socialistes, sommes réservés sur ce projet de loi, nous estimons qu'il soulève de réels problèmes au sujet desquels nous avons été très clairs - je pense aux transferts d'actifs, à la sous-traitance - et il y a là matière à discuter. En l'occurrence, Monsieur le président, nous sommes d'accord de renvoyer ce projet de loi en commission.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets tout d'abord la proposition de renvoi en commission, au moyen du vote électronique. Le vote est lancé.
Mis aux voix, le renvoi en commission du projet de loi 8501 est rejeté par 44 non contre 34 oui.
Le président. Je vous soumets maintenant la prise en considération de ce projet de loi, toujours au moyen du vote électronique. Le vote est lancé.
Mis aux voix, le projet de loi 8501 est rejeté en premier débat par 46 non contre 34 oui.