Séance du vendredi 23 janvier 2004 à 20h45
55e législature - 3e année - 4e session - 20e séance

PL 8705-A
Rapport de la commission d'aménagement du canton chargée d'étudier le projet de loi de MM. Florian Barro, Bernard Lescaze, Jean-Michel Gros, Pascal Pétroz, Pierre-Louis Portier, Christian Luscher, Alain Meylan, Hugues Hiltpold, Gabriel Barrillier, Yvan Galeotto, Patrick Schmied modifiant la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites (L 4 05)
Rapport de majorité de M. Mark Muller (L)
Rapport de première minorité de M. Alain Etienne (S)
Rapport de deuxième minorité de Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG)

Premier débat

M. Mark Muller (L), rapporteur de majorité. Ce projet de loi a un caractère éminemment technique et procédural. Pour en résumer le sens et la finalité, je vous citerai simplement une phrase du rapport de M. Etienne : «Ce que veut la droite, en vérité, c'est qu'il n'y ait plus de recours possible une fois l'autorisation de construire entrée en force.»

Effectivement, nous souhaitons que, dès lors qu'une autorisation est entrée en force, il ne soit plus possible de la remettre en question ou du moins à des conditions restrictives, voire exceptionnelles.

M. Alain Etienne (S), rapporteur de première minorité. Ce projet de loi des partis de l'Entente vise une fois de plus à restreindre le droit d'agir des associations. Ce projet de loi nie totalement le travail considérable qui est réalisé par les associations qui se battent pour la préservation du patrimoine. Les demandes de mise à l'inventaire ou les demandes de classement permettent d'alerter le Département sur la valeur patrimoniale d'un bâtiment. Comment peut-on juger ces demandes irrecevables si l'on reconnaît une qualité patrimoniale au bâtiment concerné ?

Le patrimoine bâti n'est pas figé. C'est une matière qui évolue, notamment en ce qui concerne le patrimoine moderne. Il est primordial de prendre en compte les expertises des associations de protection du patrimoine, ou alors il faut donner encore plus de moyens au Service des monuments et des sites pour effectuer son travail prospectif.

Il n'est pas correct de légiférer pour sanctionner telle ou telle association qui dérange dans le paysage du canton. Il n'est pas juste non plus de dire que les associations sont source de blocage; bien au contraire, l'intervention des associations en amont permet justement d'éviter les recours par la suite. Il n'est pas plus correct de légiférer pour des exceptions.

En commission, nous avons demandé des statistiques afin de juger si cette modification méritait notre accord. L'Entente a voulu traiter cet objet au pas de charge, et nous n'avons obtenu aucun chiffre.

Les mauvaises conditions de travail en commission sont à déplorer. (Exclamations.)Ce qu'il y a encore de plus intolérable dans cette affaire, c'est le refus des commissaires de l'Entente de procéder à l'audition de la CMNS.

Ce projet de loi n'est pas acceptable, il ne sert qu'à défendre des intérêts particuliers. C'est pourquoi je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de le refuser.

Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG), rapporteuse de deuxième minorité. On parle beaucoup d'urgence ce soir, mais l'urgence de M. Muller et des milieux qu'il défend est une urgence à deux vitesses. Elle vise à protéger des intérêts particuliers, on verra lesquels plus tard.

Je vous rappelle que ce projet de loi tend à modifier une loi qui a été votée à l'unanimité de ce Grand Conseil en mai 2001 et qui prévoit que les demandes de mise à l'inventaire et de classement - car il est question ici de protection du patrimoine, ce qui devrait être le souci de l'Etat - ne soient pas utilisées pour faire traîner les plans localisés de quartiers et les autorisations de construire, mais bien pour servir le patrimoine. C'est pour cela que cette loi avait été votée en 2001.

Pas plus tard que deux mois après l'entrée en vigueur de la loi, l'Entente dépose un projet de loi pour en modifier une disposition. Il n'y avait aucun cas concret sur lequel baser une modification et, malgré cela, les signataires du projet prétendent que les conséquences de ces dispositions sont insupportables, que la loi est incohérente, qu'elle présente des aspects inacceptables, que les délais sont trop longs. Tout cela, alors que la loi n'avait pas encore été appliquée...

Les travaux de la commission commencent en automne 2002 et - alors que ce projet de loi demande la suppression des préavis de la CMNS - les commissaires de l'Entente refusent l'audition de cette commission, qui était pourtant concernée au premier chef; les travaux sont bâclés et, deux séances plus tard, on vote, et un délai est fixé aux rapporteurs. M. Etienne et moi-même, rapporteurs de minorité, déposons nos rapports en février 2003, et c'est là que l'urgence semble être à deux vitesses, parce que le rapport de majorité de M. Muller ne sera déposé qu'en novembre 2003.

Et malgré ce délai de neuf mois pour déposer le rapport de majorité, l'Entente sollicite, pour cette session, le traitement en urgence de ce projet de loi... On se demande vraiment où est l'urgence et quels intérêts elle sert ! J'aimerais beaucoup que M. Muller nous explique la raison de cette urgence, à propos d'un projet lui ayant nécessité neuf mois pour rendre son rapport de majorité.

Je pense qu'il n'y aura malheureusement pas de débat ce soir parce que des consignes ont été données dans ce sens.

Ainsi, il n'y a aucun cas concret montrant que la loi votée en 2001 était inacceptable, et il n'y aura aucun débat ce soir sur cet objet... Au vu de ces éléments, je demande quels intérêts ce texte défend. J'en déduis, en l'absence d'avis contraire, que ce sont les intérêts de quelques propriétaires dans ce canton, intérêts qui guident cette modification législative au détriment de l'intérêt général et au détriment, surtout, de la défense du patrimoine qui devrait être la préoccupation de tous.

Je vous invite donc, Mesdames et Messieurs les députés, à refuser l'entrée en matière de ce projet de loi.

M. Yvan Galeotto (UDC). Ce projet de loi a pour but de ne pas entraver une autorisation de démolir ou construire en force. En effet, comme vous avez pu le remarquer, Mesdames et Messieurs, ce projet comporte trois modifications d'articles, essentielles au bon fonctionnement et à la rapidité d'exécution des dossiers en cours. Ces modifications portent sur les procédures de classement et de mise à l'inventaire. Nous avons pu débattre largement de ces points en commission et, par la même occasion, auditionner les représentants de la Société d'art public et d'Action patrimoine vivant. L'un d'eux nous a même expliqué qu'il y aurait atteinte aux droits démocratiques...

Mesdames et Messieurs les députés, au vu de ce projet de loi, nous demandons que ces procédures visant à la protection du patrimoine soient initiées très en amont avec des représentants de toutes les parties qui défendent les droits du patrimoine et qu'elle accordent leurs violons une bonne fois ! Même s'il y a recours pendant la procédure en force, elle devra être menée avec diligence et célérité. Il s'agit de ne pas nuire aux propriétaires concernés.

Pour conclure, l'UDC vous invite à soutenir ce projet de loi dans son ensemble et vous en remercie par avance.

M. Christian Grobet (AdG). Nous déplorons très vivement ce projet de loi. Notre patrimoine, c'est probablement ce que nous avons de plus précieux et la liste est particulièrement longue des bâtiments dignes d'intérêts qui auraient dû être conservés. Il y a dans cette salle des historiens de l'art qui pourraient rappeler toutes les démolitions du siècle dernier, et plus particulièrement celles intervenues après la Seconde Guerre mondiale. Les historiens de l'art savent que, de manière générale, en Europe occidentale, les démolitions d'immeubles après la guerre ont été beaucoup plus importantes que les destructions dues aux bombardements intervenus durant la guerre de 1939-45. C'est tout de même un paradoxe !

Il y a des quartiers, comme celui de Saint-Gervais avec la maison Rousseau et des bâtiments du XVIIe siècle, qui ont totalement disparu. Je pourrais citer maints autres exemples. On peut surtout citer celui de certains bâtiments dont la démolition était programmée, qui ont été sauvés et devant lesquels tout le monde aujourd'hui se pâme d'admiration... y compris ceux qui voulaient les démolir. Je crois que c'est la meilleure démonstration qu'on peut changer d'opinion et prendre conscience au dernier moment de ce qu'un bâtiment doit être préservé.

Prenons l'exemple de l'hôtel Métropole. Ce bâtiment - s'il n'est pas forcément le meilleur exemple de sauvegarde - a été une sorte de révélateur à Genève. Les milieux bien pensants considéraient qu'il fallait le démolir : il y a eu une votation populaire au résultat cinglant qui a permis de sauver ce bâtiment. Je vous rappelle qu'un référendum ne pouvait intervenir que pour des bâtiments publics, et non pas pour des bâtiments privés. C'est ainsi qu'à l'époque d'autres bâtiments, comme l'ancien hôtel de Russie ou l'hôtel des Bergues, ont disparu. Et tous ceux qui étaient pour la démolition de l'hôtel Métropole ont reconnu après coup qu'elle aurait constitué une grave erreur.

Prenons encore l'exemple du quartier des Grottes. Tout le monde à Genève s'accorde pour le juger formidable; plus personne en revanche ne se souvient que ce quartier devait être totalement rasé. On peut mentionner encore l'exemple du quartier de Villereuse, de l'ancienne prison de Saint-Antoine, etc.

Je revendique le droit à l'erreur de ceux qui prévoient la démolition d'un bâtiment, mais l'erreur peut être corrigée et, parfois, des prises de conscience interviennent et font apparaître la nécessité de conserver un bâtiment. Que propose la loi actuelle ? Dans des cas où une décision a été prise avec un préavis de la CMNS, il est possible de solliciter une nouvelle fois l'avis de cette commission. Dans l'hypothèse où elle maintient son avis, la demande de protection est déclarée irrecevable. C'est une question d'un mois au maximum, Mesdames et Messieurs les députés !

J'aimerais savoir, Monsieur Moutinot - s'il est possible de vous distraire un instant de votre entretien avec M. Weiss, dont on sait qu'il se fout de ce qui se raconte ici... (L'orateur est interpellé.)Mais oui, vous l'avez dit tout à l'heure, Monsieur Weiss! J'ai beaucoup de sympathie pour vous, mais il est clair que, quoi qu'on dise, vous voterez cette loi, et que la protection du patrimoine ne vous intéresse pas !

Bref, j'aimerais demander à M. Moutinot combien de fois l'alinéa 3 de l'article 10 a été appliqué, autrement dit, combien de fois cette commission des monuments, de la nature et des sites a-t-elle été sollicitée, depuis l'adoption de la loi, pour réexaminer un préavis favorable à une démolition ? Finalement, c'est cela le problème ! Y-a-t-il eu un abus de la part des associations de protection du patrimoine ? (L'orateur est interpellé.)Bon, il y en a peut-être eu un, d'abus...

Des voix. Lequel ?

M. Christian Grobet. Mais il n'y en a pas eu...

Une voix. La Roseraie !

M. Christian Grobet. C'est très bien que vous me parliez de la Roseraie ! Parce que, dans cette affaire-là - précidément, Monsieur Muller, et vous devriez le savoir ! - la commission des monuments et des sites a considéré que les villas de la Roseraie devaient être préservées ! Et c'est le Tribunal administratif qui n'a pas voulu suivre le préavis de la commission des monuments et des sites !

Je dois relever, malgré tout le respect dû au Tribunal administratif, que je trouve assez paradoxal que, chaque fois que le préavis de la CMNS est favorable à une démolition, le Tribunal administratif dit qu'il faut suivre le préavis, parce que c'est un préavis technique, et parce que le Tribunal ne doit pas se substituer à la CMNS. En revanche, lorsque la CMNS estime qu'il faut préserver un bâtiment, eh bien, c'est dans ces cas-là que le Tribunal administratif substitue son point de vue à celui de la commission. Il y a là - je regrette de le dire face à des magistrats - un double langage qui est choquant de la part d'une juridiction, qui applique une règle une fois et ne l'applique pas une autre, selon le cas dont il s'agit.

Mais, même s'il y avait eu une décision, comme vous le prétendez, à tort, en ce qui concerne l'avenue de la Roseraie, Monsieur Muller, cela ne justifierait pas la modification législative que vous nous proposez ! Il faudrait qu'on nous démontre - et c'est pour cela que j'interpelle M. Moutinot - qu'il y a eu ce que j'appelle des «abus de reconsidération» de préavis en application de la nouvelle loi. A cela s'ajoute, Monsieur Muller, le préavis de la CMNS qui avait été sollicitée à se prononcer dans le cadre d'un plan de site à ce sujet...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !

M. Christian Grobet. ... le préavis était antérieur à la disposition légale de l'article 10 !

Je reprendrai la parole, Monsieur le président. D'ailleurs, je me réinscris immédiatement ! En effet, le préavis de la CMNS constitue un problème en tant que tel: il s'agit de savoir qui prend le préavis pour la CMNS et qui l'interprète !

J'aimerais conclure avec un dernier exemple...

Le président. Je vous prie de vous interrompre, Monsieur le député. Vous reprendrez la parole, comme vous en avez le droit.

M. Christian Grobet. J'aimerais mentionner, à l'intention de M. Lescaze, qui est signataire de ce projet de loi, l'exemple de l'immeuble de James Fazy qui a été classé ! Et...

Le président. Je vous prie de vous asseoir, Monsieur le député !

M. Christian Grobet. Il me reste vingt secondes !

Le président. Pas du tout, vous avez déjà parlé huit minutes et trente secondes ! (M. Grobet continuer à parler sans micro.)La parole est donnée à M. Weiss, qui va brièvement répondre à la mise en cause dont il a fait l'objet.

M. Pierre Weiss (L). Je fais aimablement remarquer à Monsieur Grobet que, certes, j'ai momentanément considéré que les propos d'un conseiller d'Etat étaient au moins aussi intéressants que les siens. Néanmoins, j'ajoute que, dans la discussion précédente, je n'ai cessé d'être attentif à ses propos et c'est parce que j'y ai été particulièrement attentif que j'ai voté différemment de lui.

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). J'observe, Monsieur le président, que l'ordre des demandes de parole n'est pas respecté.

Je voudrais, en préambule, à l'instar que Mme Blanchard-Queloz dénoncer la mascarade que nous imposent les députés de l'Entente, et en particulier M. Muller, en demandant l'urgence pour le traitement de ce projet de loi. Le rapporteur de majorité ne semble en effet guère en avoir ressenti l'urgence au moment de déposer son rapport. Cette manoeuvre est purement scandaleuse.

Cette urgence est d'autant moins justifiée que - cela a déjà été dit - ce projet de loi, déposé en 2002, vise à annuler celui qui a été voté par une majorité d'entre nous en 2001. Imposer maintenant un nouveau projet de loi est totalement absurde et sert, en fait, à protéger les intérêts de quelques particuliers.

A cela s'ajoute que ce projet contrevient aux droits démocratiques en voulant empêcher les associations à but idéal d'intervenir dans le débat sur la protection du patrimoine bâti de ce canton.

Il faut peut-être préciser également qu'une demande de mise à l'inventaire peut empêcher une démolition, mais elle n'entrave pas forcément la réalisation de certains travaux.

Je tiens aussi à dénoncer la façon dont les travaux ont été menés en commission : ils ont été purement et simplement bâclés. J'en veux pour preuve que l'audition de la CMNS, qui avait son mot à dire, nous a été refusée. En fait, nous n'estimions pas judicieux de rouvrir le débat sur ce sujet, mais tant qu'à déposer un projet de loi, alors il fallait au moins permettre le débat.

Pour ces raisons, vous le savez, Mesdames et Messieurs les députés, nous demandons le refus, pur et simple de ce projet de loi.

Le président. Je suis un peu surpris que vous disiez que je ne respecte pas l'ordre des demandes de parole. Vous imaginez bien, Madame, que lorsqu'un député est mis en cause, on ne va pas attendre deux heures après l'intervention litigieuse pour le laisser répondre...

Mme Michèle Künzler (Ve). Mes préopinantes l'ont très bien dit, il n'y a aucune urgence à traiter ce projet de loi ou, plus précisément, aucune urgence qui soit avouable ici... Ce doit être une urgence qui concerne des particuliers, et certainement pas notre parlement. Ce projet de loi aurait très bien pu attendre !

D'autre part, le groupe des Verts pense que, malheureusement, quand on commence à introduire des lois préventives concernant des choses qui n'ont jamais existé, cela devient grave ! Parce que c'est un peu la méthode de George Bush qui, pour intervenir, prétend que des armes sont cachées... (L'oratrice est interpellée.)Mais c'est la même chose ! On l'a dit clairement dans ce projet de loi: voilà une loi préventive ! Donc, cela veut bien dire ce que cela veut dire ! Et il y a eu zéro abus et zéro problème pour l'instant ! Mais l'on imagine que, peut-être, il pourrait y en avoir.

Nous déposerons donc un amendement qui vise à permettre de revenir sur le préavis de la CMNS. Tout le monde peut se tromper dans une commission, et nous estimons qu'il doit être possible de recourir quand une autorisation est en force. En revanche, pour faire un pas dans votre sens, nous demanderons que la deuxième décision de la CMNS soit prise dans le mois suivant le dépôt du recours. C'est d'ailleurs exactement ce qui se passe, mais, voilà, la possibilité de revenir sur la décision de la commission doit rester ouverte; elle n'a jamais été utilisée jusqu'ici, mais elle doit exister.

Nous acceptons pourtant de faire un pas dans votre sens, en précisant que la commission ne doit pas prendre plus d'un mois pour statuer à nouveau sur ce problème. Je vous engage donc vivement à voter cet amendement.

Présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny, première vice-présidente

M. Rémy Pagani (AdG). Ce projet de loi s'inscrit dans une série de textes qui s'attaquent aux droits démocratiques de la majorité de la population et du corps électoral. Nous avons appris la semaine dernière, Monsieur Muller, que vous entendiez vous attaquer au droit de pétition. Ce droit est destiné à toute la population de notre canton; il existe dans notre République depuis au moins 300 ans. Le Grand Conseil est, en vertu de ce droit, obligé d'enregistrer n'importe quelle pétition. Et vous proposez aujourd'hui, Monsieur, que les membres de la commission des pétitions aient le droit de déterminer quelles sont les bonnes et les mauvaises pétitions !

Ce projet de loi s'inscrit tout à fait dans la ligne que vous avez instaurée depuis que vous disposez à nouveau de la majorité dans ce parlement. Cette ligne consiste à démanteler petit à petit - tranche de saucisson par tranche de saucisson - l'ensemble des droits démocratiques. Je les rappelle brièvement: le débat de préconsultation, le droit de parole des députés que vous avez restreint... (L'orateur est interpellé.)Et M. Annen nous dit à l'instant qu'il va y en avoir encore... Malheureusement. Et je trouve cela scandaleux.

En l'occurrence, nous avons ici un projet de loi qui fait partie de l'«arsenal», si j'ose dire, qui vise à nous faire taire pour que tout ce qui se passe dans cette République puisse être caché et non plus dénoncé. Malheureusement pour les promoteurs de ce projet de loi, la vie est ainsi faite que certaines personnes, quand elles constatent des injustices - et, là, il va y en avoir, j'en citerai une ou deux - eh bien, certaines personnes se rebiffent. Elles se rebifferont, je l'espère, elles sont de plus en plus en train de s'organiser; là, je pense au référendum qu'on nous promet sur le cadeau qu'il est question de faire à l'Ecole internationale, par exemple. Je pense à d'autres référendums qui sont en vue et je me réjouis d'être dans la rue avec ces personnes pour manifester notre désapprobation quant aux méthodes que vous voulez instaurer dans ce parlement et dans la République.

Comme exemple de ces méthodes, je prendrai simplement celui de la manière dont ce projet de loi a été traité en commission. Je participe depuis des années aux travaux de la commission de l'aménagement; or j'ai été absent une heure ou une heure et demie, et le projet de loi a été traité dans ce laps de temps... Par ailleurs, je m'attendais à ce qu'on auditionne au moins les principaux intéressés, c'est-à-dire la CMNS. Et la CMNS n'a pas été auditionnée ! C'est extrêmement grave ! (L'orateur est interpellé.)Allez-y, Monsieur Blanc ! Il faut le dire très clairement: la CMNS vous dérange ! On ne sait pas pourquoi, parce qu'au niveau du travail qu'elle a accompli...

M. Bernard Annen. Elle nous empêche de construire !

M. Rémy Pagani. Citez-nous des exemples, Monsieur ! Mes collègues ont demandé à la commission de l'aménagement de lui présenter des cas concrets... (Remarque.)Oui, un cas ! Est-ce qu'on légifère, est-ce qu'on s'attaque aux droits démocratiques des citoyens en présentant un projet de loi pour un seul cas ? Et encore, il est disputé parce que nous ne faisons pas la même interprétation que vous sur ce cas précis !

Donc, d'autres projets vont arriver, Mesdames et Messieurs les députés ! Et j'allais oublier le découpage en morceaux des préavis de la commission d'architecture et de la CMNS, c'est la prochaine étape de votre programme !

Donc, on va diminuer petit à petit l'ensemble des droits qui sont acquis, et qui, de plus, l'ont été par des votations populaires, dois-je vous le rappeler ! Des droits des citoyens qui nous paraissent fondamentaux ! Et pourquoi fondamentaux, Monsieur Annen ? Parce que, vous le savez comme moi, le fait de ne pas discuter des enjeux de certaines constructions nous amène à des recours ! Et on est allé, il y a de cela trente ans, jusqu'au Tribunal fédéral pour la modification «bénigne» de l'entrée d'un parking... Or, avec ce projet de loi, vous ouvrez tout grand la voie - nous l'avons relevé en commission sur moult projets de lois - à des recours qui seront justifiés... Parce que déplacer l'entrée d'un parking ici plutôt que là est une chose justifiée de la part de voisins; et ces derniers n'étant pas entendus, pour la CMNS ou pour d'autres, ils se trouveront légitimés, et à raison, d'aller d'abord au Tribunal administratif puis au Tribunal fédéral. Et nous nous retrouverons dans la même situation que M. Vernet, soit avec une pléthore de recours de citoyens - non pas d'associations à but idéal que nous voulons protéger, mais de citoyens propriétaires, c'est-à-dire de vos milieux, Mesdames et Messieurs ! - qui feront recours parce que leurs récriminations, légitimes, n'auront pas été entendues et prises en compte !

Alors, je le regrette, ce projet de loi va prétendument dans le sens d'une amélioration des procédures, mais, dans la pratique - nous l'avons vécu, il y a trente ans - il ouvre la voie à toute une série de recours qui freineront encore plus les projets que vous voulez mener à terme.

Bien qu'il fasse partie d'une stratégie caractéristique des milieux que vous représentez, Monsieur Muller, ce projet de loi doit être retiré, parce qu'il est complètement incongru. Ou, s'il n'est pas retiré, il conviendrait de prendre la peine d'écouter la CMNS, ce serait la moindre des politesse, ce qui n'a même pas été fait en commission.

M. David Hiler (Ve). J'aimerais revenir sur un ou deux points d'histoire et poser, ensuite, quelques questions au responsable du département.

Il est tout à fait exact - comme l'a rappelé M. Grobet - que, dans les années 50, puis dans les années 60, il y a eu des destructions massives à Genève et que nous avons perdu à cette occasion les plus beaux joyaux de notre patrimoine. Il est exact aussi qu'à cette époque un certain nombre de mouvements sont nés pour s'opposer à ces destructions. La vérité veut qu'on dise qu'il émanaient en premier lieu du parti libéral, puis du mouvement Vigilance.

Dès la fin des années 60, cette opposition à la destruction du patrimoine s'est élargie, du point de vue politique. Vous vous rappellerez, peut-être, Mesdames et Messieurs les députés, que la CMNS a été créée à la suite de la construction du bâtiment de la Caisse d'épargne qui avait suscité - c'est tout de même intéressant - une réaction extrêmement vive de la part des commerçants de la Corraterie qui étaient à l'origine du mouvement de protestation.

Ensuite, pendant les années 70 et 80, il y a eu, si l'on peut dire, un mano a manoconstant entre les milieux de la promotion et les milieux de la protection du patrimoine. Au bout de 25 ans de pratique de la protection du patrimoine, nous devrions, à mon sens, être arrivés à un stade où les choses se passent de manière un moins erratique. M. Moutinot sait que je pense que le canton de Berne a choisi la bonne manière de procéder. Ce canton a débloqué un budget assez conséquent, sur un certain nombre d'années, pour faire un inventaire complet des bâtiments dignes de protection et prendre ensuite les mesures adéquates, correspondant à ce que nous appelons ici la mise à l'inventaire ou le classement. Or, une bonne partie des problèmes que nous connaissons en matière d'aménagement du territoire, problèmes liés aux plans localisés de quartier, aux recours de dernière minute, viennent du fait que nous ne disposons pas d'un tel instrument à Genève. Je pense que cela simplifierait la vie à tout le monde une bonne fois pour toutes de déterminer un certain nombre d'instruments de protection. Cela permettrait aussi de ne pas s'intéresser à la protection d'un bâtiment que lorsqu'il est menacé. Suivons l'exemple de Berne, allons de l'avant et c'est ainsi que nous deviendrons efficaces d'un double point de vue : en ce qui concerne la construction d'un certain nombre de logements nécessaires et en ce qui concerne la protection du patrimoine.

Je n'ai toujours pas compris pourquoi cet inventaire de ce qui doit être conservé n'est pas fait de façon exhaustive. S'il est possible de le faire à Berne, vu la taille du canton de Berne et vu la richesse extrême du patrimoine de ce canton, qui a connu moins de destructions qu'ici, il doit être possible de le faire à Genève. Pourquoi diable n'allons nous pas de l'avant ?

Comme beaucoup d'autres, je ne pense pas que cette loi présentait un quelconque caractère d'urgence. En revanche, il y a moyen aujourd'hui de résoudre valablement cette problématique. J'espère que le département s'en souciera le plus rapidement possible. J'aimerais donc connaître clairement le point de vue de M. Moutinot et je me réserve, Madame la présidente, la possibilité de poser de nouvelles questions en fonction de sa réponse.

M. René Koechlin (L). En préambule, j'aimerais rappeler que la loi sur la protection de la Genève fazyste - cela recouvre un périmètre assez vaste - est due à la plume de M. Denis Blondel, alors député libéral. (L'orateur est interpellé.)«Minet» pour les intimes, c'est exact...

La protection du patrimoine est le fait, je crois, de tous les citoyens attentifs, intéressés par l'architecture et plus généralement par le patrimoine. Je remercie M. Hiler parce que je pense qu'il a un peu rehaussé le débat. Il l'a nettement rehaussé; merci.

Ce dont il est question ce soir, c'est de la sécurité du droit et de rien d'autre. Lorsqu'une autorisation de construire ou un plan localisé de quartier est en force, il peut et doit être réalisable à la forme et au fond. Cela, c'est la sécurité du droit.

Les droits démocratiques, Monsieur Pagani, sont très largement respectés dans tous les cas de figure. Pour un plan localisé de quartier, le peuple - que vous semblez vouloir défendre et que je défends avec vous - a quatre fois l'occasion de se prononcer : il y a deux enquêtes publiques de trente jours, un délai référendaire de quarante jours à la suite du vote de délibération du conseil municipal, puis il y a encore trente jours de délai de recours après l'arrêté du Conseil d'Etat. Si vous trouvez que ce n'est pas suffisant pour préserver les droits démocratiques, alors je ne sais pas ce que c'est que la démocratie, franchement !

Il en va de même pour l'autorisation de construire : il y a un délai de trente jours après sa publication pour recourir. Par conséquent, ceux qui ne seraient pas d'accord, qui ne partageraient pas la teneur d'une telle autorisation, ont tout loisir de s'y opposer avec de bonnes raisons, qui peuvent avoir trait à la protection du patrimoine.

Ce que je demande à l'association Action patrimoine vivant - dont nous avons ici quelques éminents représentants - c'est de bien vouloir se réveiller ! Parce qu'elle intervient trop tard ! Quand les autorisations de construire ou les plans localisés de quartier sont en force, il est trop tard ! Il est inadmissible qu'on les remette alors en question du point de vue de la sécurité du droit. C'est la raison pour laquelle ce projet de loi a tout son sens et qu'il est urgent de le voter. Parce que, de ces abus, nous en voyons tous les jours ! Et nous en avons assez, ils sont scandaleux.

Par ailleurs, je partage totalement l'avis de M. Hiler. Déterminons une fois pour toutes quels sont les monuments et les bâtiments qui méritent d'être mis à l'inventaire ou d'être classés. J'ignorais que c'était fait de façon aussi systématique dans le canton de Berne: bravo, tant mieux ! Allons-y, mettons-nous au travail et cessons de rendre le droit insécure parce que cela, c'est totalement inadmissible. Je suis d'ailleurs étonné que M. Grobet, qui est juriste, puisse défendre des attaques irrecevables contre la sécurité du droit, c'est-à-dire contre la sécurité des autorisations de construire et des plans localisés de quartier en force. (Applaudissements.)

Présidence de M. Pascal Pétroz, président

M. Christian Grobet (AdG). Voyez-vous, Monsieur Koechlin, il y a un point sur lequel je suis entièrement d'accord avec vous : avec l'intervention de M. Hiler, le débat s'était élevé d'un niveau. Malheureusement, avec votre intervention, il est retombé à son niveau antérieur. (Rires.)

Je suis affligé par votre intervention : vous êtes architecte, vous connaissez très bien les lois en vigueur et vous prétendez cependant que toutes les voies de recours sont largement ouvertes. Vous savez, Monsieur Koechlin, que la qualité pour recourir est extrêmement limitée dans notre canton. Notamment en matière de démolition d'immeubles, les personnes qui peuvent recourir contre une autorisation de démolir doivent invoquer un intérêt juridique extrêmement restrictif. A la fin des années 70, le Tribunal administratif avait rendu une succession d'arrêts relevant que des démolitions d'immeubles violaient de manière flagrante la loi sur les démolitions mais que, malheureusement, il ne pouvait pas annuler ces autorisations qui violaient la loi parce que les recourants n'avaient pas la qualité pour agir. Avant de brandir le droit de recours comme un argument, vous devriez tout de même, Monsieur Koechlin, en rappeler les limites.

En revanche, vous avez eu raison de rappeler qu'il fut un temps - ce n'est plus tellement le cas aujourd'hui - où les libéraux avaient dans leurs rangs des gens qui étaient soucieux de la protection du patrimoine. Vous avez raison de dire, Monsieur, que la protection du patrimoine n'est pas l'apanage d'une formation ou d'un courant politique, mais qu'il est le fait de gens situés dans tous les bords politiques. Mais quand vous prétendez, Monsieur, que tout le monde se soucie de la protection du patrimoine, ce n'est tout simplement pas vrai ! Les exemples de démolitions qui ont marqué les années 1950 à 1970 démontrent qu'il y avait beaucoup de démolisseurs. Je dirai que M. Vernet, libéral, a été l'un de ceux qui ont fait avancer la protection du patrimoine. Il a été justement l'un de ceux qui avaient évoqué ce qui fait horreur à M. Koechlin aujourd'hui, c'est-à-dire la remise en cause d'une autorisation de construire et la sécurité du droit.

M. Hiler aurait pu ajouter à son exposé le cas de l'immeuble dit Golay, à la place de la Petite-Fusterie, qui devait être démoli et pour lequel il y avait une autorisation à cet effet. Or le sauvetage de cet immeuble, malgré l'autorisation de le démolir, a donné lieu à la nouvelle loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites, votée en 1975 par le Grand Conseil à l'instigation de M. Vernet qui, précisément, avait admis qu'il y avait de graves lacunes dans la loi. C'est ainsi également qu'il a introduit des voies de recours contre les dérogations qui ne pouvaient pas être portées devant la commission de recours. C'est grâce à la modification légale apportée du temps de M. Vernet - sur proposition de députés socialistes, certes - que, par exemple, la villa Edelstein a pu être sauvée et que tout le monde en reconnaît aujourd'hui le bien-fondé.

Alors, il peut y avoir des arguments nouveaux qui n'ont pas été invoqués au moment où une décision a été prise. Et l'un des principes du droit - puisque je sais que vous aimez, Monsieur Koechlin, nous rappeler des principes, et que vous semblez mieux connaître le droit que certains juristes, qui se montrent peut-être, justement, prudents dans l'analyse des voies de droit - j'aimerais rappeler quand même qu'il y a un grand principe de notre droit des pays démocratiques, c'est la possibilité de reviser des décisions qui ont été prises ! On peut demander la révision des jugements ! On peut demander la révision des autorisations ! C'est un principe consacré dans notre ordre juridique, parce qu'on admet qu'il peut y avoir des faits nouveaux. Aussi, je suis parfaitement d'accord avec vous: si quelqu'un demande une chose, qui a été refusée, sans formuler de nouveaux arguments, eh bien, la demande doit être déclarée irrecevable ! Mais vous pouvez invoquer des arguments. Et je regrette que cette affaire n'ait pas été évoquée plus en détail et que, surtout, M. Lescaze - peut-être en est-il gêné... Il a disparu...

Une voix. Il est là-bas !

M. Christian Grobet. J'aimerais bien que M. Lescaze évoque le cas de l'immeuble de James Fazy. L'immeuble historique auquel vous, en particulier, Monsieur Lescaze, et votre parti politique, étiez attachés au maintien.

Alors, c'est vrai qu'Action patrimoine vivant a remis en cause une ou deux autorisations de démolir, mais pas plus nombreuses que les doigts de la main... Eh bien, je me félicite, Monsieur Koechlin qu'Action patrimoine vivant ait sauvé de la démolition l'immeuble au boulevard de la Tour où James Fazy a vécu !

Effectivement, à cette occasion, nous avions remis en cause une autorisation de construire et, après deux ans de bataille, nous avons eu gain de cause. Et M. Lescaze lui-même, membre de la sous-commission de la CMNS, a relevé que le préavis de la commission avait été mal rédigé. Les décisions sont notées par un procès-verbaliste et, en l'espèce, le collaborateur du département avait mal rédigé la décision. J'aimerais bien que vous le disiez, Monsieur Lescaze... Ne jouez pas le modeste dans cette affaire ! Vous m'avez vous-même affirmé que la reconsidération du dossier était justifiée. La CMNS a donc reformulé le préavis et M. Moutinot - à qui je tiens à rendre hommage ici - a pris la décision de faire classer cet immeuble. C'est un exemple parmi d'autres !

Il faut savoir que la CMNS est divisée en sous-commissions et que des décisions peuvent être prises à cinq contre quatre sans tenir compte de certains éléments; ce n'est pas la plénière qui se prononce ! Ainsi, ne serait-ce qu'en raison du système dans lequel les préavis sont émis, il se justifie qu'ils puissent être réexaminés. Ils peuvent contenir une erreur ! Et demander simplement trente jours supplémentaires pour sauver éventuellement un bâtiment de la démolition n'est excessif en rien. Or refuser ce délai supplémentaire de trente jours est indigne de notre parlement: cela mettra en péril des bâtiments, comme celui de James Fazy qui ne méritait pas d'être démoli parce qu'il y avait une erreur dans un préavis !

Le président. Le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. Sont encore inscrits M. Rémy Pagani et M. Moutinot.

M. Rémy Pagani (AdG). Nous avons effectivement fait le tour de la problématique. Je relève l'inconsistance des arguments en faveur de cette loi : M. Muller, rapporteur de majorité n'a même pas pris la parole... ou une seule fois. C'est une manière d'éviter le débat dans ce parlement.

Une fois de plus, c'est nous qui allons récupérer les pots cassés. Nous nous trouverons dans la même problématique que celle du quartier des Grottes. Je peux en parler en connaissance de cause.

A cette époque, un magistrat - je ne sais plus lequel c'était, mais paix à son âme - avait décidé, purement et simplement, de rayer un quartier de la carte, du haut de la Servette jusqu'à la gare de Cornavin, sous prétexte qu'il fallait y construire des bureaux et moderniser ce quartier.

Aujourd'hui, dans la presse et pratiquement tous les mois, on voit «sanctifier» ce qui a pu se faire dans ce quartier, sa beauté et son humanité. Je rappelle qu'il a fallu dix ans - mais dix ans de lutte acharnée des habitants - pour faire d'abord évoluer le droit, le droit de recours notamment, parce que nous nous trouvions dans la situation qu'a indiquée M. Grobet: des immeubles allaient être démolis, qui n'étaient peut-être pas que partie intégrante du patrimoine mais, surtout, qui permettaient à des habitants d'avoir des logements à bon marché. C'est ainsi qu'on se trouve dans des situations comme celle d'il y a six ans, quand M. Joye avait décidé, un matin, de démolir la villa Blanc, que tout le monde regrette aujourd'hui - en regardant les photos... (Brouhaha.)On aurait pu l'intégrer, comme on l'a fait dans d'autres lieux, à la construction de logements, avec une maison de quartier par exemple. Mais M. Joye a décidé un matin de rayer ce bâtiment de la carte, il a estimé qu'il n'y avait pas d'élément architectural à préserver et il a envoyé les trax... Tout le monde l'a déploré, y compris le Tribunal qui a pris une décision de sauvegarde alors que la villa était déjà démolie.

Pour ces motifs et vu la mauvaise qualité des débats en commission, je demande le renvoi en commission de ce projet de loi, pour que nous puissions au moins, par décence, auditionner la CMNS, dont il convient tout de même de rappeler qu'elle est constituée majoritairement par des personnes proches de la majorité de ce parlement.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Je répondrai tout d'abord aux questions qui m'ont été posées, d'une part par M. Grobet et d'autre part par M. Hiler. Y-a-t-il eu, dans le cadre de la législation actuelle, des abus ? Non. M. Bernard Zumthor, directeur de la direction du patrimoine et des sites, a retrouvé - à la demande la commission qui l'avait interpellé sur ce sujet - un cas, celui de la menuiserie Boddi à Vernier. Il n'en n'a pas retrouvé d'autre. Lorsque la Société d'art public a été auditionnée par la commission, elle a affirmé - sauf erreur par la voix de M. Malek Ashgar, aujourd'hui conseiller administratif à Versoix - qu'elle n'avait jamais utilisé l'arme de la demande de classement dans un cas similaire. Je ne permettrais pas de mettre en doute la parole de ce magistrat communal. Donc, à la question «y-a-t-il des cas d'abus ?», je réponds: non.

M. David Hiler pense que l'on pourrait éviter tout cela en ayant un inventaire total et crédible. Fondamentalement, Monsieur le député, je suis d'accord avec vous, et grâce aux crédits votés par votre Grand Conseil, dont notamment un million, il y a deux ans, à votre instigation, nous avançons dans le travail d'inventaire. Il y a tout de même une réserve : la question de la protection du patrimoine n'est pas figée une fois pour toutes. Les milieux spécialisés, les milieux professionnels évoluent dans leur appréciation de ce qui doit être protégé... (Brouhaha.)

Le président. Vous constatez, Monsieur le conseiller d'Etat, que j'ai rameuté les troupes afin que vous ayez un auditoire complet.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président, de votre sollicitude.

Il est exact, Monsieur Hiler, que, plus la richesse patrimoniale du canton sera inventoriée, plus nous pourrons prendre des mesures en amont pour que les règles de droit soient claires au sujet des immeubles protégés et de ceux qui ne le sont pas. Evidemment, nous éviterons les situations d'insécurité juridique dénoncées à juste titre par M. Koechlin. Néanmoins, la protection du patrimoine n'est pas une donnée invariable, un absolu figé une fois pour toutes. On le voit de nos jours avec le patrimoine moderne, les immeubles construits par Le Corbusier, par Saugey et d'autres architectes, il y a quelques décennies. Personne n'imaginait classer ou protéger ces bâtiments il y a quelques années encore. Aujourd'hui, ces bâtiments présentent un intérêt architectural; j'ai d'ailleurs dû présenter au Conseil d'Etat un arrêté de classement en faveur d'un immeuble plus jeune que moi... Cela démontre que l'architecture moderne progresse.

La manière dont vous posez la question, Monsieur Hiler, est juste. Les inventaires doivent être tenus, ils ne sont toutefois pas une certitude, car ils vieillissent. Non seulement les spécialistes ont cette impression-là, mais la populations elle-même a aussi une sensibilité au patrimoine bâti qui évolue. Cette sensibilité évolue manifestement dans le sens d'une meilleure prise en compte de ce que d'aucuns appelleraient «le cadre de vie», d'autres «le visage aimé de la patrie», d'autres encore «les lieux dans lesquels ils ont toujours vécus».

Nous ne pouvons pas, dans un débat de ce type-là, faire l'économie des principes posés par les experts et les spécialistes; mais il faut aussi - parce que nous ne légiférons pas que pour les spécialistes - se souvenir que la population genevoise est extrêmement sensible à la qualité du patrimoine bâti. Le courrier que je reçois en atteste. On peut même dire qu'un certain nombre de bâtiments ne méritent pas cette sensibilité, mais il font partie du cadre de vie de nos concitoyens.

C'est pour ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, qu'il faut être extrêmement prudent. Toute erreur en matière de protection du patrimoine est irréparable dans la mesure où un bâtiment démoli ne peut être reconstruit. Je vous concède, Monsieur le rapporteur de majorité, que le projet que vous soutenez n'apporte pas des bouleversements révolutionnaires au système actuel. Il y a par conséquent dans ce débat une part idéologique, une part émotionnelle. Cependant, Mesdames et Messieurs les députés, si vous voulez agir avec prudence et retenue, si vous voulez vous donner le maximum de garanties de préserver le patrimoine de toute erreur, il vous faut refuser ce projet.

M. David Hiler (Ve). J'avais annoncé, Monsieur le président, que je me réservais la possiblité de répondre très brièvement à M. Moutinot.

Je crois profondément, Monsieur le conseiller d'Etat, que vous faites une erreur en prétendant que le fait d'avoir un inventaire exhaustif signifie qu'il est fixé définitivement. Bien sûr que ce n'est pas le cas puisque l'on construit de nouveaux bâtiments.

L'inventaire est fixé selon un certain nombre de critères scientifiques et l'on se donne un certain temps pour évoluer. On laisse les doctrines évoluer en fixant une révision tous les dix ans par exemple, cela peut-être une révision heurtée parce qu'il y a un soulèvement dans un quartier, mais la démarche même de l'inventaire ne signifie pas que l'on fixe définitivement ce qui doit être protégé. En revanche, on fait connaître à tous un certain nombre d'invariants valables pour une décennie, après quoi on établit une nouvelle liste de critères invariants. Si on ne connait pas ces critères, si on ne se donne pas la peine de cette systématique, il y a toujours le risque de se dire que les gens utilisent la protection du patrimoine à de tout autres buts. C'est parce qu'il existe aujourd'hui un certain consensus, parce que nous ne sommes pas dans une période de variation extrême des sensibilités à l'égard du patrimoine, qu'il faut faire ce travail ! Un tel inventaire simplifiera la vie de tout le monde, même si - rassurons M. Blanc - il ne s'agit pas de paroles d'Evangile, mais d'un jugement humain, de spécialistes, dans une société donnée, à un moment donné.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Je crains, Monsieur le député, que vous ne m'ayez mal compris. J'ai dit clairement l'importance qu'il y a à terminer la tâche d'inventaire parce qu'elle favorise effectivement la sécurité du droit. J'ai aussi dit que ce n'était pas la panacée précisément en raison de l'écoulement du temps qui fait que, après un certain temps, on peut considérer différemment la valeur de tel ou tel bâtiment. Il me semble que nous sommes parfaitement d'accord.

Nous travaillons sur cet inventaire dans la limite des moyens que votre Grand Conseil nous a accordés et dont je le remercie. Néanmoins, il ne sera pas éternellement parole d'Evangile, d'où les conseils de prudence que j'ai donnés dans mon intervention de tout à l'heure.

Mesdames et Messieurs les députés, à 23h30 il faut être clair: il y a dans cette affaire une partie qui relève d'un processus de désignation d'un bouc émissaire. La protection du patrimoine sert de bouc émissaire pour les obstacles ressentis à l'acte de construire. Cela est faux ! J'ai la responsabilité de construire pour l'Etat de Genève. J'ai également la responsabilité de faire en sorte que le secteur privé puisse construire pour répondre à la demande de logements. Je constate que c'est une tâche extraordinairement difficile, que les obstacles sont nombreux; ceux liés à la protection du patrimoine en font partie, mais je peux vous promettre que ce n'est pas l'obstacle principal que je rencontre.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons procéder à deux votes: le premier au sujet de la demande de renvoi en commission formulée par M. Pagani; le second sur la prise en considération du projet de loi. Nous allons voter par électronique. Je mets aux voix la proposition de renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi de ce projet en commission est rejeté par 41 non contre 38 oui et 1 abstention.

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat par 44 oui contre 36 non.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

Le président. Nous sommes saisis d'un amendement présenté par Mme la députée Künzler. Je vous donne la parole, Madame, pour présenter votre amendement.

Mme Michèle Künzler (Ve). Je dois tout de suite avouer que j'ai commis une erreur en mentionnant dans mon amendement à l'article 7 la notion de classement. Il faut donc lire «la mise à l'inventaire» à l'article 7 et «le classement» à l'article 10. Mon amendement à l'article 7 se formule donc ainsi: «Elle est soumise sans délai à cette commission qui statue dans le mois suivant. Si cette dernière confirme son précédent préavis, la demande de mise à l'inventaire est déclarée irrecevable.»

Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, il me semble qu'il faut toujours laisser une petite marge pour agir. Dans ce cas, on laisse trente jours supplémentaires pour revenir sur une décision, parfois malheureuse, même si elle a été prise il y a cinq ans.

Je pense, Mesdames et Messieurs les députés de l'Entente, que c'est faire un pas dans votre sens. La commission pourra en effet déclarer irrecevable une demande qui lui parviendrait un mois après sa décision et qui ne présenterait pas d'éléments nouveaux.

C'est une porte de sortie pour tout le monde, car on ne peut pas simplement dénier à une commission le droit à l'erreur. Il faut souligner cet élément et c'est pourquoi nous maintenons cet amendement.

M. Christian Grobet (AdG). Tout d'abord j'aimerais formuler une demande d'interprétation de cette proposition législative. Vous aurez remarqué, Monsieur Moutinot, que le chiffre 1 de l'alinéa 2 de l'article 7 a été modifié. Jusqu'à présent ce chiffre mentionnait simplement une autorisation de construire ou de démolir en force, puis la commission a ajouté la mention «depuis moins de cinq ans». Or, en principe, une autorisation de construire ne peut pas durer cinq ans. Le nombre de renouvellements d'une autorisation est limité par la loi. Il est clair que si le chantier est ouvert le problème est réglé. Cependant, dans l'hypothèse ou l'autorisation est périmée, par exemple parce qu'elle n'a pas été renouvelée, on ne pourrait pas invoquer une autorisation périmée. C'est comme cela que je comprends ce texte dans la mesure où le texte parle bien d'une autorisation en force. Je pense cependant que cette adjonction de la mention «depuis moins de cinq ans» est de nature à entraîner une confusion.

Sur le fond, il va sans dire que nous soutenons la proposition de Mme Künzler. Il est vrai qu'il peut y avoir une mobilisation de l'opinion publique au sujet de tel ou tel bâtiment. Cela s'est passé ainsi en certaines circonstances. Je pense que la possibilité de réexaminer un cas est véritablement une nécessité. Le fait de refuser cette possibilité de réexaminer une décision peut créer des difficultés à l'autorité.

Je le dis parce que j'ai exercé précédemment les fonctions qui sont aujourd'hui celles de M. Moutinot. Et sur la base de cette expérience, j'affirme qu'accepter que le chef du département, sur une question aussi sérieuse que celle-ci, ne puisse pas consulter à nouveau la commission des monuments, de la nature et des sites et bénéficier d'une modification du préavis - mais bien entendu sur des motifs pertinents, comme cela a été le cas en certaines circonstances, est une grave erreur. Cela risque de causer plus de troubles qu'autre chose.

M. Mark Muller (L), rapporteur. L'amendement de Mme Künzler a le mérite d'avoir une certaine logique et d'être parfaitement cohérent avec la position des Verts et de l'Alternative, puisqu'il revient en fait à ne pas modifier la loi actuelle. Ce que vous nous proposez, Madame, correspond, dans les grandes lignes, à ce que prévoit la loi actuelle. C'est pourquoi celles et ceux qui sont favorables à ce projet de loi rejetteront purement et simplement cet amendement.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Ce que vient de dire le rapporteur de majorité n'est pas tout à fait exact. La proposition de Mme Künzler est à mi-chemin entre le droit actuel et la proposition que défend M. Muller. A cet égard, elle a le mérite d'une certaine prudence et elle est, par conséquent, raisonnablement acceptable.

Pour répondre à la question de M. Grobet, je dois indiquer que les autorisations de construire ont désormais une durée de validité de deux ans. Elles peuvent être renouvelées pour une année. Je ne me souviens pas si la loi dispose d'une limite absolue ou si l'exception peut se prolonger. Je n'ai pas la loi sous les yeux et je ne veux pas vous dire de bêtises. Si quelqu'un a la loi, qu'il ait la bonté de la lire... (Brouhaha.)Je ne sais pas par coeur quelle est la date butoir. Je ne peux donc pas vous éclairer, la loi ne m'est pas parvenue dans les délais requis. (Brouhaha.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons voter sur l'amendement de Mme Künzler.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 41 non contre 35 oui et 3 abstentions.

Le président. L'article 7 alinéa 2 est donc adopté dans la teneur qui figure dans votre rapport.

Nous sommes saisis du même amendement pour l'article 10 alinéa 3. J'imagine, Madame la députée que vous le retirez... C'est le cas.

Mis aux voix, l'article 10 alinéa 3 (nouvelle teneur) est adopté, de même que l'article 13 alinéa 1 (nouvelle teneur).

Mis aux voix, l'article unique (souligné) est adopté.

Troisième débat

La loi 8705 est adoptée article par article.

La loi 8705 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 44 oui contre 36 non.

(Brouhaha. L'assemblée commence à se lever.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je n'ai pas levé la séance. Il nous reste une urgence qui est la motion 1520... (Exclamations.)Si cela vous convient - et vous manifesterez votre approbation au sujet de la proposition que je vais vous faire - je suggère que nous allions nous coucher, car il est 23h45... (Applaudissements.)Je vous souhaite un bon retour chez vous !