Séance du jeudi 18 septembre 2003 à 20h45
55e législature - 2e année - 11e session - 67e séance

IN 120-B
Rapport de la Commission législative chargée d'étudier la validité de l'initiative populaire 120 " Pour la sauvegarde et le renforcement des droits des locataires et des habitant-e-s de quartiers "
Rapport de majorité de M. Jacques Pagan (UDC)
Rapport de minorité de M. Carlo Sommaruga (S)

Débat

M. Jacques Pagan (UDC), rapporteur de majorité. Il est 22h20. Je suppose que vous êtes pressés de rentrer chez vous... (Brouhaha.)...et que vous avez lu tous les documents qui vous ont été remis... (L'orateur est interpellé.)Mais pas du tout, Monsieur le député ! Je reprends: comme vous connaissez en principe parfaitement les documents qui vous ont été remis, votre connaissance devrait être suffisante pour pouvoir débattre des problèmes juridiques posés par ce texte. (Brouhaha.)Nous avons toutefois une certaine dette vis-à-vis des téléspectateurs et des téléspectatrices qui suivent les débats de ce parlement et qui essaient de comprendre ce qui s'y passe. C'est la raison pour laquelle je me permettrai tout de même de dire quelques mots concernant cette initiative. Peut-être s'agit-il pour mon opposant d'une perte de temps, mais, en réalité, nous gagnerons le temps que je vous fais perdre du fait que ses explications en seront diminuées d'autant...

Le président. Tant que vous respectez votre temps de parole, vous pouvez y aller !

M. Jacques Pagan. Pourriez-vous, Monsieur le président, me rappeler quel est le temps de parole à ma disposition ?

Le président. Vous disposez de sept minutes par intervention.

M. Jacques Pagan. Combien ?

Le président. Sept minutes.

M. Jacques Pagan. J'essaierai d'être rapide !

Il s'agit aujourd'hui de trancher sur la validité de l'initiative 120, initiative constitutionnelle entièrement rédigée dont le titre est «Pour la sauvegarde et le renforcement des droits des locataires et des habitant-e-s de quartiers». Je vous avoue qu'à la lecture du titre j'ai déjà eu quelque peine à saisir exactement la différence entre les locataires et les habitants de quartiers. J'en ai déduit que, si une nuance était opérée entre habitants de quartiers et locataires, c'est que ces habitants ne pouvaient être que des propriétaires. J'ignore si ma déduction est exacte, mais M. Sommaruga aura l'occasion de préciser sa pensée à ce sujet.

L'objet de cette initiative est d'inscrire dans la constitution diverses normes existant déjà dans le droit positif et portant simultanément sur divers domaines, à savoir: les droits des locataires et des habitants, les mesures que l'Etat doit prendre pour faciliter la construction de logements répondant aux besoins de la population, les démolitions, transformations, rénovations et ventes d'appartements, la préservation de l'habitat ou encore le Tribunal des baux et loyers et la procédure administrative applicable. Cette initiative cherche donc à inscrire dans le droit constitutionnel des normes existantes afin d'empêcher que celles-ci ne puissent être modifiées autrement qu'en passant devant le peuple. Voilà quelle est la finalité de cette initiative: il s'agit de bétonner certaines dispositions éparses de notre législation que l'on a hâtivement regroupées sous un titre générique, lequel ne possède pas en soi une grande signification: «Pour la sauvegarde et le renforcement des droits des locataires et des habitant-e-s de quartiers».

J'ai inséré dans le rapport de majorité le document que les citoyens et les citoyennes ont eu l'occasion de signer - ou, à tout le moins, d'étudier pour déterminer s'il valait la peine de soutenir l'initiative 120. Ce texte me semble suffisamment parlant en lui-même. Je vous le présente ici dans sa forme d'origine. Il s'agit d'un texte extrêmement dense et complexe, qui comporte énormément de dispositions et qui est loin d'être facile à lire. Je dois reconnaître - et cela constitue un argument en votre faveur, Monsieur Sommaruga - que je ne suis pas un spécialiste du droit immobilier ou du droit des locataires. Cependant, pour un juriste habitué à traiter des textes de diverses natures, je vous avouerai qu'il m'a fallu m'accrocher pour aller jusqu'au bout de la lecture de ce texte et tenter de comprendre la substantifique moelle des propos qui y sont imprimés. J'imagine dès lors que le pauvre citoyen ou la pauvre citoyenne se trouvant face à un pareil texte doit passablement ramer pour de se faire rapidement une idée quant à sa signification !

Cette initiative a fait l'objet d'un rapport du Conseil d'Etat. Ce rapport étant relativement volumineux et dense, j'en ai repris la synthèse pour tenter de comprendre la position du Conseil d'Etat. Les conclusions de ce dernier quant à la validité de l'IN 120 sont en demi-teinte, notamment s'agissant de sa validité matérielle, laquelle est admise avec beaucoup de réserve. Le Conseil d'Etat a en effet constaté dans son analyse que trois dispositions devaient être considérées comme étant contraires au droit supérieur - sans pour autant que cela n'entache la validité de l'ensemble du texte. En ce qui concerne la prise en considération de cette initiative, le Conseil d'Etat a estimé qu'elle était inutile, puisque ces dispositions sont déjà incluses dans des lois. Il s'est assez violemment opposé au principe de faire monter des normes législatives dans le cadre constitutionnel en jugeant une telle opération inutile. Cela tendrait au contraire à affaiblir d'une manière générale le texte même de la constitution, laquelle ne doit avoir en son sein que des normes essentielles pour le bon fonctionnement des institutions de notre canton. Quant au fond, le Conseil d'Etat conclut au rejet de l'initiative. Il ne voit toutefois pas d'objection à l'adoption d'un contreprojet réglant diverses questions proches de vos préoccupations, mais sur le détail desquelles je n'entrerai pas en matière en raison d'un manque de temps.

Il y a eu - et je m'en rappelle fort bien, car j'étais présent - un débat de préconsultation en date du 4 avril 2003. A cette occasion, plusieurs partis de l'Entente se sont élevés contre ce texte. Ils ont en effet estimé qu'un tel texte était irrecevable, notamment parce qu'il ne contenait pas une unité de la matière.

J'en viens maintenant à la séance de la commission législative du 6 juin 2003, durant laquelle nous avons eu la possibilité de nous déterminer sur la recevabilité de l'initiative 120. L'unité du genre a été contestée, et nous en reparlerons tout à l'heure. L'unité de la matière a également été contestée - avec, je crois, de solides raisons. La majorité de la commission a en effet estimé qu'il s'agissait de textes épars ne présentant pas une unité qui justifierait l'admission de l'initiative. Ces textes ont été artificiellement groupés sous un titre qui ne possède, lui non plus, aucune signification propre. Il s'agit d'une démarche qui a été utilisée pour essayer d'obtenir l'admission de cette initiative sur le plan constitutionnel. L'unité de la matière n'est donc à notre sens pas réalisée par cette initiative.

Je rappelle à l'attention des personnes qui ne connaissent pas les critères de recevabilité ou de validité d'une initiative que cette dernière doit en premier lieu respecter le principe d'unité de la forme - c'est-à-dire qu'elle doit être soit conçue en termes généraux, soit entièrement rédigée. Elle doit en deuxième lieu respecter le principe d'unité de la matière. Ce principe renvoie au fait qu'une initiative doit proposer un seul but, mais qu'elle peut prévoir plusieurs moyens de l'atteindre pour autant que ces moyens soient unis par un lien matériel. Une initiative doit enfin respecter le principe d'unité du genre: en d'autres termes, elle doit viser la modification soit de la constitution, soit d'une loi, mais non des deux.

Dans le cadre de la délibération de la commission législative, la notion d'abus de droit a également souvent été évoquée; cette notion apparaît d'ailleurs à plusieurs reprises dans le rapport du Conseil d'Etat. Certains commissaires ont trouvé très étonnant de vouloir transformer des normes du droit positif en normes constitutionnelles et ont estimé qu'il s'agissait là d'un abus de droit. Je dois moi-même avouer que le procédé me paraît pour le moins inhabituel. Il y a également, me semble-t-il, un abus de droit dans la mesure où les signatures nécessaires au dépôt de cette initiative ont été obtenues frauduleusement: les citoyens n'ont en effet manifestement pas eu la possibilité de prendre conscience de la diversité des objets que couvre l'initiative.

Le président. Il est temps de conclure !

M. Jacques Pagan. Je m'arrête, Monsieur le président ! Je dirai simplement qu'il est évidemment essentiel que le débat puisse avoir lieu.

Pour conclure, je vous avouerai que j'ai lu un article paru dans la «Tribune de Genève» d'hier. Cet article prédisait que cette soirée serait chaude non seulement en raison des conditions météorologiques, mais également parce que le débat que nous avons est important, car il porte sur des questions qui concernent nombre de personnes - y compris votre modeste serviteur, dont la seule ambition est d'être locataire et qui ne dispose pas de la possibilité d'être autre chose. Croyez bien que je rends ici hommage au travail de l'Asloca, laquelle a réalisé des percées tout à fait remarquables. Je souhaite cependant également faire remarquer qu'à force de vouloir se montrer trop agressif dans la défense des locataires, on va à l'encontre des intérêts de ceux-ci ! (L'orateur est interpellé par M. Sommaruga.)Il faut aussi savoir raison garder ! Je vous laisse la parole, Monsieur Sommaruga ! J'ai en tête les propos concluant votre rapport de minorité: vous insistez sur l'esprit de sérénité qui devrait régner tout au long de ce débat. Mais il faut que cet esprit soit également empreint du sérieux adéquat pour aborder ce genre de problématique ! C'est dans cet esprit que je vous laisse la parole.

M. Carlo Sommaruga (S), rapporteur de minorité. Je tiens tout d'abord à souligner les propos sympathiques tenus par M. Pagan à l'égard de l'Asloca. Il y a cependant toujours un «mais»... Que cela soit il y a trente, vingt ou dix ans, je n'ai jamais entendu aucun représentant de son bord venir féliciter l'Asloca pour son travail, et c'est à nouveau le cas ce soir ! Mais passons sur ce point, car ce ne sont que péripéties...

Il me paraît important de replacer le débat de ce soir ainsi que la question de la recevabilité de l'IN 120 qui nous est soumise dans un contexte historique que l'UDC ignore peut-être compte tenu de son jeune âge. Je rappelle que le mouvement des locataires a, depuis trente ans, lancé plusieurs initiatives qui ont abouti à l'inscription dans la législation genevoise d'un certain nombre de droits: défense du parc immobilier bon marché, introduction d'un Tribunal des baux et loyers doté d'assesseurs ou encore protection contre le démantèlement du parc locatif en vue de la propriété - par exemple par le biais de la protection contre les congés-ventes. Des dispositions ont également été prises pour introduire dans la constitution le droit au logement et pour autoriser la construction en zone de développement de logements sociaux de façon à pouvoir répondre aux besoins prépondérants de la population. Tels ont été les succès du mouvement des locataires et de la volonté populaire - puisqu'un certain nombre d'initiatives ont été acceptées par l'écrasante majorité de ce canton. Or, depuis la fin de la dernière législature et au cours de cette législature, la majorité, soit l'Entente et l'UDC, ont mis en place une machine à la limite de la légalité dont le but est de confisquer les droits des locataires. Cette machine ne consiste pas à déposer un projet de loi remettant en question la LDTR ou la loi générale sur le logement, la LGL, mais à déposer une série de petits projets de lois visant, par tranches successives de salami, à porter atteinte aux droits des locataires et des habitants de notre canton - droits qui ont été, comme je l'ai relevé, acquis dans les trente dernières années.

C'est contre ce hold-up des droits des locataires que l'initiative a été lancée. Il s'agit de mettre un holà à ce procédé à la limite des droits démocratiques. Il est dès lors tout à fait compréhensible que l'Asloca et, de manière plus large, les mouvements des locataires, aient lancé cette initiative pour éviter que ce Grand Conseil ne s'attaque à des dispositions qui ont été voulues par le peuple. L'initiative propose l'inscription de ces dispositions dans la constitution afin que le peuple puisse se prononcer sur la suppression de droits qu'il a lui-même souhaités. Il s'agit là d'une méthode de travail tout à fait cohérente et respectueuse de la volonté populaire. Voilà pour ce qui est du fond de cette initiative. Il est donc tout à fait inexact de parler d'abus de démocratie: il s'agit au contraire de protéger la volonté de la majorité des votants et des votantes de ce canton !

J'en viens maintenant à la manière dont ont été menés les débats en commission législative.

Je tiens à souligner, ainsi que je l'ai mentionné dans le rapport de minorité, que la commission a mené ce débat à la légère et de manière totalement partisane. Quatre membres de l'Entente et quatre membres de l'Alternative siégeaient lors de la séance consacrée au traitement de cette initiative. Or, le débat a été mené de manière que chaque décision aboutisse au choix préalablement déterminé par le président. Il s'agit d'un procédé totalement indigne d'un parlement au XXIe siècle, de surcroît dans un canton qui se veut le berceau de la démocratie !

J'aborde maintenant les questions d'ordre juridique.

Je rappelle que cette initiative respecte l'ensemble des exigences quant à la forme que doit revêtir toute initiative. Elle respecte en premier lieu l'unité de la forme, puisqu'il s'agit d'une initiative totalement formulée. Ce point n'a d'ailleurs été contesté ni par le Conseil d'Etat, ni par la majorité de la commission législative. Cette initiative respecte en deuxième lieu l'unité du genre, puisqu'elle vise à modifier uniquement la constitution, et non le corpus législatif lui-même. Le Conseil d'Etat a lui-même souligné cet élément. Or, il a fallu que, dans un esprit totalement partisan et arbitraire, la majorité en vienne à considérer que cette initiative - qui respecte pleinement l'unité du genre au sens des dispositions de la constitution puisqu'elle ne vise que la modification de la constitution - ne respectait pas cette unité ! C'est dire la légèreté avec laquelle a travaillé la majorité de la commission législative, dont la décision n'est fondée sur aucun élément de jurisprudence ni de droit supérieur !

S'agissant de l'unité de la matière, qui constitue la troisième condition de recevabilité formelle de l'initiative, je reconnais d'une part que l'IN 120 est relativement longue et dense, d'autre part qu'elle touche divers domaines. La question qui doit dès lors être posée est la suivante: une initiative touchant différents domaines est-elle recevable ou non ?

Pour répondre à une telle question, il convient de se pencher sur les antécédents en la matière traités par notre parlement. J'examinerai, au hasard, l'une des dernières initiatives qui a été traitée: il s'agit de l'IN 116, intitulée «Pour un toit à soi» et lancée par les milieux immobiliers. Je rappelle que cette initiative avait pour but de faciliter l'acquisition de son propre logement. Or, aucun député des bancs d'en face ne s'est offusqué de ce qu'elle visait à modifier les lois sur l'épargne-logement, les lois sur l'aménagement du territoire, la loi sur les constructions et installations diverses et, finalement, la LDTR afin de favoriser les congés-ventes et la vente d'appartements ! Nul ne s'est offusqué de cela: on s'est au contraire félicité du fait que cette initiative proposait plusieurs mesures pour atteindre un même objectif !

Notre parlement avait également considéré que l'initiative «L'énergie notre affaire» était pleinement recevable quant à l'unité de la matière dès lors qu'elle visait un but global - soit la préservation d'énergie, l'économie d'énergie et la promotion d'énergies renouvelables - tout en proposant diverses mesures, lesquelles s'étalaient sur quatre pages A4. J'ai d'ailleurs sous mes yeux l'arrêté du Tribunal fédéral suisse.

Dans les deux cas, il s'agit d'initiatives visant un but principal à atteindre par le biais d'une panoplie de mesures diverses. Or, c'est exactement cela que propose l'initiative 120 qui doit être examinée aujourd'hui par notre Grand Conseil ! Le Tribunal fédéral - et il est important de se référer à cette instance - a par ailleurs indiqué à plusieurs reprises qu'il suffisait qu'il existe entre les diverses mesures un rapport de connexité faisant apparaître comme objectivement justifié leur réunion en une seule initiative pour admettre l'unité de la matière d'une initiative.

Je prendrai comme dernier exemple la fameuse initiative «Pour un projet de stade raisonnable» - laquelle a finalement été invalidée, mais non en raison d'un manque d'unité de la matière. Il est important de rappeler que cette initiative touchait différents domaines: économie, politique fiscale, politique décisionnelle ou encore LCI. Or, le Tribunal fédéral a estimé que, s'il y avait là des moyens variés, ils étaient en connexité et visaient tous la volonté de construire un stade raisonnable à Genève.

En d'autres termes, l'initiative 120 ne pose aucun problème en termes d'unité de la forme, du genre ou de la matière. Le traitement que la commission législative a réservé à cette initiative relève purement d'un choix partisan dont le but est d'entraver les droits démocratiques des citoyens et des citoyennes de ce canton, et notamment de bafouer la volonté des plus de douze mille citoyens qui ont signé cette initiative !

Le président. Il est temps de conclure !

M. Carlo Sommaruga. Je conclurai sur la question de l'unité de la matière. Si la majorité de ce parlement devait considérer que cette initiative ne respecte pas l'unité de la matière, la constitution et le règlement de ce Grand Conseil l'obligeraient à envisager la possible scission de cette initiative. Ces dispositions sont en effet prévues dans la constitution. En jugeant cette initiative comme étant irrecevable, la majorité de la commission a non seulement porté un jugement totalement arbitraire, mais elle n'a de surcroît pas accompli son travail jusqu'au bout ! Cela est pour le moins regrettable ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Le débat sur la recevabilité de cette initiative possédant un caractère relativement juridique, je rappelle à tous les membres de ce Grand Conseil que nous sommes régis par l'article 120 de notre loi portant règlement du Grand Conseil. L'alinéa 2 de cet article précise que le Grand Conseil déclare nulle l'initiative qui ne respecte pas l'unité de la forme ou du genre. La commission législative ayant entièrement reconnu l'unité de la forme, la première question qui sera posée au terme du débat sera la suivante: l'initiative respecte-t-elle l'unité du genre? Si la réponse est négative, nous cesserons immédiatement la discussion, car l'initiative aura été jugée irrecevable. En cas de réponse positive, nous examinerons alors l'alinéa 3 de l'article 120, selon lequel le Grand Conseil scinde ou déclare partiellement nulle l'initiative qui ne respecte pas l'unité de la matière. La question relative à l'unité de la matière ne sera toutefois posée que si la question de l'unité du genre est tranchée de façon positive. Vous connaissez maintenant tous l'objet sur lequel vous voterez tout à l'heure !

Je prie par ailleurs les très nombreux orateurs inscrits d'être brefs car, le délai étant fixé au 10 octobre, nous devrons voter ce soir. Si nous sommes encore en train de débattre à 1h du matin, une séance extraordinaire sera agendée avant le 10 octobre pour traiter de ce sujet.

La liste des orateurs n'est pour l'instant pas close; huit ou neuf orateurs se sont inscrits. La parole est à M. le député Rémy Pagani. Je vous prie de respecter le temps de parole, qui est de sept minutes par orateur.

Présidence de M. Pascal Pétroz, premier vice-président

Une voix. J'espère que le nouveau président va clore la liste des orateurs !

M. Rémy Pagani (AdG). Je dois avouer qu'à la lecture du rapport de M. Pagan, je n'en ai pas cru mes yeux ! Et lorsque, tout à l'heure, il est revenu à la charge en résumant la position de la majorité de la commission, j'en ai eu froid dans le dos ! Il faut arrêter de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, Monsieur Pagan !

Il est inacceptable de prétendre que cette initiative ne respecte pas le principe d'unité de la matière et que ses signataires n'en ont pas compris la substance sous prétexte que le texte foisonnait d'idées ! J'ai moi-même participé à la récolte des signatures. Or, si je vous avais rencontré devant l'un de nos stands de récolte des signatures, je vous aurais tout simplement expliqué que cette initiative visait à assurer le maintien de logements bon marché au centre-ville. Les personnes qui ont signé cette initiative l'ont d'ailleurs fort bien compris ! Il s'agit de préserver les acquis d'une longue bataille qui s'est soldée par une victoire: cela fait en effet trente ans - même davantage pour certains - que nous nous battons pied à pied pour que soient inscrits dans la législation des instruments permettant par exemple aux locataires de se battre pour maintenir des loyers relativement bon marché ou aux habitants de faire valoir leur droit à la non-transformation de logements en bureaux. Dès le moment où nous avons expliqué cet objectif aux citoyens qui disposent du droit de vote, ceux-ci ont allègrement signé l'initiative, et des deux mains ! Vous ne pouvez donc pas prétendre que des citoyens ont été trompés s'agissant de l'unité de la matière !

J'aborde maintenant le deuxième argument avancé par les détracteurs de cette initiative: ceux-ci prétendent que l'on ne pourrait pas modifier la constitution. Mais là encore, il convient d'examiner la spécificité de la constitution genevoise: celle-ci possède en effet la particularité d'être évolutive, ce dont nous nous réjouissons. Cela n'est pas le cas d'autres constitutions, qui nécessitent la mise en place d'une assemblée constituante pour refaire tous les trente ans une nouvelle constitution. Toute une série de normes ont été introduites dans notre constitution. Je pense notamment aux batailles que nous avons menées pour imposer dans notre canton une politique antinucléaire. Je pense également à l'inscription de la possibilité de réquisitionner des appartements vides - mesure qui a déplu à vos milieux. Ainsi sont inscrits dans notre constitution non seulement le droit au logement, mais également les conditions permettant l'application de ce droit au logement - et notamment la réquisition par l'Etat des appartements vides. La constitution valide ainsi l'occupation de logements pour répondre aux besoins prépondérants de la population. Cette dernière a en effet besoin de logements - et de logements bon marché - au centre-ville. Je ne vous citerai qu'un seul chiffre, Monsieur Pagan: le centre de Zurich a, durant les années 1980 et 1990, perdu cent mille personnes ! Les autorités zurichoises se sont d'ailleurs plaintes - et se plaignent encore aujourd'hui - du peu de vie qui existe au centre-ville à partir de 18h. Cette absence d'activités constitue un déficit important. A Genève, nous avons subi au début des années 1980 la volonté des propriétaires de spéculer sur les terrains situés au centre-ville. Or, grâce à la bataille urbanistique que nous avons menée de concert avec les locataires, nous pouvons nous féliciter de voir depuis la fin des années 1990 revenir une population - je parle bien d'une population, et non des riches ! - au centre-ville ou, du moins, dans des quartiers tels que la Jonction, les Pâquis ou encore les Eaux-Vives.

C'est cette législation que vous cherchez depuis deux ans à remettre en cause en attaquant les plans d'utilisation du sol ou le droit des habitants à se mobiliser et à faire recours: vous mettez des embûches aux habitants qui s'opposent à la transformation de logements bon marché en bureaux ! Je pense notamment à l'épisode qui s'est dernièrement déroulé dans le quartier de Saint-Gervais. Vous cherchez en outre à réduire à néant toute une série d'acquis qui sont passés en votation populaire !

Cette initiative, et c'est en cela qu'elle embrasse l'ensemble du problème, introduit le référendum obligatoire. Elle cherche ainsi à éviter la remise en cause automatique par un vote parlementaire d'un vote populaire gagné de haute lutte - et j'insiste sur ce point - par les locataires réunis en association. En ce sens, elle est à nos yeux tout à fait légitime. Je ne comprends pas pourquoi vous cherchez à en casser la teneur par n'importe quelle argutie juridique, notamment en prétendant qu'elle ne respecte pas le principe de l'unité de la matière !

Pour conclure et bien que cela ait déjà été signalé par mon préopinant, je relèverai que vous n'avez pas appliqué la constitution genevoise jusqu'à son terme, puisque vous n'avez pas envisagé la possibilité de scinder tout ou une partie de cette initiative. C'est que cette initiative toute entière vous gêne, et plus vite elle sera mise à la poubelle, mieux cela vaudra ! J'espère quant à moi que le Tribunal fédéral prendra acte de cette volonté populaire réelle, volonté qui a constitué une victoire importante pour les habitants et les locataires qui se sont réunis en association pour maintenir, contrairement à la majorité des villes suisses et européennes, des logements bon marché et une population au centre-ville. J'espère que le Tribunal fédéral nous donnera raison et renverra cette initiative à notre parlement afin que cette dernière puisse suivre son cours normal.

Le président. Merci, Monsieur le député. Le Bureau a décidé de clore la liste des intervenants. Sont encore inscrits Mmes et MM. Luscher, Roth-Bernasconi, Blanchard-Queloz, Barrillier, M. le rapporteur de majorité, Künzler, Grobet, Pagan, Vanek, Bolay, Velasco et M. le président du Conseil d'Etat Moutinot. Je passe la parole à M. le député Luscher.

M. Christian Luscher (L). Puisque le président nous a exposé l'ordre dans lequel les questions seraient posées, je commencerai par faire une remarque concernant la procédure: nous devrons effectivement trancher sur l'unité du genre, puis sur l'unité de la matière. Mais, à supposer que cette initiative franchisse ces deux premiers obstacles - ce qui me paraît peu plausible - l'on devrait encore se poser la question de l'abus de droit. M. Sommaruga a cité un arrêt dans lequel l'unité de la matière avait été reconnue. Or, je vous rappelle que l'initiative en question a été invalidée pour une question d'abus de droit. L'une des causes de nullité d'une initiative réside en effet dans la notion d'abus de droit qui a été développée par la jurisprudence.

Dans sa détermination, le rapporteur de minorité se plaint qu'une question juridique ait été traitée de manière politique; en cela, il a parfaitement raison. C'est cependant à tort qu'il adresse cette critique à la commission législative: c'est à l'encontre de sa propre personne et du comité d'initiative auquel il appartient qu'il aurait dû formuler ce grief ! Il suffit pour cela de se référer au texte de l'initiative populaire: celui-ci contient plus de trente articles, paragraphes, alinéas ou lettres sur deux pages complètes parfaitement indigestes ! Je mets au défi chacun d'entre nous, s'il veut en comprendre le sens, de passer moins d'une demi-heure à sa lecture ! De surcroît, sa compréhension suppose des connaissances juridiques que seuls des avocats ou des jurisconsultes spécialisés dans le domaine de la LDTR peuvent saisir. Et c'est ce texte, destiné à des spécialistes du droit, que l'on fait signer sur un coin de bar sur la base des explications de M. Pagani ?! Je relève au passage que celui-ci s'est arrogé le droit d'expliquer en quelques secondes l'intégralité du droit immobilier genevois et en particulier de la LDTR alors que cette dernière a donné lieu à des livres entiers de doctrines et de jurisprudence...

Mais en réalité, à quoi tend cette initiative ? Elle tend tout simplement à faire monter des pans complets de la législation dans le texte fondamental de notre République, à savoir la constitution. Ce faisant, Mesdames et Messieurs les initiants, vous avez méconnu - ou feint de méconnaître - le but de notre constitution, qui est de contenir des normes générales, des grands principes qui définissent les structure fondamentales de notre Etat de droit. Je n'ai pas peur d'affirmer que, par cette «manoeuvre» - qualificatif utilisé par le Conseil d'Etat lui-même - vous dévoyez totalement le droit d'initiative: vous faites joujou avec un droit constitutionnel au mépris de ses fondements et dans des buts qui relèvent de la politique politicienne !

Imaginez, si votre initiative devait être déclarée recevable, le risque de perversion du droit d'initiative qui en découlerait: tout un chacun pourrait reprendre les cinquante, cent, cent cinquante, deux cents articles d'une loi ou même d'un règlement pour la ou le faire remonter dans la constitution - ce qui est totalement inadmissible et constitutif d'un abus de droit manifeste, pour ne pas dire crasse ! La constitution n'est pas un fourre-tout ! Elle a pour fonction de contenir les grands principes qui régissent notre démocratie.

Vous nous reprochez de faire de la politique au lieu de faire du droit. C'est au Grand Conseil qu'il appartiendra d'en juger. Mais vous, Monsieur le rapporteur de minorité, qui êtes un juriste émérite et spécialiste du droit en question, regardez-moi dans les yeux et osez prétendre que vous faites du droit, et non de la politique, lorsque vous proposez que le prix à la pièce des appartements - notion forcément évolutive - soit ancré dans la constitution !

C'est parce que cette initiative consacre un dévoiement politique du droit qu'elle est censée exercer qu'il convient d'en déclarer l'irrecevabilité. Il en va de la sauvegarde du droit d'initiative, pilier de notre démocratie directe à laquelle nous sommes tous attachés ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme la députée Roth-Bernasconi.

Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Il est évident que le dépôt d'une initiative populaire constitue un acte politique. En revanche, lorsque la commission législative examine la recevabilité d'une initiative, elle doit le faire sous l'angle du droit. Et, Mesdames et Messieurs les députés de la droite, vous utilisez précisément le droit pour défendre votre idéologie néolibérale au détriment d'une discussion menée sur la place publique quant au fond ! Il est pour le moins intéressant que ce soit un membre de l'Union démocratique du centre, grand défenseur du peuple devant l'éternel, qui ait rédigé ce rapport de majorité ! Je pense que le petit peuple des locataires saura se souvenir de ceux qui le défendent réellement et qui osent parler de ses droits sur la place publique...

Le respect de la volonté populaire est un principe très important en Suisse. Il est vrai qu'en matière de droit l'on peut mettre deux juristes ensemble et obtenir trois avis différents. C'est cependant toujours avec retenue que le Tribunal fédéral lui-même examine l'irrecevabilité d'une initiative. Il est par ailleurs intéressant de constater que, depuis que la majorité de ce parlement est à droite, on déclare plus souvent qu'auparavant les initiatives comme étant irrecevables... Ce fait est significatif !

Abordons maintenant les aspects juridiques de cette initiative. Il a été dit que l'unité de la forme et du genre était respectée, mais que l'unité de la matière posait problème. L'argument avancé est le suivant: les personnes appelées à se prononcer sur cette initiative ne pourront pas réellement déterminer leur volonté, car elles ne sauront pas s'il faut accepter ou refuser toutes ces questions. Or, comme je l'ai signalé, le Tribunal fédéral préconise une pratique souple en la matière, car une application stricte irait précisément à l'encontre de l'intérêt général. Je ne fais ici que citer la jurisprudence. Le Tribunal fédéral stipule également que le principe de l'unité de la matière est relatif.

Selon la jurisprudence, il existe donc un lien suffisamment étroit entre les différentes propositions contenues dans cette initiative: elles veulent toutes institutionnaliser une législation promouvant des mesures d'encouragement à la construction de logements, à la protection des locataires, de l'habitat et du cadre de vie dans les quartiers. Tous ces éléments sont intrinsèquement liés. Le corps électoral pourrait dès lors fort bien exprimer sa volonté. En outre, comme le rapport du Conseil d'Etat le précise, si certaines dispositions ne convenaient pas, il serait tout à fait possible de fragmenter les sujets en scindant les dispositions qui ne sont pas liées entre elles. Mais vous n'avez même pas voulu entrer en matière sur cette proposition - ce qui prouve bien que vous n'avez pas voulu prendre en considération les arguments juridiques pour laisser la place à l'idéologie dominante dans ce parlement !

Vous avez également mentionné l'abus de droit qui a été invoqué par la majorité de la commission pour invalider cette initiative populaire. Je n'ai toutefois trouvé aucun argument relatif à cette injonction dans le rapport de majorité ! L'on a vu à l'occasion d'autres initiatives - par exemple celles portant sur l'énergie ou sur la fiscalité - que les propositions faites pouvaient revêtir un caractère extrêmement souple. C'est ainsi que le référendum obligatoire existe déjà dans le domaine de la fiscalité - et ce n'est pas nous qui l'avons demandé ! En ce qui concerne l'introduction dans la constitution de certaines dispositions existant déjà dans la loi, nous avons vu dans le cadre de l'initiative «L'énergie notre affaire» qu'un tel procédé ne posait aucun problème au Tribunal fédéral. Ce dernier précise par ailleurs qu'il faut un abus de droit manifeste pour refuser la recevabilité d'une initiative. Or, dans ce cas précis, l'on ne peut guère parler d'abus de droit manifeste ! Nous disposons d'autres exemples où une manière de procéder analogue avait été acceptée.

Mesdames et Messieurs les députés de la droite, vous muselez le peuple en recourant à une procédure indigne d'une démocratie, et ceci pour des raisons purement idéologiques ! Vous disposez de la majorité, et je ne me fais aucune illusion sur l'issue de ce débat. (Brouhaha.)J'ignore s'il y aura un recours sur le plan juridique, mais j'espère pour ma part une chose: que la population et le petit peuple - n'est-ce pas, Monsieur Pagan... - prendront conscience de ceux qui les défendent réellement !

Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG). Les citoyens et citoyennes de ce canton apprécieront la manière dont la majorité de ce parlement a traité en commission la recevabilité formelle de l'initiative que, je crois, plus de treize mille personnes ont signée: une seule séance, le 6 juin dernier, et pour quel résultat ?! La majorité de la commission a considéré que cette initiative était irrecevable et qu'elle constituait un abus de droit. Je suis partie à la recherche des arguments qui justifient ces considérations, puisque la commission «considère».

Le premier argument avancé est le suivant: «Nous n'avons pas eu le temps de traiter longuement cette initiative, car les délais légaux impartis étaient trop courts». Mais, si je sais compter, deux mois se sont écoulés depuis le 4 avril, date du débat de préconsultation et de l'envoi de cette initiative en commission. Il n'a donc pas fallu aussi longtemps à la majorité de ce parlement pour entreprendre de démonter les lois mises en place depuis des dizaines d'années pour la défense des locataires... Je suis désolée, mais une telle excuse n'est pas valable ! Poursuivant ma recherche d'arguments, j'ai été rassurée d'apprendre que, pour faire partie de la commission législative, il était utile d'êtes juriste... Je n'invente rien, puisque je ne fais que citer les arguments avancés lors des travaux de ladite commission.

Premier argument avancé: «Le principe fondamental de l'initiative, qui est de faire passer des normes législatives existantes en normes constitutionnelles, est problématique». Voilà. L'argument s'arrête ici: ce principe est problématique... mais en quoi, nous l'ignorons !

Deuxième argument avancé: «L'unité de la matière n'est, quant à elle, pas respectée et ce point-là doit être résolu d'emblée par la commission». Comment ? Aucune réponse !

Troisième argument avancé: cette initiative «touche trop de lois et [...] l'unité de la matière n'est ainsi pas respectée». Je cite ici les propos de M. le président de la commission, qui a pris la parole tout à l'heure. M. le président «considère que cette initiative est un abus de droit et une manoeuvre pour détourner la constitution». En quoi? On ne le sait toujours pas !

Pour terminer, quatrième argument avancé: «S'agissant de la procédure à suivre, les avis sont également partagés quant à l'ordre des questions à trancher [...]. L'unité de la matière sera bien évidemment traitée, à l'instar de l'unité de la forme et de l'unité du genre. Mais par laquelle commencer...». Bref, on ne sait plus vraiment ce qu'il convient de faire...

Comme le président de la commission législative le répète, «cette initiative est [...] un abus de droit», et l'on passe au vote ! Qui est en faveur de l'abus de droit, qui ne l'est pas: telle est plus ou moins la question qui est posée. Quatre commissaires votent en faveur du respect de l'unité de genre, quatre autres votent contre. Dans la foulée, on vote sur l'abus de droit: qui est pour, qui est contre... puis on cesse les travaux !

Je regrette de devoir dire qu'une telle manière de procéder ne rime à rien ! Il convient de savoir de quel objet il est ici question: l'objet qui a été traité avec un mépris et une incompétence affichée, c'est le logement. Or, il ne s'agit là pas un sujet artificiel, comme le rapporteur le précise dans son rapport, mais d'un bien de première nécessité ! C'est pourquoi il faut protéger les locataires ! On peut être d'accord ou non avec le statut de locataire, mais ce dernier existe: il s'agit de la réalité d'environ les trois quarts de la population genevoise, et il mérite à cet égard une protection.

Je constate que le rapporteur ne connaît pas grand-chose à l'histoire de la protection des locataires à Genève: ce n'est pas l'Asloca qui a lancé cette initiative, mais un comité d'initiative formé entre autres de l'Asloca, du Mouvement populaire des familles, de l'Avivo, des associations de quartiers... (Brouhaha.)...bref, des organisations grâce auxquelles la protection des locataires est ce qu'elle est à Genève. Et pourquoi croyez-vous que ces milieux ont dû lancer cette initiative ? Croyez-vous que c'est pour occuper deux heures de la commission législative ?! Croyez-vous vraiment que nous n'avons que cela à faire ?! Vous vous moquez de nous ! Depuis deux ans, la majorité de ce parlement a grignoté article par article les lois des locataires, nous poussant à chaque fois au référendum ! La première tentative s'est heureusement soldée par un échec, mais nous avons été obligés de déposer cette initiative.

J'en reviens à la forme - puisque c'est de cela que nous devons discuter - et aux conclusions de ce rapport. Et là, heureusement qu'il est précisé dans ce dernier que «les commissaires, dont l'avis a majoritairement prévalu, [...] avaient clairement à l'esprit et sous les yeux le texte de l'initiative 120» ! Franchement, ouf ! (Rires.)On lit plus loin les propos suivants: «Ces deux textes sont particulièrement denses et complexes puisqu'ils se réfèrent à des dispositions traitant chacune d'un domaine bien spécifique - qu'il s'agisse de la protection des locataires, de l'aménagement du territoire, de la construction d'immeubles à loyer bon marché et de son financement, de l'organisation judiciaire etc.». Voilà nos commissaires tout perdus, parce qu'ils ne voient pas le lien existant entre la construction de logements répondant aux besoins des personnes, la protection en cas d'abus et le Tribunal des baux et loyers... Ne voyez-vous vraiment pas le lien ?! S'il en est ainsi, je vous propose d'aller demander aux locataires si eux ne voient pas de rapport entre une hausse de loyer abusive due à la pénurie de logements et le tribunal des baux et loyers ! Je m'arrête à cet exemple. Vouloir inscrire cette protection dans la constitution en instaurant un référendum obligatoire - car tel est le principal but de cette initiative, but que le rapport ignore complètement ! - est considéré au final comme une «construction purement artificielle et le fruit d'une manoeuvre politique» !

Pour couronner le tout, ces commissaires juristes ne pouvant pas comprendre la teneur de l'initiative au vu de la complexité des textes, il est évident que les citoyens locataires ne peuvent, eux non plus, pas comprendre... (Rires.)Je cite une nouvelle fois le rapport: «Les droits démocratiques ont été en l'espèce utilisés d'une manière insensée, car la complexité et la diversité de la teneur de l'initiative la rendent d'entrée de cause incompréhensible aux yeux du citoyen». Celui-ci appréciera... Cela revient à traiter les citoyens qui ont signé cette «farce démocratique» d'imbéciles ! Mais allez demander aux locataires si leur réalité est une farce !

Autre excuse - c'est la dernière - encore plus nulle pour invalider ce que les commissaires de la majorité ne peuvent décidément pas comprendre tant le sujet est complexe: il a fallu au Conseil d'Etat vingt-cinq pages pour faire le tour de la question ! Mais, au moins, il a fait le tour de cette question ! Et le rapporteur se permet d'écrire: «De l'aveu même de l'exécutif cantonal, il s'agit d'une manoeuvre essentiellement destinée à rendre plus difficile la modification ou l'abrogation des dispositions concernées, le recours au verdict populaire étant alors de règle» ! Mais oui ! C'est cela même: le Conseil d'Etat a bien compris ce que nous voulions ! (Eclats de rires.)

Des voix. Lui !

Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée ! (Ton amusé.)

Une voix. Le problème, c'est qu'eux ont aussi compris !

Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz. Grâce à cette initiative, les dispositions mises en place par le peuple ne pourraient être modifiées que par lui; or, il faudrait bien, pour cela, inscrire dans la constitution tous les textes concernés par cette mesure centrale de l'initiative ! Mais ce que ce rapport ignore - certes volontairement - c'est que le Conseil d'Etat soutient cette préoccupation centrale: comme on peut en effet le lire à la page 44, «le Conseil d'Etat n'est pas opposé à ce que, par le biais d'un contreprojet, certaines préoccupations des initiants trouvent place dans la législation genevoise, soit au niveau constitutionnel, soit au niveau législatif». La volonté de faire voter par le peuple la modification ou l'abrogation de mesures qui ont été voulues par celui-ci mérite examen - quelle que soit, par ailleurs, la matière en cause !

Le président. Vous avez dépassé votre temps de parole, Madame la députée !

Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz. J'arrive au terme de mon intervention, Monsieur le président ! Je prie donc la majorité de ce parlement de faire preuve d'un peu plus de compétence et de respect envers les droits démocratiques et de ne pas suivre la farce que représentent les conclusions de ce rapport. Je vous invite à déclarer cette initiative valide. M. le rapporteur Sommaruga vous fournira tous les éléments juridiques nécessaires pour prendre votre décision. (Vifs applaudissements.)

M. Gabriel Barrillier (R). Il est redoutable de prendre la parole après Mme Blanchard-Queloz... Mon intervention sera beaucoup plus brève.

Il est possible de se livrer à une exégèse humoristique du travail de la commission législative, dont je ne suis par ailleurs pas membre. Cette exégèse était agréable à entendre. Je pense toutefois qu'il existe une autre façon de prendre position: c'est de faire preuve d'un peu de bon sens. Lors du débat d'entrée en matière, je me suis souvenu des cours du professeur Jean-François Aubert - que l'on pourrait éventuellement consulter sur la question du fonctionnement et de la hiérarchie des normes constitutionnelles et d'exécution. Il m'était alors tout naturellement apparu que cette initiative consistait en une manoeuvre relativement grossière visant à ancrer dans la constitution, soit dans les normes fondamentales de notre Etat, des dispositions d'exécution relatives au logement, à l'aménagement du territoire et à la participation des habitants à la vie de quartier. Il s'agit là certes de préoccupations extrêmement importantes et prioritaires. J'avais cependant, dans le cadre de ce débat d'entrée en matière, rappelé que l'article 10A de notre constitution garantissait déjà le droit au logement, que toute une série de lois avaient été votées sur la base de cet article constitutionnel et qu'il était possible, si ces lois ne vous plaisaient pas, de les quereller par des référendums facultatifs.

Comme mes préopinants l'ont expliqué, le dispositif que les initiants ont imaginé consiste à faire remonter au niveau de la constitution des dispositions d'exécution afin d'en rendre la modification et l'adaptation aux réalités beaucoup plus difficiles. Cela ne me semble pas être une bonne manière de procéder: il faut selon moi maintenir le système actuel, car ce dernier offre toujours la possibilité de quereller des lois ou des révisions de loi ne plaisant pas à certains par le biais d'un référendum facultatif. Votre proposition revient en revanche à introduire le référendum obligatoire. Je me montrerai là un peu polémique, mais il s'agit peut-être d'une façon de renforcer votre offre publique d'achat sur les locataires...

S'agissant de l'unité de la matière, votre initiative vise, d'une part l'habitant en tant que locataire soumis au code des obligations, d'autre part l'habitant en tant que citoyen soumis à la loi sur l'aménagement du territoire. Or, il s'agit de deux normes fort différentes l'une de l'autre ! J'estime dès lors en toute sincérité que votre initiative ne respecte pas l'unité de la matière.

En ce qui concerne l'abus de droit, mon expérience est moindre que celle des membres des associations qui se trouvent à l'origine de cette initiative, dont je reconnais le militantisme. Je n'oserais toutefois personnellement jamais faire signer une initiative aussi complexe et aussi touffue que celle-ci dans la rue ou dans des assemblées ! J'estime très franchement que l'on trompe le citoyen sur la compréhension, la lisibilité et les véritables objectifs d'un tel texte. Il s'agit en tout cas d'une démarche téméraire. C'est à mon sens tromper l'électeur que de lui faire signer ce genre de texte !

Pour toutes ces raisons, le parti radical se rallie sans peine au rapport de majorité en jugeant cette initiative irrecevable. Je suppose que vous ferez recours auprès du Tribunal fédéral. Nous verrons quelle sera la décision de la haute instance juridique du pays. Mais je vous le dis en toute honnêteté: la ficelle était un peu grosse pour qu'on puisse l'accepter! (Applaudissements.)

Mme Michèle Künzler (Ve). J'ai également été frappée par la légèreté avec laquelle la commission législative a traité ce sujet. En ce qui nous concerne, les considérations qui ont amené la commission à déterminer l'irrecevabilité de cette initiative sont parfaitement oiseuses et vaseuses. Il faut en réalité répondre à trois questions claires et simples. Or, nous, les Verts, sommes parfaitement à l'aise pour y répondre puisque nous nous sommes opposés à cette initiative.

Il convient donc à notre sens de répondre objectivement aux trois questions suivantes. En premier lieu, l'initiative respecte-t-elle l'unité de la forme ? Oui: cette unité est clairement établie puisque l'initiative est entièrement rédigée. En deuxième lieu, respecte-t-elle l'unité du genre ? Oui: l'initiative ne mélange pas les différents niveaux, puisqu'il s'agit d'une initiative constitutionnelle. On peut donc clairement répondre positivement aux deux questions qui nous seront posées.

La troisième question à laquelle il s'agit de répondre est la suivante: l'initiative respecte-t-elle l'unité de la matière ? Il est vrai que l'on peut émettre quelques doutes à l'égard de ce troisième principe. Les dispositions traitent cependant toutes du même sujet au sens large, à savoir le droit du logement. Notre constitution stipule par ailleurs que l'autorité appelée à statuer sur la validité matérielle d'une initiative doit interpréter les termes dans le sens le plus favorable aux initiants. C'est ce point qui est important: on doit toujours respecter la volonté populaire de la manière la plus favorable qui soit !

Les questions qui nous sont posées ne portent pas sur le fond. On a le droit de ne pas aimer cette initiative et de s'y opposer, mais il faut en reconnaître la validité ! C'est cette question qui nous est posée ! Par respect pour les douze mille personnes qui ont signé cette initiative...

Une voix. Mais ils n'ont rien compris !

Mme Michèle Künzler. Qu'ils n'aient rien compris, cela n'est pas la question ! Vous n'avez pas le droit de juger de l'intelligence de vos concitoyens, qui sont peut-être plus malins que vous... Ce qui importe, c'est de savoir si vous respectez vos concitoyens ou non: si vous les traitez d'imbéciles et que vous ne tenez pas compte de leurs signatures, vous ne les respectez pas ! (L'oratrice est interpellée.)Je ne l'ai pas fait signer, Monsieur ! (Applaudissements.)

Présidence de M. Bernard Lescaze, président

M. Christian Grobet (AdG). Outre le rapport de M. Pagan - qui est juriste, mais qui fait sur cette question davantage de la politique que du droit - le débat de ce soir a été particulièrement évocateur. Il faut à cet égard être reconnaissant aux représentants de la droite: encore tout à l'heure, la franchise de M. Barrillier était de bon aloi. Votre opposition n'est pas de nature juridique, car même une personne qui, comme Mme Künzler, n'est pas une spécialiste du droit mais qui possède de bonnes connaissances juridiques, a su expliquer - peut-être bien mieux que les juristes - en quoi les conditions de recevabilité de l'initiative étaient remplies.

M. Barrillier n'a fait qu'invoquer des arguments purement politiques pour affirmer qu'il fallait garder le système actuel et que cette initiative n'était qu'une «grosse ficelle». M. Luscher a pour sa part tenu les propos suivants: «Il s'agit d'une manoeuvre. Il ne faut pas monter dans la constitution des normes législatives, car c'est embêtant: le peuple devra voter si on souhaite les modifier. Ce système ne convient pas». Notez que lorsqu'il s'agissait d'inscrire dans la constitution le référendum obligatoire pour toute modification en matière fiscale, vous l'approuviez des deux mains, et ceci quand bien même une telle disposition porte sur un nombre de pages de loi autrement plus important que les lois dont il est question ce soir ! En revanche, lorsqu'on propose de permettre au peuple de se prononcer en cas de modification des lois relatives, non plus au droit fiscal, mais au droit des locataires, vous vous y opposez !

Votre point de vue consiste donc à instaurer un référendum obligatoire dans certaines circonstances, mais non dans d'autres ! Bien qu'une telle position puisse paraître quelque peu contradictoire, je la respecte. Il s'agit toutefois là d'un avis purement politique et clairement distinct de la question de la recevabilité ou non de l'initiative.

Je souhaite reprendre quelques-uns de vos pseudo-arguments juridiques. Messieurs Barrillier et Luscher. Vous avez tenu le discours suivant: «Mon Dieu, cette initiative est tellement longue ! Les personnes qui l'ont signée n'y ont rien compris, et il en sera de même lorsque l'initiative sera soumise en votation populaire !». Le peuple est donc composé d'imbéciles... Mais qu'a-t-il fait lorsqu'il a voté, il y a deux ans de cela, sur la nouvelle Constitution fédérale ?! Il s'est prononcé sur un texte autrement plus long et plus complexe que celui dont nous discutons ce soir !

Je vous rappelle par ailleurs que notre constitution prévoit expressément la possibilité d'une réforme complète ou partielle de la constitution. Si demain nous changions complètement la constitution, le peuple devrait se prononcer sur cent cinquante articles ! La réalité juridique est ainsi: il est possible de faire signer aux citoyens une initiative constitutionnelle de cent cinquante articles. Votre argument tombe dès lors complètement !

Nous contestons formellement votre accusation selon laquelle lancer une telle initiative constituerait un abus de droit. M. Luscher a évoqué, à ce sujet et sans la citer, une initiative qui aurait été annulée. Il me semble que seule une initiative a été annulée de ce fait: il s'agit de l'initiative sur le stade de la Praille, et non des initiatives citées tout à l'heure par M. le rapporteur de minorité. Le cas de l'initiative sur le stade de la Praille est cependant complètement différent, puisque le Tribunal fédéral avait estimé que c'était un abus de droit que de lancer une initiative sur un sujet n'ayant pas fait l'objet de référendums et remettant tardivement en cause un projet. Or, nous ne nous trouvons ce soir absolument pas dans un tel cas de figure !

Vous avez par ailleurs, Monsieur Luscher, avancé avec beaucoup de force que la constitution étant une loi de portée générale, elle ne devait contenir que des principes et que l'on ne pouvait par conséquent y inscrire toute une série de normes. Le texte de la constitution se trouve sous mes yeux: or, je ne trouve aucun article interdisant cela ! Vous me préciserez donc quel article stipule que la constitution ne pourrait pas contenir des articles très spécifiques...

Un orateur a déclaré tout à l'heure: «Vous inscrivez même le loyer maximum dans la constitution !». Notez bien qu'il est indiqué que celui-ci évolue en fonction du coût de la vie. Mais avez-vous été frappés d'amnésie ?! Je vous rappelle que la Constitution fédérale a limité pendant des années la mise des casinos à cinq francs ! Je pourrais dresser une longue liste de dispositions constitutionnelles analogues, mais je ne dispose malheureusement que de sept minutes... (Brouhaha.)Il est vrai que ces dispositions ont été légèrement épurées avec la nouvelle constitution. L'on peut cependant, sur le plan juridique, inscrire dans la Constitution n'importe quoi - et vous le savez aussi bien que moi ! Peut-être est-ce une erreur de notre système démocratique, mais je ne le pense pas. (Protestations. Le président agite la cloche.)

Par conséquent, vous ne pouvez pas reprocher à cette initiative d'introduire des dispositions dans la constitution, quand bien même ces dispositions devraient, selon vous, figurer uniquement dans les lois ! Notre ordre juridique suisse est clair à cet égard: il ne distingue pas la norme constitutionnelle de la norme législative. Le fait d'exclure l'initiative législative sur le plan fédéral a ainsi eu pour conséquence de farcir la constitution de normes législatives, et il peut en être fait de même dans notre constitution genevoise. Preuve en sont les dispositions relatives à l'énergie, qui figurent dans la constitution. M. le rapporteur de minorité Sommaruga a d'ailleurs bien fait de rappeler que les articles relatifs à l'énergie, dont la constitutionnalité a été admise par le Tribunal fédéral, sont nettement plus longs que l'initiative dont nous discutons ce soir.

Je souhaite maintenant faire quelques remarques sur le travail effectué par la commission législative. Mme Blanchard-Queloz a bien fait de se gausser des travaux de la commission, laquelle ne s'est pas contentée de traiter cette initiative de manière particulièrement cavalière, mais a de surcroît inventé une nouvelle règle... Mme Blanchard-Queloz aurait à cet égard pu aller jusqu'au bout de sa déclamation, M. Sommaruga ayant déjà fait remarquer que l'on posait tantôt une question positive, tantôt une question négative. Mais peu importe: la règle veut qu'en cas d'égalité des voix la question posée par le président soit refusée. Or, dans le cas de ce rapport, on constate que le rapporteur - ou la commission - a interprété l'égalité des voix comme étant une décision en faveur du souhait du président de la commission. Un tel procédé est hallucinant ! Je vous invite, Monsieur Luscher, à relire un précédent rapport dans lequel il était question de la recevabilité d'une initiative: en cas d'égalité des voix, la proposition était refusée, comme cela est le cas pour tous les débats en commission ! Mais dans le cas de l'initiative 120, la commission législative, formée de grands juristes, a inventé une nouvelle jurisprudence: en cas d'égalité des voix, c'est la question formulée dans l'esprit du président qui l'emporte ! Il ne s'agit là que d'une petite anecdote illustrant la manière dont la commission a travaillé.

Quant aux conclusions de l'autre éminent juriste qu'est M. Pagan - que je connais bien pour avoir fait mes études de droit avec lui - je dois avouer, mon cher confrère, que j'ai été fort étonné par le fait que vous ayez procédé à des analyses purement politiques. Vous vous êtes en outre exprimé de manière insensée et en des termes qui n'ont pas manqué de m'étonner de votre part, vous qui êtes si prudent en toutes circonstances !

Le président. Il est temps de conclure, Monsieur Grobet !

M. Christian Grobet. M. Pagan termine son rapport en affirmant que cette réalité s'apparente à une «farce démocratique». Mais permettez-moi de vous faire remarquer que la farce démocratique est bel et bien celle de la commission législative, car il est évident que tant l'unité de la forme que celle du genre sont respectées ! Quant à l'unité de la matière, je vous rappelle que s'il devait y avoir un doute à ce sujet, la constitution précise que l'initiative doit être sauvée en étant scindée... (L'orateur est interpellé.)

Mais écoutez, Monsieur ! Cela m'attriste, cher collègue, de constater que vous n'avez même pas lu l'article de la constitution relatif au traitement du droit d'initiative ! Je conclurai donc mon intervention en vous donnant lecture de l'article 66, alinéa 2, lequel est parfaitement clair s'agissant de l'unité de la matière: «Le Grand Conseil scinde ou déclare partiellement nulle l'initiative qui ne respecte pas l'unité de la matière, selon que ses différentes parties sont en elles-mêmes valides ou non; à défaut, il déclare l'initiative nulle». Cet article stipule clairement qu'en cas de non-respect de l'unité de la matière, il faut scinder l'initiative ou éliminer les éléments qui n'en font pas partie.

Une voix. Lisez l'alinéa 3, Monsieur Grobet !

M. Christian Grobet. Ecoutez, je ne vais pas vous relire toute la constitution ! (Protestations. Le président agite la cloche.)Nous aurons l'occasion de plaider cette affaire au Tribunal fédéral. Je constate toutefois que vous mettez, une fois de plus, tout en oeuvre pour éviter que le peuple puisse se prononcer. Une telle attitude ne montre qu'une seule chose: c'est que vous avez peur du peuple ! (Applaudissements.)

Le président. Je prie les orateurs de se limiter à leur temps de parole ! La parole est à M. Pierre Vanek.

M. Pierre Vanek (AdG). L'essentiel a été dit. J'aimerais simplement apporter quelques éléments complémentaires.

Le premier élément que je souhaite apporter porte sur une remarque de ma collègue du parti socialiste, Mme Roth-Bernasconi. Cette dernière a déclaré que les députés des bancs d'en face avaient été aveuglés par des considérations idéologiques et qu'il s'agissait de la raison pour laquelle ils combattaient cette initiative. Je pense pour ma part que la droite combat cette initiative pour de multiples autres raisons !

En deuxième lieu et contrairement aux propos tenus par certains de mes préopinants quant au fait que vous n'auriez pas compris la teneur de cette initiative, je suis au contraire convaincu que vous en avez fort bien saisi la teneur ! Ce ne sont évidemment pas que des raisons idéologiques qui motivent vos tentatives malhabiles d'explication juridique de l'invalidité de cette initiative: ce que vous défendez, c'est le portefeuille, non de la majorité des habitant-e-s de notre canton - soit des locataires s'efforçant de défendre leurs droits - mais d'un certain nombre de propriétaires immobiliers, de régisseurs et de spéculateurs. C'est de cela qu'il s'agit ! (Brouhaha.)

En troisième lieu, je constate que les arguments invoqués par M. Luscher consistent à affirmer que les douze ou treize mille citoyennes et citoyens de ce canton qui ont signé cette initiative sont des imbéciles... M. Luscher parlait du coin d'un bar: c'est peut-être ainsi que vous essayez de faire signer vos initiatives, mais notre initiative n'a, elle, pas été signée sur des coins de bar: elle a été signée dans la rue, à la lumière du jour !

En quatrième lieu, il a été dit que cette initiative était incompréhensible. M. Barrillier a évoqué son caractère prétendument «complexe» et «touffu». M. Luscher a renchéri en prétendant qu'il fallait être un spécialiste de ces questions juridiques - ce que je ne suis pas - pour comprendre cette initiative. Mais cela n'est tout simplement pas vrai ! Prenons le texte: les faits sont là ! Je prendrai au hasard quelques extraits que je vais vous infliger - à défaut, comme le suggérait un député, de lire la constitution à M. Luscher... L'article sur le droit au logement mériterait - soit dit en passant - effectivement de lui être relu.

On trouve dans cette initiative des propos que tout un chacun pourrait comprendre, que ce soit à la place du Molard, devant la Migros de la Servette, devant celle de la Jonction ou à d'autres endroits dans lesquels nous avons fait signer cette initiative ! On y lit par exemple ceci: «Pour favoriser la construction de logements locatifs d'utilité publique, garantissant à long terme des loyers répondant aux besoins de la majorité de la population». Jusqu'ici, tout le monde comprend, non ?

Je poursuis: «L'Etat prend les mesures suivantes: il accorde son appui financier en faveur de logements bon marché, qui doivent dépendre de fondations de droit public si cette aide est prépondérante». Le terme de logements bon marché est-il incompréhensible ?! La notion de fondation de droit public est-elle incompréhensible pour la majorité de la population ?! Eh bien non ! Je vois M. Mark Muller hocher la tête et dire oui. La notion de fondation de droit public serait incompréhensible?! Mais non, Monsieur Muller ! Les gens font la différence entre les propriétaires privés visant à maximiser leurs profits et les institutions de droit public ! Ils ne sont pas bêtes: ils connaissent la différence entre le privé et le public, et ils se sont opposés aux privatisations dans d'autres domaines également.

Je continue sur les mêmes dispositions: l'Etat «accorde son aide en priorité à des logements dépendant de collectivités publiques ou d'organismes, notamment des coopératives, ne poursuivant pas de but lucratif». Les gens savent ce qu'est une coopérative ! Ils comprennent la distinction entre des personnes morales qui poursuivent un but lucratif et celles qui poursuivent un but non lucratif ! Il s'agit d'un langage populaire qui n'a absolument rien d'incompréhensible ni de très compliqué !

Moi-même, qui ne suis pas un spécialiste de la LDTR et qui ne suis pas plus intelligent que d'autres citoyens, je comprends très bien le passage suivant: l'Etat «instaure un contrôle des loyers sur tous les logements ou locaux construits par ou avec l'aide de l'Etat ou d'autres collectivités publiques [...]. Les loyers correspondent à un rendement équitable des capitaux investis». Les gens comprennent la notion de rendement équitable des capitaux investis - notion qui contraste avec une situation spéculative et des pratiques d'usurier ! Il s'agit de notions très simples !Je répète que ce texte a été rédigé en termes populaires.

Je lis un dernier extrait du texte de l'initiative: l'Etat «acquiert des terrains notamment par l'exercice de son droit de préemption et les met à disposition d'organismes publics ou privés sans but lucratif». Les personnes comprennent que l'on ne bâtit pas des logements bon marché en l'air, mais qu'on les bâtit sur des terrains ! Ils comprennent également qu'il faut que ces terrains soient mis à disposition de fondations de droit public et qu'il faut donc les acquérir...

Le président. Il vous reste une minute !

M. Pierre Vanek. Cette initiative tient sur deux petites pages A5; je suis bien placé pour le savoir, car j'ai à l'époque fait cette mise en page sur mon ordinateur. Or, il n'y a rien, dans ces deux petites pages, qui soit incompréhensible ! Le fait que soit «également soumise obligatoirement à l'approbation du Conseil général (corps électoral) toute modification à l'une des lois de protection des locataires et des habitants de quartier énumérées à l'article 160 I» ne l'est pas plus que le reste. Tout le texte est parfaitement limpide !

La raison de votre opposition à faire monter ces dispositions dans la constitution cantonale ne réside nullement dans des considérations générales de droit constitutionnel: vous n'êtes pas beaucoup plus bêtes que la majorité des citoyens... Vous avez aussi... (L'orateur insiste sur ce terme.)...compris de quoi il s'agit... (L'orateur est interpellé.)Non, je concède que certains sont évidemment plus bêtes...

Le président. Il faut conclure !

M. Pierre Vanek. Vous vous opposez simplement à ces dispositions sur le plan politique et pour défendre vos intérêts...

Le président. J'ai été suffisamment patient: votre intervention est terminée, Monsieur Vanek !

M. Pierre Vanek. Je conclus: vous n'osez pas assumer vos positions politiques ! C'est pourquoi vous cherchez des cache-sexe à une position hostile aux intérêts de la majorité de la population en invoquant des arguments spécieux !

Mme Loly Bolay (S). Les événements qui se sont produits le 6 juin dernier à la commission législative constituent un véritable coup de Jarnac. Mais nous avons l'habitude: chaque fois que la gauche propose des avantages pour les locataires, vous êtes victimes de crises d'urticaire... C'est l'une de ces crises que vous avez eue le 6 juin dernier à la commission législative !

Contrairement à ce qui est écrit dans le rapport de majorité et aux propos qui ont été tenus tout à l'heure, le Conseil d'Etat admet, d'une part la recevabilité de l'initiative 120, d'autre part le respect par cette même initiative de l'unité de la matière.

Le Conseil d'Etat estime en premier lieu que les dispositions paraissent avoir un rapport intrinsèque: en d'autres termes, elles possèdent un lien de connexité. Les membres de la commission législative ont d'ailleurs fréquemment entendu parler de ce terme. Je pense notamment à l'audition du professeur Hottelier, qui nous a fait un exposé sur les liens de connexité dans le cadre du traitement de l'initiative 119. Le Conseil d'Etat considère par ailleurs que l'unité de la forme est respectée, tout comme l'unité normative - appelée communément l'unité du genre. Enfin, il admet dans ses conclusions que les dispositions actuelles sont suffisantes pour garantir la protection adéquate des habitants et des locataires. Mais là n'était pas le débat de la commission législative !

Si cette commission est composée dans sa grande majorité de juristes, c'est précisément pour placer le débat au niveau juridique. Or, vous l'avez, Monsieur Luscher, placé au niveau politique et partisan ! Cela est inacceptable !

M. Alberto Velasco (S). Je souhaite répondre à mon collègue Barrillier que personne n'a trompé le peuple. Le Conseil d'Etat déclare dans les conclusions de son rapport qu'«il n'est dès lors pas nécessaire de charger la constitution genevoise de dispositions qui ne constituent pas des normes essentielles pour le bon fonctionnement des institutions du canton»; ces normes existent en effet déjà au niveau des lois. Je vous accorde que cette remarque est exacte. Cependant, la plupart de ces lois ont précisément fait l'objet d'initiatives de la part des citoyens ! Lorsqu'au début de la législature la droite a attaqué ces lois issues d'initiatives, il nous a donc semblé logique que l'on vienne devant le peuple pour les défaire. Or, l'unique solution que nous avons eue à notre disposition a été le relèvement de ces dispositions au niveau de la constitution. Le cheminement intellectuel de l'Alternative n'est donc nullement trompeur, mais tout à fait cohérent !

M. Barrillier affirme par ailleurs que les gens ne comprennent pas la teneur de cette initiative. Non ! Le peuple s'étant battu pour chacune de ces lois, il a suffi, lors de la récolte des signatures, d'expliquer aux personnes qu'il s'agissait de lois pour lesquelles ils s'étaient en leur temps battus pour garantir leur protection. Et les gens se souvenaient de ces lois ! Ils n'ont peut-être pas totalement compris le texte de l'initiative, mais ils se souvenaient parfaitement de la difficulté des luttes qui avaient été menées pour garantir la protection des locataires !

C'est la raison pour laquelle nous souhaitons aujourd'hui que ces lois, qui ont toutes été votées par le peuple, figurent dans la constitution. C'est déjà le cas de certaines lois relatives à l'énergie: si vous examinez l'article 160C de la constitution, vous pourrez constater que celui-ci comporte des articles de lois qui ne devraient pas y figurer. Mais c'est ainsi: ils y figurent ! Il s'agit là d'une norme qui est praticable. Or, nous estimons que, face à la grave pénurie de logements, il devient de plus en plus important de protéger les locataires par le biais d'une initiative qui consacre ces lois au niveau constitutionnel. Et si, comme vous l'avez affirmé, vous n'avez pas peur, allons tous devant le peuple ! Qu'est-ce qui vous empêche d'aller devant le peuple ? Pourquoi n'acceptez-vous pas cette initiative ? Pourquoi avez-vous peur de la soumettre au peuple ? Parce que vous craignez qu'elle ne passe ! Vous avez peur que le peuple vous désavoue ! C'est pourquoi vous utilisez l'argument de la non-recevabilité pour la refuser !

Mais nous nous battrons en faisant recours au Tribunal fédéral ! Je suis convaincu que le peuple votera cette initiative.

M. Carlo Sommaruga (S), rapporteur de minorité. Les diverses interventions des députés de la majorité, notamment celle du président de la commission législative, M. Luscher, prouvent bien que la majorité actuelle, soit l'Entente et l'UDC, prend les locataires pour des imbéciles. Cette majorité est incapable de concevoir que les locataires connaissent leurs droits ! Il faut à cet égard remercier les personnes qui mènent depuis trente ans un travail de défense des locataires et qui ont réussi, grâce à une pédagogie populaire, à faire en sorte que ceux-ci connaissent leurs droits et parviennent à définir leur intérêt. Mais certains juristes siégeant dans cette enceinte sont davantage intéressés par le droit des affaires que par le droit des locataires - lequel est sans doute plus difficile à comprendre que la gestion de capitaux importants... Donc, lorsqu'un texte un peu complexe leur est soumis, les locataires - qui se sont appropriés la connaissance de leurs droits et qui connaissent leur intérêt - savent ce qu'il en est au moment d'apposer leur signature au bas d'une initiative ! La majorité de ce parlement a fait preuve en commission d'un mépris et d'une arrogance qui se manifestent chaque fois qu'est en jeu la défense des intérêts des plus humbles, soit de la majorité des habitants de notre canton.

Je rappelle par ailleurs que tant le Conseil d'Etat que les divers intervenants juridiques ont reconnu l'unité de la forme ainsi que l'unité du genre de cette initiative dans la mesure où l'initiative vise uniquement l'introduction de dispositions dans la constitution. Cette initiative ne peut dès lors être considérée comme nulle. Le dernier point qu'il conviendra tout à l'heure d'examiner concerne l'unité de la matière. Or, comme je l'ai relevé tout à l'heure, il conviendra, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral et selon la décision prise par ce Grand Conseil en conformité avec la constitution, d'admettre l'unité de la matière de cette initiative ou, si vous estimez que celle-ci comporte plusieurs sujets, de la scinder en différents volets. Si l'initiative comporte deux sujets, l'un portant sur l'aménagement du territoire, l'autre sur la défense des locataires, la constitution prévoit en effet de scinder l'initiative en deux volets. Prendre prétexte de cette dichotomie entre la défense des locataires et la défense de l'urbanisme pour déclarer cette initiative nulle signifie que nous n'avez même pas lu la constitution - ce qui est tout de même déplorable !

S'agissant de l'abus de droit - puisqu'il faudra également éventuellement se pencher sur cette question - il conviendra de se rappeler que le Tribunal fédéral n'a pas évoqué un abus de droit, mais un abus manifeste... (L'orateur insiste sur ce terme.)...du droit. Le fait d'inscrire dans la constitution un certain nombre de dispositions déjà existantes dans la législation est un procédé qui peut certes paraître surprenant, mais qui est tout à fait conforme à la loi. Il ne constitue par conséquent pas un abus manifeste. Il faudra donc que ce Grand Conseil rejette toute notion d'abus de droit concernant cette initiative.

En résumé, en menant un travail sérieux de juriste ainsi que nous le demande la constitution, il n'y a qu'une seule décision à prendre: c'est d'accepter la recevabilité de cette initiative ! Toute autre décision serait l'expression d'une arrogance et d'un mépris vis-à-vis de la majorité de la population. Mais nous sommes habitués à cette attitude: nous savons exactement ce que vous pensez et quels sont les intérêts que vous défendez ! Lorsque vous avez présenté et défendu, il y a quelques mois de cela, une initiative en faveur des milieux immobiliers, vous êtes même allés jusqu'à tenter de violer la loi portant règlement de ce Grand Conseil en évitant que cette initiative ne prévoie des clauses de financement ! Telle est votre manière de travailler: vous estimez qu'il est normal de défendre des intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général; en revanche, lorsqu'il s'agit de défendre l'intérêt général et du plus grand nombre, vous êtes aux abonnés absents - ou vous défendez des positions qui vont dans le sens contraire !

M. Jacques Pagan (UDC), rapporteur de majorité. Si j'ai bien compris, il y aura une procédure de vote en deux phases ?

Une voix. Vous avez bien compris, Monsieur le rapporteur !

Le président. J'ai expliqué que je m'en tiendrai strictement à l'article 120 de la loi portant règlement du Grand Conseil: l'unité de la forme ayant été admise, je ferai d'abord voter l'unité du genre. Si l'unité du genre est refusée, l'initiative sera invalidée; si elle est acceptée, nous passerons au vote sur l'unité de la matière, comme le propose M. Sommaruga. Il est cependant clair que l'article 66, alinéa 3 de la constitution ne sera mis en fonction que si acceptons l'étape de l'alinéa 2 ! Voilà quelles ont été mes explications concernant la procédure, et nous nous y tiendrons.

M. Jacques Pagan. Tout à fait. Certains ont plaisanté sur le travail accompli par la commission. Je trouve qu'une telle attitude est injuste: la commission a examiné les différents problèmes posés par cette initiative, et les représentants des diverses sensibilités politiques ont pu s'exprimer avant que nous ne passions au vote. On peut à mon sens soutenir que cette initiative constitue un fait nouveau dans notre ordre juridique dans la mesure où elle fait passer par le biais d'un texte plusieurs dispositions n'ayant aucun lien direct entre elles du niveau législatif au niveau constitutionnel. La commission a estimé qu'il s'agissait là d'une forme d'abus de droit. Comme l'a fait remarquer M. le conseiller d'Etat, il s'agit d'une manière de dévoyer la constitution, laquelle doit s'en tenir à l'affirmation de principes juridiques essentiels.

Une voix. M. le conseiller d'Etat n'a pas dit qu'il s'agissait d'un abus de droit !

M. Jacques Pagan. Si: il est clair qu'il en a parlé à plusieurs reprises. Il n'est pas non plus impossible que cette répétition d'abus de droit ait frappé les membres de la commission. Cette dernière a peut-être eu des difficultés à positionner cette notion, que ce soit au niveau de l'unité du genre ou de l'unité de la matière. (L'orateur est interpellé.)Vous me laissez parler, Monsieur ?! Je reprends: c'est pourquoi je n'ai pas spécialement apprécié l'intervention de Mme Blanchard-Queloz. Le logement des locataires est un problème sérieux que l'on ne peut pas traiter avec ironie, comme l'a fait Mme Blanchard-Queloz. Il faut tenir compte des conclusions qui sont contenues dans le rapport de majorité, conclusions qui sont juridiquement établies.

Je me permettrai simplement de vous dire que cela n'a pas été un acte arbitraire de la part de la commission que de trancher comme elle l'a fait. Pour poser clairement la situation, je me permettrai de vous rappeler en quoi consiste cette conclusion: «Les commissaires, dont l'avis a majoritairement prévalu [...], avaient clairement à l'esprit et sous les yeux le texte de l'initiative 120 et celui du rapport du Conseil d'Etat quand ils se sont exprimés sur celle-ci et ont voté sur les questions posées.» Je n'ai par ailleurs pas ajouté que cette même commission avait, quelques mois auparavant, pris connaissance de l'initiative 119, laquelle est actuellement traitée par le Tribunal fédéral. Des expertises juridiques ont été faites quant à la non-recevabilité de cette initiative. Or, les membres de la commission avaient à l'esprit les principes qui avaient été posés à cette occasion. J'ai là un petit résumé dont je vous donnerai tout à l'heure lecture pour ce qui concerne l'unité de la matière.

Je poursuis la lecture de la conclusion de mon rapport: «Ces deux textes sont particulièrement denses et complexes, puisqu'ils se réfèrent à des dispositions ressortissant à plusieurs lois existantes et traitant chacune d'un domaine bien spécifique - qu'il s'agisse de la protection des locataires, de l'aménagement du territoire, de la construction d'immeubles à loyer bon marché et de son financement, de l'organisation judiciaire, etc.

La réunion de ces dispositions déjà en vigueur mais de rang législatif seulement et leur érection en normes constitutionnelles sous une dénomination commune leur est apparue comme étant purement artificielle - le terme artificiel ou artifice est utilisé par la jurisprudence du Tribunal fédéral - et répondre à la notion de «manoeuvre» ou d'abus de droit dénoncé par le Conseil d'Etat dans son rapport. Aussi la majorité a-t-elle admis - et c'est un point important sur lequel vous devez réfléchir - en fonction du traitement strict qu'il y a lieu de réserver à l'examen d'une initiative constitutionnelle entièrement rédigée, qu'il n'y avait pas de lien suffisamment étroit entre ses diverses composantes nonobstant l'appellation générique commune dont elles sont affublées pour que l'initiative satisfasse aux conditions de l'article 66 de la constitution genevoise et puisse être déclarée recevable.

L'invalidation totale d'une telle initiative leur est apparue s'opposer avec d'autant plus de force que les droits démocratiques ont été en l'espèce utilisés d'une manière insensée. La majorité des commissaires en veut pour preuve le texte même de l'initiative lequel, par la complexité et la diversité de sa teneur, ne pouvait être d'entrée de cause compréhensible aux yeux du citoyen / de la citoyenne appelé(e) à le soutenir par sa signature. Une autre preuve de ce qui précède est à trouver dans le volumineux rapport du Conseil d'Etat...» (Brouhaha. L'orateur est interpellé par M. Charbonnier.)

Le président. S'il vous plaît, Messieurs !

M. Jacques Pagan. Vous l'avez lu, Monsieur Charbonnier, mais Mme Blanchard-Queloz ne l'a, elle, pas lu, puisqu'elle n'en a pas fait mention dans son intervention ! (Protestations.)Elle s'est uniquement contentée de se gausser du travail fait en commission ! (Chahut.)Or, la conclusion de ce rapport résume la pensée émise par les différents commissaires. Vous ne pouvez pas soutenir le contraire ! (L'orateur est interpellé.)Mais, bien sûr, Monsieur, vous le saviez très bien ! Vous n'avez d'ailleurs rien dit pour contester cette pensée !

Le président. Avez-vous terminé, Monsieur le rapporteur ?

M. Jacques Pagan. Oui, Monsieur le président.

Le président. Merci. La parole est à M. le conseiller d'Etat Laurent Moutinot.

M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Lorsque vous avez à traiter de la recevabilité d'une initiative, il vous est demandé un effort totalement surhumain: on vous demande de faire abstraction pendant quelques instants de vos convictions politiques et de faire oeuvre juridique. Or, j'ai le regret de constater que vous avez ce soir échoué dans cet effort.

Je ne prétends pas, dans une matière aussi délicate, que la position du Conseil d'Etat soit forcément irréprochable. Il faut cependant faire une analyse quelque peu pondérée du texte que vous avez à apprécier. L'article 66 de la constitution genevoise, repris textuellement à l'article 120 de la loi portant règlement du Grand Conseil, vous permet de déclarer nulle une initiative qui, par hypothèse, ne respecterait pas l'unité de la forme. (L'orateur insiste sur ce terme.)Vous avez jugé qu'elle était respectée: cette initiative est effectivement rédigée de toutes pièces et elle n'émet pas un voeu, mais elle propose un texte de loi tel quel. Sur ce point-là, nous sommes d'accord. Vous pouvez déclarer nulle une initiative qui ne respecte pas l'unité du genre. Par là, on entend une initiative qui voudrait introduire des normes à la fois dans la constitution et dans une loi - et, pourquoi pas, dans un règlement. J'ai beaucoup de peine à comprendre - et, à vrai dire, je n'ai trouvé aucun argument qui la justifierait - la décision de la commission législative selon laquelle l'unité du genre ne serait pas respectée. Pourquoi ? Tout simplement parce que la totalité du texte qui vous est proposé l'est comme un article constitutionnel. L'unité de genre est donc forcément respectée !

Tout autre est la question de savoir s'il est opportun que toutes ces dispositions finissent dans la constitution... On retombe là dans le politique, et on peut diverger sur l'habileté qu'il y a à faire cet exercice. Mais, sur le plan formel, proposer un article constitutionnel rédigé de toutes pièces respecte manifestement l'unité de la forme et l'unité du genre ! Le but de ces dispositions est simple: il ne s'agit pas de compliquer le travail de qui que ce soit, mais de parvenir à une question suffisamment claire et homogène pour que les citoyens puissent y répondre par «oui» ou par «non» et que ce «oui» ou ce «non» ait un sens.

Les deux critères de base que sont l'unité de la forme et l'unité de genre sont respectés. A partir de là, d'autres problèmes peuvent se poser. L'un est celui de l'unité de la matière, dont personne n'a traité puisque la majorité a arrêté son raisonnement à l'unité du genre. Le Conseil d'Etat - avec quelques hésitations je l'admets, car la question est délicate - a considéré que l'unité de la matière pouvait être admise. On pourrait certes être d'un avis différent, mais il s'agit d'une position soutenable dès lors que le Tribunal fédéral nous impose d'examiner les initiatives en nous efforçant, tant que faire se peut, de respecter la volonté des initiants.

Dernier élément à considérer: l'initiative est-elle contraire à un droit supérieur ? Sur ce point, mes critiques changent évidemment quelque peu de camp: Monsieur le rapporteur de minorité, vous affirmez que cette initiative respecte sans problème le droit supérieur. Non ! Un certain nombre d'éléments ne respectent pas le droit supérieur. Le Conseil d'Etat en a d'ailleurs clairement dressé la liste: il s'agit de l'article 160E, lettre e), alinéa 1, de l'article 160F, alinéa 2 et de l'article 160G, alinéa 3. Je ne vous expliquerai pas pourquoi dans le détail, car le rapport du Conseil d'Etat me semble suffisamment explicite à cet égard. Si l'on valide la totalité de l'initiative, il y a de toute évidence un risque que, suivant l'avis du Conseil d'Etat, le Tribunal fédéral considère que ces trois éléments violent le droit supérieur.

Si j'ai bien compris la procédure de vote, M. le président va faire voter les critères les uns après les autres. Pourquoi pas. S'agissant de l'unité de forme et de l'unité du genre, je suis catégorique: vous devez considérer cette initiative comme recevable ! Si vous suivez cette première recommandation du Conseil d'Etat, vous devrez ensuite retrancher de l'initiative les trois éléments qui sont contraires au droit supérieur. Le reste de l'initiative demeure cependant recevable: celle-ci est en effet tellement longue que les éléments restants sont suffisants pour qu'il vaille la peine de soumettre le texte au scrutin populaire.

Le président. Merci. Nous allons procéder au premier vote qui, comme on vient de vous le rappeler...

M. Christian Grobet. Je demande la parole !

Le président. Allez-y !

M. Christian Grobet (AdG). J'ai mis en exergue les erreurs de forme du rapport de majorité. Je fais donc, en fonction de ces erreurs, toute réserve sur la procédure de vote telle qu'elle est préconisée tant par la commission que par vous-même.

Le président. Monsieur Grobet, je procède au vote selon l'article de notre règlement du Grand Conseil, et non selon le rapport de la commission ! La commission ayant reconnu l'unité de forme, je mets maintenant aux voix l'unité du genre, comme nous y oblige l'article 120, alinéa 2. Cet article stipule en effet que le Grand Conseil déclare nulle l'initiative qui ne respecte pas l'unité de la forme et du genre. Cette disposition est reprise de l'article 66 de la constitution.

Monsieur Luscher, vous pouvez prendre la parole, mais sur le vote uniquement !

M. Christian Luscher (L). Vous avez certainement raison de procéder de cette façon. J'entrevois cependant un problème: on pourrait en effet considérer que plusieurs motifs conduisent à l'invalidité de cette initiative. A mon sens, je vous suggère donc très respectueusement, Monsieur le président, de mettre aux voix la validité de l'initiative. Les motifs qui ont déjà été évoqués par ce Grand Conseil - à savoir les problèmes d'unité du genre, d'unité de la matière et d'abus de droit - seront, le cas échéant, débattus devant le Tribunal fédéral. Dès lors, la seule question qui se pose est la suivante: cette initiative est-elle ou non valide ?

Le président. Non, Monsieur le député ! L'article 120 de la loi portant règlement du Grand Conseil, que le président du Conseil d'Etat a également évoqué, stipule très clairement que l'initiative est nulle si l'unité de genre ou de forme n'est pas respectée, mais qu'elle peut être scindée si l'unité de la matière est reconnue. Je suis navré: même si la décision - quelle qu'elle soit - est attaquée devant le Tribunal fédéral, donnons-nous au moins les apparences de la légalité ! (Rires et applaudissements.)

Monsieur Rodrik, vous pouvez intervenir, mais uniquement sur la procédure de vote ! Je trouve que tout cela n'est pas très raisonnable...

M. Albert Rodrik (S). Monsieur le président, votre échange récent avec M. Luscher et d'autres montrent que l'examen de cette initiative constitue un long travail. Cette initiative doit donc retourner en commission, quels que soient les délais. (Vives protestations.)

Une voix. C'est impossible !

M. Albert Rodrik. Mais si: elle doit y retourner, car le travail n'a pas été fait !

Le président. Le renvoi en commission étant demandé, je le mets formellement aux voix.

Une voix. Et le délai ?

Le président. Mais nous agenderons une séance supplémentaire ! Monsieur Sommaruga, vous pouvez intervenir sur la procédure de vote uniquement !

M. Carlo Sommaruga (S), rapporteur de minorité. On nous affirme que le renvoi en commission est impossible: cela est inexact. Il est tout à fait possible de renvoyer cette initiative en commission pour qu'un travail sérieux y soit mené. Si la commission rend un rapport rédigé un peu plus intelligemment et sur la base d'un travail juridique de la majorité et si le rapport est déposé au-delà du délai fixé par la constitution et la loi portant règlement du Grand Conseil, la seule sanction de cet éventuel retard consiste en un vote populaire. On peut donc tout à fait renvoyer cette initiative en commission. Si la commission législative ne finit pas son travail dans les délais, c'est le peuple qui tranchera la question !

Le président. Je mets donc aux voix le renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi à la commission législative est rejeté par 47 non contre 36 oui.

Le président. Je mets maintenant aux voix la reconnaissance de l'unité de genre de l'initiative. Celles et ceux qui reconnaissent l'unité de genre de l'initiative et en acceptent donc la validité voteront oui, les autres voteront non.

(L'appel nominal est demandé et appuyé.)

Mise aux voix à l'appel nominal, l'unité de genre de cette initiative est déniée par 40 non contre 37 oui et 6 abstentions.

Appel nominal

Le Grand Conseil déclare donc cette initiative nulle en application de l'alinéa 2 de l'article 120 de la loi portant règlement du Grand Conseil.