Séance du
vendredi 16 mai 2003 à
17h
55e
législature -
2e
année -
8e
session -
48e
séance
PL 8648-A
Premier débat
Le président. Nous tenons à saluer la présence de représentants des personnes handicapées à cette séance du Grand Conseil. (Trois personnes en fauteuil roulant sont présentes dans la salle du Grand Conseil.) (Applaudissements.)
M. Thierry Apothéloz (S), rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, chers invités, je dirai, si vous le permettez, quelques mots en guise d'introduction à ce rapport que l'on appelle encore «projet de loi du Conseil d'Etat relatif aux établissements d'accueil des personnes handicapées» et qui, je l'espère, portera bientôt le nom de LIPH - soit «Loi sur l'intégration des personnes handicapées». Dans la vie d'un homme ou d'une femme politique, il existe des moments forts; les élections en sont une. Mais aboutir à une loi-cadre visant à une meilleure intégration dans notre société des gens les plus fragiles sont également des beaux moments que, je l'espère, nous pourrons vivre ce soir. Parler, imaginer, proposer une loi, c'est bien facile. Cependant, s'engager personnellement dans l'intégration des personnes handicapées possède toujours une signification supplémentaire. Aussi la grande victoire de cette loi - que nous allons, je l'espère encore une fois, pouvoir voter - serait de permettre de changer le quotidien des personnes qui vivent un handicap, quel qu'il soit. Vous verrez à cet égard que la commission a retenu une définition large du terme «handicap»: elle a en effet souhaité retenir non seulement les différents handicaps physiques et mentaux, mais également les handicaps liés à la dépendance. Ainsi, cette grande victoire que nous pourrions remporter ce soir serait la suivante: nous pourrions non seulement proposer, au niveau cantonal, un certain nombre d'avances majeures, mais également parvenir à dépasser nos mentalités et nos préjugés pour nous engager pour un monde meilleur.
En introduction, le Conseil d'Etat et la commission des affaires sociales ont souhaité s'engager davantage dans cette lutte contre les exclusions. C'est à la grande majorité de la commission des affaires sociales que nous avons pu voter cet amendement général. Pour celles et ceux qui n'ont pas eu le courage, ou le temps, ou le tort de lire cet excellent rapport, voici quelques points forts de cette loi.
Le premier point fort de cette loi, et je l'ai dit, réside dans une définition plus large que celle retenue par des commissions déjà existantes. La définition retenue englobe en effet le handicap résultant de dépendances.
Le deuxième point fort consiste en une lutte contre les exclusions. Il ne s'agit pas seulement de combattre les barrières architecturales, mais de changer les mentalités, notamment par le biais de la promotion de mesures dès la petite enfance - l'idée force étant que l'Etat et les communes donnent un exemple à suivre à l'économie privée.
Le troisième point fort concerne la promotion de l'information au sens large tant auprès de la population qu'auprès des associations, qui oeuvrent le plus souvent de manière bénévole.
Le quatrième point fort auquel je souhaite vous rendre attentif est le fait que cette loi fixe quelques règles de cohérence pour permettre une meilleure prise en charge des adultes handicapés dans les institutions dans lesquelles le canton leur permet d'habiter.
Le cinquième et dernier point fort a trait à la création d'une commission cantonale consultative pour l'intégration des personnes handicapées. La création d'une telle commission vise à amener au Conseil d'Etat des propositions concrètes, réalistes ainsi que des réflexions visant à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés au travers de cette loi.
J'en ai terminé, Monsieur le président. Je me permettrai de reprendre la parole le cas échéant pour répondre à d'éventuelles questions.
Mme Morgane Gauthier (Ve). Cette année 2003 est l'année européenne des personnes handicapées, et ce projet de loi définissant la place ainsi que le rôle de l'Etat constitue un bon projet. Les Verts saluent la volonté du département de l'action sociale et de la santé d'élaborer une loi claire et une politique définie dans le domaine du handicap. Je tiens également à remercier M. Apothéloz pour la qualité de son rapport.
Lors de ses travaux, la commission des affaires sociales a largement écouté les associations, les personnes et les commissions travaillant à l'intégration des personnes handicapées. Ce qui nous semble bon dans cette loi est le maintien d'une diversité ou d'une pluralité dans l'approche du handicap. Le président Unger a donné l'assurance à notre commission que cette diversité perdurerait. De plus, bien que ces associations travaillent déjà en réseau, des passerelles seront créées avec l'Etat - ce qui, nous l'espérons, apportera encore une meilleure cohérence. Ce projet de loi a le mérite de prendre en compte la personne handicapée du début à la fin de sa vie. Celle-ci se trouve donc au coeur du processus. Un autre point intéressant de ce projet de loi est qu'il tient compte d'un accès à la culture et qu'il soutient des projets créatifs. Le dernier point sur lequel j'aimerais insister est le suivant: pour les Verts, il est nécessaire que les personnes handicapées aient accès à l'administration publique. Un tel accès implique non seulement que les locaux soient physiquement accessibles, mais il nécessite également l'engagement, par exemple par un système de quotas, de personnes handicapées au sein même du personnel de l'Etat. En définissant par une loi une politique claire en matière de moyens et en instituant une commission cantonale, nous souhaitons que la qualité de vie des personnes handicapées soit améliorée et que les obstacles quotidiens et empoisonnants tombent peu à peu.
En conclusion, les Verts voteront ce projet de loi positif et concret.
M. Blaise Matthey (L). J'adresse tout d'abord un grand merci au rapporteur pour son excellent rapport, au Conseil d'Etat et à ses fonctionnaires pour leur soutien et leur disponibilité ainsi qu'à tous ceux qui, s'occupant du handicap au quotidien, sont venus nous apporter leurs appréciations et leurs conseils tout au long de nos travaux. Permettez-moi également de relever l'excellent climat dans lequel se sont déroulés les travaux relatifs au projet de loi cantonal sur les personnes handicapées.
Pour un sujet qui touche tant la dignité humaine, les députés ont su faire preuve de dignité dans la conduite de leurs travaux en tenant par-dessus tout à replacer la personne handicapée au centre du dispositif cantonal. D'un texte à caractère éminemment technocratique et essentiellement consacré aux institutions lorsqu'il fut déposé par le Conseil d'Etat en 2001, nous avons en effet abouti à une véritable loi sur l'intégration. Ce devrait toujours être le but de tels textes, et c'est là la première qualité de celui qui vous est proposé aujourd'hui.
Notre canton n'a certes pas attendu aujourd'hui pour favoriser l'intégration des personnes handicapées. Genève, et vous le savez, fait partie des cantons qui depuis des années dispose de textes dans ce domaine. Je pense notamment aux dispositions sur l'enseignement ou sur les constructions et installations. Mais il y avait nécessité de poursuivre l'action tout en la structurant autour des grands axes que sont l'éducation, la prise en charge, le financement et l'information. C'est là la deuxième qualité du texte qui vous est proposé.
La commission a eu le souci d'écouter la plupart des acteurs de l'intégration des personnes handicapées afin que ce texte soit non seulement celui des personnes handicapées, mais également celui des personnes qui les entourent au quotidien. Elle a en particulier voulu que cette loi ne décourage pas, par des mesures administratives disproportionnées, la somme des bonnes volontés sans lesquelles toute politique d'intégration n'est qu'un vain mot. Des craintes avaient été manifestées à cet égard avant que ne débutent nos travaux. Elles n'ont plus de raison d'être avec le texte issu de nos délibérations. Conseil d'Etat et Grand Conseil ont tenu d'emblée à dissiper tout malaise à ce sujet, ceci afin de permettre à tous les acteurs de poursuivre leur travail en se consacrant à leur tâche principale, celle qui leur tient - celle qui nous tient - tant à coeur: l'intégration et l'encadrement des personnes handicapées dans notre société. C'est là la troisième qualité d'un texte que le groupe libéral votera pour que se poursuive et se renforce la politique d'intégration des personnes handicapées dans notre société, une valeur qui lui tient très à coeur. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (AdG). Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui représente sans conteste une avancée majeure en matière de politique du handicap. Destiné à son origine à poser un cadre légal en matière d'établissements d'accueil pour les personnes handicapées, il a rapidement été mué en projet de loi sur l'intégration des personnes handicapées, répondant ainsi aux voeux des milieux concernés et posant, ce faisant, l'objectif d'intégration comme principe premier. Il faut relever à cet égard que l'intégration est là comprise tant dans ses acceptions sociale, scolaire, professionnelle que culturelle. De même, il faut noter qu'elle prend en compte les personnes handicapées dès leur naissance et qu'elle a le souci d'assurer les meilleurs moyens pour répondre à leurs besoins. Le projet de loi 8648-A énonce donc les diverses mesures destinées à permettre à l'Etat de réduire ou de supprimer les obstacles limitant l'intégration ou constituant des facteurs d'exclusion. Il se situe clairement dans une perspective de développement et de soutien de mesures visant à la formation, l'insertion et l'expression des personnes handicapées. D'un point de vue plus général, il vise la prévention, notamment par l'information et la réduction des barrières architecturales. Enfin, nous y reviendrons un peu plus loin, il propose également les instruments légaux permettant de définir les conditions d'exploitation et de subvention des établissements destinés à l'accueil des personnes handicapées adultes.
Nous tenons à relever ici la qualité des travaux de la commission des affaires sociales qui, sur la quasi-totalité de ce texte, s'est trouvée en accord. Cet accord a valu à ce dernier d'avoir été, dans ce cadre, voté à l'unanimité moins une abstention, celle de l'AdG. Or, si la représentante de l'AdG que je suis s'est abstenue au vote final, ce n'est en aucun cas en raison d'une quelconque réticence sur la question de l'intégration ou sur ce projet de loi en général. Il s'agissait en fait, sans faire obstacle à ce projet de loi, de marquer une réserve majeure à l'égard de la suppression, lors de nos débats, de l'obligation d'affecter du personnel en nombre suffisant et de respecter les conventions collectives et les usages en vigueur à l'article 13 - qui concerne les conditions d'exploitation des établissements. Dans sa quasi-unanimité, la commission a estimé que des établissements non subventionnés n'avaient pas à être tenus, en matière d'effectif et de rémunération du personnel, de respecter la réglementation à laquelle étaient soumis les établissements subventionnés. Nous ne pouvons souscrire à ce point de vue: nous pensons qu'à travail égal, un salaire égal doit être garanti. Nous savons, que l'on veuille l'admettre ou pas, que le régime auquel est soumis le personnel ainsi que son niveau de formation exercent un impact direct sur la qualité des prestations - que nous affirmons tous par ailleurs vouloir prôner. Il ne s'agit pas là de mercantilisme, mais simplement de revendiquer pour le personnel de ces établissements qu'ils soient tout au moins soumis à des conditions de travail et de rémunération conformes aux conventions collectives en vigueur et qu'une attention soutenue soit portée à ses compétences. Or, outre le fait que des établissements non subventionnés sont le plus souvent financés par les rentes ou aides complémentaires de leurs usagers - c'est-à-dire par des prestations de sécurité sociale - le fait d'obtenir une autorisation d'exploitation revient à disposer d'une forme de caution. Dès lors, il ne nous paraît pas concevable que l'Etat prenne le risque de cautionner des pratiques discutables dans le domaine de la qualification, de la gestion du personnel ou de la politique salariale dans des établissements assurant des prestations de service.
Pour conclure, nous pensons que le projet de loi 8648-A est un bon projet. Il s'agit surtout d'un projet respectueux des personnes handicapées et, à ce titre-là, il doit être défendu. Nous y adhérons. Nous pensons néanmoins qu'une amélioration s'impose sur les éléments que nous venons de relever; nous y reviendrons en deuxième débat.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Les socialistes accueillent bien sûr très favorablement ce projet de loi, auquel ils ont d'ailleurs contribué en commission. Ce projet traite de la problématique générale de l'intégration des personnes handicapées. On pourrait à cet égard s'interroger sur le sens du mot intégration; il conviendrait peut-être plutôt de parler de non-exclusion car, s'il faut les intégrer, c'est parce qu'il y a eu exclusion au préalable. Il s'agit d'une question sémantique que nous ne pourrons pas régler ce soir, mais à laquelle il faudra réfléchir.
Pour revenir au projet de loi proprement dit, toutes les associations et les institutions auditionnées ont déclaré leur satisfaction face à sa deuxième mouture. Certains ont regretté que ce projet se soit encore trop focalisé sur les établissements. L'on peut néanmoins affirmer que les personnes concernées se trouvent au coeur de ce projet. On peut également affirmer que, bien plus qu'un projet de simple gestion, ce texte donne une véritable orientation en matière d'intégration des personnes handicapées. Nous saluons donc fortement cette démarche. Je relèverai en particulier l'article 5, qui exprime la volonté de l'Etat d'encourager les initiatives publiques ou privées favorisant l'intégration des personnes handicapées. Cet article souligne également la nécessité pour les services de l'Etat et les communes d'appuyer les initiatives visant à engager des personnes handicapées. Il répond en outre à la demande de certaines associations qui se sont efforcées de promouvoir une meilleure intégration des personnes handicapées en matière d'activités socioculturelles. Je rappellerai également l'article 8, qui mentionne explicitement la promotion de mesures d'intégration dès la naissance. Cet article a d'ailleurs fait l'objet d'un débat nourri en commission dans la mesure où cette problématique n'était abordée nulle part.
En conclusion, le groupe socialiste souhaite exprimer un regret et un voeu. En premier lieu, le regret: nous regrettons que certaines mesures ne soient pas plus volontaristes, car nous savons que sans un engagement encore plus marqué de l'Etat, certaines bonnes résolutions risquent de rester lettre morte, notamment en matière de placement des personnes handicapées. Il ne s'agit pas seulement de barrières architecturales, mais aussi de barrières psychologiques et du dépassement de certains préjugés. L'évaluation de cette loi - prévue, je crois, en 2006 - devra donc tenir compte de cet aspect extrêmement important à nos yeux. Le voeu que nous souhaitons formuler concerne les moyens financiers, qui sont prévus à l'article 6. Nous espérons vivement que d'importants moyens seront engagés pour pouvoir atteindre les objectifs fixés par cette loi.
Pour conclure, je m'associerai à certains préopinants pour remercier les fonctionnaires du département de l'action sociale et de la santé, qui nous ont beaucoup aidés dans les travaux de commission, les associations et les institutions qui ont fait entendre leur voix ainsi que les deux présidents de la commission des affaires sociales, Mme Berberat et M. Leuenberger, qui ont conduit ces travaux de façon à faire aboutir le projet que nous saluons aujourd'hui. Je vous engage bien entendu à adopter le projet de loi tel qu'il est sorti de commission.
Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Le parti démocrate-chrétien a été particulièrement attentif à l'accueil très favorable réservé à ce projet de loi par toutes les personnes auditionnées par la commission des affaires sociales. Il s'agit d'un signe clair que nous souhaitons relever: c'est le signe que les personnes concernées - parce qu'elles-mêmes handicapées ou parce qu'elles travaillent à leur service - ont été sensibles à la reconnaissance de leurs besoins, enfin estimés comme un droit, et non comme une charité. Mes éminents collègues ont déjà remercié les présidents ainsi que les collègues de la commission des affaires sociales, le collègue rapporteur ainsi que les fonctionnaires du département de l'action sociale et de la santé, qui nous ont grandement aidés.
Cet état d'esprit a accompagné les travaux de la commission dans le souci d'être au plus près des attentes, justifiées, des personnes handicapées et de leurs familles. Mettre la personne au centre du dispositif crée une plus grande variété des possibles, et il ne faut pas avoir peur de dépasser les limites connues: social, sanitaire, architectural, pédagogique. Il faut également parler d'épanouissement artistique, sportif, associatif, culturel et professionnel. Une attention particulière a été portée sur les risques d'exclusion des personnes handicapées, que ce soit dans le domaine de la formation, de l'apprentissage ou sur le terrain professionnel. Bien sûr, une loi ne peut répondre à toutes les attentes des personnes handicapées et de leurs familles. Une loi respectueuse de l'intégration fournit néanmoins des outils pertinents en matière de financement des institutions et des associations, de contrôle de gestion, d'information et de promotion de l'intégration. Une loi respectueuse de cette intégration, c'est avant tout une loi qui permet d'articuler le dispositif autour des personnes, et non qui oblige les personnes handicapées à s'adapter aux structures. C'est donc un grand, un vrai changement de regard et de mentalité ! C'est cependant à nous, citoyens, d'être les vecteurs de ce changement, de cette évolution. La loi n'est qu'un cadre - dont on peut bien sûr se réjouir - constituant le support législatif de notre volonté d'offrir les meilleures conditions de qualité de vie possibles à nos concitoyens, qui n'ont de différence avec nous que d'avoir des handicaps plus visibles que les nôtres.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le parti démocrate-chrétien vous invite à voter cet excellent projet de loi.
Mme Marie-Françoise De Tassigny (R). Je me joins à mes différents préopinants pour adresser toutes nos félicitations au rapporteur. Ce projet de loi est une réalisation importante qui prend souche à l'occasion de l'année internationale des handicapés. Le DASS nous a proposé un projet très beau et très complet qui noue la gerbe de tous les aspects, actuels ou futurs, qui faciliteront la vie des personnes avec des besoins spéciaux. La tâche a été très conséquente et passionnante tant au niveau des auditions des personnes engagées dans le domaine ou directement concernées qu'au niveau du travail accompli par les fonctionnaires du DASS. Il faut également noter que les barrières idéologiques et partisanes ont été abolies pour traiter une cause nous concernant tous. Je tiens tout spécialement à souligner la prise en compte des jeunes enfants handicapés, qui étaient jusqu'à ce jour les parents pauvres de l'aide à l'intégration puisqu'ils n'étaient souvent pas encore pris en charge par l'AI. Cette loi-cadre permettra de développer des projets spécialement destinés à leur attention.
Le parti radical se félicite d'approuver ce projet de loi qui possède surtout le mérite d'établir un véritable projet de société pour des personnes qui ont toute notre admiration et qui pourront ainsi réaliser une véritable intégration. (Applaudissements.)
M. Georges Letellier (UDC). Le groupe UDC rejoint pleinement les différents propos qui ont été tenus tant à gauche qu'à droite. Nous sommes entièrement solidaires de ceux qui souffrent de leur différence. Nous voterons donc, bien entendu, ce projet.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Je tiens à vous remercier d'accepter cette loi-cadre pour l'intégration des personnes handicapées. L'Etat se devait de proposer une politique novatrice, cohérente et satisfaisant l'ensemble des partenaires concernés par cette problématique. Par le vote à venir, vous allez clairement témoigner de votre volonté de doter Genève d'un outil législatif positif, concret et adapté aux besoins des personnes handicapées dans toute leur diversité, dans toutes leurs difficultés et dans toutes leurs luttes. Permettez-moi également de féliciter la commission des affaires sociales - avec, Monsieur le rapporteur, une mention particulière pour la qualité de votre rapport - pour le travail considérable qui a été effectué en commission sur cette loi qui revêt une importance, elle aussi, extrêmement considérable pour nos concitoyens souffrant de handicap. En recevant et en écoutant nombre d'associations et de personnes impliquées, votre commission a démontré l'intérêt majeur qu'elle portait à ce dossier et, par-delà, aux femmes, aux hommes et aux enfants concernés par le handicap. Le hasard du calendrier a placé l'examen de cet objet par votre Grand Conseil à la veille d'un vote sur une initiative fédérale portant sur le même sujet - sujet qui a le mérite de nourrir le débat autour des mesures concrètes qu'il est nécessaire de mettre en oeuvre afin de favoriser l'intégration des personnes handicapées. L'aboutissement de ce texte revêt également une autre dimension particulière puisque, comme l'ont relevé plusieurs préopinants, l'année 2003 a été désignée «Année européenne des personnes handicapées». A cet égard, je soulignerai un point qui, s'il peut paraître anecdotique, démontre le chemin qui reste à parcourir pour permettre l'intégration des personnes handicapées: si ce projet de loi a été inscrit à heure fixe dans l'agenda du Grand Conseil, c'est parce que la salle de celui-ci n'est pas accessible en tout temps aux personnes en fauteuil roulant. Je tiens à remercier, là aussi, les services du Grand Conseil d'avoir fait le nécessaire pour rendre cette présence possible et le Bureau d'avoir accepté un principe dérogatoire à l'ordre du jour normal.
Si je suis particulièrement heureux aujourd'hui devant l'aboutissement provisoire de ce dossier, c'est également parce qu'il constitue la concrétisation de l'un des plus importants objectifs de la législature tels que j'avais eu l'honneur de les définir pour le DASS. Je tiens à cet égard à souligner que l'ensemble du collège gouvernemental a adhéré d'emblée à la proposition d'amendement général et a offert un soutien sans faille au travail qui fut le vôtre. Historiquement confiée à l'initiative privée, la politique d'intégration des personnes handicapées a bénéficié de l'enthousiasme, de la compétence et du dévouement d'un grand nombre de gens. Le contexte général évoluant - nombre de personnes concernées, transfert de charges progressif de la Confédération vers les cantons, accroissement - heureuse - de l'espérance de vie des personnes handicapées - le Conseil d'Etat a décidé de proposer au Grand Conseil ce projet de loi-cadre. Pour mes collaborateurs en charge du dossier comme pour moi-même, c'est avec une certaine émotion que nous voyons ce projet aboutir dans un laps de temps somme toute très raisonnable compte tenu de l'importance des dispositions concernées.
Au-delà de l'organisation des établissements pour personnes handicapées - qui représente il est vrai un chapitre de cette loi - cette loi a, comme j'ai eu l'occasion de vous le dire à plusieurs reprises, l'ambition de développer quatre «e» au service d'un cinquième. Ces quatre «e» sont les suivants: le premier «e» est celui de l'école. Le travail fait à Genève depuis longtemps est d'ores et déjà remarquable, mais il peut probablement prendre une vigueur supplémentaire à l'occasion du vote de cette loi. Le deuxième «e» est celui de l'emploi. Nous devons favoriser l'intégration des personnes handicapées dans le monde de l'emploi par l'aménagement de postes de travail qui correspondent et aux compétences, et aux possibilités des personnes qui doivent les occuper. Le troisième «e» est celui de l'environnement. Là aussi, Genève avait fait preuve de modernité puisqu'un article prévoyait pour les nouvelles constructions des normes d'accessibilité pouvant satisfaire le plus grand nombre. Nous devrons encore développer ces normes. Le quatrième «e» est celui de l'expression. Cette expression, qu'elle soit socioculturelle ou sportive, doit donner, dans tous les volets de la société, la place que les handicapés peuvent attendre d'elle. Et vous l'imaginez bien, Mesdames et Messieurs, ces quatre «e» sont au service d'un cinquième, qui est le «e» d'ensemble. Saint-Exupéry disait: «On ne voit bien qu'avec le coeur; l'essentiel est invisible pour les yeux». Aujourd'hui, on pourrait ajouter que l'esprit s'est allié au coeur sur ce sujet, puisque votre Grand Conseil va voter une loi offrant aux personnes handicapées un véritable outil pour favoriser leur intégration, une loi qui leur apportera une amélioration significative de la qualité de vie en réduisant au maximum les conditions de l'exclusion. Mais, comme plusieurs l'ont souligné avant moi, cette loi ne servira que de guide, le vrai changement restant d'une autre nature: ensemble, nous devrons encore apprendre à changer le regard que nous accordons à la différence. (Applaudissements.)
Le président. La parole n'étant plus demandée, je mets aux voix par vote électronique la prise en considération de ce projet de loi.
Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat par 73 oui.
Le président. Je salue la présence à la tribune de Mme Reusse-Decrey, ancienne présidente du Grand Conseil et présidente du Club des fauteuils roulants. (Applaudissements.)
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les articles 1 à 12.
Mme Jocelyne Haller (AdG). Je désire déposer un amendement à l'article 13 pour les motifs que j'ai évoqués tout à l'heure. Mon intervention sera brève. J'aimerais simplement rappeler qu'en allouant une autorisation d'exploiter l'Etat cautionne l'activité d'un établissement. Il ne devrait par conséquent pas risquer d'être tenu pour responsable de dérapages ou de pratiques douteuses en matière de politique de gestion du personnel et risquer que des incidences puissent être portées sur la qualité des prestations aux résidents. C'est pourquoi je vous propose l'ajout d'un alinéa j) supplémentaire à l'article 13, alinéa qui serait formulé ainsi: «affecter à l'encadrement et à l'accompagnement des personnes accueillies un personnel suffisant en nombre et en qualification, dont le statut et la rémunération sont conformes aux conventions collectives ou aux usages».
M. Michel Halpérin (L). La proposition qui nous est faite d'amender le texte de l'article 13 en y ajoutant sous la lettre j) le texte qui figure actuellement sous la lettre l) de l'article 21 ne me semble pas être une bonne idée. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une loi-cadre dont l'article 13 fixe les conditions permettant d'obtenir l'autorisation d'exploitation et dont l'article 21 fixe les conditions nécessaires à l'octroi d'un subventionnement. Or, la lettre g) de l'article 13 stipule clairement que l'établissement requérant une autorisation d'exploitation doit offrir un accompagnement et proposer des activités pour obtenir cette autorisation. En revanche, selon la lettre l) de l'article 21 - qui comporte deux éléments: d'une part, le nombre et la qualification du personnel, d'autre part ses conditions de rémunération - la nécessité de conformité aux conventions collectives ne me paraît pas du tout dépendre des conditions d'exploitation, mais bien des conditions de subventionnement. L'on peut par exemple imaginer que, dans une situation de difficulté économique particulière, nous ayons besoin d'autoriser l'exploitation à des conditions de financement moins bonnes; en revanche, le subventionnement doit accompagner des qualifications, un nombre ou des conditions salariales particulièrement définies. Il me semble qu'il faut éviter de mélanger conditions d'exploitation et conditions de subventionnement. Ce mélange revient à alourdir la loi plutôt qu'à l'alléger, à en compliquer la lecture plutôt qu'à la simplifier. C'est la raison pour laquelle nous proposons de ne pas suivre la proposition d'amendement qui nous est soumise.
Mme Jocelyne Haller (AdG). Permettez-moi de préciser que j'avais bien saisi la nuance rappelée par M. Halpérin. Les conditions en question sont cependant, selon nous, des gages de qualité des prestations. Cette dernière s'acquiert par toute une série d'éléments. Or, la manière dont est traité le personnel, le fait que ce dernier soit en mesure d'agir de la manière la plus pertinente et qu'il soit respecté à la fois dans ses compétences et dans les prestations qu'il fournit nous paraît être un gage de qualité. C'est pour ajouter un peu plus de qualité à ce projet de loi, et en aucun cas pour l'amoindrir d'une quelconque façon, que j'ai proposé cet amendement.
Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Si le parti démocrate-chrétien ne soutiendra pas cet amendement, c'est parce que des dispositions permettent déjà d'assurer la qualité des conditions d'encadrement. En premier lieu, nous faisons confiance aux syndicats lorsqu'il y a lieu de relever des injustices. Il existe par ailleurs des associations extrêmement efficaces au service des personnes handicapées et de leurs familles, pouvant à tout moment dénoncer des risques de maltraitance ou de mauvaises conditions d'hébergement des personnes handicapées. Ces aspects étant liés à la question des conditions d'encadrement, nous disposons pour le moment des garde-fous qui conviennent. C'est pourquoi nous ne soutiendrons pas cet amendement.
Le président. Merci, Madame. La parole n'étant plus demandée, je mets aux voix par vote électronique... Non, Monsieur Pagani: personne n'a demandé la parole ! Je vous prie de suivre le débat... Bon, je vous donne la parole ! (Rires.)
M. Rémy Pagani (AdG). Je vous remercie, Monsieur le président. Nous étions en train de nous consulter. Je crois qu'il n'y a pas de divergence sur le fond. Il convient simplement d'expliquer très précisément la prise de position de M. Halpérin.
M. Michel Halpérin. C'est fait ! (Rires et applaudissements.)
M. Rémy Pagani. Oui, oui, mais il faut l'expliquer dans toute sa subtilité ! Vous vous montrez en effet toujours fort subtil pour faire passer en douce les choses ! Nous considérons que l'autorisation d'exploitation diffère des conditions de subventionnement. (L'orateur est interpellé par M. Halpérin.)Vous affirmez que les conditions d'exploitation pourraient être octroyées quand bien même les conventions collectives ne seraient pas respectées. Or, nous voulons pour notre part que les conditions d'exploitation ne soient octroyées que si ces conventions sont respectées. Il faut rappeler qu'une institution qui bénéficierait de ces conditions d'exploitation bénéficie également du subventionnement indirect de l'ensemble de notre arsenal social et législatif, lequel permet d'être subventionné quasiment à 90% - voire à 100% - par la Confédération ou par l'Hospice général.
Nous estimons donc qu'il est nécessaire d'inscrire l'amendement proposé par Mme de Haller dans la loi. (Brouhaha.)C'est ce qu'a relevé M. Halpérin qui, sur le fond, ne s'oppose pas à ce que l'on respecte les conventions collectives, y compris dans le fonctionnement général de toutes les institutions.
Le président. S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs les députés, veuillez garder votre calme ! C'est naturellement de Mme Haller que parlait M. Pagani. La parole est à M. Rodrik.
M. Albert Rodrik (S). Je me tourne vers M. Unger: estime-t-il que l'Etat prend une responsabilité morale moindre lorsqu'il se contente de donner une autorisation d'exploitation que lorsqu'il subventionne un établissement ? D'expérience, il me semble qu'en cas de pépin la responsabilité encourue par un Etat qui autorise l'exploitation n'est guère moindre que celle qu'il prend en subventionnant, et vice-versa. C'est peut-être là que se situe le manque de subtilité dont nous pourrions faire preuve en ajoutant l'amendement proposé par Mme Haller, et je ne crois pas que les dispositions actuelles déséquilibrent cette loi.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Nous avons très largement débattu de ce point en commission. Ce débat avait été conclu de manière que l'engagement moral de l'Etat soit absolument identique que ce dernier autorise l'exploitation ou qu'il octroie des subventions. L'engagement est en revanche d'une autre nature quand l'Etat incite, quand il autorise ou quand il paie. Il est bien normal qu'un distinguo soit fait dans son rôle de facilitateur et de stratège - rôle qui est tout de même celui que l'on attend de lui dans un certain nombre de situations - plutôt que lorsqu'il ordonne et agit. C'est la raison pour laquelle le chapitre actuel, sa découpe et le lieu dans lequel se trouvent les conditions du personnel sont clairement liés au subventionnement d'un établissement, et non à l'autorisation d'exploitation.
Le président. La parole n'étant plus demandée, je mets aux voix par vote électronique la proposition d'amendement de Mme Haller. Il s'agit d'ajouter à l'article 13 une lettre j), formulée ainsi: «affecter à l'encadrement et à l'accompagnement des personnes accueillies un personnel suffisant en nombre et en qualification, dont le statut et la rémunération sont conformes aux conventions collectives ou aux usages».
Mme Jocelyne Haller. Je demande l'appel nominal.
Le président. J'accède à votre demande, puisque vous êtes suivie par un certain nombre de députés.
Mis aux voix à l'appel nominal, cet amendement est rejeté par 49 non contre 35 oui et 1 abstention.
Mis aux voix, l'article 13 est adopté.
Mis aux voix, l'article 14 est adopté, de même que les articles 14 à 41 (souligné).
Le président. Je mets maintenant aux voix le projet de loi en deuxième débat. (Vives protestations.)D'habitude, nous sautons cette étape, mais il s'agit en réalité de la procédure exacte !
Mise aux voix, la loi 8648 est adoptée en deuxième débat.
Troisième débat
La loi 8648 est adoptée article par article.
Mise aux voix, la loi 8648 est adoptée en troisième débat dans son ensemble à l'unanimité (85 oui). (Applaudissements soutenus.)
Le président. Nous remercions nos hôtes et nous les accueillons volontiers s'ils veulent suivre notre ordre du jour.