Séance du vendredi 16 mai 2003 à 17h
55e législature - 2e année - 8e session - 48e séance

La séance est ouverte à 17h, sous la présidence de M. Bernard Lescaze, président.

Assistent à la séance: Mme et MM. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat, Robert Cramer, Micheline Spoerri et Pierre-François Unger, conseillers d'Etat.

Exhortation

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.

Personnes excusées

Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mme et MM. Martine Brunschwig Graf, Carlo Lamprecht et Charles Beer, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Antoine Droin, John Dupraz, Mariane Grobet-Wellner, Pierre Guérini, Nicole Lavanchy, Ueli Leuenberger, Claude Marcet, Alain-Dominique Mauris, Jacqueline Pla et Patrick Schmied, députés.

Annonces et dépôts

Néant.

IUE 52
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente écrite de M. Rémy Pagani : Protection des enfants (notamment ceux de Mme P.): le Parquet et le Tribunal tutélaire ont-ils respecté la loi ? (Réponse du Conseil d'Etat)

M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, c'est une problématique extraordinairement délicate que celle des mères qui arrivent en Suisse avec des enfants en indiquant qu'elles viennent se réfugier en raison du comportement pédophile du père, alors même qu'une décision de justice dans leur pays indique le contraire.

Dans le cas qui nous occupe, le pays en question est la France qui a une justice - même si comme toutes les justices elle peut avoir des limites - de qualité. Cela pose un problème humain extrêmement délicat et Mme Micheline Spoerri a abordé ce dossier sous cet angle humain, extrêmement approprié dans cette problématique. Il se trouve que le Parquet d'une part et le Tribunal d'autre part ont eu une toute autre approche.

Pour répondre aux deux questions de M. Pagani, j'indiquerai que le Conseil d'Etat n'a évidemment pas à commenter un avis de droit, en l'espèce celui de Me Membrez. Le Conseil d'Etat n'a pas non plus à se prononcer sur une ou sur plusieurs décisions de justice. Il appartient soit, le cas échéant, à l'autorité de recours soit à l'autorité de surveillance des magistrats, s'il y a défaillance de l'un d'eux, de se prononcer en pareil cas.

Je répondrai en outre, à la seconde question de M. Pagani, que Mme Spoerri a décidé de prendre les contacts nécessaires pour que les autorités administratives cantonales, administratives fédérales et le pouvoir judiciaire se rencontrent afin que, si un autre cas de cette nature se présente, la manière de le traiter, l'harmonisation possible entre les différentes démarches contradictoires sur le plan judiciaire et sur le plan administratif n'aient pas les très regrettables conséquences qu'a pu avoir l'affaire que M. Pagani évoque. En particulier, dans cette affaire-là, il s'agit que le sort des enfants soit véritablement au coeur de la réflexion de l'ensemble des partenaires.

Vous comprenez bien, Monsieur le député, que le Conseil d'Etat ne peut pas en tant que tel vous donner un avis sur des décisions du pouvoir judiciaire.

Cette interpellation urgente écrite est close.

IU 1400
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente de M. Christian Brunier : G8 : inquiétudes de la population (Réponse du Conseil d'Etat)

Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. En réponse à votre interpellation, Monsieur Brunier, j'aimerais en préambule vous faire remarquer que beaucoup de choses ont été faites et beaucoup de propos tenus. Compte tenu des multiples canaux d'information mis en place, je m'étonne que vous soyez si peu informé - notamment par le biais de votre députation et du site Internet de l'Etat. Si vous me permettez l'expression, un certain nombre de circonstances me semblent maintenant clairement définies. Vous êtes le dernier informé, ce dont je suis parfaitement étonnée.

Cela dit, je veux bien vous rappeler quelques principes qui ont présidé aux décisions du Conseil d'Etat genevois et de la délégation intercantonale de la sécurité, dont les membres sont chargés du maintien de l'ordre sur leurs territoires respectifs des cantons de Vaud, Genève et Valais à l'occasion du G8. Je vous rappelle que le 1er juin prochain arriveront à l'aéroport de Cointrin toutes les délégations du sommet d'Evian. Ces dernières sont extrêmement nombreuses, puisqu'elles regroupent les acteurs du G8, les pays du NEPAD ainsi qu'un certain nombre de pays émergents. Cela représente au niveau de la sécurité, du timing et de la sécurité aéronautique en général un travail absolument fabuleux, et l'aéroport et les autorités genevoises n'ont pas droit à l'erreur. Il s'agit d'une donnée initiale que personne n'ignorait. A ce titre, les renforts demandés par la délégation intercantonale aux autorités fédérales ne datent pas d'aujourd'hui. Cette demande de renforts a été explicitement confirmée dans une lettre adressée le 16 avril dernier au Conseil fédéral. En ce qui concerne la coïncidence avec la manifestation du 1er juin qui démarrera, comme vous le savez, au centre de Genève, vous comprenez bien qu'il est nécessaire que les policiers confédérés puissent assurer le maintien de l'ordre pour l'ensemble de la population genevoise, quelle que soit la rive. Voilà quelle est la stratégie suivie par le gouvernement et la délégation intercantonale.

J'aborde maintenant votre première question, qui concerne le nombre de manifestants. Il devient quelque peu dérisoire de faire des batailles de chiffres; chacun y va de son estimation. Ce n'est pas moi qui ai procédé aux estimations que je vous ai communiquées lors de la dernière session de ce parlement, car je ne possède pas ce don... Je me suis basée, comme d'autres, sur des convergences statistiques issues des services de renseignements suisse et français. A partir d'un moment... Monsieur le député, je vous remercie de m'écouter, sinon je peux me rasseoir ! Je vous ferai remarquer que, si certaines réponses à vos questions seront données, d'autres sont déjà publiquement connues de tout le monde sauf de vous - ce dont je suis parfaitement navrée. Je reprends ma réponse à votre première question: les scénarios quant au nombre de manifestants ne viennent donc pas de Mme Spoerri; c'est le gouvernement qui met en place une stratégie d'ensemble en matière de sécurité vis-à-vis de l'arrivée de délégations et de la population genevoise. Nous devons impérativement faire face à tous les scénarios, qu'il y ait 100 000, un peu moins ou un peu plus de manifestants. Il n'est donc pas question de changer tout à coup le nombre de policiers allemands appelés en renfort - soit sept cent cinquante - puisque ces policiers font partie d'une stratégie d'ensemble.

Je réponds maintenant à votre deuxième question, qui porte sur la doctrine d'engagement de la police. Celle-ci a été validée par le Conseil d'Etat et diffusée lors du point de presse hebdomadaire que je tiens désormais tous les mercredis. Elle vous a donc été rendue accessible. Vous êtes par ailleurs en lien constant avec le site Internet de l'Etat. Il faut toutefois comprendre qu'à partir d'un certain moment, l'information directe à la population genevoise constitue une priorité absolue. Bien que vous en soyez les relais et les garants, notre rôle consiste à assurer que l'information directe soit transmise à la population.

En réponse à votre troisième question, je vous indique que l'engagement de la police sera sous le contrôle d'une autorité politique dans le cadre d'un dispositif intercantonal.

Quant à votre quatrième question, je vous fais remarquer qu'il n'existe pas de «zone à risque». Je suppose que vous faisiez référence à des «zones sécurisées». Ces dernières sont, pour des raisons de protection, accrues et ciblées. Il s'agit entre autres de l'aéroport, d'un certain nombre de sites diplomatiques dont nous assurons la protection ainsi que de lieux classés «zones sécurisées» pour des motifs d'ordre vital. Il faut notamment garantir l'accès aux infrastructures hospitalières ainsi que tout transport sanitaire ou utile afin que la population genevoise et toutes les personnes présentes à Genève le 1er juin puissent vivre dans les meilleures conditions.

En ce qui concerne la hiérarchie de la police, elle est extrêmement clairement définie. Je ne vois pas pourquoi vous soutenez le contraire.

Quant à votre sixième question, qui porte sur les personnes engagées dans l'organisation d'événements, je vous annonce que M. Peter Arbenz a été nommé négociateur en chef des autorités; il est chargé de négocier avec les altermondialistes. Le Conseil d'Etat s'est par ailleurs entouré de la collaboration de M. Bernard Ziegler en sa qualité de conseiller juridique dans le cadre des événements liés au sommet d'Evian.

Concernant votre septième question, relative à la commission des visiteurs officiels, je pensais que vous étiez au courant du fait que les travaux sont organisés. La commission a organisé ses travaux selon ses compétences habituelles et une prochaine rencontre est prévue avec moi le 22 mai.

Votre dernière question portait sur l'information aux communes. Vous avez notamment déclaré que les représentants des communes devaient téléphoner directement à certains députés pour obtenir des informations. Je ne comprends pas votre question, puisque tous les canaux d'information des cellules de travail sont en place depuis le 16 avril. La commune de la Ville de Genève a par exemple été associée depuis le début à l'ensemble des travaux de la délégation intercantonale et y siège en permanence. Je ne peux donc que vous assurer que nous travaillons ensemble depuis le début. La Ville de Genève produit en outre ses propres informations. (L'oratrice est interpellée.)Vous apprenez tout cela ?! J'en suis aussi ravie... Enfin, tous les habitants le savent, Monsieur le député ! Je poursuis: les communes de Thônex, Chêne-Bourg et Chêne-Bougeries ont constitué une cellule opérationnelle en lien avec la protection civile et la police de façon à identifier, par quartier et par rue, un certain nombre de zones et d'entreprises à risques. Quant aux centres sportifs du Bout-du-Monde et de Vessy, je pense que vous êtes informé des infrastructures qui ont été mises en place et je ne souhaite pas rappeler ici. C'est tout ce que je peux vous dire à ce jour.

Voilà ce que je peux répondre, Monsieur le député, à l'ensemble de vos questions. Comme nous avons tous eu l'occasion de nous exprimer solennellement le 10 mai, je souhaite que notre contribution à la réussite de cet événement soit maintenant la plus positive et la plus constructive possible. «Genève, terre d'accueil»: j'aimerais que cela ne soit pas un vain mot et que les débats de ce parlement se tiennent dans une certaine dignité. Je vous en serai extrêmement reconnaissante.

Cette interpellation urgente est close.

Le président. Je vous rappelle que les réponses aux interpellations urgentes sont normalement limitées à trois minutes.

IU 1401
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente de Mme Stéphanie Nussbaumer : G8 : règlementation et directives sur les armes (Réponse du Conseil d'Etat)

Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. J'ai effectivement dépassé les trois minutes, Monsieur le président. Mes interventions suivantes seront en revanche beaucoup plus courtes !

En réponse à votre question, Madame le député, je répète que la doctrine d'engagement pour le maintien de l'ordre a été validée par le Conseil d'Etat le 14 mai dernier. Elle sera agrémentée, à partir du 21 mai, de la liste des moyens de contrainte, liste qui se trouve actuellement en consultation finale auprès de tous les cantons de notre pays - et plus particulièrement auprès des cantons de Vaud, Genève et Valais, dont les forces de police seront mobilisées à l'occasion du G8. La réglementation et les annexes de cette doctrine sont directement issues de la doctrine d'engagement pour le maintien de l'ordre qui avait été validée et approuvée par la conférence des chefs des départements de justice et de police de Suisse romande et du Tessin le 29 mars 1999. Le travail a consisté, en particulier pour le G8, à s'assurer que les uns et les autres étaient à jour sur cette doctrine.

Je conclus en répétant que les moyens de contrainte seront définitivement validés le 21 mai prochain.

Cette interpellation urgente est close.

IU 1404
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente de M. John Dupraz : Nuisances provoquées par les squatters (Prévost-Martin) (Réponse du Conseil d'Etat)

Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Deux squats sont répertoriés dans la rue Prévost-Martin, et la police a effectivement reçu des appels concernant des nuisances provoquées par des squatters.

Je souhaite insister sur le fait que l'intervention de la police en matière de squats est extrêmement fidèle: la police intervient systématiquement lorsque la population subit des nuisances provoquées par ces squats. Il n'est cependant pas impossible qu'elle ne puisse, à certains moments, se déplacer car elle est - particulièrement ces jours - occupée à d'autres tâches. Cette situation rejoint l'éternelle question dont nous discutons actuellement en commission judiciaire, à savoir la question des effectifs. Je tiens cependant à rassurer M. Dupraz: le Conseil d'Etat n'a pas l'intention de baisser les bras en la matière !

Cette interpellation urgente est close.

IU 1407
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente de M. Rémy Pagani : G8 : contingent de policiers allemands (Réponse du Conseil d'Etat)
IU 1408
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente de M. Rémy Pagani : Présence de M. Bush, président des Etats-Unis, sur le territoire cantonal. (Réponse du Conseil d'Etat)

Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Monsieur le député, vous avez en effet appris par communiqué de presse hier que la délégation de sécurité du Conseil fédéral a accédé à la requête de la délégation intercantonale - requête appuyée par les gouvernements, et particulièrement par le gouvernement genevois - de recourir à des renforts policiers allemands. Ces renforts seront affectés à la sécurité du site aéroportuaire que j'ai évoqué tout à l'heure. Cela dit... (Brouhaha.)Monsieur le président, serait-il possible d'avoir un peu de silence, s'il vous plaît ? Tout le monde téléphone...

Le président. J'aimerais beaucoup, Messieurs les députés, que vous écoutiez la conseillère d'Etat.

Mme Micheline Spoerri. Merci. Je vous rappelle que le Conseil fédéral n'a pas encore formellement validé cette décision et qu'en définitive c'est bien évidemment à la République fédérale d'Allemagne qu'il appartiendra de donner son accord.

S'agissant de la rumeur selon laquelle le président Bush séjournerait à Genève pendant le sommet du G8, je ne dispose d'aucune information.

Ces interpellations urgentes sont closes.

IU 1415
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente de M. Jacques Jeannerat : Travaux dans des logements sociaux (Réponse du Conseil d'Etat)

M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. La Fondation Vernier aviation a engagé au Lignon d'importants travaux de rénovation, qui sont aujourd'hui pratiquement terminés; il s'agissait de la première phase des travaux. Une seconde phase consiste à regrouper de petits appartements pour en faire des grands. Afin d'y parvenir, il faudra forcément vider les appartements pour abattre le cloisonnement séparant ces logements. Il faudra également effectuer des modifications en matière de sanitaires et de cuisine. Il en résulte qu'une quarantaine d'appartements ont effectivement dû être vidés. En revanche, contrairement aux propos de M. le député Jeannerat, le planning général de préparation, d'autorisation et d'ouverture du chantier ne connaît pas de retard.

Pour éviter que des appartements restent vides - puisque je partage le souci de M. Jeannerat à cet égard - une partie non négligeable de ces appartements a été remise à l'Hospice général, qui peut ainsi proposer des logements de très courte durée à des personnes en situation précaire, ainsi qu'au service social de la Ville de Genève, suite à divers incendies s'étant produits en ville. Nous ne nous trouvons donc pas dans une situation anormale. C'est une saine opération que de faire de grands appartements. Or, pour ce faire, les appartements doivent être vides. C'est dans ces circonstances que certains appartements du Lignon sont effectivement, à l'heure actuelle, vides. Mais ils seront vite remplis lorsqu'ils seront terminés !

Cette interpellation urgente est close.

IU 1409
(Réponse du Bureau du Grand Conseil)Interpellation urgente de M. Philippe Glatz : statut des observateurs parlementaires (Réponse du Bureau du Grand Conseil)

Le président. En tant que président, je répondrai clairement aux quatre questions posées par M. Glatz. En premier lieu, le statut d'observateur est directement lié à la fonction de député. En conséquence, nous imaginons bien que ces observateurs se comporteront avec la dignité qui s'attache à cette fonction. Je lui confirme également que le statut ne confère aucun autre droit que celui d'observer et n'autorise pas le député observateur à intervenir activement auprès des autorités ou des organisateurs. Pour le surplus, le Bureau a déjà tenu une réunion de travail durant laquelle il a notamment été décidé d'attribuer un brassard aux couleurs genevoises à chaque député observateur, brassard sur lequel sera inscrit le mot «parlement». Il a également été décidé d'établir un certain nombre de directives entre le bureau et les chefs de groupe ainsi qu'une liste précise des observateurs. Une réunion a déjà été agendée à ce sujet.

Cette interpellation urgente est close.

PL 8648-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat relatif aux établissements d'accueil des personnes handicapées (K 1 43)
Rapport de M. Thierry Apothéloz (S)

Premier débat

Le président. Nous tenons à saluer la présence de représentants des personnes handicapées à cette séance du Grand Conseil. (Trois personnes en fauteuil roulant sont présentes dans la salle du Grand Conseil.) (Applaudissements.)

M. Thierry Apothéloz (S), rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, chers invités, je dirai, si vous le permettez, quelques mots en guise d'introduction à ce rapport que l'on appelle encore «projet de loi du Conseil d'Etat relatif aux établissements d'accueil des personnes handicapées» et qui, je l'espère, portera bientôt le nom de LIPH - soit «Loi sur l'intégration des personnes handicapées». Dans la vie d'un homme ou d'une femme politique, il existe des moments forts; les élections en sont une. Mais aboutir à une loi-cadre visant à une meilleure intégration dans notre société des gens les plus fragiles sont également des beaux moments que, je l'espère, nous pourrons vivre ce soir. Parler, imaginer, proposer une loi, c'est bien facile. Cependant, s'engager personnellement dans l'intégration des personnes handicapées possède toujours une signification supplémentaire. Aussi la grande victoire de cette loi - que nous allons, je l'espère encore une fois, pouvoir voter - serait de permettre de changer le quotidien des personnes qui vivent un handicap, quel qu'il soit. Vous verrez à cet égard que la commission a retenu une définition large du terme «handicap»: elle a en effet souhaité retenir non seulement les différents handicaps physiques et mentaux, mais également les handicaps liés à la dépendance. Ainsi, cette grande victoire que nous pourrions remporter ce soir serait la suivante: nous pourrions non seulement proposer, au niveau cantonal, un certain nombre d'avances majeures, mais également parvenir à dépasser nos mentalités et nos préjugés pour nous engager pour un monde meilleur.

En introduction, le Conseil d'Etat et la commission des affaires sociales ont souhaité s'engager davantage dans cette lutte contre les exclusions. C'est à la grande majorité de la commission des affaires sociales que nous avons pu voter cet amendement général. Pour celles et ceux qui n'ont pas eu le courage, ou le temps, ou le tort de lire cet excellent rapport, voici quelques points forts de cette loi.

Le premier point fort de cette loi, et je l'ai dit, réside dans une définition plus large que celle retenue par des commissions déjà existantes. La définition retenue englobe en effet le handicap résultant de dépendances.

Le deuxième point fort consiste en une lutte contre les exclusions. Il ne s'agit pas seulement de combattre les barrières architecturales, mais de changer les mentalités, notamment par le biais de la promotion de mesures dès la petite enfance - l'idée force étant que l'Etat et les communes donnent un exemple à suivre à l'économie privée.

Le troisième point fort concerne la promotion de l'information au sens large tant auprès de la population qu'auprès des associations, qui oeuvrent le plus souvent de manière bénévole.

Le quatrième point fort auquel je souhaite vous rendre attentif est le fait que cette loi fixe quelques règles de cohérence pour permettre une meilleure prise en charge des adultes handicapés dans les institutions dans lesquelles le canton leur permet d'habiter.

Le cinquième et dernier point fort a trait à la création d'une commission cantonale consultative pour l'intégration des personnes handicapées. La création d'une telle commission vise à amener au Conseil d'Etat des propositions concrètes, réalistes ainsi que des réflexions visant à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés au travers de cette loi.

J'en ai terminé, Monsieur le président. Je me permettrai de reprendre la parole le cas échéant pour répondre à d'éventuelles questions.

Mme Morgane Gauthier (Ve). Cette année 2003 est l'année européenne des personnes handicapées, et ce projet de loi définissant la place ainsi que le rôle de l'Etat constitue un bon projet. Les Verts saluent la volonté du département de l'action sociale et de la santé d'élaborer une loi claire et une politique définie dans le domaine du handicap. Je tiens également à remercier M. Apothéloz pour la qualité de son rapport.

Lors de ses travaux, la commission des affaires sociales a largement écouté les associations, les personnes et les commissions travaillant à l'intégration des personnes handicapées. Ce qui nous semble bon dans cette loi est le maintien d'une diversité ou d'une pluralité dans l'approche du handicap. Le président Unger a donné l'assurance à notre commission que cette diversité perdurerait. De plus, bien que ces associations travaillent déjà en réseau, des passerelles seront créées avec l'Etat - ce qui, nous l'espérons, apportera encore une meilleure cohérence. Ce projet de loi a le mérite de prendre en compte la personne handicapée du début à la fin de sa vie. Celle-ci se trouve donc au coeur du processus. Un autre point intéressant de ce projet de loi est qu'il tient compte d'un accès à la culture et qu'il soutient des projets créatifs. Le dernier point sur lequel j'aimerais insister est le suivant: pour les Verts, il est nécessaire que les personnes handicapées aient accès à l'administration publique. Un tel accès implique non seulement que les locaux soient physiquement accessibles, mais il nécessite également l'engagement, par exemple par un système de quotas, de personnes handicapées au sein même du personnel de l'Etat. En définissant par une loi une politique claire en matière de moyens et en instituant une commission cantonale, nous souhaitons que la qualité de vie des personnes handicapées soit améliorée et que les obstacles quotidiens et empoisonnants tombent peu à peu.

En conclusion, les Verts voteront ce projet de loi positif et concret.

M. Blaise Matthey (L). J'adresse tout d'abord un grand merci au rapporteur pour son excellent rapport, au Conseil d'Etat et à ses fonctionnaires pour leur soutien et leur disponibilité ainsi qu'à tous ceux qui, s'occupant du handicap au quotidien, sont venus nous apporter leurs appréciations et leurs conseils tout au long de nos travaux. Permettez-moi également de relever l'excellent climat dans lequel se sont déroulés les travaux relatifs au projet de loi cantonal sur les personnes handicapées.

Pour un sujet qui touche tant la dignité humaine, les députés ont su faire preuve de dignité dans la conduite de leurs travaux en tenant par-dessus tout à replacer la personne handicapée au centre du dispositif cantonal. D'un texte à caractère éminemment technocratique et essentiellement consacré aux institutions lorsqu'il fut déposé par le Conseil d'Etat en 2001, nous avons en effet abouti à une véritable loi sur l'intégration. Ce devrait toujours être le but de tels textes, et c'est là la première qualité de celui qui vous est proposé aujourd'hui.

Notre canton n'a certes pas attendu aujourd'hui pour favoriser l'intégration des personnes handicapées. Genève, et vous le savez, fait partie des cantons qui depuis des années dispose de textes dans ce domaine. Je pense notamment aux dispositions sur l'enseignement ou sur les constructions et installations. Mais il y avait nécessité de poursuivre l'action tout en la structurant autour des grands axes que sont l'éducation, la prise en charge, le financement et l'information. C'est là la deuxième qualité du texte qui vous est proposé.

La commission a eu le souci d'écouter la plupart des acteurs de l'intégration des personnes handicapées afin que ce texte soit non seulement celui des personnes handicapées, mais également celui des personnes qui les entourent au quotidien. Elle a en particulier voulu que cette loi ne décourage pas, par des mesures administratives disproportionnées, la somme des bonnes volontés sans lesquelles toute politique d'intégration n'est qu'un vain mot. Des craintes avaient été manifestées à cet égard avant que ne débutent nos travaux. Elles n'ont plus de raison d'être avec le texte issu de nos délibérations. Conseil d'Etat et Grand Conseil ont tenu d'emblée à dissiper tout malaise à ce sujet, ceci afin de permettre à tous les acteurs de poursuivre leur travail en se consacrant à leur tâche principale, celle qui leur tient - celle qui nous tient - tant à coeur: l'intégration et l'encadrement des personnes handicapées dans notre société. C'est là la troisième qualité d'un texte que le groupe libéral votera pour que se poursuive et se renforce la politique d'intégration des personnes handicapées dans notre société, une valeur qui lui tient très à coeur. (Applaudissements.)

Mme Jocelyne Haller (AdG). Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui représente sans conteste une avancée majeure en matière de politique du handicap. Destiné à son origine à poser un cadre légal en matière d'établissements d'accueil pour les personnes handicapées, il a rapidement été mué en projet de loi sur l'intégration des personnes handicapées, répondant ainsi aux voeux des milieux concernés et posant, ce faisant, l'objectif d'intégration comme principe premier. Il faut relever à cet égard que l'intégration est là comprise tant dans ses acceptions sociale, scolaire, professionnelle que culturelle. De même, il faut noter qu'elle prend en compte les personnes handicapées dès leur naissance et qu'elle a le souci d'assurer les meilleurs moyens pour répondre à leurs besoins. Le projet de loi 8648-A énonce donc les diverses mesures destinées à permettre à l'Etat de réduire ou de supprimer les obstacles limitant l'intégration ou constituant des facteurs d'exclusion. Il se situe clairement dans une perspective de développement et de soutien de mesures visant à la formation, l'insertion et l'expression des personnes handicapées. D'un point de vue plus général, il vise la prévention, notamment par l'information et la réduction des barrières architecturales. Enfin, nous y reviendrons un peu plus loin, il propose également les instruments légaux permettant de définir les conditions d'exploitation et de subvention des établissements destinés à l'accueil des personnes handicapées adultes.

Nous tenons à relever ici la qualité des travaux de la commission des affaires sociales qui, sur la quasi-totalité de ce texte, s'est trouvée en accord. Cet accord a valu à ce dernier d'avoir été, dans ce cadre, voté à l'unanimité moins une abstention, celle de l'AdG. Or, si la représentante de l'AdG que je suis s'est abstenue au vote final, ce n'est en aucun cas en raison d'une quelconque réticence sur la question de l'intégration ou sur ce projet de loi en général. Il s'agissait en fait, sans faire obstacle à ce projet de loi, de marquer une réserve majeure à l'égard de la suppression, lors de nos débats, de l'obligation d'affecter du personnel en nombre suffisant et de respecter les conventions collectives et les usages en vigueur à l'article 13 - qui concerne les conditions d'exploitation des établissements. Dans sa quasi-unanimité, la commission a estimé que des établissements non subventionnés n'avaient pas à être tenus, en matière d'effectif et de rémunération du personnel, de respecter la réglementation à laquelle étaient soumis les établissements subventionnés. Nous ne pouvons souscrire à ce point de vue: nous pensons qu'à travail égal, un salaire égal doit être garanti. Nous savons, que l'on veuille l'admettre ou pas, que le régime auquel est soumis le personnel ainsi que son niveau de formation exercent un impact direct sur la qualité des prestations - que nous affirmons tous par ailleurs vouloir prôner. Il ne s'agit pas là de mercantilisme, mais simplement de revendiquer pour le personnel de ces établissements qu'ils soient tout au moins soumis à des conditions de travail et de rémunération conformes aux conventions collectives en vigueur et qu'une attention soutenue soit portée à ses compétences. Or, outre le fait que des établissements non subventionnés sont le plus souvent financés par les rentes ou aides complémentaires de leurs usagers - c'est-à-dire par des prestations de sécurité sociale - le fait d'obtenir une autorisation d'exploitation revient à disposer d'une forme de caution. Dès lors, il ne nous paraît pas concevable que l'Etat prenne le risque de cautionner des pratiques discutables dans le domaine de la qualification, de la gestion du personnel ou de la politique salariale dans des établissements assurant des prestations de service.

Pour conclure, nous pensons que le projet de loi 8648-A est un bon projet. Il s'agit surtout d'un projet respectueux des personnes handicapées et, à ce titre-là, il doit être défendu. Nous y adhérons. Nous pensons néanmoins qu'une amélioration s'impose sur les éléments que nous venons de relever; nous y reviendrons en deuxième débat.

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Les socialistes accueillent bien sûr très favorablement ce projet de loi, auquel ils ont d'ailleurs contribué en commission. Ce projet traite de la problématique générale de l'intégration des personnes handicapées. On pourrait à cet égard s'interroger sur le sens du mot intégration; il conviendrait peut-être plutôt de parler de non-exclusion car, s'il faut les intégrer, c'est parce qu'il y a eu exclusion au préalable. Il s'agit d'une question sémantique que nous ne pourrons pas régler ce soir, mais à laquelle il faudra réfléchir.

Pour revenir au projet de loi proprement dit, toutes les associations et les institutions auditionnées ont déclaré leur satisfaction face à sa deuxième mouture. Certains ont regretté que ce projet se soit encore trop focalisé sur les établissements. L'on peut néanmoins affirmer que les personnes concernées se trouvent au coeur de ce projet. On peut également affirmer que, bien plus qu'un projet de simple gestion, ce texte donne une véritable orientation en matière d'intégration des personnes handicapées. Nous saluons donc fortement cette démarche. Je relèverai en particulier l'article 5, qui exprime la volonté de l'Etat d'encourager les initiatives publiques ou privées favorisant l'intégration des personnes handicapées. Cet article souligne également la nécessité pour les services de l'Etat et les communes d'appuyer les initiatives visant à engager des personnes handicapées. Il répond en outre à la demande de certaines associations qui se sont efforcées de promouvoir une meilleure intégration des personnes handicapées en matière d'activités socioculturelles. Je rappellerai également l'article 8, qui mentionne explicitement la promotion de mesures d'intégration dès la naissance. Cet article a d'ailleurs fait l'objet d'un débat nourri en commission dans la mesure où cette problématique n'était abordée nulle part.

En conclusion, le groupe socialiste souhaite exprimer un regret et un voeu. En premier lieu, le regret: nous regrettons que certaines mesures ne soient pas plus volontaristes, car nous savons que sans un engagement encore plus marqué de l'Etat, certaines bonnes résolutions risquent de rester lettre morte, notamment en matière de placement des personnes handicapées. Il ne s'agit pas seulement de barrières architecturales, mais aussi de barrières psychologiques et du dépassement de certains préjugés. L'évaluation de cette loi - prévue, je crois, en 2006 - devra donc tenir compte de cet aspect extrêmement important à nos yeux. Le voeu que nous souhaitons formuler concerne les moyens financiers, qui sont prévus à l'article 6. Nous espérons vivement que d'importants moyens seront engagés pour pouvoir atteindre les objectifs fixés par cette loi.

Pour conclure, je m'associerai à certains préopinants pour remercier les fonctionnaires du département de l'action sociale et de la santé, qui nous ont beaucoup aidés dans les travaux de commission, les associations et les institutions qui ont fait entendre leur voix ainsi que les deux présidents de la commission des affaires sociales, Mme Berberat et M. Leuenberger, qui ont conduit ces travaux de façon à faire aboutir le projet que nous saluons aujourd'hui. Je vous engage bien entendu à adopter le projet de loi tel qu'il est sorti de commission.

Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Le parti démocrate-chrétien a été particulièrement attentif à l'accueil très favorable réservé à ce projet de loi par toutes les personnes auditionnées par la commission des affaires sociales. Il s'agit d'un signe clair que nous souhaitons relever: c'est le signe que les personnes concernées - parce qu'elles-mêmes handicapées ou parce qu'elles travaillent à leur service - ont été sensibles à la reconnaissance de leurs besoins, enfin estimés comme un droit, et non comme une charité. Mes éminents collègues ont déjà remercié les présidents ainsi que les collègues de la commission des affaires sociales, le collègue rapporteur ainsi que les fonctionnaires du département de l'action sociale et de la santé, qui nous ont grandement aidés.

Cet état d'esprit a accompagné les travaux de la commission dans le souci d'être au plus près des attentes, justifiées, des personnes handicapées et de leurs familles. Mettre la personne au centre du dispositif crée une plus grande variété des possibles, et il ne faut pas avoir peur de dépasser les limites connues: social, sanitaire, architectural, pédagogique. Il faut également parler d'épanouissement artistique, sportif, associatif, culturel et professionnel. Une attention particulière a été portée sur les risques d'exclusion des personnes handicapées, que ce soit dans le domaine de la formation, de l'apprentissage ou sur le terrain professionnel. Bien sûr, une loi ne peut répondre à toutes les attentes des personnes handicapées et de leurs familles. Une loi respectueuse de l'intégration fournit néanmoins des outils pertinents en matière de financement des institutions et des associations, de contrôle de gestion, d'information et de promotion de l'intégration. Une loi respectueuse de cette intégration, c'est avant tout une loi qui permet d'articuler le dispositif autour des personnes, et non qui oblige les personnes handicapées à s'adapter aux structures. C'est donc un grand, un vrai changement de regard et de mentalité ! C'est cependant à nous, citoyens, d'être les vecteurs de ce changement, de cette évolution. La loi n'est qu'un cadre - dont on peut bien sûr se réjouir - constituant le support législatif de notre volonté d'offrir les meilleures conditions de qualité de vie possibles à nos concitoyens, qui n'ont de différence avec nous que d'avoir des handicaps plus visibles que les nôtres.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le parti démocrate-chrétien vous invite à voter cet excellent projet de loi.

Mme Marie-Françoise De Tassigny (R). Je me joins à mes différents préopinants pour adresser toutes nos félicitations au rapporteur. Ce projet de loi est une réalisation importante qui prend souche à l'occasion de l'année internationale des handicapés. Le DASS nous a proposé un projet très beau et très complet qui noue la gerbe de tous les aspects, actuels ou futurs, qui faciliteront la vie des personnes avec des besoins spéciaux. La tâche a été très conséquente et passionnante tant au niveau des auditions des personnes engagées dans le domaine ou directement concernées qu'au niveau du travail accompli par les fonctionnaires du DASS. Il faut également noter que les barrières idéologiques et partisanes ont été abolies pour traiter une cause nous concernant tous. Je tiens tout spécialement à souligner la prise en compte des jeunes enfants handicapés, qui étaient jusqu'à ce jour les parents pauvres de l'aide à l'intégration puisqu'ils n'étaient souvent pas encore pris en charge par l'AI. Cette loi-cadre permettra de développer des projets spécialement destinés à leur attention.

Le parti radical se félicite d'approuver ce projet de loi qui possède surtout le mérite d'établir un véritable projet de société pour des personnes qui ont toute notre admiration et qui pourront ainsi réaliser une véritable intégration. (Applaudissements.)

M. Georges Letellier (UDC). Le groupe UDC rejoint pleinement les différents propos qui ont été tenus tant à gauche qu'à droite. Nous sommes entièrement solidaires de ceux qui souffrent de leur différence. Nous voterons donc, bien entendu, ce projet.

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Je tiens à vous remercier d'accepter cette loi-cadre pour l'intégration des personnes handicapées. L'Etat se devait de proposer une politique novatrice, cohérente et satisfaisant l'ensemble des partenaires concernés par cette problématique. Par le vote à venir, vous allez clairement témoigner de votre volonté de doter Genève d'un outil législatif positif, concret et adapté aux besoins des personnes handicapées dans toute leur diversité, dans toutes leurs difficultés et dans toutes leurs luttes. Permettez-moi également de féliciter la commission des affaires sociales - avec, Monsieur le rapporteur, une mention particulière pour la qualité de votre rapport - pour le travail considérable qui a été effectué en commission sur cette loi qui revêt une importance, elle aussi, extrêmement considérable pour nos concitoyens souffrant de handicap. En recevant et en écoutant nombre d'associations et de personnes impliquées, votre commission a démontré l'intérêt majeur qu'elle portait à ce dossier et, par-delà, aux femmes, aux hommes et aux enfants concernés par le handicap. Le hasard du calendrier a placé l'examen de cet objet par votre Grand Conseil à la veille d'un vote sur une initiative fédérale portant sur le même sujet - sujet qui a le mérite de nourrir le débat autour des mesures concrètes qu'il est nécessaire de mettre en oeuvre afin de favoriser l'intégration des personnes handicapées. L'aboutissement de ce texte revêt également une autre dimension particulière puisque, comme l'ont relevé plusieurs préopinants, l'année 2003 a été désignée «Année européenne des personnes handicapées». A cet égard, je soulignerai un point qui, s'il peut paraître anecdotique, démontre le chemin qui reste à parcourir pour permettre l'intégration des personnes handicapées: si ce projet de loi a été inscrit à heure fixe dans l'agenda du Grand Conseil, c'est parce que la salle de celui-ci n'est pas accessible en tout temps aux personnes en fauteuil roulant. Je tiens à remercier, là aussi, les services du Grand Conseil d'avoir fait le nécessaire pour rendre cette présence possible et le Bureau d'avoir accepté un principe dérogatoire à l'ordre du jour normal.

Si je suis particulièrement heureux aujourd'hui devant l'aboutissement provisoire de ce dossier, c'est également parce qu'il constitue la concrétisation de l'un des plus importants objectifs de la législature tels que j'avais eu l'honneur de les définir pour le DASS. Je tiens à cet égard à souligner que l'ensemble du collège gouvernemental a adhéré d'emblée à la proposition d'amendement général et a offert un soutien sans faille au travail qui fut le vôtre. Historiquement confiée à l'initiative privée, la politique d'intégration des personnes handicapées a bénéficié de l'enthousiasme, de la compétence et du dévouement d'un grand nombre de gens. Le contexte général évoluant - nombre de personnes concernées, transfert de charges progressif de la Confédération vers les cantons, accroissement - heureuse - de l'espérance de vie des personnes handicapées - le Conseil d'Etat a décidé de proposer au Grand Conseil ce projet de loi-cadre. Pour mes collaborateurs en charge du dossier comme pour moi-même, c'est avec une certaine émotion que nous voyons ce projet aboutir dans un laps de temps somme toute très raisonnable compte tenu de l'importance des dispositions concernées.

Au-delà de l'organisation des établissements pour personnes handicapées - qui représente il est vrai un chapitre de cette loi - cette loi a, comme j'ai eu l'occasion de vous le dire à plusieurs reprises, l'ambition de développer quatre «e» au service d'un cinquième. Ces quatre «e» sont les suivants: le premier «e» est celui de l'école. Le travail fait à Genève depuis longtemps est d'ores et déjà remarquable, mais il peut probablement prendre une vigueur supplémentaire à l'occasion du vote de cette loi. Le deuxième «e» est celui de l'emploi. Nous devons favoriser l'intégration des personnes handicapées dans le monde de l'emploi par l'aménagement de postes de travail qui correspondent et aux compétences, et aux possibilités des personnes qui doivent les occuper. Le troisième «e» est celui de l'environnement. Là aussi, Genève avait fait preuve de modernité puisqu'un article prévoyait pour les nouvelles constructions des normes d'accessibilité pouvant satisfaire le plus grand nombre. Nous devrons encore développer ces normes. Le quatrième «e» est celui de l'expression. Cette expression, qu'elle soit socioculturelle ou sportive, doit donner, dans tous les volets de la société, la place que les handicapés peuvent attendre d'elle. Et vous l'imaginez bien, Mesdames et Messieurs, ces quatre «e» sont au service d'un cinquième, qui est le «e» d'ensemble. Saint-Exupéry disait: «On ne voit bien qu'avec le coeur; l'essentiel est invisible pour les yeux». Aujourd'hui, on pourrait ajouter que l'esprit s'est allié au coeur sur ce sujet, puisque votre Grand Conseil va voter une loi offrant aux personnes handicapées un véritable outil pour favoriser leur intégration, une loi qui leur apportera une amélioration significative de la qualité de vie en réduisant au maximum les conditions de l'exclusion. Mais, comme plusieurs l'ont souligné avant moi, cette loi ne servira que de guide, le vrai changement restant d'une autre nature: ensemble, nous devrons encore apprendre à changer le regard que nous accordons à la différence. (Applaudissements.)

Le président. La parole n'étant plus demandée, je mets aux voix par vote électronique la prise en considération de ce projet de loi.

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat par 73 oui.

Le président. Je salue la présence à la tribune de Mme Reusse-Decrey, ancienne présidente du Grand Conseil et présidente du Club des fauteuils roulants. (Applaudissements.)

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les articles 1 à 12.

Mme Jocelyne Haller (AdG). Je désire déposer un amendement à l'article 13 pour les motifs que j'ai évoqués tout à l'heure. Mon intervention sera brève. J'aimerais simplement rappeler qu'en allouant une autorisation d'exploiter l'Etat cautionne l'activité d'un établissement. Il ne devrait par conséquent pas risquer d'être tenu pour responsable de dérapages ou de pratiques douteuses en matière de politique de gestion du personnel et risquer que des incidences puissent être portées sur la qualité des prestations aux résidents. C'est pourquoi je vous propose l'ajout d'un alinéa j) supplémentaire à l'article 13, alinéa qui serait formulé ainsi: «affecter à l'encadrement et à l'accompagnement des personnes accueillies un personnel suffisant en nombre et en qualification, dont le statut et la rémunération sont conformes aux conventions collectives ou aux usages».

M. Michel Halpérin (L). La proposition qui nous est faite d'amender le texte de l'article 13 en y ajoutant sous la lettre j) le texte qui figure actuellement sous la lettre l) de l'article 21 ne me semble pas être une bonne idée. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une loi-cadre dont l'article 13 fixe les conditions permettant d'obtenir l'autorisation d'exploitation et dont l'article 21 fixe les conditions nécessaires à l'octroi d'un subventionnement. Or, la lettre g) de l'article 13 stipule clairement que l'établissement requérant une autorisation d'exploitation doit offrir un accompagnement et proposer des activités pour obtenir cette autorisation. En revanche, selon la lettre l) de l'article 21 - qui comporte deux éléments: d'une part, le nombre et la qualification du personnel, d'autre part ses conditions de rémunération - la nécessité de conformité aux conventions collectives ne me paraît pas du tout dépendre des conditions d'exploitation, mais bien des conditions de subventionnement. L'on peut par exemple imaginer que, dans une situation de difficulté économique particulière, nous ayons besoin d'autoriser l'exploitation à des conditions de financement moins bonnes; en revanche, le subventionnement doit accompagner des qualifications, un nombre ou des conditions salariales particulièrement définies. Il me semble qu'il faut éviter de mélanger conditions d'exploitation et conditions de subventionnement. Ce mélange revient à alourdir la loi plutôt qu'à l'alléger, à en compliquer la lecture plutôt qu'à la simplifier. C'est la raison pour laquelle nous proposons de ne pas suivre la proposition d'amendement qui nous est soumise.

Mme Jocelyne Haller (AdG). Permettez-moi de préciser que j'avais bien saisi la nuance rappelée par M. Halpérin. Les conditions en question sont cependant, selon nous, des gages de qualité des prestations. Cette dernière s'acquiert par toute une série d'éléments. Or, la manière dont est traité le personnel, le fait que ce dernier soit en mesure d'agir de la manière la plus pertinente et qu'il soit respecté à la fois dans ses compétences et dans les prestations qu'il fournit nous paraît être un gage de qualité. C'est pour ajouter un peu plus de qualité à ce projet de loi, et en aucun cas pour l'amoindrir d'une quelconque façon, que j'ai proposé cet amendement.

Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Si le parti démocrate-chrétien ne soutiendra pas cet amendement, c'est parce que des dispositions permettent déjà d'assurer la qualité des conditions d'encadrement. En premier lieu, nous faisons confiance aux syndicats lorsqu'il y a lieu de relever des injustices. Il existe par ailleurs des associations extrêmement efficaces au service des personnes handicapées et de leurs familles, pouvant à tout moment dénoncer des risques de maltraitance ou de mauvaises conditions d'hébergement des personnes handicapées. Ces aspects étant liés à la question des conditions d'encadrement, nous disposons pour le moment des garde-fous qui conviennent. C'est pourquoi nous ne soutiendrons pas cet amendement.

Le président. Merci, Madame. La parole n'étant plus demandée, je mets aux voix par vote électronique... Non, Monsieur Pagani: personne n'a demandé la parole ! Je vous prie de suivre le débat... Bon, je vous donne la parole ! (Rires.)

M. Rémy Pagani (AdG). Je vous remercie, Monsieur le président. Nous étions en train de nous consulter. Je crois qu'il n'y a pas de divergence sur le fond. Il convient simplement d'expliquer très précisément la prise de position de M. Halpérin.

M. Michel Halpérin. C'est fait ! (Rires et applaudissements.)

M. Rémy Pagani. Oui, oui, mais il faut l'expliquer dans toute sa subtilité ! Vous vous montrez en effet toujours fort subtil pour faire passer en douce les choses ! Nous considérons que l'autorisation d'exploitation diffère des conditions de subventionnement. (L'orateur est interpellé par M. Halpérin.)Vous affirmez que les conditions d'exploitation pourraient être octroyées quand bien même les conventions collectives ne seraient pas respectées. Or, nous voulons pour notre part que les conditions d'exploitation ne soient octroyées que si ces conventions sont respectées. Il faut rappeler qu'une institution qui bénéficierait de ces conditions d'exploitation bénéficie également du subventionnement indirect de l'ensemble de notre arsenal social et législatif, lequel permet d'être subventionné quasiment à 90% - voire à 100% - par la Confédération ou par l'Hospice général.

Nous estimons donc qu'il est nécessaire d'inscrire l'amendement proposé par Mme de Haller dans la loi. (Brouhaha.)C'est ce qu'a relevé M. Halpérin qui, sur le fond, ne s'oppose pas à ce que l'on respecte les conventions collectives, y compris dans le fonctionnement général de toutes les institutions.

Le président. S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs les députés, veuillez garder votre calme ! C'est naturellement de Mme Haller que parlait M. Pagani. La parole est à M. Rodrik.

M. Albert Rodrik (S). Je me tourne vers M. Unger: estime-t-il que l'Etat prend une responsabilité morale moindre lorsqu'il se contente de donner une autorisation d'exploitation que lorsqu'il subventionne un établissement ? D'expérience, il me semble qu'en cas de pépin la responsabilité encourue par un Etat qui autorise l'exploitation n'est guère moindre que celle qu'il prend en subventionnant, et vice-versa. C'est peut-être là que se situe le manque de subtilité dont nous pourrions faire preuve en ajoutant l'amendement proposé par Mme Haller, et je ne crois pas que les dispositions actuelles déséquilibrent cette loi.

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Nous avons très largement débattu de ce point en commission. Ce débat avait été conclu de manière que l'engagement moral de l'Etat soit absolument identique que ce dernier autorise l'exploitation ou qu'il octroie des subventions. L'engagement est en revanche d'une autre nature quand l'Etat incite, quand il autorise ou quand il paie. Il est bien normal qu'un distinguo soit fait dans son rôle de facilitateur et de stratège - rôle qui est tout de même celui que l'on attend de lui dans un certain nombre de situations - plutôt que lorsqu'il ordonne et agit. C'est la raison pour laquelle le chapitre actuel, sa découpe et le lieu dans lequel se trouvent les conditions du personnel sont clairement liés au subventionnement d'un établissement, et non à l'autorisation d'exploitation.

Le président. La parole n'étant plus demandée, je mets aux voix par vote électronique la proposition d'amendement de Mme Haller. Il s'agit d'ajouter à l'article 13 une lettre j), formulée ainsi: «affecter à l'encadrement et à l'accompagnement des personnes accueillies un personnel suffisant en nombre et en qualification, dont le statut et la rémunération sont conformes aux conventions collectives ou aux usages».

Mme Jocelyne Haller. Je demande l'appel nominal.

Le président. J'accède à votre demande, puisque vous êtes suivie par un certain nombre de députés.

Mis aux voix à l'appel nominal, cet amendement est rejeté par 49 non contre 35 oui et 1 abstention.

Appel nominal

Mis aux voix, l'article 13 est adopté.

Mis aux voix, l'article 14 est adopté, de même que les articles 14 à 41 (souligné).

Le président. Je mets maintenant aux voix le projet de loi en deuxième débat. (Vives protestations.)D'habitude, nous sautons cette étape, mais il s'agit en réalité de la procédure exacte !

Mise aux voix, la loi 8648 est adoptée en deuxième débat.

Troisième débat

La loi 8648 est adoptée article par article.

Mise aux voix, la loi 8648 est adoptée en troisième débat dans son ensemble à l'unanimité (85 oui). (Applaudissements soutenus.)

Le président. Nous remercions nos hôtes et nous les accueillons volontiers s'ils veulent suivre notre ordre du jour.

PL 8296-A
Rapport de la commission législative chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Michel Halpérin, Michel Balestra, Micheline Spoerri, Vérène Nicollier, Pierre-Louis Portier, Bernard Lescaze modifiant la loi instituant un conseil supérieur de la magistrature (E 2 20)
Rapport de M. Christian Luscher (L)
Projet: Mémorial 2000, p. 6075

Premier débat

M. Christian Luscher (L), rapporteur. Je souhaite simplement attirer l'attention du Grand Conseil sur le fait que le projet de loi 8296 ne peut se comprendre qu'analysé parallèlement au projet de loi 8297. Ce projet a par ailleurs fait l'objet d'un rapport fondé sur une unanimité de la commission, alors que le projet de loi 8297 fera, j'imagine, l'objet d'un débat plus poussé.

En un mot comme en cent, le projet de loi 8296 visait à renforcer les pouvoirs du conseil supérieur de la magistrature. Toutefois, au cours des travaux de la commission, les possibilités que nous voulions offrir aux magistrats n'ayant pas eu l'heur de plaire à ceux-ci, nous y avons partiellement renoncé. Le seul élément que nous avons conservé est l'article 10, alinéa 1, selon lequel chaque parti siégeant au Grand Conseil se voit offrir la possibilité d'être informé des sanctions rendues à l'encontre d'un magistrat appelé à changer de fonction au cours de sa carrière ou à être réélu à l'occasion d'une élection générale. Cet article a été toiletté puisqu'il était considéré, dans un premier temps, qu'un magistrat changeant de juridiction devait faire l'objet d'un rapport non pas au moment de ce changement, mais uniquement au moment de son élection. La commission s'est cependant émue qu'un magistrat instructeur qui avait été sanctionné publiquement - la FAO s'en étant fait l'écho - n'ait fait l'objet d'aucun rapport de la part du conseil supérieur de la magistrature. C'est pourquoi il a été décidé de modifier cet article 10, alinéa 1, de la loi instituant un conseil supérieur de la magistrature. L'amendement proposé a été voté à l'unanimité de la commission.

J'insiste une dernière fois sur le fait que ce résultat équivaut à l'accouchement par une montagne d'une souris. C'est sur le projet de loi 8297 que le débat aura véritablement lieu.

Mme Loly Bolay (S). Comme le rapporteur l'a dit, le projet de loi 8296 est un peu le jumeau du projet de loi 8297, puisqu'il a été déposé par les mêmes députés. Si la commission a été unanime concernant ce premier projet de loi, c'est que l'article 10, alinéa 1, de la loi actuelle E 2 20 instituant un conseil supérieur de la magistrature entretient une ambiguïté. C'est précisément cette ambiguïté que nous avons voulu lever. Selon la teneur actuelle de cet alinéa, chaque parti siégeant au Grand Conseil désigne un représentant que le président du conseil supérieur de la magistrature informe des actions rendues depuis la dernière élection; en d'autres termes, une élection efface une sanction antérieure. Nous nous devions de changer cette disposition, qui était à nos yeux inacceptable. La commission législative s'est longuement penchée sur ces deux projets de lois et a considéré que le conseil supérieur de la magistrature se doit de renseigner la commission inter-partis de toutes les sanctions prononcées, tout comme il se doit de faire un rapport non pas succinct, mais complet concernant la problématique des actions au tribunal. Comme l'a dit le rapporteur, nous déplorons le fait que des informations publiées dans la FAO ne soient pas inscrites dans le rapport envoyé chaque année au Grand Conseil par le conseil supérieur de la magistrature. La commission a été unanime quant au projet de loi tel qu'il est ressorti de ses travaux. C'est pourquoi je vous encourage à voter celui-ci.

La loi 8296 est adoptée en trois débats par article et dans son ensemble.

PL 8297-A
Rapport de la commission législative chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Michel Balestra, Michel Halpérin, Bernard Lescaze, Micheline Spoerri, Vérène Nicollier, Pierre-Louis Portier modifiant la loi sur l'organisation judiciaire (E 2 05)
Rapport de majorité de Mme Loly Bolay (S)
Rapport de minorité de M. Michel Halpérin (L)
Projet: Mémorial 2000, p. 6077

Premier débat

Mme Loly Bolay (S), rapporteuse de majorité. Tout d'abord, j'aimerais, au nom de la majorité de la commission législative, remercier les auteurs du projet de loi 8297, car même si nous avons refusé l'entrée en matière après moult auditions, nous reconnaissons que ce projet de loi a au moins eu le mérite d'ouvrir les débats sur le fonctionnement de la justice. Je dois dire que ce fut un débat assez passionnant.

J'aimerais maintenant vous exposer les raisons qui nous ont poussés à refuser cette entrée en matière. Tout d'abord, ce projet de loi est anticonstitutionnel. Il est contraire à l'article 132 de la constitution genevoise, qui stipule que les juges sont élus tous les six ans. Ensuite, par son article 60D, ce projet de loi est contraire à la loi sur la libre circulation des avocats.

Les auteurs de ce projet de loi disent, dans leur exposé des motifs, que les objectifs poursuivis par ce projet sont, d'une part, d'améliorer la qualité des prestations du pouvoir judiciaire. Pour ce faire, ils considèrent qu'une mise à l'épreuve pendant deux années probatoires est une des pistes à mettre sur pied. D'autre part, ils évoquent ensuite des mesures à prendre pour améliorer le recrutement. Ils considèrent que les juges doivent être meilleurs et veulent dans ce but introduire l'exigence de la pratique du Barreau de Genève.

Je l'ai dit tout à l'heure, ce projet de loi est anticonstitutionnel, contraire à l'article 132, ce qui signifie que l'élection ponctuée par une confirmation au bout de deux ans remettrait en question le choix du peuple et, par là, la légitimation du juge. De plus, cette mesure rendrait l'indépendance du juge très vulnérable. Cette mesure est contraire aux recommandations du Conseil des ministres de l'Europe sur l'indépendance du juge. Cette recommandation stipule que les principes d'irrévocabilité et d'inamovibilité doivent être garantis. Enfin, la teneur de l'article 62 est trop restrictive et contraire à la loi sur la libre circulation des avocats, qui stipule que les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne ou de l'Association européenne de libre-échange peuvent pratiquer la représentation en justice.

Enfin, ce même article est trop restrictif, car il mettrait en danger les filières aujourd'hui existantes, tels les greffiers-juristes du Palais ou du Tribunal fédéral, ou encore des hauts-fonctionnaires qui ne pourraient plus pratiquer. Il faut rappeler, comme cela nous a été dit en commission, qu'aujourd'hui 70% des magistrats ne répondraient pas aux critères imposés par le projet de loi 8297.

C'est pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, que la majorité de la commission législative a refusé l'entrée en matière du projet de loi 8297. Nous reviendrons peut-être tout à l'heure sur le fond de la question. Je vous remercie.

Présidence de M. Pascal Pétroz, premier vice-président

M. Michel Halpérin (L), rapporteur de minorité. Parce qu'elle est exquise et parce qu'elle est intellectuellement honnête, Mme Loly Bolay, notre collègue rapporteur de majorité, vous a expliqué avec une certaine modestie son triomphe à la commission législative, lorsqu'elle a obtenu qu'une majorité rejette le projet de loi qui lui avait été soumis. Quand je dis une majorité, je fais à mon tour preuve d'une très belle honnêteté intellectuelle, puisqu'en réalité le vote de refus d'entrée en matière était de quatre contre quatre, ce qui fait une majorité par la vertu du règlement du Grand Conseil, mais pas par celle de l'arithmétique.

Cela vous intéressera peut-être de savoir que le refus d'entrée en matière est l'oeuvre des socialistes, des Verts et de l'UDC réunis dans un même combat, contre quatre voix libérales, radicales et démocrates-chrétiennes. Les arguments pour lesquels ce projet a été refusé sont bien ceux qui vous ont été donnés par le rapporteur de majorité, c'est-à-dire une fixation sur le caractère prétendument inconstitutionnel de la proposition qui vous avait été faite. Elle aurait été inconstitutionnelle dans le fait que notre proposition de soumettre à validation, deux ans après sa nomination, l'élection d'un juge contredisait le sens clair de l'article 132 de la constitution, qui prévoit que les juges sont élus par le Conseil général pour six ans. Je pense qu'il y avait en effet un problème de constitutionnalité de la norme, mais pas nécessairement. On aurait pu trouver une formule, voire amender la constitution - ce qui nous arrive de temps en temps, quand nous pensons que le sujet le justifie.

La deuxième remarque, qui porte sur le caractère attentatoire à l'indépendance des magistrats d'une disposition par laquelle nous voulons qu'à chacune de leurs réélections, d'une façon ou d'une autre, avec ou sans période probatoire, nous puissions nous assurer qu'ils n'ont pas démérité dans l'exercice de leur fonction, est évidemment un peu plus problématique. Soutenir que des juges - comme on voudrait le comprendre à la lecture de la circulaire européenne - doivent être nécessairement inamovibles pour avoir l'indépendance nécessaire par rapport aux autres pouvoirs, pose un vrai problème ! C'est vrai que des juges qui, comme en France par exemple, sont désignés par le pouvoir politique, n'ont pas toujours ou pas tous les jours l'indépendance souhaitable vis-à-vis de ce pouvoir politique. De la même manière, on peut se demander si des juges, qui sont en réalité - comme c'est le cas chez nous - élus par le Grand Conseil, ont toute l'indépendance voulue par rapport au législatif, même si notre constitution veut, en théorie, que le pouvoir législatif ne représente dans ce contexte-là qu'une délégation du souverain qui élit les juges dans une stricte application de la séparation des pouvoirs. Mais enfin, nous avons un système à l'intérieur duquel nous voulons que de loin en loin, ceux qu'on réélit - quel que soit l'électeur - soient réélus en connaissance de cause ! C'est vrai des politiques, et il n'y a pas de raison que ce ne le soit pas du pouvoir judiciaire. Par conséquent, il faut que ceux qui élisent ou qui réélisent aient connaissance du parcours de ceux qu'ils élisent ou réélisent.

A partir de ce moment-là, le problème de l'indépendance est posé de toute manière. Et puisqu'il est posé de toute manière, nous avons essayé, nous les auteurs du projet, de le faire de telle sorte que soit renforcé le pouvoir judiciaire dans son autonomie, au détriment des pouvoirs politiques. L'un des objectifs du projet de loi précédent - le 8296, qui vous a été rapporté par le député Luscher - était de renforcer la position du Palais de justice, donc du conseil supérieur de la magistrature, dans le mode d'élection ou de réélection. Or, nous avons vu que ce système a été finalement abandonné, d'une part, parce que le conseil de la magistrature ne souhaitait pas voir ses tâches s'alourdir par l'examen attentif et circonstancié du parcours de chacun des membres du Palais, et, d'autre part, parce que les magistrats ne désiraient pas que cette espèce d'examen attentif se produise à leur détriment. De même, il est vrai que nous ne sommes en réalité pas plus scrutés par nos électeurs lorsqu'ils nous élisent: ils le font sur nos apparences, c'est-à-dire, peut-être, sur la réalité telle que nous voulons la montrer.

Quoi qu'il en soit, ce projet a été rejeté pour ces motifs. Je ne vous cache pas que les auteurs du projet en sont déçus, non pas parce que l'échec les frustre - ça, c'est notre lot habituel - mais parce que le projet qui vous était soumis ne visait pas à régler une fois pour toute et d'une seule manière le problème du bon fonctionnement de la magistrature. Notre ambition était d'ouvrir la discussion. Et nous l'avons dit ici même en préconsultation, puis en commission, puis aux différents représentants du pouvoir judiciaire que nous avons auditionnés. Certes, les problèmes qui nous sont présentés comme relevant du Palais de justice sont nombreux: on nous dit qu'il est difficile de trouver des candidats à cette vocation; on dit que les vexations que nous, pouvoir législatif, avons infligées régulièrement au pouvoir judiciaire entraînent des départs prématurés à la retraite; on nous explique que la magistrature n'est pas très heureuse de son statut. Et nous sommes tous témoins que le public n'est pas très heureux de sa magistrature, qu'il trouve parfois trop lente, parfois trop superficielle. Et donc, nous avons essayé d'ouvrir le débat en nous demandant comment recruter de meilleurs juges, plus compétents, plus expérimentés, plus formés aux habitudes du Palais de justice. Comment assurer un suivi de leur formation qui soit satisfaisant ? Comment assurer une procédure de réélection qui convienne à tous ? C'étaient des propositions. Elles ont déplu, mais nous étions prêts à en examiner d'autres ! Nous avons même - figurez-vous ! - poussé l'outrecuidance jusqu'à inviter les magistrats du pouvoir judiciaire à nous dire si modifier les conditions cadres de fonctionnement - en transformant l'élection en cooptation par exemple, comme en Angleterre - ou revoir leurs conditions de traitement seraient de nature à susciter des motivations nouvelles. A notre grande surprise, la seule proposition qui nous ait été faite à ce jour consistait à assurer une formation comme à l'école, c'est-à-dire comme aux maîtres d'école: ceux qui feraient de la formation supplémentaire devraient bénéficier des conditions de congés supplémentaires que cela accompagnerait. Cela était pour le moins inattendu, venant de magistrats.

Bref, la déception a été générale et universelle. Il n'était pas étonnant, dans ces conditions, que le projet soit rejeté. Seulement, rejeter le projet signifie qu'on se satisfait de la situation telle qu'elle est - ce qui n'est pas mon cas. Raison pour laquelle je conclus, Mesdames et Messieurs, en vous proposant, au bénéfice de ce match nul arithmétique - même si le charme de Mme Bolay l'emporte définitivement sur le mien - de renvoyer ce projet 8297 à la commission législative.

M. Christian Bavarel (Ve). Je voulais revenir sur le fond de ce projet de loi. Dans notre système démocratique, nous avons - comme tout le monde le sait - ces trois pouvoirs que sont l'exécutif, le législatif et le judiciaire, celui-ci se devant d'être indépendant des deux autres. Comme nous l'a dit M. Halpérin tout à l'heure, il existe différents modes de désignation des juges: la cooptation, pratiquée en Angleterre, comporte un risque bien évident de voir plusieurs avocats sortis d'un même moule, issus d'un même lieu, atteindre la magistrature; la nomination, tel qu'elle est pratiquée en France, peut entraîner un manque d'indépendance des juges, liés à l'exécutif. En Suisse - à Genève - notre mode d'élection comporte aussi des risques, puisque les juges sont obligés de faire des campagnes électorales, et qu'il y a là un risque de dérive populiste. Nous nous sommes prémunis contre ce risque en faisant fonctionner les partis politiques, qui présentent des candidats. Une majorité de ces élections se fait effectivement tacitement, mais en cas de conflit, le peuple peut trancher.

Nous sommes donc bel et bien sur un projet de loi qui pose la question du contrôle des juges et de l'amélioration de la magistrature. Toutes les décisions des juges peuvent faire l'objet d'un recours. Il y a donc toujours une instance supérieure qui peut casser une décision et, de plus, tous les six ans, les postes de juges sont remis sur la sellette, puisque de nouvelles élections générales sont organisées.

Ce projet de loi propose un temps d'essai de deux ans pour les juges qui, jusqu'à présent, étaient élus par le peuple. Au bout de deux ans, le Grand Conseil déciderait de faire quelque chose de différent de ce qu'a décidé le peuple. C'est là la première chose qui nous a semblé extrêmement surprenante et pas tout à fait admissible. De plus, on exige dans ce projet que l'avocat ait une expérience de trois ans au Barreau de Genève, ce qui exclut ceux qui auraient eu d'autres expériences, que ce soit dans le milieu bancaire, dans l'administration ou dans d'autres endroits qui pourraient leur permettre d'acquérir cette expérience nécessaire au juge pour pratiquer sa fonction.

Si nous sommes très contents que les auteurs du projet nous aient donné l'occasion d'auditionner passablement de gens du pouvoir judiciaire et d'ouvrir la discussion, nous tenons cependant à leur dire que, s'ils veulent rédiger un projet de loi qui soit plus ouvert, qui soit plus consensuel, nous serons prêts à discuter avec eux, mais ailleurs qu'à la commission législative. Nous nous réunirons autour d'une table, à un autre endroit, et nous pourrons très bien rédiger quelque chose de plus consensuel, quelque chose qui convienne mieux. Mais ce projet de loi est, comme je vous l'ai expliqué précédemment, non acceptable. C'est pourquoi nous vous demandons de refuser l'entrée en matière.

Présidence de M. Bernard Lescaze, président

M. Jacques Pagan (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, je dois vous dire que si je me suis opposé à ce projet de loi et si j'en ai refusé l'entrée en matière, ce n'est pas véritablement pour les raisons indiquées tout à l'heure par Mme Loly Bolay. En fait, en cours de discussion, nous nous sommes aperçus que, dans le fond, sur la base de ce projet de loi qui visait la modification de deux articles spécifiques de la loi d'organisation judiciaire, il s'agissait en réalité de revoir l'ensemble du fonctionnement de la justice. Quelle tâche immense à accomplir ! Je m'excuse, mais il m'est apparu que les articles 60D et 60E de la loi sur l'organisation judiciaire n'étaient pas nécessairement un bon prétexte pour procéder de la sorte.

Je crois qu'il faut être sérieux: ce n'est pas parce qu'on m'offre un kit avec un boulon et un écrou que je suis à même de reconstruire la Tour Eiffel. C'est un peu la tâche à laquelle Me Halpérin nous a demandé de nous livrer. Or, on ne peut pas partir ainsi d'un texte pareillement précis, limité: dans ces conditions-là, les débats en commission vont se perdre, on va interviewer de nombreuses personnes, mais on ne sera pas d'accord sur la finalité de notre démarche. C'est pour cela qu'il m'est apparu que ce projet était en réalité mort-né, qu'il valait mieux le reprendre depuis le début et qu'il y ait une concertation au sein des partis de l'Entente - éventuellement avec l'UDC, puisqu'on nous accepte. Je crois cependant que l'ambition de Me Halpérin est tout à fait légitime, c'est pourquoi je peux difficilement accepter ses critiques tendant à dire que les propositions qu'il a émises ont déplu. Ce n'est pas le cas. C'était le mode de procéder qui ne jouait pas.

Maître Halpérin, je suis d'accord de remettre l'ouvrage sur le métier. Pour ma part, je suis d'avis qu'il faut d'ores et déjà repenser l'élaboration d'un texte qui envisage toute la problématique du fonctionnement de la justice. Nous avons déjà pu obtenir certains renseignements des magistrats, avocats et autres représentants de la justice que nous avons interrogés. Renvoyer ce projet en commission, recevoir le texte et puis se demander ce qu'on pourrait bien faire me semble être une mauvaise démarche. Mieux vaut réfléchir dès maintenant à la chose, sérieusement, établir les points de convergences, et envoyer le nouveau projet de loi ainsi établi en commission. Cela permettra alors une discussion et une élaboration beaucoup plus sûres que de partir sur ces deux dispositions. C'est à mon avis une ossature trop faible pour construire un squelette entier.

Le président. Monsieur le député, j'avoue n'avoir pas très bien compris si vous vouliez vraiment le renvoi en commission. Nous n'allons pas établir des principes généraux maintenant. Etes-vous pour ou contre le renvoi en commission ? (Remarques.)

Très bien, je vois que vous êtes même d'accord entre vous... Une chose me rassure, c'est que je n'étais pas le seul à ne pas avoir tout à fait bien compris. Monsieur Pagan, précisez.

M. Jacques Pagan. En l'état, la question n'a pas été soulevée, semble-t-il. En ce qui concerne le renvoi en commission, à mon avis, non ! Je vous l'ai dit: il y a un travail préalable d'étude à fournir, d'entente entre les partis concernés. Ce travail est absolument indispensable pour qu'au moins les travaux en commission puissent se faire rapidement. Mais il faudra un nouveau projet de loi, c'est ce que je me tue à vous expliquer !

Le président. Bien ! Vous êtes donc pour la non-entrée en matière. La parole est à M. le député Sommaruga.

M. Carlo Sommaruga (S). Je crois que tous les intervenants ont, à ce stade, exprimé qu'ils partageaient les deux objectifs de ce projet de loi, à savoir, d'une part, l'amélioration du fonctionnement de la justice et, d'autre part, l'amélioration de la qualité du recrutement des juges. Il y a effectivement unanimité sur ces préoccupations, et je pense qu'il ne s'agit pas d'une réflexion propre à l'Entente et à l'UDC, mais d'une réflexion générale qui concerne l'ensemble des groupes qui composent ce parlement.

La divergence existe uniquement sur les moyens. Après avoir entendu nombre de personnes en commission, la majorité - certes, non pas au niveau des votes, mais la majorité politique, qui est celle de ce soir - a jugé opportun de ne pas entrer en matière sur le type de moyens.

Avant de revenir sur les moyens proposés par ce projet de loi, je rappelle que ce dernier projet a été contesté par l'association des magistrats, qui a estimé qu'il n'y avait pas adéquation avec les objectifs. Il a été contesté par l'Ordre des avocats, qui a indiqué que ce n'était pas adapté. Il a été contesté par l'Association des juristes progressistes, qui a généralement des positions politiques et idéologiques divergentes de celles de l'Ordre des avocats, mais qui a eu là une position semblable. Et puis, il y a eu un professeur, issu de l'université, qui est venu exprimer aussi ses réticences à l'égard de ce projet de loi. En d'autres termes - et il faut le relever - il y a eu une unanimité des critiques sur les moyens proposés.

Le moyen proposé au niveau du recrutement est de limiter celui-ci aux avocats, avec quelques exceptions dont les professeurs d'université ou autres. Or, on sait qu'aujourd'hui les juristes qui peuvent accéder à la fonction de magistrats peuvent venir d'horizons différents, et non seulement de la profession d'avocat. Je crois que nous ne pouvons pas nous payer le luxe de nous fermer à ces autres filières professionnelles. Il ne s'agit pas de favoriser ou non la profession d'avocat ou l'avocature dans l'accession à la justice - ce n'est pas mon propos de critiquer le projet de loi sous cet angle. Mon intention est simplement de dire que nous pouvons trouver des femmes et des hommes de qualité pouvant assumer les fonctions de juge dans d'autres professions que celle d'avocat, pour autant que ces personnes aient eu une formation d'avocat au départ. Je tiens à souligner qu'un effort particulier est fait ici par la commission juridique interpartis, qui est celle qui procède aujourd'hui à une sélection des candidats dans chaque parti et retient finalement ceux et celles qui ont les compétences pour assumer cette fonction. Je crois donc qu'il y a là un système qui fonctionne, et ce n'est pas en rétrécissant les filières qu'on améliorera la situation.

Par ailleurs, en ce qui concerne les juges élus, il m'apparaît extrêmement difficile - et ce fut un élément moteur dans l'opposition de tous ceux qui ont été entendus - d'introduire un système de révocation. Je pense que les députés favorables à l'introduction d'un système de révocation devraient d'abord le proposer pour eux-mêmes, c'est-à-dire pour le pouvoir législatif, afin qu'on puisse procéder à une révocation si l'on estime que l'un ou l'autre député n'est pas à la hauteur. Vous verrez à ce moment-là que l'exercice est extrêmement difficile et peut relever non plus d'une appréciation de compétences, mais d'un choix politique et d'arbitraire. Le problème est là ! Et c'est pour cela que ce système n'est pas voulu et qu'on n'en veut pas dans le cadre de la magistrature. Par ailleurs, il faut savoir que les juges qui seraient élus à titre provisoire seraient des juges de deuxième catégorie, voire des juges sous surveillance et sous pression, qui perdraient l'indépendance que l'on veut justement leur garantir dans le cadre de cette proposition.

Dès lors, je pense qu'il convient de retenir les objectifs du projet de loi, mais d'oublier le projet lui-même et d'essayer de revenir, dans le cadre d'autres projets de lois qui sont déjà pendants en commission législative, sur une réflexion visant à l'amélioration du fonctionnement de la justice. Nous pourrions même élaborer, dans le cadre de rencontres préalables entre les groupes politiques, un texte de loi qui puisse aboutir sur de meilleures prestations aux usagers, c'est-à-dire aux justiciables, texte qui rencontre d'ores et déjà un certain assentiment au Palais de justice. Le parti socialiste n'entrera donc pas ce soir en matière sur ce projet de loi, mais retient par contre les objectifs de cette loi pour les aborder à d'autres moments, dans d'autres projets de lois.

M. Pascal Pétroz (PDC). Le parti démocrate-chrétien s'associe aux préoccupations de tous les groupes politiques au sujet du bon fonctionnement de la justice. S'agissant du projet de loi que nous avons à examiner ce soir, le parti démocrate-chrétien n'est pour le moins pas enthousiaste. Prévoir une espèce de période d'essai de deux ans ne nous paraît pas souhaitable. C'est selon nous une mauvaise mesure, qui pourrait être interprétée comme signifiant qu'il faut bien travailler pendant deux ans et qu'on peut se permettre ensuite de moins bien travailler. Le message doit être clair: nous attendons de nos magistrats qu'ils travaillent bien toute leur carrière, et non pas seulement deux ans. C'est ce qu'ils font jusqu'à présent, et je crois que nous pouvons les en remercier. Nous ne sommes donc pas enthousiastes envers le projet de loi tel qu'il vous est soumis ce soir.

Cela étant dit, dans le cadre des auditions faites par la commission législative, nous avons notamment entendu l'association des magistrats, venue avec toute une série de propositions d'amendements. «Réformette», diront certains, «proposition consensuelle et volonté d'ouverture», diront d'autres. Toujours est-il que ces propositions faites par les magistrats auraient parfaitement pu être intégrées dans ce projet de loi. En d'autres termes, selon nous, nous aurions dû voter l'entrée en matière de ce projet de loi en commission législative, pour ensuite poursuivre nos débats sur les amendements proposés par les magistrats. Mais nous ne l'avons pas fait, car la majorité - mathématique ou non - a décidé de ne pas voter cette entrée en matière, et c'est regrettable. Car que se passe-t-il maintenant ? Les amendements des juges et de l'association des magistrats ont été intégrés dans un nouveau projet de loi qui est le 8972, au point 84 de notre ordre du jour.

Mesdames et Messieurs les députés, vous savez que, à la vitesse où nos travaux se déroulent, le point 84 sera traité dans environ six mois. Si nous voulons réfléchir rapidement au fonctionnement de notre justice, essayer de l'améliorer et évoquer avec sérénité les amendements des magistrats, il convient de renvoyer ce projet en commission législative tout de suite, et ne pas attendre six mois avant de renvoyer le projet de loi 8972. C'est la raison pour laquelle, pour des motifs de pur bon sens et de logique, le groupe démocrate-chrétien vous recommande de renvoyer ce projet de loi en commission législative.

Le président. Le renvoi en commission étant formellement demandé, seule une personne par parti s'exprimera et exclusivement sur cette question. La parole est à M. le député Hiltpold.

M. Hugues Hiltpold (R). Le groupe radical a cédé au charme de la verve du rapporteur de minorité et soutiendra le renvoi en commission tel que proposé, car nous estimons que le sujet est d'importance et mérite un examen approfondi.

M. Christian Luscher (L). Monsieur le président, j'aimerais tout d'abord vous faire respectueusement remarquer que M. Halpérin a déjà, lors de son intervention de tout à l'heure, demandé formellement le renvoi en commission. Cela étant, c'est bien dans ce cadre...

Le président. Je n'étais malheureusement pas dans la salle à ce moment-là et mon vice-président ne me l'a pas signalé. (Huées.)Lorsqu'on a posé la question à M. Pagan, il ne savait pas. Il aurait suffi à ce moment-là de me dire que le renvoi avait été demandé.

M. Christian Luscher. Il y a quelques semaines, vous m'aviez fait le reproche, Monsieur le président, de ne pas être présent sous prétexte que je préférais aller gagner ma vie. Je ne vous retournerai pas ce reproche.

Cela étant, c'est bien dans le cadre tracé du renvoi en commission que mon intervention se fera. Si ce projet se retrouve aujourd'hui devant ce Grand Conseil avec un refus d'entrée en matière, c'est tout simplement de ma faute. En effet, alors que je venais d'être élu député, peu rompu encore aux affaires législatives, j'ai demandé un vote formel sur l'entrée en matière à un moment où j'aurais mieux fait de compter sur mes doigts. Si je ne l'avais pas demandé, nous serions encore en train de discuter en législative. C'est la raison pour laquelle je voulais intervenir. Si ce projet est ici aujourd'hui, c'est de ma faute, parce que j'ai mal compté. Certains en ont profité ce jour-là, puis, étouffés par la honte, ils ont essayé de réparer l'abus qu'ils avaient fait de ma naïveté en présentant un autre projet de loi. Or celui-ci se trouve, comme l'a dit M. Pétroz, bien plus loin dans l'ordre du jour et, dans le meilleur des cas, ne sera analysé en préconsultation qu'en octobre ou en novembre, voire même en décembre. De toute évidence, un certain nombre de mois seraient perdus.

J'aimerais juste rappeler à ce Grand Conseil que cet après-midi, lors de la séance «verte», a été voté un projet de loi - le projet de loi 8433 - qui avait été présenté par l'Alliance de gauche et analysé en commission judiciaire. Il s'agissait d'améliorer l'accès à la justice à la partie la plus faible. Pour ce projet de loi également, nous avions entendu des magistrats qui s'étaient montrés très peu enthousiastes, et nous avions finalement tous considéré que ce projet de loi n'était pas adéquat et ne répondait pas aux problèmes légitimes qu'avait soulevés l'Alliance de gauche - et je le dis sans aucun partisanisme.

La commission judiciaire, unanime, a néanmoins considéré que ce projet de loi qui portait sur la loi de procédure civile était une excellente occasion de faire un toilettage de cette même loi. Nous avons alors fait un certain nombre d'amendements, amenés par la commission, nous avons entendu les juges sur ces amendements, et nous avons fini par proposer à ce Grand Conseil un projet de loi entièrement remanié, qui a été voté cet après-midi à l'unanimité. Il faisait en tout cas l'objet d'un rapport unanime de la commission judiciaire, alors même que pas une seule des dispositions du projet initial n'avait été retenue.

Je pense que nous aurions dû faire exactement la même chose dans le cadre de ce projet de loi qui - je le répète - se trouve ici par ma simple faute. Or, je constate, à entendre tout le monde dans ce parlement, que nous avons tous le même objectif: nous voulons tous une justice de qualité, nous avons tous envie d'en discuter en commission législative - qui est une commission qui, en général, travaille dans la sérénité et dans l'unanimité - et nous avons tous envie de trouver une solution pour améliorer le fonctionnement de la justice. C'est la raison pour laquelle je demande à tout le monde - j'allais dire: si vous ne le faites par pour le parlement, faites-le pour moi ! (Rires.)- de me faire l'amitié de voter ce renvoi en commission, pour laver l'erreur que j'ai commise il y a environ une année.

Le président. Je vous rappelle que nous devrions avoir fini bientôt le tour des partis sur le renvoi en commission, puisque M. Halpérin l'avait demandé précédemment. Il n'y a pas encore eu d'orateur socialiste à ce sujet. Monsieur Sommaruga, je vous cède la parole, sur la question du renvoi en commission exclusivement.

M. Carlo Sommaruga (S). Je pense que s'il faut laver un péché, il faut le faire d'abord pour soi-même, Monsieur Luscher. Ce n'est donc pas ce soir que nous viendrons à votre aide, mais à d'autres occasions peut-être. Cela dit, je pense que ce projet de loi a fait l'objet d'une discussion approfondie, des auditions nécessaires, et qu'il a montré ses limites dans le fait qu'il n'a pas trouvé d'écho favorable auprès de l'ensemble des institutions concernées. La chose est claire.

Il ne sert à rien de renvoyer ce projet de loi en commission pour entendre la même chose et finalement aboutir à quelque chose de totalement différent. Nous avons, à l'ordre du jour d'aujourd'hui, un projet de loi qui a intégré les éléments de la discussion qui eut lieu en commission législative. Il ne tient qu'à l'ensemble des groupes politiques de renvoyer, sans débat, ce projet de loi en commission. Les libéraux pourraient le faire en premier. De cette manière-là, comme le veulent le pouvoir judiciaire et l'ensemble des intervenants, nous pourrons traiter cette question rapidement, résoudre une situation à la satisfaction de tout le monde, et répondre aux aspirations de l'ensemble des groupes au sujet du recrutement et de l'amélioration du fonctionnement de la justice.

Il n'y a donc aucune raison aujourd'hui de renvoyer le projet 8297 en commission: cela n'accélérera rien. L'honnêteté intellectuelle veut par contre que l'on renvoie le plus rapidement possible en commission le projet de loi qui se trouve au point 84 de notre ordre du jour, pour qu'on puisse aussitôt commencer à travailler sérieusement sur un projet qui, certes, pourra être encore amélioré, mais qui constitue un élément de solution essentiel à notre problème.

Dans ces conditions, le groupe socialiste ne vote pas le renvoi en commission, mais suggère que, dans le cadre des rencontres de chefs de groupe et du Bureau, on se mette d'accord pour le renvoi immédiat de l'autre projet de loi en commission.

Le président. Il faudra d'abord faire un sort à celui-là, Monsieur le député. La parole est à M. Bavarel.

M. Christian Bavarel (Ve). Je suis surpris de la proposition de renvoi en commission, étant donné que tout le monde est d'accord pour dire que ce projet de loi pose de grandes difficultés et semble ne convenir à personne en l'état. Quand on a un mauvais projet de loi et que tout le monde l'admet, il n'y a pas à entrer en matière, et si on veut faire un autre projet de loi, on le rédige ! J'ai vraiment l'impression d'enfoncer une porte ouverte...

Cela me semble être extrêmement simple au niveau de la procédure: un autre projet de loi nous est proposé, qui devra être traité en commission législative, alors que le projet de loi 8297 que nous sommes en train d'étudier n'est pas satisfaisant. Nous ne sommes pas entrés en matière en commission, et nous vous proposons ici de faire exactement la même chose. Ce n'est pas beaucoup plus compliqué que cela. Pour traiter la suite des projets, nous aurons tout le temps de nous mettre d'accord autour d'une table. Ne partons pas sur une base boiteuse, mais plutôt sur une base solide: étudions un projet de loi qui jouit au moins d'un consensus assez large, plutôt que de repartir avec un projet dont on sait d'avance qu'il n'aboutira pas.

Le président. Je vous rappelle que si le renvoi en commission est refusé, nous mettrons aux voix l'entrée en matière. Celle-ci peut aussi être refusée, et nous aurons alors une partie de la solution. (Le député Pagan réclame la parole.) Monsieur Pagan, vous avez déjà parlé tout à l'heure au nom de l'UDC, pour dire d'ailleurs que vous n'étiez pas favorable au renvoi en commission. Le dernier orateur par parti est M. Pagani, qui renonce. En conséquence, je mets aux voix par vote électronique le renvoi en commission du projet de loi 8297-A. Je le fais par vote électronique pour que les gens regagnent leur place et qu'il y ait un semblant de discipline avant notre pause. Le vote est lancé.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer ce projet de loi à la commission législative est rejetée par 37 non contre 36 oui et 3 abstentions.

Le président. Je mets aux voix, toujours par vote électronique, la prise en considération et l'entrée en matière sur ce projet de loi. (Egalité des voix au vote électronique.)

Le président. Il y a égalité des votes. Je me prononce contre ce projet de loi. Cette proposition est rejetée et le projet abandonné.

Le projet de loi 8297 est donc rejeté.

Le président. J'ai du mérite, car j'étais signataire du projet ! (Applaudissements.)Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons nos travaux à 20h30.

La séance est levée à 18h55.