Séance du
samedi 10 mai 2003 à
8h30
55e
législature -
2e
année -
8e
session -
43e
séance
Séance extraordinaire sur le G8
La séance est ouverte à 8h30, sous la présidence de M. Bernard Lescaze, président.
Assistent à la séance: Mmes et MM. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat, Robert Cramer, Martine Brunschwig Graf, Micheline Spoerri, Pierre-François Unger et Charles Beer, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Thierry Apothéloz, Caroline Bartl, Alain Charbonnier, Hubert Dethurens, Antoine Droin, Mariane Grobet-Wellner, André Hediger, Robert Iselin, René Koechlin, Pierre Kunz, Christian Luscher, Alain-Dominique Mauris, Alain Meylan, Jean-Marc Odier, Jacqueline Pla, Maria Roth-Bernasconi et Ivan Slatkine, députés.
Nous examinerons en premier lieu le projet de loi 8995, puis les motions 1535 et 1542 et, enfin, la résolution 472.
Je dois vous annoncer que les chaînes de télévision et les photographes ont été autorisés à opérer depuis la salle entre 8h30 et 9h30. Ceci sous condition qu'il n'y ait pas de dérapages verbaux. (Rires.)Autrement dit, la dignité de cette séance est essentiellement de votre responsabilité. Je n'hésiterai pas à suspendre la séance en cas de besoin. Je rappelle qu'il n'y a pas de discussion sur une communication du président du Grand Conseil conformément à notre règlement.
Je vous indique en outre que les huissiers vous distribuent en ce moment un document du Conseil d'Etat sur l'état des lieux des préparatifs genevois.
Préconsultation
M. Rémy Pagani (AdG). Je voulais intervenir au sujet de notre ordre du jour. Je n'entends pas m'exprimer maintenant sur le projet de loi. Une fois de plus, Monsieur le président, vous ne m'avez pas donné la parole au moment où je la demandais, ce que je regrette fort.
Je trouve pour ma part que votre décision au sujet de la présence de la presse dans la salle entre 8h30 et 9h30 est une de ces décisions qui visent à faire monter la tension. Je n'ai pas de problème à laisser la presse faire ce qu'elle souhaite. De toute manière, les télévisions peuvent obtenir des images par Léman Bleu. Je demande donc que cette mesure qui consiste à priver la presse du droit d'exercer sa profession soit remise en discussion. (Applaudissements.)
Le président. Monsieur le député Pagani, il y a eu une longue discussion durant la séance du Bureau et des chefs de groupe. Après quoi une décision a été prise sur laquelle nous ne reviendrons pas.
M. Jean Spielmann. Nous demandons que cela soit mis aux voix, Monsieur.
Le président. Non, cela ne peut pas être mis aux voix. La parole est à M. le député Follonier.
M. Jacques Follonier (R). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi du Conseil d'Etat montre bien les limites de nos compétences en matière de grandes manifestations populaires. L'exposé des motifs nous informe que l'évaluation des dépenses a été faite sur la base de l'expérience acquise dans le cadre de l'organisation de conférences, de sommets et de réunions à caractère international. Il y a lieu de se poser des questions et de s'inquiéter. En effet, nous n'avons jamais eu à gérer dans notre canton une manifestation d'une telle ampleur que celle annoncée dans le cadre du G8. Evaluer les dépenses sur la base de gentilles manifestations estudiantines ou syndicalistes montre à quel point cette manifestation a été sous-estimée par nos autorités.
S'il est de fait que nous devons garantir le déplacement des autorités étrangères séjournant sur notre territoire et que nous ne remettrons pas en question cette obligation, il relève de l'illusion pure et simple de croire que des autorités étrangères séjourneront sur notre territoire pendant cette période. Les autorités concernées par le G8 seront à Evian. Quant aux autres, hormis un bref passage à l'aéroport, elles se retrouveront rapidement, soit par hélicoptère soit par la route, dans leur consulat ou ambassade respective. J'ose espérer qu'elles ne mettront pas à profit ces quelques jours pour faire du shopping ou visiter notre belle ville.
Gouverner c'est prévoir. Facile à dire ! mais dans ce cas notre gouvernement a peut-être manqué de clairvoyance. A entendre le président du Conseil d'Etat parler aux Vieux Grenadiers, on ne peut que se sentir fier d'être citoyen de ce canton. En effet, lorsque M. Moutinot assure qu'il faut respecter la liberté de manifester et qu'il assurera l'ordre public, on ne peut que le féliciter d'une telle assurance. Une chose cependant est certaine: à la fin des manifestations, le gouvernement devra rendre des comptes à la population genevoise. J'espère qu'au vu des risques importants les autorités de notre canton auront contracté une excellente assurance risque.
J'aimerais souligner encore que ce projet de loi arrive bien tard. Le G8 est prévu depuis de nombreux mois. Ce réveil tardif ne laisse pas augurer des lendemains aussi sereins qu'on veut bien nous le faire croire.
En dernier lieu, il semble tout à fait étrange qu'aucune demande d'autorisation de manifester n'ait été déposée par les initiants pour cette joyeuse promenade. Sans autorisation, cette manifestation gardera un caractère illégal.
Compte-tenu de tous ces paradoxes, je vous demande, au nom du groupe radical, de renvoyer ce projet de loi en commission où, comme tout sera joué lorsque nous l'examinerons, nous pourrons tirer les enseignements de ces fameuses évaluations.
M. Jacques Pagan (UDC). S'agissant du PL 8995, l'UDC soutient la proposition du parti radical qui consiste à renvoyer le projet en commission. Nous aurons l'occasion, lorsque nous les examinerons tout à l'heure, de faire une déclaration générale sur l'ensemble des textes proposés par la gauche.
M. Blaise Matthey (L). Le groupe libéral réservera un accueil favorable à ce projet de loi. Il faut en effet que les dépenses engendrées par les mesures de sécurité relatives au G8 soient couvertes. Procéder autrement serait faire preuve d'impéritie. Or, c'est précisément ce que ne veulent pas les organisateurs des manifestations, si j'en crois du moins ce que j'ai pu lire dans la presse ou sur Internet.
Toutefois, les montants permettant de couvrir les dépenses relatives à la sécurité ne sont pas les seuls à devoir être examinés. Il faudra aussi se pencher sur les éventuels dégâts et pertes de chiffre d'affaire des entreprises. Celles-ci, Mesdames et Messieurs, sont inquiètes, sans pour autant tomber dans un pessimisme excessif. Il n'y aurait en effet aucune raison que nous votions un crédit extraordinaire pour des mesures de sécurités, que nous assumions en outre des frais liés à l'hébergement et que nous refusions d'indemniser ceux qui seront directement touchés par les manifestations.
Il n'y aurait pas davantage de logique à demander aux commerçants de laisser leurs commerces ouverts - ce que les futurs manifestants réclament d'ailleurs - afin de ne pas donner l'impression que Genève va cesser de vivre en raison du G8 et les contraindre, dans le même temps, à supporter financièrement d'éventuels dégâts dus précisément au fait qu'ils sont demeurés ouverts.
L'action du canton de Genève ne devrait être conçue en ce domaine que de manière subsidiaire à celle des assurances privées et publiques, ainsi qu'à l'action de la Confédération qui, sur ce sujet, fait preuve d'un mutisme inquiétant. Il appartient bien entendu aux entreprises, ne serait-ce que pour préserver le cadre de travail de leurs employés, de prendre les mesures qu'elles jugeront adéquates en fonction de leurs activités et de leur situation. Elles sont d'ailleurs nombreuses à l'avoir déjà fait et à supporter le fardeau financier qu'impliquent ces mesures. Elles le font dans leur intérêt et dans celui de leurs employés qui ont le droit de travailler avant, pendant et après le G8, un droit au moins aussi important que celui de manifester.
A l'impossible nul n'est tenu. S'il y a des dégâts que l'on ne peut éviter raisonnablement, ou une période d'inactivité forcée, les entreprises doivent recevoir l'assurance que les dommages feront l'objet d'un examen en commission en vue de leur couverture. Le groupe libéral votera donc le renvoi en commission du PL 8995 en demandant à la commission des finances d'examiner, une fois les manifestations terminées, l'ensemble des besoins financiers en découlant, y inclus les dommages et pertes subies par les entreprises qui n'auraient pas été couvertes. (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (AdG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi de dire en premier mon étonnement face au bouleversement de l'ordre du jour qui fait que nous examinons en premier ce projet de loi qui concerne le financement des frais de police engendrés par ce sommet du G8, et exclusivement cet aspect-là des choses, l'aspect sécuritaire. Il y a évidemment un contexte général que quelques-uns de mes préopinants ont évoqué et par rapport auquel il est évidemment indispensable d'avoir un débat général pour savoir quelle politique notre collectivité entend mener. Allons-nous suivre les boutefeux et les provocateurs qui entendent interdire cette manifestation démocratique prévue pour protester contre le sommet du G8. Ce sont en effet ceux-là qui cherchent à faire basculer dans une prétentue «illégalité» les dizaines de milliers de syndicalistes, de militants altermondialistes qui viendront à Genève pour protester légitimement contre ce sommet illégitime. Car il faut redire ici que ce sommet rassemble des gens sur la base de la puissance de leurs Etats et de leurs armées, sur la base de la violence dont ils ont fait preuve par exemple dans la récente guerre contre l'Irak. Ce sont les George Bush et compagnie qui ont du sang sur les mains. Allons-nous saluer ce sommet et considérer que ceux qui veulent s'y opposer seraient par essence des provocateurs et des gens qu'il s'agit de mater par l'exercice de la violence d'Etat, de la violence policière ? Ou allons-nous avoir une politique d'accueil dans cette ville pour les gens qui viennent exercer un droit démocratique essentiel, que nous devrions défendre jusqu'au bout, des gens qui viennent soutenir quelque chose dont Genève est fière: les organisations internationales, l'ONU, la possibilité de régler les différends internationaux de manière pacifique et en vertu du droit international, les Conventions de Genève, toutes choses dont nous sommes fiers ? C'est cela aussi que les manifestants vont défendre contre le droit du plus fort qui incarne le G8.
Ces questions-là, Mesdames et Messieurs, viennent, ou devraient venir, avant le débat sur le projet de loi. En effet, s'il se trouve une majorité dans cette assemblée ou au Conseil d'Etat pour suivre les provocateurs et les boutefeux comme Michel Halpérin... (Brouhaha.)...qui cherchent à interdire cette manifestation alors évidemment les moyens proposés dans ce projet de loi ne sont pas à la hauteur. (L'orateur est interpellé.)
Bref, ce projet de loi devrait être discuté après les autres points portés à notre ordre du jour, c'est-à-dire après le débat de politique générale sur le G8 et le contexte qui l'entoure. Il devra aussi être discuté en commission.
Je regrette d'ailleurs que le Conseil d'Etat n'ait pas jugé utile de faire une déclaration préalable sur le cadre dans lequel il veut inscrire ce projet de loi, alors que l'ordre du jour le lui permet. Ce projet de loi est d'ailleurs très technique, puisqu'on y détaille les boutons de guêtres nécessaires à notre police pour faire front à cet événement.
Au nom de l'Alliance de gauche - mais je crois que cette position est partagée au sein de l'Alternative et même, j'espère, plus largement - j'aimerais dire que si ce projet liste les moyens techniques à mettre à disposition de la police par exemple, des dispositifs d'écoute discrète des manifestants, des moyens devraient aussi être mis à disposition pour des tâches d'accueil, d'ouverture, d'animation culturelle, de débat démocratique pour les gens qui viennent dans notre ville, bref tout un spectre d'activité qui ne relève pas de la confrontation ou de la confrontation potentielle. Je pense qu'il faudrait dépenser au moins autant pour l'accueil que pour la répression. Un amendement plus modeste a cependant été distribué auquel notre groupe souscrit, consistant à augmenter la somme prévue au budget de fonctionnement de 500'000F et d'affecter ce montant supplémentaire au volet d'accueil, au volet non répressif, au volet «Genève ville ouverte»; volet qui aurait dû être discuté avant ce projet conformément à l'ordre du jour établi par celles et ceux d'entre nous qui ont demandé cette séance.
Mme Morgane Gauthier (Ve). Les Verts le disent depuis un certain temps déjà: Genève doit se donner les moyens d'assumer cet événement. C'est pourquoi nous réservons un accueil plutôt favorable, sur le fond, à ce projet de loi. Nous pensons toutefois qu'il mérite un examen approfondi en commission. Quant à la forme, il est regrettable que ce projet de loi soit présenté à notre Conseil trois semaines avant la tenue du sommet d'Evian alors que celui-ci est prévu depuis plus d'un an. Le Conseil d'Etat peut remercier l'Alternative d'avoir demandé la tenue de cette session extraordinaire. (Rires.)Il a ainsi eu l'occasion de présenter ce projet de loi.
A la lecture du budget Colibri annexé au projet, il apparaît que de nombreux postes auraient pu être prévus depuis longtemps. L'exposé des motifs précise qu'il est nécessaire de prévoir un budget spécifique pour l'accueil et l'hébergement des manifestants. Pour plus de clarté, nous souhaitons qu'une somme soit fixée pour ce poste. C'est pour cette raison que nous avons déposé un amendement augmentant le budget extraordinaire de fonctionnement de 500'000F.
Enfin, je tiens à dire que les Verts sont favorables au renvoi en commission.
M. Claude Blanc (PDC). Comme vient de le dire ma préopinante, il est clair que le Conseil d'Etat a eu de la chance qu'il y ait une séance aujourd'hui. Si ce projet de loi apparaît nécessaire, il est aussi bien tardif. Comme cela a déjà été dit, le G8 est prévu depuis longtemps, il y a longtemps que l'on connaît l'ampleur des manifestations qui pourraient avoir lieu. On peut donc s'étonner que le Conseil d'Etat attende trois semaines avant la manifestation pour demander des crédits supplémentaires afin d'être à même de faire face aux événements qui pourraient se produire.
Il semble qu'à Lausanne la sérénité soit plus grande qu'à Genève puisqu'on y a prévu depuis longtemps les dispositifs nécessaires. Il semble aussi que les commerçants du quartier qui sera bloqué, le quartier des grands hôtels au bord du lac, ont été rassurés. Bref, la population a été préparée de manière plus calme et plus sereine qu'à Genève où tout le monde s'agite dans tous les sens et où chacun fait du cinéma pour se rendre intéressant.
Le PDC accepte, évidemment, de renvoyer ce projet en commission. Nous l'étudierons en commission des finances. Comme la manifestation sera passée et que l'on connaîtra exactement le coût de chaque poste, on pourra traiter ce projet comme une demande de crédit supplémentaire ordinaire.
M. Christian Brunier (S). Enfin! Ce projet de loi nous était annoncé à mi-mars par la présidente du département des finances. Je me demande vraiment, si nous n'avions pas demandé cette séance extraordinaire, si ce projet de loi aurait été déposé.
Des voix. On siège la semaine prochaine!
M. Christian Brunier. Que l'on soit de droite ou de gauche, que l'on soit pour ou contre ce sommet du G8, j'espère que personne ne souhaite dans ce canton que la violence soit présente durant la durée du sommet. Personne ne souhaite que des vitrines soient cassées, ni que la ville soit en état de siège. Ces objectifs devraient nous rassembler toutes et tous, et je pense que ce projet de loi peut être un élément de nature à nous rassembler pour garantir un minimum de calme et de sérénité dans ce canton.
Aujourd'hui, la tension monte, la population est inquiète. Il est clair que certains articles de journaux, certaines déclarations de députés visent à affoler inutilement la population. (Brouhaha.)Il y a des moyens de faire diminuer la pression. Le ton des débats de ce jour est l'un de ces moyens, mais je crois que certains ne l'ont pas encore compris, malgré l'appel de notre président en début de séance.
Bien sûr les socialistes ont condamné ce sommet de la jet setpoliticarde qui se déroule dans un contexte particulièrement délicat d'agression militaire, un contexte de démantèlement social globalisé. Aujourd'hui ce n'est malheureusement plus le thème d'actualité et, qu'on le veuille ou non, le G8 aura lieu. Nous devons donc garantir l'accueil et la sécurité. C'est notre travail d'aujourd'hui.
Bien sûr il n'y a pas de solution miracle. Personne ne sait s'il y aura 50, 100 ou 200'000 personnes qui viendront à Genève. Nous avons pourtant des moyens de diminuer la pression et de faire au mieux pour que tout se passe bien. Deux scénarios sont possibles. Le premier est celui qui s'est déroulé à Gênes: une ville fantôme, paniquée, évacuée; une ville dans laquelle un appel à fermer les magasins avait été lancé, une ville où il y avait des policiers partout. Bref, il régnait un climat de tension même pour ceux qui voulaient manifester pacifiquement. Le fait de ne pas pouvoir trouver facilement à manger, à se loger associé à la tension généralisée crée assurément un minimum de violence.
Il y a un autre scénario, c'est celui que nous vous proposons aujourd'hui. Il consiste à calmer le jeu, à ouvrir la ville, à accueillir les gens qui viennent dans la plupart des cas pacifiquement, qui ont envie de montrer leur opposition au G8. Nous proposons de créer un univers d'accueil festif et convenable, avec une police présente, responsable et ferme, mais qui soit en négociation continuelle avec les manifestants. Genève jouerait alors un rôle convivial et accueillant ce qui est une tradition historique de notre cité.
Ce projet de loi est insuffisant pour remplir cette mission. Nous avons présenté un amendement pour donner plus de moyens à l'accueil et à la convivialité, à des événements culturels. Le projet de loi du gouvernement consacre 80'000F à des cadeaux souvenirs, c'est la terminologie employée, il doit être possible d'allouer 500'000F à des conditions d'accueil et de divertissement qui permettront de diminuer la pression - car c'est notre rôle - pour permettre à ces manifestations de se dérouler dans la bonne humeur et non pas dans un conflit généralisé.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. J'ai été surprise par la rapidité de ce débat de préconsultation. Ce n'est pas pour rien que je précise qu'il s'agit d'un débat de préconsultation, puisque le Conseil d'Etat, comme vous tous, souhaite le renvoi de ce projet en commission. Il n'était pas dans nos intentions de vous demander de le voter sur le siège.
Il est donc inutile de déposer des amendements en préconsultation. Ce serait une démarche moderne et nouvelle, mais qui n'est pas encore prévue par le règlement de votre Grand Conseil.
J'ajoute encore à titre préliminaire que le temps nécessaire pour déposer ce projet de loi correspond à celui des autres cantons. Le Grand Conseil vaudois s'est prononcé il y a une semaine ou quinze jours au maximum. J'aimerais demander aux députés, qui ont souvent beaucoup de mémoire, de la faire fonctionner dans ce cas. Je suis venue devant la commission des finances le 12 février 2003 avec le premier crédit extraordinaire qui figure d'ailleurs dans le projet de loi 8995. Je vous ai dit à ce moment-là que l'intention du gouvernement était tout d'abord de rendre visibles toutes les dépenses qui seraient consacrées à la sécurité durant le sommet du G8 et donc de les intégrer dans un projet de loi. Je vous ai aussi dit ce jour-là que pour pouvoir déposer un projet de loi, il s'agissait d'éclaircir un certain nombre d'éléments. Parmi ces éléments nous en maîtrisons une partie: les moyens que nous engageons et leur coût. Il y en a d'autres que nous ne maîtrisons pas: ce que la Confédération pouvait ou voulait bien assumer. Pour tous les projets que vous votez, Mesdames et Messieurs, nous indiquons ce que nous engageons et ce que la Confédération nous rembourse. Vous pouvez constater ici que la charge dévolue au canton de Genève, à savoir près de 7 millions, n'est pas négligeable même si nous sommes encore en pourparlers pour la prise en charge d'autres éléments.
Ce qui rend nécessaire un examen de ce projet en commission et qui justifie parfaitement que nous ne l'ayons pas déposé plus tôt, c'est que certains d'entre vous souhaitent des dépenses pour l'accueil des manifestants et d'autres sont tout aussi préoccupés par les indemnités et toutes sortes de moyens qu'il faudrait mettre en place d'une façon ou d'une autre si des besoins s'avéraient. C'est donc légitimement que vous aurez le dernier mot, Mesdames et Messieurs. Vous aurez la responsabilité in fine, tant en commission qu'en plénière, de ratifier les dépenses qui auront été engagées sur tous les fronts.
J'aimerais ajouter une chose à l'intention du groupe radical qui s'inquiétait de savoir si ce projet de loi avait été élaboré en fonction d'événements qui n'avaient pas l'ampleur ni la difficulté de maîtrise de celui que nous connaissons. Mesdames et Messieurs les députés, l'exposé des motifs mentionne que d'autres événements ont été utilisés comme références, mais il ne s'agit que d'employer le coût unitaire qui est connu pour les différents moyens que nous mettrons en oeuvre. Il ne s'agit pas de comparer l'ampleur des moyens mis en oeuvre ni leur diversité. Il n'y a donc pas de vision passéiste du côté du Conseil d'Etat ni dans l'élaboration du projet, ni dans la mise en oeuvre de la sécurité.
Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous recommande de renvoyer ce projet en commission. Vous aurez largement le temps, dans le cadre des débats sur les motions, de faire des commentaires sur la mise en oeuvre des mesures liées à la sécurité du G8. Je tiens simplement à dire ici que nous avons une volonté de transparence, que nous l'aurons jusqu'au bout et que nous tenons, avec vous à régler ces affaires financières de la façon la plus correcte.
Ce projet de loi est renvoyé à la commission des finances.
Débat
M. Antonio Hodgers (Ve). Quelques mots tout d'abord sur l'opportunité de cette session extraordinaire que certains ont contestée. Au moment où nous l'avons demandée, nous n'avions aucune information du Conseil d'Etat sur cet événement qui s'approchait à grands pas et qui, comme vous le savez, sera un événement majeur pour notre République. Entre-temps, heureusement, les choses se sont mises en marche et je rends hommage ici aux conseillers d'Etat concernés qui ont pu faire avancer ces préparations. Le début des préparatifs répond de fait à un certain nombre des invites de cette motion que nous tenons néanmoins à maintenir. Tout cela aurait dû commencer il y a plusieurs mois déjà. Dès le mois de janvier, l'Alternative a déposé des textes et demandé qu'ils soient examinés en urgence, vu le rythme de nos travaux. Ces demandes ont toujours été refusées par la droite majoritaire; et c'est pourquoi nous avons décidé d'utiliser notre droit à demander une session extraordinaire.
Pourtant - vous avez raison M. Dupraz - cela n'est pas le plus important. Qu'on le veuille ou non, le G8 aura lieu, les manifestations auront lieu à Genève. Ces décisions ne nous appartiennent pas. Elles n'appartiennent ni au gouvernement ni au Parlement de cette République. Elles n'appartiennent même pas aux organisateurs locaux, MM. de Marcellus, Decarro et leurs amis. Ces manifestations ont été décidées par le mouvement social européen et, à ce niveau-là, nous n'avons que très peu de marge de manoeuvre. Du moment que ces choix ont été faits, la seule sortie possible est celle qui consiste à prendre nos responsabilités. C'est cela que nous devons faire ce matin, Mesdames et Messieurs: prendre nos responsabilités de ville internationale, de ville d'accueil, de ville de grands événements. A ce titre-là, je tiens d'ores et déjà à dénoncer les propositions visant à se mettre la tête dans le sable et à se laver les mains de ce qui pourrait se passer à Genève. (Brouhaha.)Ces propositions sont lâches. Je reviendrai sur ce point lorsque ces propositions seront formulées. En attendant, je veux souligner deux choses: jusqu'à présent la communication du Conseil d'Etat, et de Mme Spoerri en particulier, a été désastreuse. On a annoncé l'interdiction de manifestations, puis on a annoncé qu'elles seraient autorisées. L'estimation du nombre des manifestants fluctue sans cesse, passant de 100'000 à 500'000 pour revenir aujourd'hui à 100'000. Hier, nos policiers semblaient suffire à encadrer 300'000 manifestants et aujourd'hui ils ne suffisent plus à en contenir 100'000... Bref, il est difficile de comprendre quel est le degré de préparation de la police et c'est donc aussi pour entendre Mme Spoerri que nous avons convoqué cette séance.
Une chose est sûre: même si les manifestants ne sont que 50'000, les forces de l'ordre ne suffiront pas à maîtriser cette foule si elles doivent le faire par la force. Dès lors, la stratégie que nous proposons est une stratégie de collaboration et d'accueil des altermondialistes. C'est dans cet esprit, Mesdames et Messieurs les députés, que nous avons déposé les trois textes qui vous sont soumis aujourd'hui. Le premier, le plus important, concerne l'accueil. En ce domaine, deux expériences récentes nous montrent les différentes stratégies que l'on peut adopter. M. Brunier l'a rappelé: ce sont les expériences de Gênes et de Florence. A Gênes, les autorités et la police ont choisi la politique du pire. Elles ont criminalisé le mouvement et ont entretenu des liens fascistes entre les Black Block et les policiers. Nous avons tous vu le résultat. A Florence, les autorités de la ville ont choisi d'accueillir les manifestants, d'ouvrir leurs infrastructures, se sont donné les moyens de dialoguer avec les altermondialistes. Une manifestation regroupant un million de personnes s'est déroulée dans la ville, une ville historique avec des monuments importants et pas une vitre n'a été cassée. On sait que ces manifestations amènent toujours des gens qui veulent en découdre avec la police. A Florence, des casseurs étaient là, mais ils n'ont pas pu sortir. Pourquoi? Parce que la municipalité avait eu l'intelligence de se donner les moyens que nous proposons aujourd'hui pour Genève.
Nous vous proposons donc d'adopter cette motion sur l'accueil et que nous vous proposons également d'adopter la motion sur l'attitude de la police, même si je tiens à souligner que les déclarations que fait celle-ci sur sa gestion de la manifestation vont très largement dans le sens de notre motion. Je trouve qu'en cette matière un grand pas a été fait.
Face à cet événement, Mesdames et Messieurs, il y aura deux camps: ceux qui prennent leurs responsabilités et ceux qui lâchement s'en laveront les mains.
M. Jean Rémy Roulet (L). Je dois contredire quelque peu les propos de M. Hodgers, les libéraux avaient proposé une séance spéciale sur le G8, non pas aujourd'hui, mais dans le cadre de la session de la semaine prochaine. Nous l'avions proposée parce qu'il y avait trois points à l'ordre du jour traitant de cette question. Il est donc tout à fait faux d'affirmer qu'une majorité de la droite ne voulait pas entrer en matière sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui. L'Alternative n'a pas voulu de cette proposition de débat dans le cadre de la session de la semaine prochaine, misant probablement, et avec raison, sur la surmédiatisation de nos travaux parlementaires d'aujourd'hui. Cela va, soit dit en passant, à l'encontre d'une des invites de votre motion qui stipule que nous, politiques, devons tout faire pour atténuer les craintes et pour apaiser la population et refréner les élans des personnes qui souhaiteraient mettre à sac notre cité.
Vous me direz que j'invente ce risque de violence, cette agressivité. Je rétorquerai que ce n'est pas le cas. J'ai sous les yeux des tracts et des textes fournis par les altermondialistes et distribués lors de leurs manifestations. Je voudrais en citer quelques-uns. On y lit notamment que «l'administration américaine a largement financé Hitler»; qu'elle a «massacré les peuples de l'ex-Yougoslavie»; qu'elle a «préparé les événements du 11 septembre avec d'autres terroristes que Ben Laden» et qu'«elle vit, comme le gouvernement suisse, sous le protectorat de sociétés secrètes qui agissent contre la volonté du peuple». Les vaccins, dit ce tract, «visent à affaiblir le système immunitaire des êtres humains».
M. Carlo Sommaruga. Par qui est signé ce tract?
M. Jean Rémy Roulet. Ces propos ont été lus et récités devant un parterre de 300 chefs d'entreprises, de 300 commerçants, de 300 artisans qui veulent faire vivre cette cité. Ils ont été délivrés par le secrétaire général de la fédération des syndicats patronaux. Il y a donc, à juste titre, dans cette population une crainte évidente que les manifestations contre le G8 soient violentes et un désir qu'elles soient pour le moins limitées, voire supprimées.
Le reste de mon intervention sera relativement bref. Le groupe libéral refusera les deux propositions de motions et la proposition de résolution sans états d'âme. Ces textes contiennent toute une série d'éléments qui vont à l'encontre des deux principales questions que se pose la population aujourd'hui, à savoir: comment sera assurée la sécurité du patrimoine et l'intégrité physique des personnes vivant dans ce canton d'une part, et, d'autre part, comment sera jugulé, contrôlé un flux de manifestants qui est estimé à plus d'une centaine de milliers de personnes. Or, les trois textes qui nous sont soumis aujourd'hui ne mentionnent aucune mesure sérieuse, digne de ce nom, qui réponde à l'attente de la majorité de la population. Encore une fois, le groupe libéral refusera de façon déterminée ces trois textes et l'un d'entre nous, orateur fort capé, proposera un amendement à l'une de ces motions dans le but de provoquer un débat. Vous avez lu la substance de cet amendement dans la presse, Mesdames et Messieurs. Il s'agit purement et simplement d'interdire les manifestations sur notre sol.
M. Jacques Pagan (UDC). Je m'apprête à lire une déclaration au nom du groupe UDC. Ce n'est sans doute pas un acte qui porte devant les caméras de la télévision, mais je suis soucieux du gain de temps que je peux procurer à ce Grand Conseil ainsi que de la précision avec laquelle il faut s'exprimer concernant la manifestation que vous savez. Voici la position de notre groupe.
Les conditions d'octroi d'une autorisation n'étant à ce jour et à notre connaissance nullement remplies par les organisateurs responsables, les manifestations projetées autour du G8 sont en l'état illégales.
L'UDC rejette dès lors en bloc les motions 1535 et 1542 ainsi que la proposition de résolution R 472 sans proposer le moindre amendement, et cela pour les motifs ci-après.
1. Les organisateurs de la manifestation ne sont pas tous connus. De surcroît, aucune demande d'autorisation pour manifester n'a été déposée à notre connaissance. Aucun service d'ordre à la charge des manifestants et de nature à contenir tout risque de dommages aux personnes et aux biens n'a été mis sur pied. En l'état, nous parlons donc d'une manifestation non autorisée, donc en principe interdite. A l'évidence, il n'appartient pas aux autorités, qu'il s'agisse du Conseil d'Etat ou du Grand Conseil, de la cautionner de quelque manière que ce soit.
2. Cela paraît d'autant plus vrai que tout porte à croire que du fait de l'ampleur exceptionnelle de la manifestation - on parle de 100'000 à 300'000 participants - de la configuration des lieux et de l'impossibilité d'accueillir une telle foule sur plusieurs jours, des risques avérés de casse et de pillage, de la paralysie des activités d'une ville, voire d'un canton entier pendant environ une semaine, l'ordre public ne pourra être sauvegardé.
3. Les libertés de réunion, de manifestation et d'expression invoquées par les parlementaires représentants les manifestants et leurs organisations ne sont pas absolues. Leur exercice est limité par d'autres droits fondamentaux, tels ceux assurant la protection et la sécurité des personnes et des biens, la liberté individuelle, etc. Ceux-ci étant manifestement menacés, les libertés de réunion, manifestation et d'expression n'ont pas à être garanties in casu. Cela est surtout vrai pour la liberté d'expression qui a été largement utilisée tout au long du battage médiatique qui se fait depuis de nombreux mois au sujet du G8, au plan local, cantonal, national et international. Le message est ainsi déjà passé dans l'opinion publique et ne justifie pas l'organisation de la manifestation prévue à cette fin.
J'ajoute ceci à l'intention des personnes qui sont tout particulièrement attachées aux droits de l'homme comme l'est l'UDC. (Rires.)Je vous renvoie, Mesdames et Messieurs, à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que vous trouvez dans le recueil systématique du droit fédéral sous référence 0 101, notamment aux dispositions des articles 10 et 11 consacrées à la liberté d'expression et à la liberté de réunion et d'association. Je vous demande de bien vouloir lire le chiffre 2 de chacune de ces dispositions qui prévoient dans quelle mesure il y a lieu de restreindre les libertés auxquelles vous vous référez.
4. Dans cette pesée des intérêts, on doit aussi tenir compte du fait que le sommet du G8 ne concerne pas la Suisse, qui ne figure pas aux rangs de ses organisateurs ou de ses participants. La manifestation projetée contre le G8 n'a de toute évidence pas à se faire sur sol helvétique et encore moins genevois.
5. Il appartient au Conseil d'Etat de choisir clairement le camp qui est le sien. Soit il défend l'ordre et la sécurité publique, la liberté et les biens des citoyens, les entreprises, leur travail, etc. soit il défend, dans des conditions totalement inacceptables, les libertés de réunion, de manifestation et d'expression de personnes largement extérieures à notre pays qui s'opposent à une cause qui n'est pas celle de la Suisse en tant que telle.
6. L'UDC ne cherche pas à polémiquer vainement ni à jouer avec le feu, ni encore à contribuer à accroître la psychose collective qui va s'amplifier tout naturellement dans les prochains jours vu l'impossibilité qu'ont les organisateurs, largement inconnus à ce jour, d'inspirer confiance quant à leur capacité de garantir le déroulement entièrement pacifique de la manifestation et de supprimer tout risque de débordement inhérent à une opération d'une telle ampleur. L'UDC entend seulement rendre attentifs le Conseil d'Etat et les parlementaires représentant les manifestants et leurs organisations sur le sérieux de la situation, sur les craintes justifiées de la population et des commerçants, ainsi que sur la responsabilité qui est la leur en pareil cas. Le Conseil d'Etat est responsable de l'ordre public, le Grand Conseil se doit de respecter la séparation des pouvoirs en ne cherchant pas à empiéter sur des prérogatives qui n'appartiennent qu'au pouvoir exécutif, comme par exemple, les modalités d'engagement des forces de l'ordre.
7. L'UDC a déposé antérieurement aux motions qui sont examinées ce jour une motion intitulée: «Manifestations anti-G8, responsabilité civile et pénale des organisateurs». Cette motion vise notamment à rendre ces derniers personnellement responsables de tous les actes illicites commis dans le cadre des manifestations concernées de telle sorte que les victimes n'aient pas à assumer la couverture financière de leurs propres dommages.
De l'avis de notre parti, la notion d'organisateur s'étend à toute personne apportant son concours à titre officiel ou privé à la manifestation dont il s'agit, surtout si celle-ci n'est pas autorisée. Nos collègues parlementaires qui ont pris fait et cause pour les organisateurs de la manifestation auxquels ils apportent soutien, aide et conseils, doivent tout particulièrement se sentir interpellés à ce sujet.
8. Deux remarques en guise de conclusion. La première est destinée au Conseil d'Etat pour le rendre attentif au risque du précédent. Il ne faut pas instaurer un régime d'exception en faveur de ces manifestations anti-G8 à moins de prendre le risque d'événements ultérieurs de même nature. La seconde remarque s'adresse aux organisateurs, largement inconnus, de la manifestation et à celles et ceux qui la soutiennent dans cette enceinte. Parmi les raisons d'être alléguées pour cette manifestation, figure notamment l'agression contre l'Irak menée par une superpuissance dotée d'une exceptionnelle force de frappe. Ne pensez-vous pas, Mesdames et Messieurs, que l'épreuve de force que vous tentez par votre manifestation contre notre cité et notre canton procède du même déséquilibre que l'opération totalitaire et illégale que vous dénoncez? (Rires.)
M. Rémy Pagani (AdG). Je regrette que M. Roulet soit parti parce que j'aimerais lui dire que citer des textes qui sont sur Internet est un peu facile. On y trouve tout et n'importe quoi. Je regrette que l'auteur du texte cité mentionne le soi-disant soutien américain à Hitler et ne mentionne pas le réel soutien américain à Saddam Hussein. Il faut déplorer cette inculture, mais elle est le produit des diminutions des budgets éducatifs qui s'opèrent partout en Europe et qui font que peu de jeunes qui se lancent sur Internet ont connaissance de l'histoire. Je le regrette. Quoi qu'il en soit, je demande à M. Roulet de citer des exemples un peu plus concrets. Pour ma part, je m'apprête à citer des textes et je pense que vous serez satisfaits des références précises et concrètes que je vais vous donner.
Le débat de fond que nous devons avoir ce matin porte sur la démocratie aujourd'hui. Faut-il que le Conseil d'Etat ou notre Grand Conseil se déterminent pour interdire cette manifestation, sachant que cela ne pourra se faire que sous forme de motion et il restera au gouvernement la tâche de décider, car ce genre d'interdictions relève de ses prérogatives et non pas des nôtres, Mesdames et Messieurs les députés.
Reste à savoir ce qu'est la démocratie dans notre canton. Je ne veux pas me payer de mots, je vais simplement souligner ce qui s'est passé depuis vingt ans à Genève contrairement à Berne ou à Zurich. J'estime que le droit de manifester fait partie de la démocratie concrète, je l'ai toujours défendu ici et je continuerai dans ce sens. Je trouve que les propositions tant de l'UDC que de M. Halpérin visent à rompre avec une pratique antérieure. C'est que M. Halpérin est gêné par cette forme de démocratie directe dont nous disposons ici à Genève depuis vingt ans.
J'ai été occuper l'étude d'un de ses collègues avocats avec des travailleurs dans le cadre de l'affaire Torre. Ce genre d'action fait partie de nos droits démocratiques et c'est cela que M. Halpérin veut interdire, de même que les grèves sans préavis qui sont aussi un droit démocratique. La démocratie c'est aussi défendre les intérêts des travailleurs contre ceux des patrons qui veulent faire toujours plus de profit. C'est aussi ce type de démocratie que nous défendons. Ce que vise aussi M. Halpérin, ce sont les nombreuses actions de relocation forcées d'appartement, on l'a vu ces dernières années avec des débats dans cette enceinte sur ce type de pratiques. Nous estimons que notre société suit une pente dramatique qui augmente le fossé entre les riches et les pauvres. Il n'est que de citer un exemple: en 1990, il y a avait 252 entreprises qui avaient un bénéfice supérieur à 1 million, aujourd'hui il y en a 702.
M. Pierre Weiss. C'était en 2001, Monsieur, pas aujourd'hui.
M. Rémy Pagani. Cela ne change rien sur le fond. (Vif brouhaha.)Nos sociétés européennes creusent un fossé entre riches et pauvres et cela c'est indéniable.
Je cite un autre chiffre, Monsieur Roulet, en 1991, il y avait 4426 personnes qui avaient une fortune imposée supérieure à 1 million. Aujourd'hui, il y en a 7300.
M. Pierre Weiss. C'était en 2001!
Une voix. Vous voulez les faire partir.
M. Rémy Pagani. La majorité de notre population... (Vif brouhaha. Protestations sur les bancs de l'Entente.)Monsieur le président, je voudrais terminer.
Le président. Monsieur Pagani, j'essaie de calmer les uns et les autres, mais ne provoquez pas. Monsieur Reymond, taisez-vous, s'il vous plaît.
M. Rémy Pagani. La majorité de notre population a vu son salaire stagner, voire baisser...
Une voix. On n'en a rien à foutre!
M. Rémy Pagani. Dans ces conditions, les droits démocratiques, y compris le droit de grève, le droit de manifester, le droit d'aller dans des bureaux d'avocats réclamer des salaires impayés, ce droit-là fait partie de la démocratie concrète et nous estimons qu'en s'attaquant aujourd'hui à cette manifestation, en demandant son interdiction, c'est à ces droits démocratiques que l'on s'attaque. Il y a certes des problèmes, et j'y reviendrai.
Concrètement, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, j'ai été surpris encore ce matin de voir que vous distribuez un papier sur lequel vous indiquez prévoir 40'000 places de camping à Vessy. Il y a une surenchère au niveau des chiffres qui est curieuse. On avait parlé de 300'000 manifestants. Mais même 100'000 manifestants, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, comment pouvez-vous imaginer des chiffres pareils. Florence et Gênes sont en Italie où la situation politique est différente. M. Berlusconi a agi pour favoriser des mouvements réactionnaires dans cette société. Il y a une forte mobilisation contre cela. Ici à Genève et dans le bassin lémanique, jamais nous n'arriverons à mobiliser la population dans ces proportions, peut-être que je le regrette, mais c'est la réalité.
Il y a toutefois eu deux fois 50'000 personnes à Berne récemment. Je n'avais personnellement jamais vu cela. On peut compter en effet 30'000 personnes qui viendront du bassin lémanique, auxquelles il faut ajouter 2 ou 3'000 Anglais, 3 ou 4'000 Espagnols, 2 ou 3'000 Allemands et 5'000 Italiens, on arrive à un chiffre entre 60'000 et 70'000 personnes. Les personnes qui camperont ne devraient être que 4'000 au maximum. Ces chiffres doivent encore être divisés par deux puisque nous essayons de faire en sorte que les manifestants se répartissent de façon équilibrée entre la France voisine et Genève. Il n'y a donc pas lieu de faire de la surenchère. Les organisateurs annoncent des chiffres raisonnables.
Le président. Monsieur Pagani, vous avez déjà parlé plus de huit minutes. Je vous prie de conclure.
M. Rémy Pagani. J'aimerais préciser un point encore en ce qui concerne la responsabilité des organisateurs. Nous ne sommes pas et nous n'avons jamais été propriétaires de manifestants ni de manifestations quoi qu'il arrive. Les gens sont responsables de ce qu'ils font dans les manifestations. Toutefois, le Forum social lémanique qui organise cette manifestation au niveau européen a pris des engagements par écrit, qui seront diffusés aux douanes et aux manifestants. Je cite ce texte, Monsieur Roulet: «Nous sommes opposés à toute atteinte aux personnes et aux biens, autant lors de la manifestation que des actions de blocages dont nous examinerons le choix des lieux de manière à écarter le danger de provocations et de manipulations.» Voilà un engagement écrit, et il y en a d'autres, du Forum social lémanique.
On a parlé tout à l'heure du service d'ordre. Nous ferons en sorte que chaque manifestant respecte ces consignes et se sente partie intégrante du service d'ordre. C'est le seul moyen de garantir la sécurité. Il n'y aura pas de garantie supérieure parce que c'est impossible. C'est la seule garantie que nous pouvons vous donner en l'état actuel et même pendant la manifestation.
Tout le reste est de la provocation de la part des partis de droite, provocation qui vise à faire monter la pression et pour utiliser comme on l'a vu à Lausanne, n'importe quel prétexte pour mettre le feu aux poudres. On pourrait aussi aller plus loin. Cet après-midi, il y a une manifestation à 14h devant la gare. Elle peut déraper et qui sera responsable? Ce sera nous, évidemment! (Brouhaha.)
Le président. Monsieur Pagani, cela suffit. Vous avez largement dépassé votre temps de parole.
M. Rémy Pagani. Ni vous ni nous ne sommes responsables des dérapages qui peuvent survenir dans n'importe quel match de football, dans n'importe quel regroupement populaire.
Le président. Monsieur Pagani vous avez dépassé votre temps de parole de trois minutes! Vous êtes de plus coutumier du fait. (Le président est interpellé par M. Spielmann.)C'est moi qui préside Monsieur Spielmann.
M. Jean Spielmann. Non, vous ne présidez pas. (Brouhaha.)
Le président. La parole est à M. le député Schmied et M. Spielmann est averti. (Protestations sur les bancs de l'Alternative.)
M. Patrick Schmied (PDC). Au-delà des procès d'intention et des sous-entendus de toutes sortes, il appartient probablement au PDC de remettre l'église au milieu du village. (Hilarité.)Premièrement il faut souligner la légitimité des deux événements. La tenue du G8 est légitime, il s'agit d'une réunion de chefs d'Etat démocratiquement élus. Les manifestations sont légitimes elles aussi. C'est la première chose à dire qui ne semble pas évidente pour tout le monde.
Par ailleurs, nous présenterons une série d'amendements aux motions et à la résolution que mes collègues vous présenteront plus tard. Ces amendements vont tous dans le même sens, c'est-à-dire de clarifier, positiver et apaiser, le tout dans le sens d'un soutien au Conseil d'Etat qui en a vraiment bien besoin.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Cette motion se justifie par le fait que, maintenant chacun s'en doute, dans moins de trois semaines, un grand nombre de personnes arriveront à Genève pour manifester leur opposition au G8. Genève est fière de sa tradition de ville internationale accueillant nombre de conférences et de rencontres tout au long de l'année. S'il est un fait que nous n'avons pas choisi d'être le lieu de passage des délégations officielles du G8, nous estimons que face à cette situation, nous devons aussi respecter notre tradition d'accueil en réservant l'hospitalité à celles et ceux qui viennent manifester pacifiquement leur opposition à ce sommet.
Malheureusement, tant les médias par leurs hypothèses catastrophistes que les autorités par leur attentisme ont contribué ces dernières semaines à semer le doute et l'angoisse dans la population sur les risques de dérapages de la manifestation du 1er juin. Certes des incertitudes existent quant au nombre de manifestants qui viendront, mais il est hautement nocif de poursuivre toutes ces conjectures sans prendre de décisions et de dispositions concrètes. Heureusement, il semble que le vent commence à tourner et que précisément des infrastructures commencent à être mises à disposition. Il est pourtant indispensable de mettre en place de façon encore plus fine que ce n'est déjà le cas, des moyens logistiques et des infrastructures pour que les gens se sentent accueillis à Genève et que la population cesse d'imaginer que des hordes de barbares déferleront dans la ville.
En organisant l'accueil au lieu de se terrer chez soi, nous donnerons un message d'ouverture conforme à la liberté d'expression qui est chère à notre canton. Plus la manifestation sera festive et conviviale, moins les risques de violence et de dérapage seront grands. Cela implique évidemment un service d'ordre qui soit cohérent efficace, mais aussi discret et cela fera l'objet d'une discussion ultérieure dans cette séance. Voilà pour le sens de cette motion.
Le Conseil d'Etat a commencé à prendre des dispositions. Il me semble qu'elles doivent être affinées, mais je crois qu'il faut aussi saluer les initiatives de la Ville de Genève qui est en train de mobiliser un grand nombre de collaborateurs et collaboratrices qui veilleront aussi à gérer au mieux l'accueil des manifestants. Je crois qu'il faut vraiment saluer cette initiative. Par cette motion, nous demandons aussi un engagement ferme du Conseil d'Etat sur la concrétisation de cette stratégie d'accueil. Dans ce contexte, nous trouvons particulièrement choquante et irresponsable la position du groupe libéral qui vise à interdire cette manifestation violant par-là même leurs principes de liberté et d'ouverture. C'est précisément ce type de comportements qui risque de bouter le feu. Nous condamnons donc tout à fait cette position et nous souhaitons que cette motion soit bien accueillie par l'ensemble des députés.
En ce qui concerne les propositions d'amendement du PDC, nous y sommes favorables mais nous en parlerons tout à l'heure.
M. Pierre Vanek (AdG). Quelques mots encore sur cette motion dont j'ai dit tout à l'heure qu'elle aurait dû être discutée en premier lieu. Notre ville se doit d'aborder cet événement en prenant un peu de hauteur, en ne considérant pas les choses que sous l'angle technique et policier, mais en considérant les choses sur le fond. De ce point de vue, d'aucuns, y compris dans cette enceinte, racontent n'importe quoi. M. Roulet a cité un texte qu'il aurait trouvé sur Internet, sans nous en donner l'origine, indiquant qu'il s'agissait d'un texte «des altermondialistes» comme si ceux-ci étaient un parti, une organisation constituée. Vous savez bien que ce n'est pas le cas, Mesdames et Messieurs. En outre, on trouve n'importe quoi sur Internet et il y a, sous l'étiquette altermondialiste, une extrême diversité et tout un mouvement qui n'est pas constitué avec un quartier général et un état-major. Il n'y a pas de congrès mondial qui ratifierait des positions publiques, nous ne sommes pas dans les années 30 et c'est fort bien ainsi. Les choses ne se passent pas comme cela.
Si vous aviez été de bonne foi, Monsieur Roulet, ce que vous auriez pu citer de manière pertinente concernant cette manifestation, c'est la déclaration qu'ont rédigée quelques centaines de représentants de mouvements sociaux, de syndicats qui se sont réunis dans notre ville, pas loin d'ici, à la maison des associations. Il y avait là 250 ou 300 personnes qui ont lancé un appel à la mobilisation face au G8. Ce document est identifiable quant à sa source, il a été discuté à Genève et il critique le G8. Je vais d'ailleurs citer ce texte, puisque M. Roulet s'est permis de faire des citations. Les signataires critiquent: «un G8 qui impose des choix, qui veut orienter la marche du monde, qui impulse des politiques néo-libérales, qui accélère la concentration des richesses, qui s'attaque au droit du travail, qui précarise l'emploi et les conditions de vie de la grande majorité de la population, favorise les exclusions culturelles et la destruction de l'environnement.» C'est, vous le voyez, Mesdames et Messieurs d'en face, un réquisitoire contre des politiques que vous connaissez bien pour les soutenir régulièrement, vous aussi Monsieur Roulet, dans cette enceinte. Ces politiques sont rejetées par une majorité de la population de cette planète, car elles conduisent notamment au type de guerre que nous avons vue imposer par les Etats-Unis à l'Irak.
J'en viens maintenant à ce qu'a dit M. Pagan. C'était particulièrement surprenant. Vous comparez, Monsieur, la volonté de milliers ou de dizaines de milliers de citoyennes et de citoyens de ce continent de venir ici pour manifester pacifiquement leur opposition à la politique du G8 à l'agression, à la guerre impériale et à l'occupation coloniale qui se poursuit aujourd'hui en Irak. Monsieur Pagan, cela n'a absolument rien à voir. Il n'y a pas d'entreprise militaire contre notre République. Il y a une entreprise démocratique, une entreprise consistant à manifester des opinions non pas seulement en faisant des discours, mais aussi en venant ici et en défilant ensemble dans la rue. Tout ceci est hautement respectable et hautement légitime. Vous avez poursuivi, Monsieur Pagan, en indiquant que cette manifestation serait illégale parce qu'elle n'aurait pas été autorisée et parce qu'aucune demande n'aurait été déposée par les organisateurs de la manifestation. Ce sont vos propos, Monsieur Pagan, et je vois que vous m'approuvez quand je les restitue ainsi.
Nous ne sommes pas, Monsieur Pagan, dans cette problématique-là, parce que précisément, comme l'on dit certains de mes préopinants, nous ne sommes pas dans la logique d'une manifestation locale organisée sur un thème local syndical ou social par des groupes suisses ou genevois. Nous sommes dans une situation où, à l'échelle du continent, un certain nombre de personnes - à ne pas surévaluer, mon ami Pagani a parfaitement raison, parce que des fantasmes ont circulé à ce sujet - ont décidé d'exercer un droit d'expression, de manifestation. Ce droit est vital. Il est partie intégrante des droits de l'homme. Vous pouvez vous abriter derrière votre petit doigt et derrière des considérations formelles comme celles que vous avez évoquées, Monsieur Pagan, et qui consistent à dire que si aucune demande d'autorisation n'a été déposée, la manifestation est forcément illégale. Eh bien, tout simplement ce n'est pas comme cela, parce que précisément, il n'y a pas un état-major et un quartier général qui organisent cette manifestation. Il y a en revanche un courant mondial d'opinion qui suscite une mobilisation qui est appelée ici non pas par telle ou telle organisation, mais par le G8 lui-même qui a décidé de se tenir, si ce n'est dans notre ville, du moins dans ses environs. L'appel à manifester provient en fait du G8 lui-même et des gens qui ont décidé d'organiser ce sommet illégitime et illégal en ce sens qu'il rassemble des gens qui n'en ont rien à faire du droit international à deux pas de Genève, ce qui est un camouflet pour l'ONU et les organisations internationales auxquelles nous sommes attachés. Aussi, s'il fallait se poser la question en termes d'annulation, ce serait le G8 qui devrait être annulé. Nous pourrions prendre position dans ce sens, d'aucuns l'ont fait, par exemple au nom des Villes de Genève ou de Lausanne, à juste titre à mon avis.
Mesdames et Messieurs les libéraux, réfléchissez un instant à la logique que vous proposez de mettre en oeuvre. Il serait déclaré, à l'échelle planétaire, qu'à Genève on a osé faire ce que même Berlusconi, malgré le type de politique qu'il développe, n'a pas osé faire pour Gênes, à savoir interdire la manifestation d'opposition au G8. Vous proposez, à l'échelle internationale, d'envoyer le message que Genève supprime le droit de manifester. Genève, la ville de l'ONU, la ville des droits de l'homme, une ville de paix et de droit ferait ce que Berlusconi n'a pas osé faire. Ce n'est pas possible; ce n'est pas réaliste.
Quand bien même les gens qui travaillent, au sein du Forum social lémanique, à faire en sorte que cette manifestation se passe bien se lèveraient pour dire, comme certains l'ont fait à Lausanne, qu'ils se repentent et qu'il faut annuler la manifestation, eh bien elle aurait lieu tout de même. Ce qui est bien la preuve qu'ils n'en sont pas les organisateurs. Cette manifestation aurait lieu parce qu'elle ne relève pas de la logique d'une opération politicienne ou politique montée par quelques-uns, elle relève de la logique de l'exercice d'un droit par des gens qui sont répartis aux quatre coins de ce continent. Nous avons le choix aujourd'hui d'envoyer un message au nom de Genève qui soit un message d'accueil, d'ouverture, de paix et surtout de démocratie; ou un message de répression, d'interdiction, un message conforme à la vague de négation du droit dont le G8 est effectivement la partie émergée et le symbole.
Le président. Le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. Nous ferons une pause à 10h30. La parole est à M. Büchi.
M. Thomas Büchi (R). La manifestation du 1er juin à Genève contre le sommet du G8 à Evian ne doit pas être autorisée.
Il n'est pas question pour les radicaux de remettre en cause le respect de la liberté d'expression, mais c'est la disproportion de la manifestation prévue qui nous inquiète, tout comme la population genevoise est inquiète à juste titre. Mesdames et Messieurs les députés, est-ce que quelqu'un se rend compte véritablement de ce que représentera dans notre ville les plus de 100'000 manifestants annoncés ? C'est trois fois et demi la contenance du Stade de Genève et Monsieur Vanek ne peut pas ignorer que la plus grande manifestation que nous ayons jamais connue à Genève était de 17'000 personnes. Notre ville compte 180'000 habitants et tout le canton à peine 400'000. Vouloir permettre à plus de 100'000 manifestants de défiler contre le sommet d'Evian à Genève est irréaliste et terriblement périlleux. Personne n'ignore que par le passé, chaque fois qu'il s'est agi du G8, cela s'est très mal terminé. L'Alternative n'arrête pas de nous mettre en avant la manifestation pacifique de Florence, mais elle n'était pas dirigée contre le G8 et cela vous vous gardez bien de le dire, Mesdames et Messieurs.
Des voix. C'est bien vrai!
M. Thomas Büchi. Le groupe radical, après avoir pris connaissance de la décision du Conseil fédéral de n'octroyer que 720 policiers supplémentaires, est convaincu que, si malgré toute cette manifestation devait avoir lieu, elle devrait être adaptée aux ressources policières disponibles. La vocation internationale de Genève doit être respectée, mais elle ne peut l'être que dans une ville sécurisée. Le Conseil d'Etat se lance dans une aventure extrêmement risquée pour les citoyens de Genève lorsqu'il s'imagine pouvoir assumer dans ce contexte une totale liberté de manifester en contradiction avec son devoir d'assurer la sécurité. Pour l'heure, cela nous inquiète fortement.
J'ai personnellement assisté ces derniers jours à quelques événements très curieux qui ne sont pas pour nous rassurer. Mercredi soir, j'ai mangé tout près de la rue des Eaux-Vives. Pendant toute la soirée, nous avons assisté à un défilé de voitures aux plaques italiennes arborant des affiches anti-G8. Pensez-vous, Mesdames et Messieurs, que ces gens viennent en reconnaissance dans notre ville pour notre bonheur? J'ai manifesté plusieurs fois dans ma vie pour les droits de l'homme. Jamais je n'ai dû aller faire des reconnaissances pour savoir quel était le tracé, jamais. C'est que ces manifestations étaient pacifiques.
Monsieur Pagani, il y a quelques jours vous avez essayé de forcer la sécurité de l'aéroport pour vous rendre sur le tarmac. Pour quels motifs avez-vous fait cela? Je me réjouis d'entendre vos explications. (Rires.)
M. Pierre Weiss. Il a bien raison! Il a bien raison!
M. Thomas Büchi. Nous sommes conscients de la duplicité avec laquelle l'Alternative essaie de nous vendre une manifestation soi-disant pacifique et du soin méticuleux avec lequel certains essaient d'orchestrer les troubles à venir. C'est pourquoi le parti radical refuse catégoriquement les trois propositions de l'Alternative déposées devant notre Grand Conseil, propositions qui ne visent au fond qu'à jeter un peu plus d'huile sur le feu.
Si, pour le malheur de Genève, cette manifestation devait malgré tout être autorisée, le groupe radical exige que les forces de police mettent tout en oeuvre pour sauvegarder la sécurité des personnes et de leurs biens. Que tous les manifestants et citoyens de Genève soient informés de cet aspect ! Le groupe radical exige encore que par respect pour une liberté d'expression mutuellement garantie, le visage découvert soit la règle pour les manifestants: les louables intentions n'ont pas à se cacher derrière une cagoule. Qu'on opère un contrôle soigneux aux frontières afin d'identifier les ultras, et qu'on agisse de façon préventive. Enfin, nous demandons qu'on étudie un tracé plus facilement maîtrisable que celui qui prévoit de partir du centre-ville.
Mesdames et Messieurs les députés, le sommet d'Evian aura lieu. C'est pourquoi nous avons soutenu tout à l'heure le renvoi en commission du projet de loi déposé par le Conseil d'Etat et qui vise à couvrir les frais engagés par le canton de Genève dans le cadre de la sécurité du sommet d'Evian.
Présidence de M. Pascal Pétroz, premier vice-président
M. Guy Mettan (PDC). J'aimerais présenter les amendements à la motion que nous examinons et surtout les raisons qui font que le groupe démocrate-chrétien accepte cette motion ainsi amendée.
Le groupe démocrate-chrétien est attaché à la notion d'accueil et à la vocation internationale de Genève. A titre personnel, j'avoue partager les sentiments des groupes libéral, radical et UDC qui veulent purement et simplement interdire les manifestations. De prime abord, j'avoue en effet que j'ai de la peine à comprendre la motivation de gens qui cherchent à empêcher d'autres gens de se réunir librement afin de discuter des problèmes du monde. Il y a un paradoxe à se réunir dans les rues pour empêcher d'autres personnes de se réunir dans un hôtel. Cette étroitesse de vue, qui est la négation de l'esprit de Genève, cette intolérance, sont proprement sidérantes, surtout lorsqu'elles sont aggravées par des déclarations provenant d'instances officielles qui réclament soit l'annulation du sommet, soit le boycott des produits américains sur notre territoire. Cette attitude est d'autant moins compréhensible que le G8 d'Evian risque d'avoir une importance historique, comme il n'en a encore jamais eu. Ce sommet pourrait en effet être celui de la paix en Irak et de la réconciliation entre le Nord et le Sud. Surtout, ceux qui se sont vraiment intéressés à son programme savent qu'il répond exactement aux critiques que lui adressent les altermondialistes, c'est-à-dire qu'il se préoccupera de la responsabilité sociale des entreprises, du fossé Nord-Sud et de l'implémentation du NEPAD en s'ouvrant notamment aux 28 autres chefs d'Etat qui participeront et seront associés au sommet.
Je reconnais que les altermondialistes qui cultivent les divisions et les ambiguïtés n'ont pas fait la preuve de leur pacifisme et de leur capacité à maîtriser les dérapages éventuels des manifestations qu'ils entendent organiser. Les doutes et les craintes sur les intentions et les motivations me semblent donc parfaitement légitimes. Je pense en revanche que la solution préconisée, à savoir l'annulation pure et simple des manifestations n'est pas du tout une bonne solution et ne ferait qu'aggraver les choses, cela pour au moins deux raisons.
La première est une question de principe. Dans les périodes de tension et de confusion extrême comme celle que nous vivons, il convient en effet de se rappeler les grands principes afin de déterminer notre action. Or, le grand principe fondateur de Genève, c'est sa vocation internationale, sa vocation de ville et de pays et d'accueil. Cela signifie que Genève doit avoir la capacité de s'ouvrir non seulement à ses amis, mais aussi à ceux qu'elle considère comme des adversaires ou que simplement elle n'aime pas. On ne fait pas la paix entre amis. Si donc Genève veut être fidèle à ce principe de paix, elle doit accueillir à la fois les membres du G8 et leurs adversaires altermondialistes. Cette vocation est d'ailleurs conforme à la tradition des bons offices dont la Suisse aime s'honorer. Ici, j'avoue ne pas comprendre la position de l'UDC: si l'on est un partisan de la neutralité suisse et de la politique des bons offices - ce que je suis pour ma part - alors il nous faut tout faire pour que le G8 se déroule dans de bonnes conditions et que les manifestants aient aussi le droit de s'exprimer, dans les limites de la loi; sinon, les bons offices ne sont que lettres mortes.
Il y a enfin la problématique des droits de l'homme. Je rappelle que le droit de manifester, de se réunir et de s'exprimer est un droit de l'Homme. Je m'étonne ici que M. Halpérin, président de la commission des droits de l'homme de ce Grand Conseil, se fasse l'apologiste d'une interdiction de manifester qui est clairement contraire aux droits que défend sa commission. Je me souviens de son excellent et vibrant plaidoyer en faveur d'un mouvement religieux chinois qui était interdit de manifester à la place Tien An Men. Il n'avait alors pas trouvé de mots assez durs pour stigmatiser l'attitude des autorités chinoises à l'égard de ce groupe qui ne réclamait pourtant rien d'autre que les manifestants d'aujourd'hui. Il me semble quant à moi que ce qui est bon pour Pékin devrait aussi l'être pour Genève, sachant que les autorités chinoises adressaient au Falun Gong des reproches assez similaires à ceux qui sont adressées aux altermondialistes genevois, à savoir le trouble de l'ordre public et les dégâts causés aux biens publics.
Je constate en passant que nos voisins français et vaudois ont jugé bon d'autoriser les manifestations, à leurs risques et périls également, dans les mêmes conditions que nous. Je ne vois pas comment nous pourrions expliquer au reste de la Suisse et du monde comment Genève, la ville des droits de l'homme, qui aime tant donner des leçons au reste du monde, interdit chez elle ce qui est permis à Annemasse et à Lausanne.
La deuxième raison qui me fait douter que l'interdiction de ces manifestations soit une bonne solution est simplement pratique. Je ne vois tout simplement pas comment on pourrait mettre en oeuvre une telle interdiction. La fermeture des frontières est impossible, même en appelant l'armée et les polices étrangères à la rescousse. Le Conseil fédéral vient d'ailleurs d'annuler la possibilité de recourir à des polices étrangères. Quant à la troupe, elle s'avère d'un usage délicat, comme on a pu le voir à Genève lors des tragiques événements du 9 novembre 1932. On sait que les soldats ne sont pas préparés pour ce genre d'événements. Hier encore, j'ai eu l'occasion de discuter avec un soldat de la troupe qui m'a indiqué que seuls deux jours de préparation leur avaient été dispensés. Il est donc impossible de compter sur l'appui de la troupe dans un cas difficile comme celui qui se présente. Les risques sont énormes, y compris celui qu'une arme soit dérobée à un conscrit durant la manifestation. Bref, je ne vois pas comment Mme Spoerri, qui manque déjà d'effectifs pour contrôler une manifestation normale, pourrait faire respecter une interdiction générale de manifester. Une telle mesure serait un appel au crime et ne ferait que stimuler une réaction violente au sein même des altermondialistes suisses et genevois. Si l'on veut réprimer par la force, il faut avoir les moyens de réprimer. Sinon, il vaut mieux y renoncer et continuer à cultiver l'esprit de dialogue amorcé par M. Arbenz. Il vaut mieux aussi concentrer ses forces sur la surveillance des manifestations et la traque des éventuels casseurs. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, je vous invite toutes et tous à accepter les amendements que le groupe démocrate-chrétien vous propose et à accepter ensuite la motion ainsi amendée. Nous aurons ainsi à la fois respecté nos principes fondateurs et le sens des réalités qui nous oblige à agir conformément à nos forces et aux moyens dont nous disposons. (Applaudissements.)
M. Christian Brunier (S). Sous prétexte que la gauche critique la globalisation, sous prétexte que la gauche voulait la paix en Irak, nous devenons les complices des casseurs et le soutien de ceux qui voudraient perpétrer des dommages à Genève.
Je vous rappelle, Mesdames et Messieurs les députés, qu'une majorité des Genevoises et des Genevois est très critique par rapport à la globalisation de l'économie; qu'une majorité des agriculteurs de notre canton souffre de la globalisation de l'économie; qu'une majorité des petits et moyens commerçants de notre canton souffre aussi des effets de cette globalisation. Est-ce que cette majorité de la population devient pour autant, à vos yeux, complice des éventuels casseurs ? ce ne serait pas sérieux de le penser.
En tant qu'autorité cantonale, nous avons deux façons de gérer cet événement. Soit nous nous en lavons les mains. J'ai cru comprendre que certains souhaitaient aller dans ce sens. J'ai en effet entendu dire sur les bancs libéraux et de l'UDC que tout était de la faute de la gauche, que nous soutenions les manifestations et que nous devions assumer toute la responsabilité. J'ai entendu d'autres personnes à gauche répondre que la politique du G8 est la politique que la droite défend et que, par conséquent, c'est la faute de la droite s'il y a de la violence.
Je crois que ces attitudes ne sont pas responsables. Je pense que le rôle des autorités n'est pas simplement de gérer des choses faciles, des choses agréables, mais aussi de prendre ses responsabilités lorsque la situation est difficile, complexe, lorsqu'elle peut déraper. On aime tous de temps en temps se livrer à la guéguerre gauche-droite, moi aussi. Pourtant, aujourd'hui, sur un sujet aussi grave, aussi important, aussi essentiel, je pense que si nous rentrons dans ce schéma nous allons ridiculiser une fois de plus ce parlement et je pense que ce n'est vraiment pas sur ce genre de sujets qu'il faut rouvrir ces conflits.
Certains disent qu'ils rejetteront cette motion, sans proposer aucune solution en dehors de l'interdiction d'un événement qui aura de toute façon lieu. Une telle interdiction serait tout simplement une provocation supplémentaire dans un contexte qui est déjà alarmiste. Je vous rappelle que cette motion permet de clarifier les conditions d'accueil des manifestants et la doctrine d'engagement de la police; mais elle permet aussi de répondre à certaines questions que la population se pose et auxquelles le gouvernement n'a toujours pas répondu. Certaines de ces questions sont pourtant essentielles et ont été citées sur tous les bancs: qui va indemniser les commerçants et les citoyens et citoyennes de ce canton; quel sera le tracé exact de la manifestation; qui dirigera les opérations de police; y a-t-il un danger pour la nappe phréatique située sous le campement de Vessy; quelles seront les zones de sécurité et que s'y passera-t-il pour les transports publics et pour les gens qui doivent y accéder pour des raisons professionnelles ?
Il y a, vous le voyez, toute une série de questions auxquelles le gouvernement soit n'a pas apporté de réponse, soit a apporté des réponses informelles, soit encore a apporté des réponses discordantes. Plusieurs fois nous avons ainsi entendu des conseillers d'Etat dire blanc et noir. Aujourd'hui, cette motion vise aussi à clarifier cette situation et à obtenir des réponses aux questions que tout le monde se pose. Nous soutiendrons les amendements PDC qui sont de bons amendements et qui permettent de dégager une majorité dans ce parlement en faveur de cette motion. Nous soutiendrons philosophiquement ce qui est défendu dans cette motion afin d'amener calme et sérénité à ce canton et afin de ne pas jeter de l'huile sur le feu comme certains ont envie de le faire pour des raisons populistes.
Présidence de M. Bernard Lescaze, président
Mme Marie-Françoise De Tassigny (R). Cette motion rappelle la vocation de Genève: Genève, ville ouverte; Genève, ville internationale; Genève, ville de paix; Genève, terre d'accueil depuis de nombreuses décennies. Certes, mais pas à n'importe quel prix. Le prix ne doit pas être celui d'une ville assiégée, protégée et traumatisée. La population genevoise retient de la période du G8 de nombreux problèmes pratiques: des fermetures de magasins, des perturbations de la circulation, du chômage technique pour certains, des réquisitions de travail pour d'autres, des crèches fermées, des consignes vestimentaires, et plein d'autres mesures que je ne vous citerai pas pour ne pas vous lasser.
Que dire de nos fils - et je suis personnellement une des mères concernées - qui sont appelés à défendre Genève sous les drapeaux et qui ne seront pas protégés par la police? Que dire des gendarmes qui se préparent depuis des jours? Qu'ils soient ici remerciés pour leur investissement.
Certains rêveurs proposent de faire de Genève un grand terrain de fête. Je suis persuadée qu'ils sont convaincus de leurs idées, mais la réalité dépasse la fiction. Malheureusement, des extrémistes veulent une autre marque de leur opinion. N'oublions pas que Genève, jusqu'ici a été en tête d'une liste mondiale des cités reconnues pour la qualité de leur sécurité et leur qualité de vie. Voulez-vous perdre cette réputation qui nous attire de nombreuses implantations économiques? Le parti radical dit non fermement à une transformation de notre canton en un village de gaulois. Ce n'est pas sa vocation. Le parti radical refuse donc cette motion.
M. Ueli Leuenberger (Ve). Mesdames et Messieurs, le G8 aura lieu et les manifestations contre le G8 auront également lieu. M. Roulet au nom du groupe libéral nous interpelle: comment assurer la sécurité, comment juguler et contrôler un flux de manifestants aussi important, nous demande-t-il. Nous partageons ce souci, mais nous ne sommes pas d'accord avec les solutions proposées. Jeter de l'huile sur le feu en demandant l'interdiction de manifester contre un monde profondément injuste qui provoque des guerres, engendre la famine, détruit l'environnement; empêcher de manifester ces jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, qui veulent démontrer massivement, pacifiquement et dignement qu'un autre monde est possible, cela n'est pas une solution.
Après quelques cafouillages, le Conseil d'Etat s'est rendu compte de cette réalité: les manifestations du 1er juin auront lieu. J'en félicite le Conseil d'Etat et son président et je me réjouis qu'il soit engagé dans des discussions très concrètes actuellement. Les membres du Conseil d'Etat et le président de celui-ci ont des contacts réguliers avec les organisateurs, pour régler des problèmes très concrets. Il n'est pas sérieux - il est même irresponsable - que le propre parti politique dont est issue notre ministre de la justice et de la police demande l'interdiction de ces manifestations en sachant très bien que, même matériellement, ce n'est pas possible.
La question aujourd'hui est de savoir comment assurer le mieux la sécurité. Comment juguler et contrôler au mieux le flux des manifestants. C'est uniquement en travaillant ensemble en retroussant nos manches, j'en suis convaincu, qu'un bon accueil, cordial et festif, s'organise à Genève. Il faut soutenir moralement et matériellement les efforts des organisateurs pour que leur manifestation pacifique se déroule dans le cadre qu'ils ont prévu.
Je salue ici la position du parti démocrate-chrétien et la responsabilité qu'il assume. Nous soutenons évidemment les amendements qu'il propose à cette motion. J'espère que la raison l'emporte sur la discipline des groupes parlementaires, et je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à contribuer à l'apaisement et à participer activement, chacun dans son milieu, à la meilleure préparation de l'accueil et de sécurité possible autour du premier juin.
M. Jean Spielmann (AdG). En ce qui concerne le G8 et sa tenue, j'aimerais rappeler ici que je suis intervenu à plusieurs reprises au moment où la décision a été prise de tenir le G8 dans la région. Ayant entendu les positions du Conseil d'Etat et du Conseil fédéral, j'avais souligné les conséquences de la tenue d'une telle manifestation au moment même où les Etats-Unis commettaient une ingérence militaire en Irak. Il y a donc un problème de fond qui n'a pas été évacué jusqu'ici. Tant au niveau du Conseil fédéral qu'au niveau du Conseil d'Etat, on n'a pas pris les mesures nécessaires par rapport à la tenue de ce G8.
Dire ici que c'est la manifestation qui pose problème est un peu facile. Le G8 est contesté depuis son origine, lorsqu'il n'était que le G7, et depuis les premières manifestations en 1989 à la place de la Bastille où les premiers mouvements se sont mis en route et se sont poursuivis ensuite en manifestant à chacune de ces réunions contre la mondialisation.
C'est une réalité économique, politique et sociale du monde contemporain qui fait que des dizaines de millions de gens s'opposent aux décisions qui sont prises par les responsables du G8. S'ils ont été, pour certains d'entre eux, légitimement élus à la tête de leur pays, ils n'ont jamais reçu de mandat de personne pour gérer les affaires du monde. Or, c'est ce qu'ils font. Ils sont plutôt les représentants des actionnaires qui gèrent aujourd'hui le monde que des gens qui gèrent leur pays. S'ils se rencontrent, ce n'est pas pour résoudre les problèmes et tenter de trouver des solutions pacifiques et positives au développement du monde, mais c'est bien pour accélérer le pouvoir de l'argent et la domination de certains sur le monde par le processus de la dette endémique qui frappe certains pays. Cette situation détermine les conditions dans lesquelles doivent vivre les populations du Brésil, d'Argentine, d'Afrique du Sud, d'Inde, et j'en passe.
L'antimondialisation a franchi une étape entre Ottawa, Seattle et Porto Alegre, passant de l'anti à l'altermondialisation. Il s'agit là d'offrir une véritable alternative et de changer ce monde insupportable. Comment ne pas être d'accord avec ces altermondialistes qui constatent la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui, qui ont constaté par exemple que sur les 30 ministères que comptait l'Irak, 29 ont été pillés et saccagés, un seul a été protégé par l'armée américaine: celui du pétrole. On comprend mieux en lisant les décisions et les propositions de résolutions soumises au Conseil de sécurité de l'ONU pourquoi seul ce ministère n'a pas été pillé alors que des musées, des bibliothèques coraniques, des hôpitaux et tout ce qui pouvait constituer le tissu de la vie sociale de ce pays a été saccagé sous l'oeil totalement indifférent des soldats américains. Le principe qui fait passer le pétrole avant les personnes est un principe qui a posé problème à des dizaines et des dizaines de millions de personnes.
Mesdames et Messieurs, il faut prendre vos responsabilités. C'est curieux de voir les radicaux ici s'opposer à cette manifestation ou intervenir dans cette enceinte en vue de son interdiction alors que leurs responsables au niveau fédéral sont ceux qui ont le plus milité pour la mise en place de ce G8 et pour que la Suisse prenne une part active à sa réalisation. Votre conseiller fédéral a même souhaité avoir une rencontre à Genève avec un des protagonistes de ce sommet, un des criminels de guerres - appelons les choses par leur nom - qui a conduit des opérations illégales et qui continuent aujourd'hui à privilégier le pétrole par rapport à la population.
Mesdames et Messieurs de la majorité, vous voterez comme vous voudrez. Vous pouvez interdire cette manifestation. On peut continuer à mener des guerres coloniales, on peut continuer à endetter les peuples du tiers-monde, à développer les inégalités. La réalité, Mesdames et Messieurs les députés, c'est que l'avenir n'appartient ni aux armées ni aux policiers qui interdisent; l'avenir appartient aux dizaines de millions de personnes, parmi lesquelles des jeunes, qui sont descendues spontanément dans la rue dans ce canton et dans ce pays pour s'opposer à la guerre, à l'injustice du monde. L'avenir appartient à ceux-là, que vous interdisiez ou non cette manifestation ne changera rien à cette réalité.
Le problème qui est posé aujourd'hui est de savoir comment nous agissons par rapport à la légitimité d'une manifestation à partir du moment où l'on a invité les gens du G8 à transiter à travers notre canton et notre pays. Mesdames et Messieurs les députés, la meilleure réponse à ce problème, c'est l'ouverture. Nous devons être présents et montrer que Genève peut avoir une position d'ouverture, sur le terrain de l'altermondialisation, sur les problèmes posés par la guerre, sur les problèmes posés par le mal développement, par l'endettement et par la situation dans laquelle vivent les gens dans le tiers-monde. Nous devons faire le pari de l'ouverture et de la mobilisation, le pari d'une manifestation pacifiste contre l'orientation que prend le monde aujourd'hui. Cette ouverture-là, sous le regard du monde, peut être totalement différente de ce qui s'est produit à Gênes où l'on a voulu criminaliser les manifestants, faire des interventions policières, ce qui a conduit au chaos. Prenons l'exemple de Florence. Les altermondialistes ont fait la démonstration qu'ils peuvent parfaitement manifester et développer leurs idées sans tomber dans la violence.
Mesdames et Messieurs les députés, il y a aussi une réalité, c'est que la presse a mis de l'huile sur le feu. Elle a aussi une responsabilité dans la manière avec laquelle elle a présenté ces manifestations. Elle porte une très très lourde responsabilité dans les tensions qui existent actuellement. Je prendrai deux exemples. L'attaque contre le Lausanne Palace a déclenché toute une série de manchettes et d'articles sur la violence. Cette semaine la «Tribune de Genève» titraient «Pour quelques pots de fleurs lancés, certains renoncent aux manifestations». Voilà comment on présente les choses. Hier encore, on nous présente une page entière sur les conséquences et comment l'hôpital travaillera après cette manifestation comme s'il était entendu qu'il y aurait des dégâts considérables. Mesdames et Messieurs, c'est de l'irresponsabilité et je pense qu'il faut changer cette attitude. La Ville de Genève a démontré qu'elle pouvait et qu'elle voulait aller dans ce sens. Il faut accueillir les gens qui manifestent pacifiquement contre ce sommet et contre les orientations qui sont prises. Il faut se donner les moyens s'isoler les casseurs et d'empêcher les gens cagoulés de manifester avec les autres. Il faut trouver les moyens de conduire une manifestation pacifique qui ne fasse pas de dégâts à l'environnement.
En ce qui concerne les conséquences financières, je considère pour ma part que le Conseil fédéral, qui a pris la décision d'approuver la tenue du sommet à Evian et le transit par Genève des participants, porte la responsabilité des éventuels dégâts et doit donc participer à l'indemnisation de ceux qui subiraient des inconvénients. La manifestation est légitime. L'indignation des jeunes l'est également, il faut leur donner les moyens de s'exprimer. Faisons de Genève une ville ouverte, ouverte sur l'avenir. Mesdames et Messieurs, les interdictions que vous proposez sont du passé, elles n'apportent rien à notre société et ne feront qu'aggraver la situation.
M. Michel Halpérin (L). Certains se sont demandé pourquoi la question de la légitimité de ces manifestations n'a, pendant longtemps, pas été posée. Ce malentendu, au demeurant sympathique, tient à mon sens au fait que la conscience genevoise est tellement imprégnée des droits de l'homme et des libertés démocratiques que l'idée de remettre en question la possibilité des manifestants à s'exprimer dans la rue est parue incongrue à beaucoup pendant longtemps. M. Mettan évoquait tout à l'heure les travaux de la commission des droits de l'homme, auxquels il lui arrive de participer. (Rires.)Il a sans doute eu raison de rappeler qu'avant d'entrer en matière les membres de cette commission sont particulièrement attentifs au droit dont il s'agit: si l'on allègue un droit, il nous faut nous demander de quelle nature est ce droit, d'où il tire sa source et quelle application on peut lui donner. Il m'a semblé utile de me poser les mêmes questions aujourd'hui sur le droit de manifester. J'ai pris le temps de parcourir la jurisprudence du Tribunal fédéral sur ces sujets. Après vérification de bonnes sources, je peux vous affirmer que, si le droit de réunion est effectivement un droit constitutionnel et la liberté d'opinion une liberté constitutionnelle, l'un et l'autre sont soumis à la clause générale de police; ils ne sont donc pas illimités. Le droit de manifestation n'est pour sa part pas une liberté constitutionnelle: il n'est pas garanti par les textes constitutionnels, c'est pourquoi il est soumis à autorisation. Premier malentendu: il n'y a donc de droit à manifester ni dans la Constitution ni dans les textes supérieurs !
A partir de là, il convient de s'interroger sur l'attitude à adopter. Nous sommes bien entendu désireux que les citoyens libres que nous souhaitons rester puissent exprimer leur opinion et se réunir pour le faire. Il s'agit là d'une conquête de la démocratie à laquelle nous sommes très attachés. Mais il ne s'agit pas de la seule conquête à laquelle nous sommes attachés: nous sommes également attachés à ce que nos citoyens se trouvent dans une ambiance de sécurité personnelle et collective et se sentent respectés par ceux mêmes qui leur demandent de les respecter. C'est pourquoi, dans un sujet comme celui-ci, il convient d'appliquer - et je fais ici encore référence au Tribunal fédéral - le principe de proportionnalité: les citoyens ont certes le droit d'exprimer leur opinion. Mais cela signifie-t-il que les étrangers à cette cité aient le droit d'envahir Genève pour exprimer à leur tour leur opinion sur un événement qui se déroule en un autre lieu et qui ne nous concerne pas au premier chef ? A l'évidence, la réponse est non ! Existe-t-il un risque pour la sécurité publique ? Je rappelle que l'article 21 du pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques, qui est la bible en ces matières, précise que la sécurité publique constitue l'une tâche fondamentale devant être assurée par l'Etat - et le Tribunal fédéral n'a pas dit autre chose dans l'arrêt sur Davos ou, il y a trente ans, dans l'arrêt sur le Rassemblement jurassien. Cette sécurité publique est-elle menacée ? La réponse est oui: nous savons que les sommets du G8 et les manifestations qui s'y sont opposées ont créé des situations de crise extrêmement graves mettant en danger la sécurité tant des personnes que des biens. L'Etat possède donc ici un devoir de prévention.
Il existe en outre des problèmes de santé publique et d'hygiène. J'ai été rassuré d'entendre M. Pagani nous dire que nous serions finalement peu nombreux à manifester à Genève. Mais enfin, à supposer que les sources, généralement proches de lui, qui annonçaient jusqu'à ce matin des dizaines voire des centaines de milliers de manifestants aient eu raison: sommes-nous aptes à accueillir ces manifestants ? Et si nous ne le sommes pas ou s'ils ne seront pas autant, est-il utile de nous réunir aujourd'hui autour de la motion 1535 pour nous assurer que nous nous dotons des structures d'accueil nécessaires ? Si une telle réunion n'est pas utile, quittons-nous bons amis, et si elle est utile, admettons qu'il existe un potentiel d'invasion considérable pour ce canton, avec les problèmes d'hygiène que cela suppose. En effet, on ne loge pas, on ne nourrit pas, on n'assure pas les besoins de toutes natures d'une population qui pourrait représenter un quart, le tiers ou la moitié, peut-être la totalité de celle du canton sans risques pour les voiries et pour la population !
La question des coûts économiques pose également problème. La peur que nos concitoyens ont éprouvée ces derniers jours et les risques effectifs et objectifs que ces manifestations ne dégénèrent entraîneront indirectement des pertes pour l'économie genevoise de l'ordre de plusieurs centaines de millions - pertes qui auront des incidences sur nos budgets fiscaux - et des coûts directs qui se chiffreront eux-mêmes en millions, sans même envisager l'hypothèse que des actions en responsabilité soient engagées contre l'Etat si la dégénérescence de certaines manifestations créait des dommages à une partie de nos concitoyens. Je connais des personnes qui ont vécu, il y a quelques années, une telle situation lors des manifestations anti-OMC et qui aujourd'hui encore ont de la peine à s'en remettre. Ces conséquences économiques font partie du calcul de proportionnalité auquel nous sommes confrontés.
Vous nous proposez, Messieurs les motionnaires, le concept de «Genève, Ville ouverte». Il s'agit d'une bonne idée, car elle constitue l'aveu de la démarche que vous nous proposez ! Plusieurs d'entre vous ont déclaré ce matin qu'il était absurde d'interdire ce qu'on ne peut pas empêcher. En d'autres termes, Genève se trouve dans l'incapacité de faire face à la déferlante qui nous menace et les pouvoirs publics ne disposent pas des moyens d'assurer la paix publique. Si cela est vrai, la situation est d'une gravité formidable ! Elle est même doublement grave, car en nous demandant de renoncer à interdire ce que nous ne pouvons empêcher, on nous demande de commettre une lâcheté, ce qui ne me paraît pas conforme à la vocation des institutions républicaines. L'expression de «ville ouverte» s'applique, Messieurs les motionnaires, à des villes qui se décrètent sans défense et qui s'ouvrent: Rome, ville ouverte en 1944 à l'arrivée des Alliés; Paris, ville ouverte en 1940 à l'arrivée des Nazis; Lyon, ville ouverte en 1940 à l'arrivée des Nazis. Voici ce que vous nous proposez: Genève ville ouverte, Genève capitulant en rase campagne ! C'est une proposition intéressante ! (Vifs applaudissements.)
J'estime pour ma part que nous devons prendre nos responsabilités et admettre que le principe de proportionnalité nous impose, à regret, d'interdire la manifestation. Il nous faut du moins l'interdire dans tous ses aspects excessifs, à savoir l'arrivée de cohortes étrangères qui viennent ici en tourisme organisé - on ne sait pas très bien par qui - dans des buts peu clairs et au nom d'une nébuleuse dont la légitimité est plus ou moins préoccupante puisque Messieurs les organisateurs sont eux-mêmes incapables de nous dire qui l'anime, de quoi elle est faite et comment elle se structure. Nous estimons que nous n'avons pas à accepter une telle situation et qu'il nous faut prendre les mesures nécessaires. C'est la raison pour laquelle je vous invite à prendre en considération l'amendement suivant que je vous propose. Cet amendement s'inspire d'ailleurs des considérants du propre texte des motionnaires, qui constate la tenue du sommet à Evian et les contrecoups que ce dernier aura à Genève - que nous le voulions ou non. Plutôt que d'organiser l'animation proposée tout à l'heure - à grand renfort, je suppose, de clowns et de sucettes à distribuer aux enfants... - je vous invite à prendre la situation au sérieux. L'avenir de la République, paraît-il, appartient à ses institutions, qui sont encore, à ce que je sache, démocratiques et qui nous obligent à assumer nos responsabilités. Au nom de ces responsabilités, je vous propose de remplacer les conclusions de la motion 1535 par celle-ci: «à interdire toute manifestation en rapport avec le Sommet du G8 sur le territoire du canton durant la dernière semaine de mai et la première semaine de juin 2003; à obtenir le concours des autorités fédérales pour que toute mesure soit prise aux frontières internationales pour empêcher l'arrivée à Genève de groupes prétendant manifester sur le territoire cantonal; à obtenir le concours des autorités fédérales et cantonales compétentes pour prévenir l'arrivée, sur le territoire du canton, en provenance d'autres cantons suisses, de groupes prétendant manifester sur le territoire cantonal». Je précise que, selon les dires d'experts avisés, il est moins difficile de fermer nos postes-frontières à des groupes qui arriveraient en autobus ou dans des trains spéciaux que d'assurer la sécurité dans les ruelles de la vieille-ville ou sur les différentes places de notre cité. Nous ne devons pas être dupes, et lorsqu'un homme de la compétence de M. Vanek nous qualifie de provocateurs et de terroristes...
M. Pierre Vanek. J'ai employé les termes de boute-feu et de provocateur !
M. Michel Halpérin. ...je prends ses propos comme un compliment, car il est un professionnel en la matière !
Le président. Il est temps de conclure !
M. Michel Halpérin. Nous devons donc prendre nos responsabilités et ne pas être victimes du double langage de ceux qui brandissent les droits démocratiques pour mieux bafouer la démocratie ! (Applaudissements.)
M. Antonio Hodgers (Ve). J'userai de trois qualificatifs pour décrire la proposition de M. Halpérin: il s'agit d'une proposition antidémocratique, lâche et imbécile.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Antonio Hodgers. Cette proposition est en premier lieu antidémocratique. Les choix autoritaires - car il s'agit bien d'un choix autoritaire ! - sont ceux des faibles. Les libertés fondamentales ne se suspendent pas. Or, dès lors où M. Halpérin reconnaît que le fait de se réunir et de s'exprimer constituent deux libertés fondamentales, une manifestation populaire sur la voie publique ne peut être suspendue, puisqu'elle correspond à la fusion de ces deux libertés. Ces libertés peuvent éventuellement être soumises à conditions, mais ces conditions ne peuvent aller jusqu'à une annulation pure et simple ! J'ai vu un député UDC jubiler lors du discours de M. Halpérin, car les termes employés par ce dernier - «cette déferlante qui nous menace», «ces cohortes étrangères»... (Des députés protestent.)Comme vous pourrez le lire dans le Mémorial, ce sont bien les termes qui ont été utilisés ! Comment peut-on utiliser de tels termes à l'égard des citoyennes et des citoyens d'Europe qui s'apprêtent à venir faire part de leur position politique à Genève ?
Une voix. Avec ou sans bazooka ? (Rires.)
M. Antonio Hodgers. Vouloir suspendre la liberté d'expression sous prétexte de protéger d'autres libertés - également légitimes - telles que le droit à la sécurité ou encore la liberté des commerçants à pouvoir exercer leur métier correspond à un discours de pouvoirs autoritaires. M. Mettan a eu à cet égard raison de citer la Chine car, quand les autorités chinoises répriment une manifestation sur la place Tien An Men, elles tiennent exactement le même discours: elles prétendent que les libertés sont garanties et que le droit de manifester existe, mais que les manifestations des opposants au régime chinois ne peuvent être tolérées, car elles ne correspondent pas aux modalités qui ont été fixées.
La proposition de M. Halpérin est en deuxième lieu lâche. La position politique est facile à défendre: Genève n'a rien à gagner de cet événement puisque Evian et la France assument le prestige d'une réunion internationale, alors que notre canton n'en assume que les désagréments. Il a dès lors tout à y perdre: au mieux, si les manifestations se déroulent sans incident, les Genevois seront gênés dans la circulation; au pire, ils devront subir de la casse. On oscille donc entre le neutre et le pire ! Le plus simple est donc de s'opposer à l'ensemble de cet événement et de s'en laver les mains sur le plan politique, puisque aucun gain ne peut en être tiré. Or, démissionner par rapport à un événement sur lequel on peut agir pour faire en sorte qu'il se déroule le mieux possible constitue une lâcheté politique ! Il faut que toutes les forces responsables du canton mettent la main à la pâte. La situation évolue au sein de l'Etat, particulièrement parmi la police; cela est également le cas parmi les organisateurs. Il faut par ailleurs saluer les efforts de la Ville de Genève, qui développe depuis plusieurs mois une infrastructure d'accueil pour héberger les altermondialistes; de l'Armée du salut, qui projette de distribuer gratuitement de l'eau et de la nourriture aux manifestants; des communes chênoises, qui veulent mettre sur pied des infrastructures d'accueil; enfin, de la protection civile. La situation évolue également sur le plan associatif: la communauté kurde s'organise pour mettre sur pied de multiples stands de kebabs; la Maison des associations a également mis son infrastructure à disposition. Enfin, une majeure partie des députés ici présents joueront le rôle d'observateurs parlementaires lors du défilé du 1er juin pour tenter d'assurer le meilleur déroulement possible de la manifestation. Des individus s'engagent donc pour un événement que, comme M. Halpérin, ils n'ont pas choisi. Mais les libéraux, les radicaux et l'UDC ne font quant à eux absolument rien pour cette manifestation, ce qui constitue une attitude tout à fait lâche.
La position défendue par M. Halpérin est, en dernier lieu, une position imbécile. Les auteurs de cette proposition savent en effet fort bien qu'il est impossible de faire marche arrière à trois semaines du sommet du G8, alors que la manifestation a été annoncée dans toute l'Europe. (Protestations.)En ce qui concerne le Forum social européen, j'invite M. Halpérin à consulter d'autres sites Internet que ceux fréquentés par ses amis. Il pourra ainsi constater l'existence d'un forum économique mondial, qui se réunit annuellement à Davos, et d'un forum social mondial, qui s'est jusqu'alors réuni à Porto Alegre et qui se réunira prochainement en Inde. A partir de ce forum se sont constitués des forums sociaux européens et nationaux. C'est précisément le forum social européen, à la tête duquel se trouve M. Aguiton, qui convoque cette manifestation à Genève. Les organisateurs de cet événement sont donc reconnus et, bien qu'ils ne s'inscrivent pas au sein d'une hiérarchie et ne maîtrisent pas toutes les personnes qui se rendront à Genève, on ne peut nier l'existence d'une organisation qui dépasse largement les frontières de notre République.
Une voix. Une organisation fantomatique !
M. Antonio Hodgers. Comment refouler les individus à la douane ? Admettons que le dispositif de sécurité proposé par M. Halpérin empêche la grande partie des manifestants de venir: sur les 50'000 personnes qui comptent manifester à Genève, quelques milliers entreront malgré tout en Suisse. (L'orateur est interpellé au sujet du nombre de manifestants attendus pour la manifestation.)Je vous communique les chiffres qui m'ont été donnés hier par les autorités de la police: lors de la réunion à laquelle j'ai assisté hier, les chiffres qui ont été donnés par la police sont les suivants: un maximum de 100'000 manifestants sont attendus, dont une grande partie défilera en France. Les organisateurs s'attendent quant à eux à ce qu'un maximum de 10'000 personnes passent la nuit de samedi à dimanche sur le territoire cantonal; la plupart des manifestants ne viendront cependant que dimanche et ne nécessiteront donc aucune structure d'hébergement. Si l'on décide de refouler les manifestants, quelques personnes parviendront tout de même à pénétrer sur le territoire. Compte tenu du fait que nos concitoyens genevois et suisses viendront manifester, toutes les conditions seront réunies pour garantir une explosion à Genève: des manifestants stigmatisés, un cortège composé des personnes les plus déterminées sans parcours officiel, sans contact avec la police, sans service d'ordre interne et sans infrastructures d'accueil ! Je ne donnerais pas cher de notre ville si la proposition de M. Halpérin était adoptée. A une telle distance du jour J, cette proposition est d'une imbécillité rare !
De plus, comment réagiront les services de l'Etat, notamment la police et les autres partenaires institutionnels, qui se préparent d'arrache-pied à cet événement ? Un pareil signe de la part du Grand Conseil serait un frein aux préparatifs qui ne sont que déjà trop en retard. Il représente également un sacré coup de poignard dans le dos de la magistrate libérale Mme Spoerri, qui s'active à cette préparation. Mais cela est du ressort de la cuisine interne des libéraux, cuisine qui semble abriter plusieurs grands couteaux... Enfin, quelle image pour notre canton, pour notre pays ? Même des gouvernements comme ceux de Bush et de Berlusconi ont accueilli des manifestations altermondialistes...
Le président. Il est temps de conclure !
M. Antonio Hodgers. Je conclus: ...et l'une des plus vieilles démocraties d'Europe prétendrait qu'elle n'a pas les moyens d'accueillir cette manifestation ?
Si cette proposition est ridicule, elle ne coûte pas cher à ses auteurs. En effet, même s'il était suivi par le parlement, le Conseil d'Etat n'entrerait pas en matière par principe et par opportunité. Par conséquent, elle représente une forme de dédouanement par anticipation pour vous permettre de nous dire dans un mois, si les événements tournent mal, «On vous l'avait bien dit !» (Protestations.)Si une telle situation venait par malheur à se produire, nous saurons pour notre part, tout comme celles et ceux qui, dans les institutions - notamment au sein de la police - et dans les mouvements altermondialistes s'engagent à fond pour que cet événement soit une «grande fête de la démocratie » - selon les mots de Mme Spoerri - que nous aurons fait ce qui était nécessaire. Le risque zéro n'existe pas ! Nous aurons fait ce qui était nécessaire, et alors nous vous écouterons parler ! (Applaudissements.)
M. Gilbert Catelain (UDC). La question ne porte pas aujourd'hui sur l'interdiction ou non de cette manifestation: il s'agit de savoir si la Suisse, et en particulier Genève, ont la capacité de l'encadrer. Je tiens à souligner - et je profite de la présence à la tribune d'un conseiller national - que nous devons affronter les enjeux du XXIe siècle avec une organisation de sécurité du XIXe siècle. Contrairement aux propos de M. Mettan, l'UDC ne s'est pas prononcée pour l'interdiction, ce qui serait cependant techniquement possible. Nous avons simplement demandé, si cette manifestation devait avoir lieu, la garantie qu'il n'y aurait pas de débordement et que l'on serait en mesure de l'encadrer - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Que M. Vanek veuille nous faire croire que la manifestation est spontanée, que l'on sort du cadre légal, qu'il n'y a pas d'état-major: je crois rêver ! Les 1er et 2 mars de cette année, deux cents personnes se sont réunies à la Maison des associations pour préparer cette joyeuse manifestation du 1er juin. Un état-major coordonne donc effectivement la lutte anti-G8. Comme les précédentes, ces manifestations sont l'oeuvre d'une mondialisation organisée par l'antilibéralisme. On est contre la mondialisation lorsqu'elle est capitaliste et libérale, mais on est pour lorsqu'on est communiste ! (Brouhaha.)J'aimerais à cet égard vous citer les propos d'un ancien altermondialiste, M. Hubert Beuve-Méry. Certains le connaissent bien, puisqu'il n'est autre que le précurseur du mouvement Attac - le directeur actuel du Monde diplomatique étant le président de ce mouvement. M. Beuve-Méry écrivait donc en mai 1944 que «Les Américains constituent un véritable danger pour la France, danger bien différent de celui dont nous menace l'Allemagne ou dont pourraient éventuellement nous menacer les Russes. Les Américains peuvent nous empêcher de faire une révolution nécessaire et leur matérialisme n'a même pas la grandeur tragique du matérialisme des totalitaires. S'ils conservent un véritable culte pour l'idée de liberté, ils n'éprouvent pas le besoin de se libérer des servitudes qu'entraîne leur capitalisme.» On n'a guère évolué après soixante ans ! Il ne faut pas nous faire croire, Mesdames et Messieurs les épiciers, que l'on va pouvoir faire venir sur Genève des centaines, des milliers de cars sans aucune organisation ! Quant à la motion 1535, je constate que la principale manifestation a lieu le 1er juin et qu'elle durera une demi-journée, voire une journée. Je considère donc que l'Etat n'a pas à assurer l'hébergement de manifestants qui ne resteront que quelques heures à Genève. Une telle mesure ne ferait qu'amplifier le problème, car les manifestants seront incités à rester et à déborder dans le cadre d'autres manifestations et la situation redeviendra incontrôlable. La meilleure façon pour Mmes et MM. les députés de l'Alternative de faire entendre leur voix, c'est d'envoyer leur conseillère fédérale Calmy-Rey se faire représenter au G8, comme elle avait demandé le droit à s'entretenir avec M. Colin Powell lors de la rencontre de Genève.
On constate, en résumé, que la France accueille le G8 et les manifestations et que la Suisse assure la logistique. Je suis pour ma part opposé à ce que nous n'assurions que la logistique.
Le président. Nous interrompons nos travaux pour une durée de vingt minutes. Nous reprendrons à 11 h précises avec les trois derniers intervenants ainsi que la conseillère d'Etat Micheline Spoerri. Je prie les chefs de groupe ainsi que les membres du Bureau de bien vouloir se réunir dans la salle Nicolas-Bogueret pour décider de la suite de nos travaux.
La séance est levée à 10h40.