Séance du
jeudi 27 février 2003 à
20h45
55e
législature -
2e
année -
5e
session -
22e
séance
M 1464
Débat
M. Gabriel Barrillier (R). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, les auteurs de la motion relèvent à juste titre (Brouhaha.)...Monsieur le président, le déroulement de la procédure semble être contesté.
Le président. J'ai effectivement commis une erreur: j'aurais dû donner la parole en premier lieu aux auteurs du projet. Je vous remercie d'avoir la courtoisie de céder la parole à M. le député Charles Beer.
M. Charles Beer (S). La motion que nous vous proposons ce soir s'inscrit parfaitement dans la préoccupation du projet de loi 8561. Bien qu'elle ne concerne pas directement le même rayon d'activités - la motion se limitant aux jeunes stagiaires, soit principalement aux mineurs - il s'agit dans les deux cas de s'attaquer à la forêt des stages. Cette forêt comporte en effet un certain nombre de zones de droits et de non-droits qui débouchent, le cas échéant, sur des situations totalement anormales.
Je souhaite rappeler en quelques mots que la principale préoccupation de la motion est d'attirer l'attention sur la multiplication des stages de tous types. Certains de ces stages sont prévus, bénéficient d'un encadrement, font l'objet d'une définition de conditions de travail et prennent, le cas échéant, ancrage sur un travail paritaire. D'autres stages, en revanche, ne relèvent d'aucune concertation ni d'aucune élaboration précautionneuse en ce qui concerne le droit du travail.
C'est ainsi qu'aujourd'hui le Service des classes d'accueil et d'intégration (SCAI), qui propose des stages à des jeunes de quinze ans qui terminent le cycle d'orientation, prévoit des conditions de travail définies avec les partenaires sociaux. Ce service offrira, par exemple, un salaire minimum équivalent à la moitié du salaire de première année des apprentis. En revanche, les stages de plus courte durée qui sont développés dans la filière «VOIR» de l'école de culture générale ne prévoient ni salaire, ni définition précise dudit stage. Je rappelle au passage que l'Ecole de culture générale s'apprête à subir dès l'année prochaine une mutation par le biais des compléments de formation. Différents stages destinés aux jeunes gens de quinze ans se trouvent donc en concurrence, certains proposant un salaire, d'autres non. Ces stages se retrouvent parfois même en concurrence avec des places d'apprentissage.
Il existe en outre un certain nombre de stages dits «de sensibilisation», qui prévoient quelques jours d'insertion dans une entreprise dans le but de faciliter le choix de l'apprentissage. Nous constatons cependant que les choix de sensibilisation, qui reposent initialement sur trois jours, débouchent dans certains cas sur deux mois de stage, et ceci sans qu'aucun salaire ne soit versé. Il s'agit là d'une situation anormale !
Il existe donc, au nom du stage - terme fort pratique pour désigner un travail de quasi-volontariat - une multitude de types de formations. Il existe également une multitude de types de travaux qui utilisent l'argument de la formation, mais dont le contrat ne possède pas comme objet principal la formation d'un jeune. C'est ainsi qu'il existe, au nom du stage, des stages dans le cadre du chômage, de l'assurance-invalidité, des HES, de l'Ecole de culture générale, de l'Ecole de commerce ou encore des classes d'accueil et d'intégration. Un certain nombre d'entreprises utilisent également le terme de «stage» alors qu'il n'en est, en réalité, nullement question. Il arrive même, dans certains cas, que les jeunes gens paient leurs frais de stage !
Nous souhaitons donc, par le biais de cette motion, non seulement l'instauration d'un salaire minimum, mais également la mise en place de conditions minimales de travail qui permettent au terme de «stage», ou tout au moins au label étatique, de désigner clairement des stages garantis par l'Etat et prenant ancrage sur un certain nombre de préoccupations minimales comme celle d'assurer un salaire minimum en échange d'un travail fourni.
Cette motion ne concerne certes pas les stages d'une journée. En revanche, dès que le stage dure quelques jours ou quelques semaines, il paraît évident que des objectifs clairs de formation doivent être fixés, que certaines conditions de travail doivent être respectées, qu'un salaire doit être proposé et qu'une surveillance doit être instaurée - comme cela est le cas dans le cadre de l'apprentissage.
Notre préoccupation est donc de baliser cette forêt de stages, qui voit aujourd'hui naître dans sa nébuleuse un certain nombre de monstres auxquels il convient de mettre un terme.
Le président. Monsieur le député Barrillier, je vous remercie d'avoir eu tout à l'heure la courtoisie de céder la parole à votre préopinant. C'est avec grand plaisir que je vous la donne maintenant.
M. Gabriel Barrillier (R). Les auteurs de cette motion ont relevé à juste titre - notamment à l'instant par la voix de M. Beer - l'explosion de la demande de stages en entreprises: stages d'observation, d'orientation, de sensibilisation, d'insertion professionnelle, de formation intégrée dans un cursus supérieur - notamment pour l'obtention de la maturité professionnelle extra-CFC dans le cadre des formations HES. Mais il ne faut pas oublier que ce sont les entreprises qui offrent ces stages, et que les 80% de ces entreprises sont des PME et des PMI occupant entre une et dix personnes. Il a été reconnu que ces entreprises, très sollicitées, jouent le jeu.
Ces stages sont aussi dans l'intérêt de la relève professionnelle à tous les niveaux. L'office d'orientation professionnelle, sous la houlette du conseil central interprofessionnel, a mis sur pied une bourse, cela de façon à avoir une vision globale de l'offre et de la demande de stages. Je vous rappelle que le CCI est un organisme tripartite réunissant l'Etat, le patronat et les syndicats. Or, dans les cas où le stage dure plusieurs mois, comme pour l'obtention de la maturité professionnelle extra-CFC, des contrats-cadre élaborés sur cette base tripartite prévoient une rémunération ainsi que les conditions de ces stages. Il n'est, en revanche, pas réaliste d'étendre ces arrangements à tous les types de stages, dont la plupart n'excèdent pas quelques jours, en mettant à contribution le patron et les cadres de l'entreprise. Instaurer un régime centralisé et obligatoire de rémunération irait à une fin contraire en réduisant à coup sûr l'offre de stages! En effet, les entreprises risquent d'être rebutées par les charges administratives et pécuniaires de ces derniers.
Il faut rappeler, et je le souligne à l'attention de M. Beer, que ces jeunes ne sont pas employés comme main-d'oeuvre à bon marché. Il faut éloigner ce risque! Je m'étonne par ailleurs que cette question n'ait pas été posée d'abord au CCI.
C'est la raison pour laquelle je vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, de refuser cette motion superfétatoire. (Applaudissements.)
M. Blaise Matthey (L). Je crois que nous ne pouvons que nous réjouir de la multiplication des stages. On a en effet cherché, pendant de nombreuses années, à améliorer la formation professionnelle par une meilleure adéquation entre la théorie et la pratique. Vous connaissez bien le cursus recherche fondamentale - recherche appliquée; il peut être pratiquement appliqué à tous les stades de formation. La multiplication des stages constitue donc une véritable chance pour la formation, chance qu'il convient à tout prix de préserver. Le mariage entre la théorie et la pratique est la garantie d'une meilleure insertion. Le stage offre également une première entrée dans la vie professionnelle. Il constitue donc un véritable avantage pour les jeunes à une époque où le marché du travail se trouve quelque peu troublé.
J'avoue avoir de la peine à comprendre la démarche des motionnaires lorsque j'observe l'ensemble des stages répertoriés sur le site «Interface Entreprises» - dont j'ai apporté ici des extraits - et je constate que nous ne sommes pas, et de loin, dans une jungle. Au contraire, le terrain se trouve fort bien balisé puisque les conditions de stage, le public, le contenu, l'encadrement et l'évaluation sont spécifiés pour chaque type de stage.
J'ai encore plus de peine à comprendre quand je m'adresse aux responsables étatiques de la question des stages pour leur demander où se situent les problèmes et qu'ils me déclarent qu'il n'y en a aucun, hormis des cas extrêmemnt rares qui pourraient, précisément, échapper à l'encarement étatique... Ne réglementons donc pas un sujet qui fonctionne déjà bien, ce bon fonctionnement étant justement dû à la prise en compte par l'Etat de la spécificité des formations et des besoins des entreprises!
J'approuve pleinement les propos du député Barrillier quant à l'effort fourni par les entreprises en matière de stages. Il me semble que l'on mesure mal la forte demande actuelle pour de stages. Or, cette dernière se voit largement satisfaite par les entreprises qui fournissent un véritable effort, non pas en termes de main-d'oeuvre, comme on le dit si souvent, mais en termes pédagogiques! Il faut en effet s'occuper des stagiaires - ce que font les entreprises. J'ai moi-même eu l'occasion d'accueillir plusieurs types de stagiaires, qu'il s'agisse de la maturité professionnelle, des HES ou de l'Université. Il faut s'investir! La plupart des entreprises le font. Et les jeunes sont satisfaits!
En conclusions, il faut garantir à ces stages la même souplesse que celle qui est systématiquement revendiquée pour la recherche fondamentale ou la recherche appliquée. Nous sommes dans un processus continu... il n'y a aucune raison de refuser cette souplesse à l'issue d'une chaîne qui comprend une valeur extrêmement importante pour notre société.
Cela constitue une excellente raison de refuser cette proposition de motion. (Applaudissements.)
Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Le postulat de la motion repose sur l'affirmation que le chaos règne dans le monde des stages et que de nombreux abus existent. Or, ces assertions, si elles servent peut-être les vues de réglementation et d'étatisation des motionnaires, ne sont absolument pas démontrées. D'ailleurs, la question a déjà été posée dans le cadre du conseil central interprofessionnel: aucun exemple d'abus n'a pu être cité. En outre, si des cas d'abus devaient être découverts, ils devraient non seulement être dénoncés mais, surtout, être portés prioritairement à l'attention des partenaires sociaux.
Plus concrètement, la motion demande plusieurs mesures: instauration de salaires minimaux pour les stages, création d'un système unique de surveillance et d'autorisation, obligation d'annonces pour les entreprises. En clair, elle demande une réglementation et une étatisation stricte des stages. Mais l'on pourrait déjà s'interroger sur la définition d'un stage. Il existe évidemment plusieurs types de stages, allant de celui de quelques jours - stage de sensibilisation évoqué par M. Beer - à celui de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, qui s'apparente davantage à une formation professionnelle. Il n'existe pas une seule et unique sorte de stage; il n'y a donc aucune raison de réglementer ces divers stages de la même façon.
Vouloir l'étatisation des stages, qui plus est par un système unique, est donc absurde dans la mesure où cette notion recouvre des réalités multiples et différentes. Cette proposition peut même se montrer contre-productive, comme l'ont dit mes préopinants, dans la mesure où la lourdeur du système pourrait décourager certaines entreprises. Je pense notamment à l'obligation d'annonces. Je vous rappelle à cet égard la mise en place du système «Contact Entreprises» qui permet aux entreprises d'offrir des stages par un biais centralisé mais extrêmement souple.
En outre, la motion demande l'extension des informations paritaires aux stagiaires. Mais ces informations paritaires sont déjà offertes dans le cadre de l'apprentissage! Il est donc inutile de les proposer aux stagiaires, d'autant moins que ces informations ne commencent à intéresser les apprentis qu'au moment où ceux-ci se trouvent aux portes de la vie professionnelle, soit lorsqu'ils terminent leur apprentissage. Or, le stage ne constitue pas une entrée vers la vie active, mais une entrée vers la formation professionnelle.
Le groupe démocrate-chrétien estime donc que ni les stages ni les stagiaires n'ont quoi que ce soit à gagner avec cette motion qui prévoit une réglementation stricte. Il pense également que les informations paritaires doivent rester dans le cadre de l'apprentissage et qu'elles doivent servir l'intérêt des jeunes plus qu'elles ne serviraient l'intérêt de ceux qui les proposent. Nous vous proposons par conséquent de rejeter cette motion.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Nous accueillons pour notre part de manière favorable cette motion et nous la soutiendrons. Les systèmes de stages nous semblent effectivement loin d'être homogènes, et il nous paraît nécessaire de veiller à ce que les jeunes stagiaires ne soient pas victimes d'abus dans ce domaine. Nous tenons également à souligner la nécessité de soutenir et d'encourager les entreprises qui accueillent des stagiaires, les stages étant à nos yeux l'un des meilleurs moyens d'encourager les jeunes à connaître une profession et à s'engager dans une filière professionnelle en toute connaissance de cause.
Au vu des opinions contrastées émises par les préopinants et au vu de l'importance que revêtent les stages pour la formation professionnelle, cette motion devrait précisément permettre à la commission de discuter des deux aspects que je viens d'évoquer: surveillance des jeunes qui effectuent un stage d'une part, encouragement aux entreprises pour proposer des stages d'autre part.
Je rappelle en outre que le renvoi d'une motion en commission implique nécessairement des débats et que la motion initiale peut tout à fait se trouver modifiée en fin de séance.
Le président. Madame la députée, vous n'avez pas indiqué la commission à laquelle vous souhaitiez que la motion soit renvoyée.
Mme Sylvia Leuenberger. A la commission de l'enseignement.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Rémy Pagani.
M. Rémy Pagani (AdG). Notre groupe appuie cette motion dans la mesure où, contrairement aux propos tenus par certains, nous estimons que l'apprentissage est en crise. Je vous citerai quelques chiffres pour mettre en évidence la situation difficile de ce système d'apprentissage qui constituait l'un des fondements de nos relations économiques: il y a vingt ans, 30% des élèves qui sortaient du Cycle d'orientation commençaient un apprentissage à l'âge de quinze ans, alors que cela n'est actuellement le cas que de 7% des élèves. De plus, la moitié de ces 7% entame un apprentissage après avoir suivi deux ans de collège. Cette situation constitue un véritable problème. A cela s'ajoute le fait que les entreprises ont institué dans leur système productif un certain nombre de travaux flexibles, réclamant différentes forces selon les périodes de l'année ou les moments de la journée et, partant, une flexibilité accrue. Les employeurs tendent, de ce fait, à reporter sur l'Etat et sur les apprentis ou les individus désireux de se former la charge qu'ils prenaient sur leur bourse.
Nous nous apercevons que l'Etat a assumé de manière croissante le poids de la formation des jeunes durant ces dernières années. Un certain nombre d'employeurs profitent de ce système de stages pour se donner les moyens de disposer de bons travailleurs sans en payer le prix, comme ils le faisaient précédemment. Nous estimons dès lors qu'il est nécessaire de mettre en place des contrats-cadre garantissant des conditions minimales et permettant aux uns et aux autres de sortir de la situation actuelle.
Cela étant, nous constatons une nouvelle fois - comme nous l'avions déjà noté lors d'un débat précédent - que le système mis en place et qui prendra tous ses effets en juin 2004, soit l'établissement de contrats-cadre élaborés par les partenaires sociaux, a déjà aujourd'hui du plomb dans l'aile. Comme vous l'aurez remarqué - et les discussions de ce soir le prouvent - la majorité de droite refuse l'élaboration de contrats-cadre dans des secteurs qui se précarisent. Nous regrettons cette position, de même que nous avons regretté la souscription à ce système de la part de certains partis de gauche. Ce système, qui requiert l'accord de l'Etat et des employeurs pour mettre en place des contrats-cadre dans les secteurs de l'économie qui se dérégularisent, ne fera dès lors qu'augmenter la dérégulation de notre travail, puisque l'une des parties ne sera en principe jamais d'accord avec l'instauration de ces contrats-cadre. (Brouhaha.)
M. Charles Beer (S). Je souhaiterais préciser un certain nombre de points. Le premier que je tiens à souligner est le suivant: la motion ne condamne pas l'existence de stages ! Il me semble important de préciser ce point suite au vibrant témoignage de M. Matthey. (Rires.)
Ce vibrant témoignage a montré combien les stages peuvent être formateurs et utiles, et il ne m'incombe absolument pas de contrarier M. Matthey. Il faut cependant savoir que, parallèlement à un certain nombre de stages formateurs, certains stages figurant sur le site de l'OOFP prétendent être répertoriés par l'Etat, alors que cela n'est en réalité pas le cas. Ainsi, nous avons découvert qu'une grande entreprise, dont je ne citerai pas le nom ici pour des raisons évidentes, a employé un stagiaire avant le début de son apprentissage afin de décider si le futur apprenti était digne de l'être ou non. Cette situation s'est poursuivie durant deux mois, sans aucun salaire! Ce système n'est pas normal, et je sais que ni M. Barrillier ni M. Matthey ne le défendent. Ils doivent dès lors constater avec nous qu'il est nécessaire de mettre un peu d'ordre dans ce qu'il convient d'appeler «stage». (L'orateur est interpellé par M. Dupraz.)
Je suis désolé: je me suis adressé à M. le président et à Mesdames et Messieurs les députés, mais j'ai omis de saluer M. Dupraz, qui se manifeste. (Rires.)Si M. Dupraz daigne se taire quelques minutes, il pourra entendre la suite de mon propos.
Nous devons faire l'examen, type de stage par type de stage, des éléments qu'il convient de mettre en place pour éviter les abus et pour assurer un caractère formateur à ces stages. La souplesse ne s'oppose, à mes yeux, en rien à l'instauration d'un minimum d'ordre.
J'insiste également sur un autre point: je ne doute absolument pas que l'Office d'orientation et de formation professionnelles fait un effort d'information indéniable et que le CCI se soucie également de la multiplication actuelle des types de stages. Il n'en convient pas moins aujourd'hui de se poser la question suivante: dans quelle mesure l'Etat doit-il prêter son concours à des stages qu'il répertorie, mais qui ne font l'objet d'aucune surveillance, alors que l'ordre législatif a souhaité, durant le stage des mineurs, leur assurer un minimum de formation et d'encadrement ?
Je sais, pour avoir discuté dans les travées de ce Grand Conseil avec M. Barrillier, que celui-ci était favorable à un renvoi en commission de cette motion. Je suppose qu'il n'aura pas l'outrecuidance de changer de propos en commission plénière par simple vocation théâtrale, ainsi que M. Dupraz l'a énoncé tout à l'heure.
M. Bernard Annen (L). Nous nous trouvons saisis ce soir d'une «mauvaise bonne solution». Je pense qu'il est périlleux d'essayer de légiférer tant bien que mal sur certains éléments à la fois inutiles et dangereux, et cela pour remédier à des abus dont je reconnais certes l'existence.
Si j'interviens ce soir, c'est tout simplement parce que je suis dans le cadre de mon organisation responsable de quelque deux à trois cents apprentis. C'est dire que cela n'est pas mineur ! Or, nous nous trouvons confrontés, année après année, à la grande difficulté de recruter de nouveaux apprentis. Le stage constitue donc un élément essentiel. Mais le problème est le suivant: chaque année, l'ensemble de mes collaborateurs, l'ensemble des syndicats de la FTMH prennent leur téléphone pour implorer les entreprises d'offrir des stages ! Ca, c'est le drame !
Et pourquoi ? M. Blaise Matthey l'a très bien expliqué: il faut à tout prix investir! Un stage ne consiste pas à mettre un gamin dans un coin en lui demandant de balayer et d'observer les activités d'autrui ! Il s'agit, au contraire, de l'intéresser à l'activité de l'entreprise et de s'en occuper ! A cela s'ajoutent des problèmes de sécurité. Tous ces paramètres sont fondamentaux ! M. Beer sait par ailleurs fort bien que, dans un certain nombre de pays, on fait payer les stages aux gens.
Je partage l'avis de M. Beer en ce qui concerne des abus de deux ou trois mois de stage ainsi que le recours à la notion de stage pour employer des jeunes sans les payer, et que je condamne bien évidemment de tels abus - comme probablement tous les députés de ce parlement. Mais il n'est pas nécessaire de faire un peu de retape syndicale pour y remédier en demandant des informations sur le droit du travail, etc., alors que ces droits existent déjà ! Les motionnaires savent fort bien que des informations paritaires sont communiquées chaque année au niveau des apprentis ou du CEPTA. Ce n'est cependant pas au niveau du stage qu'il convient de fournir ces informations, car celui-ci doit permettre à un jeune de choisir, d'apprécier et d'aimer un métier! L'intérêt du stage réside dans la promotion d'un métier.
Je mets donc en garde les motionnaires: s'ils réglementent trop, s'ils souhaitent légiférer, plus aucune entreprise ne sera disposée à offrir des stages. Ils commettent une erreur avec leur motion qui représente, comme je l'ai déjà dit, une «bonne mauvaise solution»...
Une voix. Vous aviez dit le contraire !
M. Bernard Annen. Une «mauvaise bonne solution», si vous le préférez; prenez les choses comme vous le souhaitez !
Le système actuel est globalement bon puisqu'il procure aux jeunes l'énorme chance de pouvoir choisir leur profession. Que les motionnaires ne détruisent pas le système existant ! Au pire, je leur suggère de faire connaître et de négocier leurs soucis dans des secteurs spécifiques par le biais des partenaires sociaux, mais en tous cas pas au plan législatif. (Applaudissements.)
Le président. La parole est au député Gabriel Barrillier... qui renonce ? Vous y renoncez, Monsieur le député ?
M. Gabriel Barrillier (R). Non, je n'y renonce pas!
C'est le lieu de rappeler l'existence d'un certain nombre d'organismes dans cette République. J'ai évoqué précédemment le Conseil central interprofessionnel qui possède - je rebondis sur les propos du député Annen - une structure tripartite. Le député Beer a certes mentionné l'Etat, mais cet organisme possède l'avantage de réunir l'Etat, le patronat et les syndicats. Or, je ne pense pas que l'on puisse jouer sur les deux tableaux dans le cas de problèmes techniques pratiques. Si l'on a créé cet organisme tripartite, c'est précisément pour régler ce type de questions d'entente avec tous les partenaires, sans monter immédiatement au niveau politique.
Monsieur Beer, j'ai moi-même siégé à vos côtés au sein de cet organisme. Vous aviez certainement l'avantage d'être, en votre temps, à la fois membre du parlement et du CCI, soit un organe extra-parlementaire. Et je vous avais reproché à quelques reprises de jouer sur les deux tableaux. Permettez-moi en toute amitié - car vous traversez une période quelque peu tendue (Rires.)- de vous répéter que la question que vous soulevez dans cette motion doit être réglée au CCI, et non au parlement qui a d'autres objets à traiter. (Applaudissements.)
M. Charles Beer (S). Si M. le président écoutait le débat, il aurait pu constater que l'on aurait dû débattre du renvoi en commission, ce qui n'a pas été le cas. (Protestations.)
Une voix. C'est une motion !
M. Charles Beer. Même dans le cas d'une motion, cela en vaudrait la peine !
Monsieur Barrillier, vous avez déclaré que je traversais une période tendue, et je ne saurais vous démentir. J'aimerais cependant vous faire remarquer que ce n'est pas parce que vous vivez une situation détendue depuis un mois et demi... (Rires.)...que l'on doit aujourd'hui dénier toute légitimité à une motion comme celle-là !
Sur le fond du problème, j'aimerais également vous dire ceci : lorsqu'on fait appel à la légitimité des partenaires sociaux... D'abord remarquez avec moi ce que la motion stipule : elle demande justement de négocier ou de discuter ces conditions en concertation avec les partenaires sociaux. Mais, pour se prononcer sur une motion, encore faut-il la lire, Monsieur Barrillier... Il ne s'agit donc pas de contrecarrer les intentions des partenaires sociaux mais, au contraire, de s'appuyer sur elles.
Je ferai par ailleurs remarquer à Monsieur Annen, qui a parlé de légiférer, que cette motion demande d'abord à être étudiée en commission, puis à être soumise au Conseil d'Etat pour que celui-ci nous donne un avis. Si, pour vous, donner un avis du gouvernement revient à légiférer, je me fais du souci ! Parce que vous souhaitez à ce moment-là transformer notre parlement en société protectrice patronale, ce qui n'est pas tout à fait sa vocation ! (Rires et protestations.)
Le président. Je dois reconnaître ne pas avoir très bien compris votre intervention: vous indiquez qu'il faudrait se limiter à un débat sur le renvoi en commission alors que vous venez de développer un argument sur le fond... Bref! Nous n'allons pas épiloguer inutilement.
La parole est à Mme la conseillère d'Etat Mme Brunschwig Graf. Ensuite, nous voterons en premier lieu sur la demande de renvoi en commission, puis sur la demande de renvoi au Conseil d'Etat.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Monsieur le président, suis-je autorisée à traiter du fond de la motion ou dois-je me prononcer uniquement sur le renvoi en commission ?...
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, il me semble que la problématique soulevée par cette motion a été quelque peu perdue de vue. Deux questions se posent: quel est l'objectif du stage ? Quel est le type de protection qu'on veut lui accorder ? Ces deux questions en amènent une troisième: quelle est la rétribution ?
De même que pour le sujet dont nous avons traité précédemment, ces questions sont loin d'être simples. Nous avons réalisé, au fil des années, que lier ces trois éléments était dangereux. En effet, soit le stage s'inscrit dans une dynamique de formation, d'accompagnement et de contrôle, et l'on donne un véritable sens à ce qu'est un stage en évitant que l'employeur interprète ledit stage comme un emploi de seconde zone, soit on discute sérieusement salaire, en sous-entendant dès le départ qu'une contre-partie doit être offerte par rapport au stage. Si cet élément peut paraître secondaire, il n'en est rien dans la réalité: il structure en effet grandement à la fois l'attitude des employeurs, la signification du stage et, comme l'ont rappelé certains députés, la possibilité même de trouver un stage.
J'entends dire par certains que la situation actuelle constitue un grand désordre. Les commentaires parus dans les journaux sur la gestion du département de l'instruction publique peuvent aussi laisser penser que cette gestion tout entière représente un grand désordre! Je ferai cependant remarquer qu'il existe, parmi ce prétendu "grand désordre", une association - Contact entreprises - qui gère les stages du Cycle d'orientation. J'ignore si cette association couvre tous les stages; il est clair que nous pourrions être amenés à prendre connaissance d'éléments irréguliers et, partant, à intervenir. Cependant, la statistique 2001-2002 dénombre tout de même, pour ce seul type, 4 223 stages pour les populations scolarisées et 969 pour les populations non scolarisées. Il s'agit de stages de un à cinq jours, qui bénéficient d'une couverture assurance prise en charge par le département. Certes, ces stages ne comprennent ni contrat ni rémunération. Un rapport de stage est toutefois établi par l'entreprise et un bilan du stage effectué soit par l'école, soit par l'Office d'orientation et de formation professionnelles, et ceci pour les élèves du Cycle d'orientation, du dixième degré postobligatoire et des écoles de formation préprofessionnelle.
De nombreux autres stages - je vous épargnerai l'énumération - peuvent également être dénombrés. Tous placés sous le contrôle d'Interface Entreprises, ces stages sont de durée variable et font l'objet d'un contrôle du département. Une convention de stage avec rémunération facultative est en outre signée avec l'entreprise dans de multiples cas, notamment pour des stages d'un mois.
Je ne prétends pas que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais, si j'examinais en détail les stages organisés dans ce canton, je pourrais constater ces deux éléments: premièrement la volonté du Conseil d'Etat - puisque deux départements sont fortement impliqués, le département de l'économie et le département de l'instruction publique - de coordonner et d'intervenir concernant les stages qui le permettent; deuxièmement la volonté du département de l'instruction publique de garder un oeil attentif sur la situation. On peut, je le répète, être amené à connaître des dysfonctionnements et des dérives, mais cela sous réserve de les dénoncer, de les porter à la connaissance de l'autorité et, le cas échéant, de prendre les mesures nécessaires.
Je partage l'inquiétude des auteurs de la motion. Mais, en croyant pouvoir faire mieux, ils constateront à un moment donné que les entreprises pourront être découragées. Je rappelle que nous allons introduire à la rentrée 2003 la réforme de la formation commerciale professionnelle de base. Or, les exigences auxquelles les entreprises sont soumises par cette réforme engendreront, dans tous les cantons qui l'appliqueront, un recul de 20% des places d'apprentissage puisque les entreprises ne se trouvent plus en mesure d'assumer la totalité de leurs obligations. Je ne voudrais donc pas que, tout en essayant de bien faire, cette motion conduise à ruiner une part des efforts importants qui ont été fournis tant par les partenaires sociaux que par l'Etat pour développer les stages dans ce canton.
Je me souviens bien des discussions avec l'école d'enseignement technique qui, lors du passage de la formation de deux à trois ans, a émis quelques craintes quant aux possibilités de trouver des stages! Or, nous avons tous été fiers de constater que cette difficulté avait été brillamment surmontée. Je ne voudrais pas que par des interventions intempestives - même animées de bonne volonté sur le fond - on aboutisse à l'effet contraire! C'est pourquoi cette motion n'est pas la bienvenue.
Traitez-là en commission si vous le souhaitez; le département apportera toutes les informations nécessaires et de façon détaillée. Mais j'aimerais aussi que vous en mesuriez les effets quand nous parlons des stages: soit nous parlons de formation, soit nous parlons de rétribution de travail à bon marché. Et choisir de parler de formation influence aussi la façon de traiter cette problématique!
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons procéder en deux temps. Nous voterons d'abord sur la demande de renvoi en commission de l'enseignement et de l'éducation. Si cette dernière est acceptée, il en sera fait ainsi; si elle est refusée, nous voterons sur le renvoi éventuel au Conseil d'Etat.
Je vous propose, par mesure de clarté, que nous procédions par vote électronique.
Mise aux voix, la proposition de renvoi en commission est rejetée par 47 non contre 33 oui.
Mise aux voix, cette proposition de motion est rejetée par 45 non contre 32 oui.