Séance du
vendredi 28 juin 2002 à
14h
55e
législature -
1re
année -
10e
session -
51e
séance
M 1466
Débat
M. Christian Brunier (S). Il y a maintenant quelques mois, la population découvrait, suite à l'intervention de l'inspection cantonale des finances, d'une partie du Conseil d'Etat et d'une partie de ce parlement, le scandale des OPF, les offices de poursuites et faillites. Cela a été d'autant plus choquant pour la population que ce scandale, qui touchait à nouveau l'Etat, arrivait juste après celui de la Banque cantonale. Je crois que la population a été relativement rassurée dans un premier temps, puisqu'il y a eu une réaction politique massive, rassemblant la plupart des partis représentés dans ce parlement. Une réaction politique, car ils avaient envie de connaître la vérité, ils avaient envie de prendre un certain nombre de dispositions pour sortir de ces dysfonctionnements des OPF. Le monde politique avait envie de tourner la page sur un mode de gestion basé sur le copinage, qu'il voulait voir disparaître du management de l'Etat. Tout le monde avait envie de voir plus clair dans cette affaire, de trouver les responsables, de sortir de cette affaire et de remettre les OPF sur de bons rails.
Et puis il y a eu la conférence de presse du 17 juin de Mme la conseillère d'Etat Micheline Spoerri, qui a annoncé que le Conseil d'Etat avait décidé de ne retenir, par rapport aux quatorze sanctions recommandées par la commission d'enquête, que sept sanctions, dont la plupart étaient fortement atténuées.
Qu'un gouvernement ne veuille pas retenir les sanctions recommandées par une commission d'enquête indépendante, ceci peut se comprendre. Mais le Conseil d'Etat doit s'expliquer et doit apporter des justifications. Là, nous avons l'impression que l'on est en train de blanchir un peu facilement les gens et que les responsables ne sont aujourd'hui pas jugés convenablement.
Je vous rappelle que cette clémence excessive ne permet pas de rétablir la confiance au niveau des institutions, alors que ce scandale a sali une bonne partie de l'appareil étatique, du monde politique et de la fonction publique. Nous avons le devoir de connaître la vérité, le devoir de trouver les principaux responsables et le devoir de tourner la page. Or, nous ne sommes pas dans ce climat-là aujourd'hui et nous le regrettons.
Mme Spoerri a expliqué, lors de sa conférence de presse, que sa volonté était d'assainir et non de punir. Elle a raison. Personne, ici, n'a envie de partir dans une chasse aux sorcières. Ce n'est en tout cas pas le but des motionnaires aujourd'hui. Néanmoins, assainir ne veut pas dire fermer les yeux. Des fautes graves ont été commises et lorsqu'on connaît l'importance d'un blâme ou d'un avertissement à l'Etat, on se dit que les sanctions sont bien dérisoires par rapport aux actes commis. Ceci est d'autant plus grave qu'un grand nombre de personnes et d'entreprises ont été flouées par les dysfonctionnements des OPF. Cette motion demande aujourd'hui des choses très simples. C'est de procéder à l'indemnisation des personnes flouées par les dysfonctionnements et les tricheries de ce service, mais c'est aussi de jouer la transparence. Le Conseil d'Etat doit nous expliquer clairement pourquoi il n'applique pas les sanctions recommandées par cette commission d'enquête.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. En préambule, je souhaite m'adresser à Mme le député Gobet Winiger. Je trouve, Madame le député, que le ton de votre motion et une grande partie de son contenu sont pathétiques. Dans l'affaire des OPF, vous avez montré, sur tous les fronts, votre volonté de trancher entre l'avis des uns et celui des autres, considérant alternativement sur votre gauche que l'on avait tort, sur votre droite que l'on n'était pas fiable. Votre travail à la commission de contrôle de gestion a été considérable et chacun peut vous en rendre hommage. Il m'est arrivé de vous consulter en toute confiance sur ce difficile dossier. Enfin, vous avez récemment prêté serment, Madame, et vous appartenez désormais à la nouvelle et future autorité de surveillance. Vous voir aujourd'hui engager votre signature dans une motion qui contient des allusions purement diffamatoires à l'égard du Conseil d'Etat, faisant supposer certaines accointances politiques, me rend perplexe et a, je dois vous le dire, totalement ébranlé ma confiance.
Je ne peux pas accepter, Madame, les insinuations contenues dans votre motion, raison pour laquelle je remercie chaleureusement l'ensemble du parlement d'avoir voté l'urgence. Cela me permet immédiatement de rétablir la conformité du message passé le 17 juin et notamment les chiffres, que même l'auteur de la motion ne connaît pas. Je vous prie de prendre connaissance, Monsieur, du texte de la conférence de presse qui est sous vos yeux. Vous avez mentionné des chiffres totalement erronés.
Sur le fond, l'autorité de surveillance - je le rappelle puisqu'il semble que l'on n'ait pas encore compris - est compétente pour sanctionner les violations de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, le Conseil d'Etat, lui, pour sanctionner les violations des devoirs incombant aux membres de la fonction publique.
Le Conseil d'Etat a examiné les préavis de la commission d'enquête administrative. Son analyse l'a conduit à suivre les préavis des enquêteurs dans seize cas sur vingt, et non pas dans sept cas sur quatorze. Sur les quatre cas restants - je parle précisément de préavis, le Conseil d'Etat demande des préavis, c'est ensuite lui qui décide - sur les quatre cas restants, où il n'a pas suivi le préavis, les quatre personnes concernées ont été amnistiées dans les cas où un avertissement ou un blâme avaient été préavisés. Les décisions d'amnistie ont été, Monsieur, clairement fondées sur une approche plus exhaustive du parcours professionnel et du comportement des collaborateurs concernés dans le cadre de leur travail, apportant un éclairage supplémentaire de l'employeur que nous sommes et qui connaît ses employés au quotidien, contrairement aux commissions externes. Il ne s'agit donc évidemment pas, Mesdames et Messieurs les députés, j'en viens maintenant au fond de votre motion, d'une décision d'ordre politique. Il n'y a aucune justification à apporter et je n'entends pas, Mesdames et Messieurs, me justifier sur les décisions qui ont été prises. Ceci vide ainsi votre première invite de toute sa substance.
Les personnes réhabilitées sont les collaboratrices et les collaborateurs contre qui aucune sanction n'a été prononcée ou préavisée, ni par la commission des enquêteurs, ni par l'autorité de surveillance. Ce qui répond ainsi à la deuxième invite.
Je ne répondrai pas à la troisième invite, que je considère pour ma part comme une pure insulte à l'égard du Conseil d'Etat.
Enfin, j'ai annoncé lors de la conférence de presse du 17 juin que j'entendais renouveler les directions de ces OPF. Je me suis clairement exprimée. C'est donc moi qui en ai décidé. Votre quatrième invite me paraît ainsi totalement désuète.
La cinquième invite, qui concerne aussi la réforme des OPF, sa conformité à la nouvelle loi, est une redite que je ne comprends pas. Vous avez voté cette loi, je suis chargée de l'appliquer. J'ai été élue par le peuple et j'appliquerai la décision du Grand Conseil.
Enfin, concernant les lésés, laissez-moi vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que les lésés de toutes sortes sont nombreux et beaucoup plus nombreux que celles ou ceux identifiés par l'ICF. La population genevoise tout entière, pendant de très nombreuses années, n'a pas pu bénéficier d'un traitement honnête et fiable des offices des poursuites et des faillites. Ils sont là les lésés ! Raison pour laquelle je vous redis encore que je suis déterminée à poursuivre sans état d'âme, entendez-le bien, l'assainissement que j'ai entrepris dès le premier jour de mon arrivée au Conseil d'Etat. Cet assainissement, à l'évidence, ne manquera pas de connaître de prochains épisodes au décours des procédures judiciaires. Cette délicate situation ne m'a toutefois pas fait oublier, Mesdames et Messieurs, la nécessaire humanité et sérénité dont je dois entourer l'immense majorité des collaborateurs des OPF, qui n'ont, eux, jamais rien eu à se reprocher et qui sont las de vos polémiques.
Vous prendrez tout à l'heure vos responsabilités. Si vous renvoyez cette motion au Conseil d'Etat, j'y répondrai dans les jours suivants de façon très détaillée. (Applaudissements.)
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Vous auriez dû me donner la parole avant Mme Spoerri, Monsieur le président, mais je conserve quand même mon droit à la parole...
Le président. Mme Spoerri me l'a demandée avant, je suis navré.
Mme Sylvia Leuenberger. Je voudrais juste dire en quelques mots que nous soutenons les propos des socialistes et l'esprit de cette motion. C'est effectivement l'occasion pour nous de recevoir des explications de la cheffe du département sur le pourquoi de la levée de peine pour la moitié des personnes reconnues comme méritant des sanctions. C'est aussi l'occasion pour elle de réaffirmer clairement que les directions de ces offices devront être totalement renouvelées. Nous ne pouvons par contre pas souscrire à la troisième invite, qui demande de spécifier l'affiliation politique des bénéficiaires. Cela n'a rien à voir avec ce problème et cela outrepasse nos compétences. Nous avons également des réserves quant à la dernière invite. Mais nous soutenons l'esprit de cette motion.
M. Rémy Pagani (AdG). Mesdames et Messieurs, j'ai lu comme vous la proposition de motion des socialistes et j'ai été surpris. Il me semblait en effet que le parti socialiste avait plus d'entrées pour procéder à des vérifications, puisque c'est bien le parti socialiste qui a aidé à promouvoir une autre loi que nous avons votée majoritairement... Je me suis donc étonné, comme Mme Spoerri l'a remarqué, de cette prise de position un peu cinglante. J'imaginais que le parti socialiste disposait d'informations plus fiables que les miennes ! (L'orateur est interpellé.)Vous me permettrez, Madame Gobet Winiger, de considérer qu'un certain nombre de prises de position, dont on voit déjà les effets aujourd'hui, puissent prêter à sourire !
Ceci étant, sur le fond, comme vous le savez, l'office des poursuites et des faillites est aujourd'hui sur de meilleurs rails. J'en ai le sentiment profond. Une série de mesures a été prise, qui vise à remettre au travail l'ensemble de ces services, qui dysfonctionnaient à un point qui, je le rappelle et je le répète, n'est pas encore totalement éclairci. En effet, non seulement les enquêtes pénales ne sont pas abouties - on parle d'une année encore - mais en plus un certain nombre de volets de cette affaire n'ont toujours pas trouvé de solutions, notamment les administrations spéciales. Je regarde Mme Spoerri droit dans les yeux. Cela fait plusieurs mois que je demande une statistique de ces administrations spéciales. Personne n'a voulu ouvrir cette boîte de Pandore, alors que l'Etat, s'il arrive quoi que ce soit au sujet de ces administrations spéciales, est, du point de vue de la loi fédérale, garant de l'ensemble de ces administrations spéciales. On devra donc, une fois de plus, passer à la caisse et payer si des dysfonctionnements sont découverts dans le futur. De ce point de vue là, je réitère ma demande, à savoir que l'Etat de Genève investigue au moins statistiquement l'ensemble des administrations spéciales qui ont été attribuées à gauche... enfin, non, toujours à droite, à certains... Que l'on ait non seulement une statistique, mais en plus le nom de ceux qui ont été désignés comme administrateurs spéciaux et le nombre de mandats qui leur ont été confiés.
Cela étant, les offices des poursuites et faillites se restructurent. Cependant, l'autorité aurait en même temps dû, pour tourner la page, prendre des décisions aptes à redonner confiance au personnel. En l'occurrence, pour cibler un peu plus et un peu mieux la motion, que je soutiens en définitive même si les chiffres mentionnés sont effectivement erronés, je dirai que la politique menée par le Conseil d'Etat vis-à-vis des cadres est une politique critiquable. Les sanctions prises vis-à-vis des cadres me paraissent tout à fait disproportionnées... Ou plutôt, à l'inverse, les cadres auront tous un placard doré. On va leur offrir un placard doré, alors qu'ils sont responsables, parce qu'ils savaient. Ils avaient une vision générale des dysfonctionnements. Ils sont responsables, y compris d'avoir fermé les yeux sur des affaires qu'ils savaient se tramer dans d'autres secteurs et qu'ils n'ont pas dénoncées. Ils avaient l'obligation de dénoncer ces affaires. Ils ont pourtant déclaré aux employés qui se posaient des questions, j'en ai été témoin, que cela ne les regardait pas, que cela se passait à Arve-Lac ou ailleurs. De ce point de vue là, je trouve que le Conseil d'Etat et Mme Spoerri n'ont pas été suffisamment clairvoyants dans l'application des sanctions. Un certain nombre de cadres, je parle de la Vieille-Ville, ont même encouragé certains de leurs employés à participer à des ventes semi-publiques organisées uniquement pour les employés. A ce titre-là, comme responsables et comme cadres, ils auraient dû être sanctionnés. Pourtant, on les a convoqués et on leur a expliqué, au vu de leur excellent parcours professionnel, qu'on n'allait pas tirer sur l'ambulance, mais qu'on ne les réintégrerait pas à leur place et qu'on leur donnerait une petite place tranquille, comme il y en a passablement en faveur de cadres de l'administration - ce que nous continuerons à dénoncer - ici à l'office de la jeunesse, là ailleurs... Je pourrais vous en citer toute une série, parce que ces cadres sont identifiés. Ils restent ainsi dans l'administration, en tant que chargés de mission. Ils coûtent des sommes assez importantes à l'Etat de Genève et on ne sait pas quoi en faire. De ce point de vue là, je trouve que la décision du Conseil d'Etat concernant les cadres est critiquable.
Il est vrai qu'il s'agit de poursuivre la réorganisation de cette administration. Une majorité d'employés n'a pas trempé dans ces affaires - heureusement qu'ils ne l'ont pas fait - une majorité sur laquelle la présidente peut s'appuyer. Nous devons nous appuyer sur cette majorité de fonctionnaires pour mettre un point final à cette affaire, notamment, et l'on va y venir...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !
M. Rémy Pagani. Tout passe par l'argent et par les budgets. Mme Spoerri va nous proposer des projets de lois et une série de mesures pour augmenter le personnel, parce que la sous-dotation des offices des poursuites et faillites demeure chronique. Il s'agit de leur donner les moyens de fonctionner correctement .
M. Dominique Hausser (S). Il est vrai que l'engagement de Mme Spoerri dans ce dossier, depuis qu'elle a pris la tête du département de justice, police et sécurité, est important. Il est aussi vrai qu'elle essaye de faire diligence par rapport à l'application, la plus rapide possible, de la loi votée de manière chaotique en deux fois par ce parlement. A juste titre, elle viendra demander des crédits à ce parlement pour la mise en oeuvre de ce projet de loi.
J'aimerais d'abord faire une petite remarque à M. Pagani en ce qui concerne les gérances légales et les administrations spéciales. Un des groupes qui a permis à nouveau l'obscurantisme et la politique des magouilles potentielles en matière d'administrations spéciales et de gérances légales, c'est bel et bien l'Alliance de gauche, alors que nous essayons d'avoir des modalités totalement différentes.
Maintenant, Madame Spoerri, il y a des choses que je ne peux pas laisser passer. La motion en question est une motion socialiste. Vous n'avez pas le droit, Madame, d'accuser et de tirer à boulets rouges sur l'un ou l'autre de ses membres, signataire ou non de cette motion. Nous aurions pu la signer à dix-neuf, c'était la même chose. En l'occurrence, nous avons délégué. Je ne peux donc pas tolérer que vous accusiez une députée en raison d'une signature, alors qu'elle aurait disposé d'informations, informations qu'elle n'aurait par ailleurs pas dévoilées, puisqu'elles sont soumises à secret.
Vous avez tenu, Madame, une conférence de presse le 17 juin dernier. Vous avez eu la gentillesse d'informer les parlementaires avant la presse. Nous sommes ressortis particulièrement choqués de votre présentation. Tant l'avenir nous semblait intéressant, tant les sanctions ont été, à notre avis - sur la base de ce que nous savons des dossiers et des agissements d'un certain nombre de fonctionnaires - modérées. Nous avons estimé que le blâme était une sanction extrêmement modérée par rapport à la situation. C'est d'autant plus scandaleux que vous refusez aujourd'hui de donner des explications sur les raisons pour lesquelles vous n'avez pas complètement suivi les propositions de la commission indépendante, non pas tellement par rapport à nous, députés, mais par rapport aux 80 ou 90% des fonctionnaires qui travaillent aux OPF et qui sont restés, malgré la difficulté de travailler, extrêmement honnêtes, qui ont essayé de faire leur travail sérieusement, dans des conditions que les responsables mêmes de ces offices des poursuites et des faillites étaient en train de magouiller. Vous en avez récemment exclu un, alors qu'il était encore en poste le 17 juin. C'est bien la preuve que la situation était quand même déficitaire.
Vous nous devez et vous devez à l'ensemble des fonctionnaires, à l'ensemble de la population, des explications sur les raisons qui vous ont poussée à prendre telle ou telle décision. Vous ne pouvez pas vous retrancher derrière l'argument qu'il en va de la compétence du Conseil d'Etat, que celui-ci prend telle décision et qu'il n'a pas à dire pourquoi il la prend. Si l'on veut aller au bout de la démarche, de la transparence, ce n'est pas difficile. Vous nous fournissez la totalité des explications et nous comprendrons pourquoi vous avez amnistié, pourquoi vous avez blâmé plutôt que licencié, etc., etc. C'est nécessaire pour la clarté de ce dossier.
Le président. Le Bureau vous propose, Mesdames et Messieurs, de clore ici la liste des intervenants.
Mise aux voix, cette proposition est adoptée.
Le président. Les intervenants encore inscrits sont Mme Gobet Winiger, M. Dupraz, M. Pagani, M. Brunier et Mme Spoerri.
Mme Alexandra Gobet Winiger (S). Je prends acte des propos de Mme Spoerri. Je n'ai pas l'intention d'y revenir de façon détaillée. J'aimerais simplement dire que cette motion a été rédigée sur la base des informations données avant la conférence de presse aux deux commissions. J'en viens à présent à l'essentiel.
J'aimerais d'abord intervenir sur la gestion du passé, plus particulièrement sur les projections de réhabilitation évoquées par Mme Spoerri et que nous critiquons, ainsi que sur la question de l'organe de contrôle, aspect qui concerne le futur, ce qui me paraît quand même assez important. M. Brunier a parlé d'édulcoration des sanctions. Je ne reviens pas là-dessus. J'aimerais par contre parler de la perspective des réhabilitations envisagées par la magistrate.
Or donc, d'abord cette mesure de réhabilitation. Ce serait une première. Nous n'avons pas vu qu'elle ait eu un fondement démocratique. C'est une création. A qui s'adresse-t-elle ? D'après les informations données, elle s'adresserait à des personnes à l'égard desquelles il n'y a pas eu de propositions de sanctions. Ce qui nous gêne, c'est que l'on ne nous dise pas, dans cette affaire, que l'on réhabilite des personnes parce qu'elles sont absolument blanches de tous manquements. On nous explique que l'on propose de les réhabiliter parce qu'aucune sanction n'a été proposée. Ce qui s'est passé dans cette affaire, c'est qu'il y a eu un certain nombre de comportements qui constituent des manquements au devoir de fonction, que l'autorité de surveillance, en opportunité - mais cela ne concerne pas le Conseil d'Etat - puis la commission d'enquête administrative, toujours en opportunité, ont décidé de ne pas retenir. Ce qui signifie qu'il s'agit de personnes qui ont déjà fait l'objet d'une mesure de mansuétude par le biais de la non-poursuite de certains manquements. Ainsi, certains cadres qui ont, dans des cas particuliers, versé au bénéfice de l'Etat certains soldes actifs dans des successions. Ainsi, certain autre cadre qui a admis avoir taxé arbitrairement des émoluments de faillite, alors qu'il existe un règlement bien fait à ce sujet.
C'est pour cela que nous critiquons aujourd'hui la mesure de réhabilitation proposée. A nos yeux, elle ne vise pas des personnes qui auraient été exemptes de tout manquement. Elle concerne des personnes que l'autorité de surveillance et la commission d'enquête ont d'ores et déjà blanchies en opportunité. C'est ce que nous critiquons.
En ce qui concerne le futur et le contrôle, il m'a été donné de constater qu'il y avait, dans le projet de Mme Spoerri, deux postes affectés au contrôle au sein de la direction générale. Or, il n'a pas été tenu compte, ce faisant, de la loi du 21 septembre telle qu'elle a été votée et non revue au mois de février dernier. Cette loi du 21 septembre ne prévoit pas deux contrôleurs à la direction pour des tâches encore non cernées. Elle prévoit un organe de contrôle certifié au niveau des offices. Ceci ne fait pas partie du projet de réforme dans l'état où il a été présenté le 17 juin. Nous disons qu'il est essentiel que l'on ne se contente pas de deux contrôleurs de gestion qui conseillent la direction générale, même si c'est certainement très utile. Il faut bel et bien que le Conseil d'Etat s'attelle à mettre sur pied un organe de contrôle interne certifié, tel qu'il a été prévu par la loi du 21 septembre. C'est ce qui me paraît le plus important.
Enfin, en ce qui concerne l'intention réaffirmée de Mme Spoerri de renouveler totalement la direction des offices, nous l'avons dit, nous la saluons. J'ai malheureusement dû entendre à la télévision, le même soir que cette déclaration, que les titulaires actuels pouvaient tout à fait postuler et être candidat. Vous comprendrez, au vu des différences entre la présentation interne et ce propos, que nous réaffirmions quant à nous la nécessité de tourner totalement la page. (Applaudissements.)
M. John Dupraz (R). S'il y a un parti qui a souffert de cette affaire, c'est bien le nôtre. Même notre magistrat a payé cher de sa personne, puisqu'il n'a pas été réélu. Il y a eu une commission d'enquête, des spécialistes, des experts, des rapports, de nouveaux projets de lois pour restructurer ces offices des poursuites et faillites. Le Conseil d'Etat prend des décisions, inflige des sanctions. Je constate, si cette affaire a été le fonds de commerce de la gauche pour les élections, que cela devient maintenant un véritable jeu de l'oie. Alors que l'on est au terme du processus, que les décisions sont prises, la gauche dit que ce n'est pas comme cela qu'il faut faire, que l'on n'a pas suivi les experts. Mais en fait, une commission d'experts donne un avis et le Conseil d'Etat décide par la suite. Il l'a fait au plus près de sa conscience et au plus juste. Je ne comprends donc pas cette motion, qui demande de revoir l'opération, de refaire, de réexaminer, de renouveler, de mener une réforme profonde, etc. C'est un jeu de l'oie et l'on revient à la case départ. Les radicaux disent non ! Nous considérons qu'une loi a été votée et que le Conseil d'Etat a pris ses décisions. Il faut à présent aller de l'avant, tirer un trait sur le passé. Il y en a marre de ces histoires ! Nous voterons non à cette motion !
M. Rémy Pagani (AdG). Avant de m'exprimer, je dirai juste à M. Hausser, qui porte des accusations du genre café du commerce, qu'il est un peu malvenu de porter des accusations contre notre groupe, l'Alliance de gauche, en expliquant que nous aurions empêché ceci ou cela...
Le président. Réglez vos comptes entre vous, mais pas au parlement, Monsieur !
M. Rémy Pagani. En tout cas, je lui demande de me fournir des preuves de ce qu'il avance. A mon avis, nous avons au contraire toujours été vigilants par rapport à ces administrations spéciales.
Cela étant, prenons l'exemple des émoluments perçus par les employés chargés de cette tâche. Pourquoi étaient-ils chargés de les gonfler ? Parce que la majorité de ce Grand Conseil, sous le gouvernement monocolore, avait décidé de réduire linéairement de 2% l'ensemble des employés de la fonction publique. Or, dans les offices des poursuites et des faillites, la crise des années 90 étant là, il fallait bien réagir à l'augmentation des faillites. On a donc mis en place le subterfuge suivant. Comme il n'y avait pas assez d'employés et qu'il fallait quand même faire le travail, on a d'une part transmis des dossiers, notamment les administrations spéciales, aux petits copains, et on a d'autre part essayé de pomper de l'argent pour engager des auxiliaires. Je rappelle, Madame Gobet Winiger, que cette méthode a été sanctifiée par l'Etat, puisque M. Ziegler, entre autres, qui a aussi dirigé ce dicastère-là, a effectivement laissé passer ce genre de chose, que M. Ramseyer l'a entériné. Comment alors sanctionner tous les employés, car il faudrait en définitive sanctionner tous les employés? On en revient à la loi du talion. C'est ce que nous propose Mme Gobet Winiger: en prendre un sur dix et les démissionner, alors qu'ils ont tous participé, je dis bien tous, au gonflement des émoluments. Les cadres de l'administration, le Conseil d'Etat et les conseillers d'Etat successifs les ont laissés développer cette pratique. Il y a des pièces, je ne veux pas revenir là-dessus. Mais c'est cela qu'il faut souligner aujourd'hui.
Je comprends bien qu'il est difficile, pour le Conseil d'Etat, d'expliquer quelles mesures il va prendre contre ces gens, qui n'ont fait qu'appliquer les directives et se mettre en conformité, dirais-je, avec la politique du Conseil d'Etat. Ces employés-là n'ont fait, à mon avis, que suivre bêtement - à ce titre-là ils sont responsables - des ordres qui leur étaient donnés par les cadres. Ce sont donc les cadres qui doivent être sanctionnés, comme a été sanctionné le conseiller d'Etat responsable d'avoir perpétué cette situation. A ce titre-là, notre groupe trouve, je le répète, que les cadres n'ont pas été suffisamment sanctionnés par ces mesures, qui nous paraissent plus relever de la magouille que d'une saine administration de la fonction publique, telle qu'on la demande.
Le président. En plus de la liste précitée, M. Iselin et Mme Gobet Winiger ont demandé la parole, mais cette liste a été bloquée. Vous avez la parole, Monsieur Brunier.
M. Christian Brunier (S). Je crois que votre attaque personnelle contre Alexandra Gobet Winiger, Madame la conseillère d'Etat, est d'une profonde injustice. S'il y a une personne ici présente qui a contribué à faire la lumière sur ce dossier des OPF et qui a contribué à optimiser le fonctionnement de ces OPF, c'est bien Alexandra ! Il faut aujourd'hui lui rendre justice.
Deuxième chose, vous répondez à la première invite par anticipation, puisque la motion n'est pas encore votée. A la demande d'explications sur les sanctions atténuées ou les sanctions non prises, vous nous répondez déjà que vous ne donnerez pas d'explications. Alors, Madame la conseillère d'Etat, je prends votre dossier de presse. Lorsqu'une autorité de surveillance demande, par exemple, la destitution de trois personnes, la réponse gouvernementale est d'attribuer un blâme. Or, je le répète, un blâme, dans la fonction publique, ce n'est pas grand-chose. Le Conseil d'Etat inflige donc un blâme et précise qu'il ne donnera aucune explication à ce sujet. Le rôle du gouvernement, Madame la conseillère d'Etat, c'est de décider, mais le rôle du gouvernement, c'est aussi de donner des explications à ce parlement et à la population, quel que soit d'ailleurs le sort de cette motion.
Autre chose: on voit aujourd'hui dans la presse, du point de vue de la population, qu'une personne est licenciée. La population a l'impression que cet immense scandale des OPF ne repose finalement que sur une ou deux personnes, puisqu'une autre personne est en prison. C'est faux ! On le sait tous. Il y a beaucoup de personnes qui ont une responsabilité grave dans cette affaire. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, nous ne voulons pas mener une chasse aux sorcières, mais nous voulons que les responsables paient. C'est bien la moindre des choses par rapport à toutes les victimes. L'ensemble de la population a subi des conséquences. Certains ont eu leur vie brisée, individuellement, vous le savez très bien, mais aussi au niveau des entreprises, puisque des entreprises ont dû fermer à cause du mauvais fonctionnement des OPF.
Vous blanchissez des gens, mais vous les mutez par ailleurs. Là aussi, il y a incohérence, ambiguïté et aucune explication. Soit les gens sont blanchis, car ils n'ont commis aucune faute. A partir de là, il n'y a aucune raison qu'ils soient mutés. Soit ils sont mutés, mais ils ne sont alors pas blanchis. Là aussi, vous avez un devoir d'explication, car la situation est tout sauf claire.
Aujourd'hui, la réaction de certaines personnes dans ce parlement donne l'impression qu'elles n'ont plus envie de connaître la vérité, qu'elles n'ont plus envie de tourner la page. Ceci est détestable, parce qu'il y avait jusque-là une volonté forte - au-delà du clivage gauche-droite - de la plupart des partis de ce parlement pour tourner la page du copinage politique et de la mauvaise gestion de l'Etat. Or, on a aujourd'hui l'impression de revenir plusieurs mois en arrière. Cette motion, je le répète, n'a pas vocation à déstabiliser les OPF ou l'Etat. Elle n'a qu'une seule vocation, celle de réhabiliter l'Etat, le monde politique et la fonction publique. Je crois donc que cela vaut la peine de donner ces explications.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Je n'ai pas dit, Monsieur, que je refusais l'explication ou l'information. J'ai simplement indiqué que je ne me justifierais pas. Il y a une grande différence !
En ce qui concerne les administrations spéciales sur lesquelles vous m'aviez interpellée, Monsieur Pagani, comme d'ailleurs, je crois, Mme Gobet Winiger à l'époque, j'ai pris conscience, je vous l'avais déjà dit, de l'ampleur du problème. Mais pardonnez-moi de vous rappeler que j'ai été cheffe d'entreprise et que j'en ai créé quelques-unes. Vous ne pouvez pas concevoir quelque chose dans le détail lorsque vous n'avez pas reconstruit la base. Etes-vous conscients, Mesdames et Messieurs, de la destruction épouvantable que ces situations ont engendrée ? Tout sera fait, mais nous ne pouvons et nous ne devons pas brûler des étapes. C'est la raison pour laquelle nous procédons, chaque jour, au recrutement de personnes dont les connaissances sont rares. C'est la raison pour laquelle nous entendons, en tout cas, qu'un certain nombre de dossiers aussi graves que celui que vous évoquez soient repris. Cela ne peut l'être que si, d'une part, l'équipe des affaires courantes, si j'ose dire, est en place et cela ne peut se faire, d'autre part, que par l'engagement de cette fameuse «task force», nécessitant des connaisseurs et des gens de confiance, reconnus comme tels. Je m'étais engagée à m'occuper des administrations spéciales. Je ne peux pas à ce jour, par manque de ressources et par manque de moyens divers, vous les fournir. Mais je m'engage à ce que ce problème soit suivi, parce que je ne me fais aucune illusion sur les dérives possibles dans ce domaine.
Maintenant, Mesdames et Messieurs qui avez signé le projet de motion, vous parlez de mansuétude de la part du Conseil d'Etat. Vous dites aussi que l'autorité de surveillance a fait preuve de mansuétude et que la commission d'enquête, pourtant composée de diverses sensibilités politiques, dont la vôtre, a été aussi pleine de mansuétude. Dans le fond, il n'y a que vous qui ayez tout compris... Alors si vous savez tout, vous avez le devoir de prendre vos responsabilités ! Si vous en savez plus que moi, si vous en savez plus que la justice, si vous en savez plus que la commission d'enquête, Mesdames et Messieurs les députés, vous avez le devoir de le dire !
Vous m'avez entendue à la télévision, Madame Gobet Winiger, sur Léman Bleu, mais je me suis aussi exprimée le matin lors de la conférence de presse. On parle de l'application de la loi et de l'organe de contrôle, c'est la même réponse que celle concernant les administrations spéciales. Que va-t-on contrôler ? Voulez-vous me dire ce que l'on va commencer par contrôler ? Tous les dégâts précédents ? A quoi cela sert-il de mettre sur pied un organe de certification lorsque la base élémentaire, vous le savez mieux que moi, Madame, n'est pas reconstruite. Ce sera fait en temps voulu.
Votez les premières mesures d'urgence, Mesdames et Messieurs, lorsqu'elles viendront au Grand Conseil. Les autres seront mises en place lorsqu'il le faudra. Je n'entends pas me soustraire à l'application de cette loi.
Je reviens à la candidature des personnes à qui j'ai fixé un rendez-vous avant la conférence de presse. Il s'agit des cadres. Je les ai rencontrés pour leur faire part de ma décision. Il n'empêche que ces personnes ont le droit de postuler parce que la loi le leur permet. J'espère que vous avez compris dans quel état d'esprit je me suis exprimée sur ce sujet sur Léman Bleu. Si vous avez l'habitude d'avoir affaire à des gens malhonnêtes, dans le cas particulier, vous êtes mal tombés avec moi ! (Applaudissements.)
Le président. Je vais vous faire voter, Mesdames et Messieurs... (Protestations.)Non, non, c'est fini, la liste était close...
M. Christian Brunier. Vote nominal !
Le président. Vous pouvez, mais ne le demandez pas comme cela, Monsieur Brunier ! Demandez-le gentiment ! (Brouhaha.)
M. Christian Brunier (S). Monsieur le président, maintenant que vous me donnez la parole, je demande le vote nominal, parce qu'il me semble important de savoir qui a envie de la transparence sur ce dossier-là.
Le président. Nous allons procéder au vote nominal, Mesdames et Messieurs. Celles et ceux qui acceptent cette motion votent oui, les autres non.
Mise aux voix, cette proposition de motion est rejetée par 44 non contre 30 oui.