Séance du jeudi 29 novembre 2001 à 17h
55e législature - 1re année - 2e session - 4e séance

PL 8635
Projet de loi de Mme et MM. Luc Barthassat, Claude Blanc, Hubert Dethurens, Pierre Ducrest, René Ecuyer, Geneviève Mottet-Durand, Louis Serex instituant une prime temporaire d'aide à l'emploi agricole
M 1416
Proposition de motion de Mmes et MM. Michel Balestra, Luc Barthassat, Roger Beer, Claude Blanc, Marie-Paule Blanchard-Queloz, Thomas Büchi, Marie-Françoise De Tassigny, Hubert Dethurens, Erica Deuber-Ziegler, John Dupraz, Yvonne Humbert, Jean-Louis Mory, Louiza Mottaz, Jean-Marc Odier, Louis Serex, Anita Frei demandant au Conseil d'Etat d'intervenir auprès du Conseil fédéral en faveur d'un contrat-type de travail unique dans l'agriculture suisse

Préconsultation

Le président. La parole n'est pas demandée... Ah, je suis navré, Mesdames et Messieurs les députés, mais il faut appuyer sur le bouton ! Je passe la parole à M. Pagani qui a été le plus rapide...

M. Rémy Pagani (AdG). Mais j'ai appuyé sur le bouton, Monsieur le président !

Un peu d'historique par rapport à ce projet de loi et cette proposition de motion...

Nous avons réformé complètement, il y a deux ans de cela, la juridiction des Prud'hommes et celle de l'Office de conciliation. Ce Grand Conseil a élu le président de la Chambre des relations collectives de travail. Il ressort bien évidemment de l'ensemble des considérations sociales et salariales de ce canton qu'un certain nombre de contrats-types qui relèvent de l'appréciation du canton ne correspondaient pas - c'est le moins que l'on puisse dire - à des salaires décents. Dans le secteur de l'agriculture, les salaires se situaient autour de 2730 F... Imaginez comment on peut vivre dans notre canton avec une telle somme si on n'a pas le toit et le manger offerts ! C'est quasiment impossible !

La Chambre des relations collectives de travail a fait, pour une fois, un travail consciencieux et a établi, sur la base de critères statistiques, un salaire minimum - qui est d'ailleurs servi par un certain nombre d'agriculteurs conscients de leurs responsabilités professionnelles - de 3000 F. Mais on s'est tout d'un coup rendu compte, alors que ce contrat-type établi avait été ratifié par les instances de ce canton, par le Conseil d'Etat, responsable précisément de ratifier ce contrat-type, que cela induirait une concurrence déloyale par rapport aux agriculteurs des autres cantons. C'est un vrai problème.

Nous sommes favorables au fait qu'il y ait la possibilité au niveau national d'établir des contrats-types dans l'agriculture et nous avons soutenu cette proposition. Mais aujourd'hui, avec ce projet de loi, on nous propose quelque chose d'extrêmement dangereux, à savoir de subventionner, non pas la différence entre 2700 F et 3000 F, mais de subventionner à hauteur de 450 F le personnel agricole. Chaque ouvrier agricole recevrait ainsi une manne de l'Etat de 450 F par mois, sous prétexte qu'une concurrence déloyale pourrait être faite par les autres cantons. Alors, que dire de tous les employés de la vente, des dix-huit mille personnes, nous allons le voir tout à l'heure à propos de la LHFM, qui subissent la concurrence de notre voisin français?

En votant ce projet de loi, on mettrait le doigt dans un engrenage: les responsables de grands magasins qui sont éminemment représentés sur les bancs d'en face pourraient très bien dire qu'ils subissent la concurrence déloyale de la France et qu'ils veulent en conséquence être subventionnés à hauteur du manque à gagner...

Il me semble qu'il y a lieu de mettre des garde-fous. En tout cas, pour ma part, je ne soutiendrai pas ce projet de loi, bien que la motion aille dans le bon sens.

Il est de l'intérêt de la Confédération d'égaliser l'ensemble des conditions salariales du personnel agricole par un contrat-type à hauteur de 3000 F au niveau suisse. Cela évitera qu'il y ait encore des conditions de travail scandaleuses qui soulèvent l'émoi, régulièrement, mois après mois dans ce secteur.

M. Louis Serex (R). Après les théories simplistes de mon ami Pagani, il n'est pas évident de prendre la parole... Je pense qu'il a un peu dérapé.

Les maraîchers, les agriculteurs, les vignerons de ce canton, dans une période difficile sont un petit peu surpris qu'un juge, dont je dirai qu'il est légèrement rouge... - ça te fait rire hein, mon ami Pagani ! - impose un salaire minimum.

Alors, comme le dit un vieux proverbe, j'ose croire que celui qui commande paye, puisque, via la République, via le Conseil d'Etat, ce cher monsieur veut nous imposer un salaire minimum dans une période de concurrence terrible sur tous les marchés, qu'ils soient zurichois, tessinois, où ce type de contrat n'existe pas, sans parler de la production régionale française. Comment voulez-vous que les familles d'agriculteurs - parce que ça existe encore les paysans ! - s'en sortent? Je pense que la personne qui a décidé ce salaire minimum - dont le principe a d'ailleurs été accepté par la Chambre d'agriculture - a mal choisi son moment. Prendre des décisions sans se préoccuper de la situation économique du moment est complètement indécent! Alors, nous demandons aux braves gens qui ont pris cette décision de nous donner la différence pendant une certaine période. A un moment donné, il faut prendre ses responsabilités et c'est ce que doivent faire les braves gens qui donnent des directives. Je le répète, comme le dit le proverbe, «qui commande paye !»

Une voix. Qui paye commande ! (Rires.)

M. Louis Serex. Oui, mais vous avez tous compris ! D'ailleurs, c'est en se trompant qu'on attire l'attention dans ce plénum !

Mme Morgane Gauthier (Ve). Les Verts ont demandé le débat de préconsultation sur le présent projet de loi, car il nous semble important d'exprimer nos réticences avant le travail en commission, étant donné que les membres de notre groupe étaient assez partagés quant à ce projet de loi. Ce qui est sorti du travail du groupe des Verts, c'est que nous voudrions voir figurer dans le projet de loi plusieurs éléments.

Nous voudrions tout d'abord que soit précisée la durée de l'aide, parce que l'alinéa 2 de l'article 1 ne nous suffit pas.

Deuxièmement, nous voulons que cette prime soit attribuée uniquement aux entreprises et aux exploitations qui en ont réellement besoin, et il faudrait que ces entreprises prouvent que ces besoins sont réels.

Troisièmement, cette aide ne devrait être accordée, à mon avis, qu'aux entreprises ayant un mode de production respectueux de l'environnement. Cela veut dire au minimum un mode de culture P.I., voire un mode de culture biologique.

Juste une remarque encore. Permettez-moi de m'étonner que les groupes politiques auxquels appartiennent les signataires réclament à cor et à cri des diminutions de budget et que, dans le cas présent, ils proposent des dépenses supplémentaires pour l'Etat.

En conclusion, les trois points évoqués plus haut devront être intégrés pour que les Verts entrent en matière sur ce projet de loi.

Le président. Monsieur Dupraz, je ne peux pas vous donner la parole maintenant car nous sommes en préconsultation... Tout à l'heure, quand nous en serons à la motion, vous pourrez vous exprimer. Monsieur Charles Beer, vous avez la parole.

M. Charles Beer (S). J'aimerais exprimer à mon tour, au nom du parti socialiste, l'avis que nous avons sur le projet de loi. Il n'est pas simple de dire qu'il est extraordinaire et merveilleux et il n'est pas plus simple de le balayer d'un revers de la main en disant qu'il est quantité négligeable et qu'il traduit ainsi des préoccupations indignes de ce parlement...

Nous avons au contraire estimé que le problème posé par le projet de loi est réel et qu'il comporte deux aspects.

Le premier, c'est l'activité économique du canton de Genève dont nous avons toutes et tous exprimé le souhait qu'elle ne se concentre pas dans le secteur des services. Bien au contraire, il faut maintenir un minimum de diversité qui passe également par la capacité de produire dans le secteur agricole.

Le deuxième élément concerne aussi l'activité économique: nous pensons que l'activité qui consiste à produire à partir de la terre n'est pas n'importe quelle activité économique et qu'elle mérite un certain nombre de protections au sens large du terme.

Et c'est pourquoi nous voyons régulièrement, malgré tous les antagonismes, qu'ils soient économiques ou sociaux, un certain nombre de forces syndicales et également de producteurs paysans se retrouver pour dénoncer la mondialisation néolibérale. Nous voulons, en préambule, insister sur cet élément.

Cela dit, le projet de loi lui-même ne peut être reçu en tant que tel, parce qu'il pose un certain nombre de problèmes de fond.

Monsieur Serex, il ne suffit pas de dire qu'une autorité a décidé d'augmenter les salaires et que c'est donc à elle de payer... Nous pensons au contraire qu'il faut être extrêmement attentifs à séparer les règles du jeu. D'une part, il y a une volonté de la Chambre des relations collectives d'imposer un salaire minimum, certes, mais, d'autre part, le monde agricole doit trouver un certain nombre de ressources pour faire face aux difficultés qui lui sont imposées. Nous sommes conscients que ce sont des difficultés sociales qu'il faut surmonter et que ce n'est pas facile.

Nous anticipons d'ores et déjà le renvoi en commission en disant que nous estimons, comme les Verts, que si l'aide de la collectivité est demandée, il faut qu'elle soit prévue dans la durée, en gardant à l'esprit l'aspect écologique, c'est-à-dire le développement durable. L'activité doit être conforme au développement durable, et nous devons aussi prendre en considération la capacité de l'entreprise agricole... Il n'est pas question de l'oublier et il n'est pas question de dire que tous les paysans meurent de faim non plus, même si nous sommes conscients de leurs difficultés !

Nous devons également imaginer, le cas échéant, une participation de la collectivité plus proche des employés, par exemple en construisant ou en aménageant des logements pour les travailleurs qui, outre des conditions difficiles de travail, doivent vivre dans des logements plus ou moins dégradés.

Voilà pour ce qui est du débat en préconsultation. Nous soutenons le renvoi en commission de ce projet en exprimant ces critiques, comme autant d'amendements que nous présenterons en commission.

M. Luc Barthassat (PDC). J'aimerais quand même le rappeler, cette motion vise à intervenir auprès du Conseil fédéral pour obtenir une harmonisation des conditions de travail au niveau suisse en instaurant un contrat-type de travail national, donc un même salaire horaire.

Le projet de loi demande quant à lui une aide temporaire - il est bien entendu que c'est temporaire - pour aider les exploitants à tenir le coup jusqu'à ce qu'un accord sur le taux unique soit trouvé au niveau national.

Il y a quelques mois, la Chambre des relations du travail décidait d'augmenter les salaires agricoles minimum genevois. Les milieux agricoles genevois se réjouissent de cette augmentation pour leurs employés qui travaillent souvent très dur et par tous les temps, ne l'oublions pas ! Cette décision place les salaires agricoles genevois 15 à 25% au-dessus des salaires agricoles établis dans les autres cantons suisses. Une telle différence ne peut que porter préjudice aux secteurs de production maraîchère, horticole, arboricole et viticole de notre canton, que ce soit au niveau de la main-d'oeuvre ou au niveau des investissements futurs des exploitations.

Comme il est écrit dans la motion, il nous faut éliminer ces distorsions de concurrence au niveau national en remplaçant les vingt-cinq contrats-types actuels par un seul au niveau national. Car dans notre canton on ne peut souligner d'un côté la nécessité de conserver l'agriculture et lui imposer en même temps des handicaps insurmontables. Après le travail et les efforts faits au sein de la Chambre genevoise d'agriculture, c'est à nous, politiques de ce canton, d'intervenir auprès du Conseil fédéral.

C'est pourquoi je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un accueil favorable à cette proposition de motion et à ce projet de loi et de soutenir leur renvoi en commission, car si l'agriculture a besoin du soutien populaire, je le répète, elle a aussi besoin du soutien politique, que ce soit à Genève ou à Kloten.

M. Carlo Lamprecht, président du Conseil d'Etat. Je vais d'abord m'exprimer sur la motion 1416 qui fait partie du sujet que nous traitons.

Le Conseil d'Etat, averti par mon collègue Robert Cramer et moi-même, qui sommes bien entendu très proches du monde agricole, a interpellé le Conseil fédéral déjà bien avant que cette motion ne soit déposée. Nous avons envoyé un courrier à M. Pascal Couchepin le 15 juin 2001 pour lui proposer de faire usage de l'article 352A, alinéa 1, du code des obligations, afin d'édicter un contrat-type de travail national dans le secteur de l'agriculture avec harmonisation à court terme des conditions dans les différents cantons. M. Couchepin m'a répondu en date du 6 juillet déjà - et je pourrais vous livrer certains morceaux choisis de son courrier - en disant tout simplement qu'il n'entre pas en matière pour l'instant et que la seule possibilité serait que des députés aux Chambres fédérales interviennent sur ce sujet. ..

M. John Dupraz. C'est fait !

M. Carlo Lamprecht, président du Conseil d'Etat. Vous l'avez peut-être fait, mais, pour l'instant nous en sommes là !

Quant au projet de loi, nous allons le renvoyer en commission pour pouvoir en discuter largement, puis nous pourrons essayer de trouver des solutions, mais lesquelles? Je dois dire que la solution proposée pose toute une série de questions de principe qu'il conviendra d'étudier très attentivement.

On peut limiter l'analyse au seul secteur de l'agriculture. D'autres métiers, dans les services notamment, pourraient, à la limite, revendiquer des subventions par rapport aux distorsions de salaires entre Genève et le reste de la Suisse. Et puis, d'une façon générale, il faut examiner si c'est véritablement le rôle de l'Etat de financer de telles subventions. Ce sont des questions qui se posent et que nous pourrons discuter en commission.

Je propose donc que ce projet de loi soit renvoyé à la commission de l'économie.

Le projet de loi 8635 est renvoyé à la commission de l'économie.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons passer à la motion.

M. John Dupraz (R). Je voudrais vous dire, Monsieur le président du Conseil d'Etat, que je regrette d'intervenir après vous, car cela ne se fait pas. Mais je pensais que les deux objets étaient couplés dans la discussion. On les a séparés: je trouve que ce n'est pas très heureux, car les deux objets sont très liés.

Tout d'abord, ce que nous regrettons dans les milieux agricoles, ce n'est pas qu'on ait fixé le salaire minimum à 3000 F, c'est qu'on l'ait imposé en quelques semaines ! Cela a provoqué une augmentation de salaire substantielle en très peu de temps, et la décision a été prise sans tenir compte des conditions économiques du moment. Je trouve qu'il n'est pas acceptable que le juge qui préside cette commission impose une décision aux partenaires - pourtant, c'est ce qu'il a fait - sans tenir compte des conditions économiques.

Mesdames et Messieurs les députés, on parle toujours de globalisation, et il est clair que l'agriculture n'échappe pas à cette globalisation, même au niveau national. Nous avons un marché, une politique agraire, un marché suisse pour les légumes, un marché suisse pour le vin, et l'agriculture genevoise est confrontée à cette concurrence suisse. Il n'est donc pas acceptable que, alors que nous avons globalisé l'économie au niveau national, on vive encore sur un système de contrat-type cantonal avec vingt-quatre réglementations différentes.

C'est pourquoi je trouve que la motion est la bienvenue. Et, sur cette lancée, j'ai déposé une initiative parlementaire pour modifier le code des obligations qui va dans ce sens. Elle sera traitée en commission de l'économie et des redevances dans la première quinzaine de février. C'est dire que j'ose espérer que des décisions seront prises au niveau national, notamment dans le cadre de l'élaboration du crédit-cadre pour l'agriculture 2003-2007 avec la politique dite «Agricole 2007».

Mesdames et Messieurs, j'ai beaucoup aimé ce que M. Beer a dit à propos du projet de loi - c'était très sensé et très réfléchi.

Le projet de loi pose tout de même certains problèmes de principe. En ce qui me concerne, je ne l'ai pas signé, mais on peut comprendre que les gens concernés par les décisions qu'ils sont en train de subir se tournent vers l'Etat pour essayer de trouver des solutions transitoires afin de passer ce cap, en espérant que nous aurons bientôt une réglementation qui fixe les rapports entre employeurs et employés agricoles au niveau national.

M. Charles Beer (S). Je vous prie également de m'excuser, Monsieur le président, de prendre la parole après vous... Mais je savais que M. Dupraz était en embuscade, et il vaut mieux prévenir que guérir ! Je n'attendais pas des foudres de sa part, mais je n'attendais pas non plus de tels compliments... M. Dupraz est effectivement un bon type, comme il le dit lui-même... (Rires.)

J'aimerais quand même intervenir au sujet de la motion pour dire que si nous avons toutes et tous le souci de voir les mêmes conditions être appliquées ailleurs en Suisse, soit que ces conditions soient unifiées, j'insiste sur le fait que celles-ci doivent l'être à la hausse et non pas à la baisse.

J'aimerais également dire que si nous soutenons le principe d'une harmonisation des conditions aux autres cantons à la hausse, nous estimons quand même qu'un tel salaire ne permet pas de vivre décemment, que ce soit dans le secteur agricole ou dans les autres secteurs de l'économie. Je rappelle à ce propos nos campagnes sur les salaires minimum. Nous estimons que l'objectif à atteindre au niveau suisse est que le salaire minimum, selon l'indice de l'Union syndicale suisse, soit de 3500 F bruts, ou 3000 F nets par mois.

Je voulais juste exprimer ce point de vue et dire que M. Dupraz, qui est intervenu au niveau fédéral par l'initiative parlementaire dont il s'est fait l'écho, doit probablement pouvoir utiliser le programme agriculture 2003-2007 - qui se solde, sauf erreur de ma part, par 14 milliards de subventions sur quatre ans - pour faire effet de levier dans le but d'obtenir enfin cette harmonisation à la hausse.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais vous signaler que nous sommes en train de lier une motion et un projet de loi, et que nous contournons ainsi le débat de préconsultation tel qu'il est prévu par notre règlement... Monsieur Pagani, je vous donne la parole.

M. Rémy Pagani (AdG). Tout d'abord, je n'ai pas compris la distinction que vous avez faite, Monsieur le président, entre le projet de loi et la motion. Dans un premier temps, j'avais compris que vous vouliez lier les deux points puisqu'ils étaient traités en même temps... Mais, bon, ce n'est visiblement pas le cas...

Le président. Cela a été demandé par les chefs de groupe !

M. Rémy Pagani. Quoi qu'il en soit, c'est de votre ressort. En ce qui concerne les accusations de M. Dupraz vis-à-vis du juge qui serait soi-disant rouge... (Exclamations.)C'était M. Serex? (L'orateur est interpellé par M. Dupraz.)Peut-être, mais, Monsieur Dupraz, vous avez prétendu à tort que ce juge était totalement acquis à la cause des travailleurs. Vous n'avez peut-être pas eu l'occasion d'être confronté au juge, mais ça m'est arrivé à plusieurs reprises, et je ne crois pas avoir obtenu satisfaction sur l'ensemble de nos revendications. Bien au contraire, Monsieur Dupraz !

Simplement dans le secteur agricole comme dans le secteur du personnel de maison, les conditions ont été tellement misérables ces dernières années qu'il ne pouvait pas faire autrement que de relever les salaires minimum. Il ne faut donc pas faire un procès d'intention à ce juge. Il fait son travail convenablement, et je suis un de ceux qui peuvent en témoigner ici.

Cela étant, Monsieur Dupraz, si on veut vraiment régler ce problème... (L'orateur est interpellé par M. Dupraz.)

Le président. Monsieur Dupraz, s'il vous plaît, gardez votre sang-froid !

M. Rémy Pagani. Nous avons une politique agricole nationale, comme mon collègue Beer l'a rappelé, 14 milliards sont dépensés chaque année...

M. John Dupraz. Comment, par année? Par mois, pendant que tu y es ! (Rires et exclamations.)

M. Rémy Pagani. Pardon, sur quatre ans ! 14 milliards ont été votés sur quatre ans, et ce n'est pas notre rôle de mener dans ce canton une politique à la petite semaine dans le domaine agricole.

J'aimerais juste donner un petit exemple de l'incohérence dans laquelle nous risquons de nous trouver si par hasard ce projet de loi devait être voté. En ce qui me concerne, je soutiens la motion avec une harmonisation des salaires minimum à 3000 F parce que je suis favorable à ce qu'il y ait un cadre légal et que je défends l'agriculture. Mais, cela dit, si ce projet est voté nous arriverons à une situation totalement aberrante: d'une part, nous subventionnerons des agriculteurs qui ont des employés et, dans le même temps, nous ne subventionnerons pas d'autres agriculteurs qui n'en ont pas. Alors, je vous laisse la responsabilité de cette nouvelle concurrence induite par ce projet de loi. Pour rééquilibrer les choses, il faudrait aussi subventionner les agriculteurs qui n'ont pas d'employés agricoles.

En l'état, c'est du management et une politique agricole à la petite semaine que je refuse de cautionner. Les instances fédérales sont bien placées. Elles assument ces responsabilités, et, pour notre part, nous devons en rester à cette politique agricole, dans la mesure où elle est négociée au niveau national.

M. John Dupraz (R). Il y a une chose que l'on ne peut laisser passer sans réagir. Vous dites, Monsieur Beer et Monsieur Pagani, que l'agriculture reçoit 14 milliards de subventions en quatre ans... Mais, en retour, l'agriculture doit fournir des contre-prestations !

Je tiens tout de même à vous signaler que, dernièrement, le ministre de l'agriculture d'Allemagne - qui est un écologiste à ma connaissance - s'est félicité de voir la politique qui a été mise en place en Suisse et a dit que nous avions vingt ans d'avance sur l'Union européenne, et qu'il allait prendre le modèle agraire suisse pour le transposer au niveau national allemand. Alors, exiger des prestations de gens en leur disant qu'ils ont la route pour courir, cela ne va pas ! Je peux vous dire que les contraintes auxquelles sont soumis les paysans sont très strictes et très rigoureuses. Elles font l'objet de contrôles très sévères, et je prends à témoin le ministre de l'agriculture du canton, M. Cramer. Mais nous les acceptons et nous pensons que nous sommes dans la bonne voie.

Pour ce qui est des conditions de travail dans l'agriculture, elles sont difficiles, c'est vrai, mais elles ne sont pas plus mauvaises qu'ailleurs, que ce soit dans la restauration ou le bâtiment. Je vous rappelle que les employés agricoles habitent sur leur lieu de travail, ils n'ont donc pas de perte de temps de transport. Ils sont logés par leurs employeurs et ces logements font l'objet de contrôles rigoureux de la part des administrations chargées de les effectuer. Je pense, pour ma part, que les conditions de travail et de logement sont plutôt bonnes dans le secteur de l'agriculture et, contrairement à ce que vous dites, avec 3000 F, un employé agricole peut arriver à mettre 1000 F par mois de côté - je peux vous en apporter la preuve, Monsieur Beer - et il vit certainement mieux qu'un employé du bâtiment ou de l'hôtellerie.

J'aimerais encore dire une dernière chose. Vous dites, Monsieur Pagani, que je ne connais pas le fonctionnement de cette commission... Vous oubliez - mais vous êtes sans doute trop jeune - que j'ai été président pendant onze ans de la Chambre genevoise d'agriculture, que nous étions chaque année auditionnés par cette commission et que j'ai été l'instigateur, à l'époque, de la diminution du temps de travail qui est passé de cinquante-cinq heures à cinquante heures. Nous avons été des précurseurs. Alors, vos leçons de morale, vous pouvez vous les garder ! Je n'en ai pas besoin !

M. Louis Serex (R). Monsieur Pagani, vous dites que nous allons aider les agriculteurs qui ont des employés et pas ceux qui n'en ont pas... Je vais juste vous dire la chose suivante, Monsieur Pagani: si vous continuez comme ça, tous les agriculteurs toucheront une aide, parce qu'ils ne pourront plus avoir d'employés !

Mise aux voix, la proposition de motion 1416 est renvoyée à la commission de l'économie.