Séance du jeudi 28 juin 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 10e session - 32e séance

M 1410
26. Proposition de motion de Mmes et MM. Nelly Guichard, Luc Barthassat, Claude Blanc, Henri Duvillard, Philippe Glatz, Pierre Marti, Etienne Membrez, Michel Parrat, Catherine Passaplan et Pierre-Louis Portier pour la création d'un fonds favorisant les travaux d'entretien, de rénovation et d'amélioration des parties communes et des abords d'immeubles, particulièrement ceux situés en 3e zone de développement. ( )M1410

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

Nous observons à Genève un nombre toujours plus important d'immeubles - construits principalement dans les années soixante et septante - qui présentent un état de dégradation avancé, offrant parfois une image indigne de notre canton et de la qualité de vie dont jouit la majorité de la population.

Nous sommes certes loin de la triste réalité de certaines banlieues de l'Hexagone ; il n'en demeure pas moins que le problème mérite réflexion - mais aussi action ! - de la part des autorités politiques. Sans verser dans une paranoïa aussi inutile qu'injustifiée, il ne faut donc pas négliger l'impact d'un environnement qui se détériore, tant sur les habitants que sur l'organisation de la vie et de la société dans les lieux concernés.

Dans un récent article, Roland Castro (architecte urbaniste, professeur à Paris-La Villette et ancien délégué à la rénovation des banlieues) constatait ainsi que « il y a des quartiers dans lesquels il est plus malheureux d'être né, des quartiers de relégation. (…) Le lien social va mal dans des lieux visiblement moches. (…) La cité-jardin donne (…) aux citoyens qui l'habitent le sentiment qu'on les respecte. Le grand ensemble de stockage, la cage à lapins, leur procure le sentiment qu'on les méprise » (« Libération » - 6 mars 2001).

Le débat n'est pas nouveau pour nos voisins français, qui se penchent sur le sujet depuis de nombreuses années, au point de lui consacrer tout ou partie d'un ministère. Sans se prononcer sur le principe de la loi dite de « Solidarité et renouvellement urbains » (ou loi Gayssot) - laquelle prévoit des mesures fortement incitatives pour encourager les communes à accueillir sur leur territoire 20 % de logements sociaux - on ne peut que partager son objectif prioritaire : encourager la mixité sociale dans les villes.

Réhabiliter des logements ayant trop et/ou mal vieilli constitue à notre avis l'une des recettes à mettre en pratique pour encourager cette mixité sociale. C'est surtout le moyen de lutter contre la constitution sournoise de ghettos, dont on ne sait plus très bien s'ils engendrent violence et dissolution du tissu social ou s'ils constituent la résultante de ces deux phénomènes.

Notre canton connaît des difficultés croissantes sur le marché des logements, dont le taux de vacance n'est aujourd'hui que de 0,83 %. Parmi les facteurs à l'origine de cette crise figurent entre autres la reprise économique et donc l'augmentation du nombre d'emplois, mais aussi une augmentation significative de la population.

Les données statistiques suivantes en témoignent : dans les années 1980, Genève enregistrait l'arrivée moyenne de 3'140 personnes par an, avant de passer à 2'850 dans la dernière décennie du siècle. Mais avec la reprise, la tendance s'est nettement inversée : plus de 5'300 nouveaux habitants sont ainsi arrivés en 1999, soit la plus forte hausse depuis 1981.

Dans le même temps, le nombre de demandes de logements sociaux a lui aussi crû - elles atteignaient 2'723 au 31 décembre 2000 - alors que l'offre, elle, diminuait assez fortement : 40'000 en 1980, 28'000 en 1990 et 23'500 en 2000.

En créant un fonds destiné à encourager les travaux de rénovation dans certains cas clairement précisés, cette motion se propose d'agir sur deux plans distincts :

sur le plan pratique : l'octroi d'aides ciblées permettrait d'améliorer les parties communes (façades, cages d'escaliers, entrées, ascenseurs, accès, abords, etc.) des ensembles concernés. Par ce biais, on pourrait ainsi concrètement contribuer à un début de réhabilitation de ces immeubles.

sur le plan social : en démontrant aux habitants de ces espaces qu'ils sont bel et bien des citoyens à part entière, que la Cité se soucie de leur qualité de vie, qu'elle agit dans ce sens, on lutterait ainsi contre un sentiment d'exclusion et d'injustice. Un sentiment auquel certains des habitants concernés, en situation de précarité familiale, financière ou professionnelle, sont trop souvent déjà confrontés.

Placé sous la gestion du Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (DAEL), ce fonds se verrait doté d'un montant d'environ 3 à 5 millions par an. Son activité et les aides accordées feraient l'objet d'un rapport annuel examiné par le Grand Conseil.

Outre un fonctionnement qui pourrait être calqué sur celui du bonus à la rénovation, ce fonds serait dirigé par une commission réunissant les talents et compétences de tous les partenaires actifs dans ce domaine, des pouvoirs publics aux partis politiques, des représentants des propriétaires et locataires aux professionnels du bâtiment.

Le montant de l'aide équivaudrait aux coûts des travaux. Le financement de ces derniers serait conditionné par l'inscription d'une hypothèque légale, en principe non productrice d'intérêts, et grevant l'immeuble au profit de l'Etat.

Les immeubles dont les loyers et la gestion sont contrôlés par l'Etat, via ses fondations, soit les HBM ne pourront toutefois bénéficier de ce fonds.

En cas de vente à un tiers, en échange de la levée de l'hypothèque légale, le vendeur devrait :

soit rembourser l'Etat en prélevant un montant égal au coût des travaux sur le produit de la vente ;

soit reprendre à sa charge l'hypothèque légale.

Enfin, les propriétaires des immeubles ainsi réhabilités ne pourraient bien évidemment pas prétexter cette opération pour justifier une hausse des loyers.

Nous sommes conscients qu'il ne s'agit pas là de la formule magique permettant de résoudre d'emblée toutes les difficultés auxquelles sont confrontés les habitants de ces ensembles, mais ce geste significatif pourrait contribuer à améliorer leurs conditions de vie et d'habitat.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un accueil favorable à cette proposition de motion.

Débat

M. Etienne Membrez (PDC). L'observation est là : un certain nombre d'immeubles, construits avant tout dans les années 60 et 70, souffrent d'un état de dégradation avancée. Rien de comparable bien sûr avec certaines banlieues françaises, qui ont suscité un vrai débat dans ce pays, mais des immeubles qui affectent l'image de notre canton et enlèvent une certaine qualité de vie à ceux qui y habitent.

La proposition de motion qui vous est faite vise la création d'un fonds pour des travaux d'entretien, de rénovation, d'amélioration d'immeubles situés principalement en troisième zone de développement, fonds placé dans la gestion du DAEL et doté de trois à cinq millions par an comme proposition de départ.

L'idée est donc d'apporter un minimum de réfection à certains immeubles, un petit coup de pouce, en quelque sorte, de la communauté ou de la collectivité via un fonds dit de réhabilitation. Seraient surtout pris en compte, dans les travaux de rénovation, les parties communes des immeubles, telles que les façades, les cages d'escaliers, les accès, les abords, etc., travaux que les propriétaires pourraient d'ailleurs être encouragés après coup à compléter. La création de ce fonds permettrait par la même occasion d'éviter de voir certains quartiers devenir des ghettos, avec les conséquences connues au niveau social, et d'amener de nouveaux locataires à venir s'installer dans des immeubles réhabilités, favorisant ainsi une certaine mixité sociale.

Une commission ad hoc de professionnels de l'immobilier, d'assistants sociaux, serait chargée de cibler les immeubles susceptibles d'être pris en considération - ce n'est pas à ce stade que l'on peut les désigner - pour l'octroi d'aides correspondant au coût des travaux, aides conditionnées bien sûr par l'inscription d'une hypothèque légale au profit de l'Etat. En cas de vente, le vendeur devrait rembourser le montant égal au coût des travaux ou reprendre l'hypothèque à sa charge. Les propriétaires ne pourraient bien évidemment pas justifier une hausse de loyer suite à une telle opération. Donc, pas de profit pour eux !

Il en va donc finalement, dans cette proposition de motion, d'un apport de l'Etat à une amélioration de la condition de vie et d'habitat à Genève. C'est pourquoi le PDC vous demande de la renvoyer au Conseil d'Etat.

M. Rémy Pagani (AdG). Voilà une proposition de motion intéressante, parce qu'elle balaie toute l'histoire de notre République et ne prend pas en compte ce qui est déjà prévu. Et pour cause ! Elle prétend qu'un certain nombre d'immeubles se dégrade comme par hasard, que les propriétaires ne les entretiennent pas et que l'Etat devrait se substituer à leur rôle pour faire en sorte que notre ville soit agréable à vivre. Or, la réalité est tout autre, Mesdames et Messieurs les députés ! Chaque propriétaire doit théoriquement - ils ne l'ont malheureusement pas fait depuis passablement d'années - constituer une réserve sur les loyers pour entretenir son bien, pour le pérenniser. Il en va de même de la pérennité de ses avoirs. Ceci étant, certains propriétaires empochent cette fraction du loyer destinée à entretenir leurs immeubles, en plus de profiter des loyers exorbitants qu'ils ont pu imposer dans les années 80. Ils empochent aujourd'hui encore cette partie du loyer pour spéculer, pour faire monter les loyers ou d'autres choses sur lesquelles il est inutile de revenir. Aujourd'hui, le PDC nous propose simplement que l'Etat, la collectivité, se substitue à cette non-conformité légale, à cette obligation des propriétaires.

D'autre part, je rappelle que toute une série de dispositions légales sont déjà actives aujourd'hui. Le département des travaux publics, pour ce qui est de la plus extrême disposition, peut imposer des travaux lorsque des immeubles sont dégradés à tel point qu'il en va de la sécurité des habitants qui y logent. Le département peut faire imposer ces travaux. Il a pratiqué de la sorte dans certains immeubles. Il existe un fonds. Mais les propriétaires n'acceptent bien évidemment pas facilement de rentrer dans cette logique. Ce fonds impose en fait le contrôle des loyers. Ces propriétaires laissent se dégrader leurs logements et refusent ainsi de rentrer dans la proposition qui est faite. L'essentiel de l'idée que défend le PDC, qui existe déjà, est de faire en sorte qu'une aide à la rénovation soit octroyée à ces propriétaires. En contrepartie, l'Etat impose un contrôle des loyers après rénovation.

Enfin l'arsenal législatif est à notre avis tout à faire satisfaisant aujourd'hui. Nous devrions peut-être exiger du département qui s'occupe de cette problématique d'imposer plus rapidement les travaux nécessaires pour éviter la dégradation de certaines rues ou de certains immeubles, puisque toute dégradation engendre un certain nombre de phénomènes sociaux auxquels nous sommes très attentifs. C'est peut-être cela la mesure qu'il faudrait demander au Conseil d'Etat, plutôt que de proposer que la collectivité se substitue une fois de plus à la carence des propriétaires pour combler ce vide et rénover ces immeubles. C'est pourquoi nous nous opposons au renvoi immédiat au Conseil d'Etat. Nous étudierons de toute évidence cette proposition en commission. Nous réservons bien évidemment la possibilité d'amender cette motion pour faire en sorte de répondre au problème évident qui est soulevé.

La présidente. C'est la commission du logement que vous proposez, Monsieur Pagani ? Vous devez proposer une commission !

M. Rémy Pagani. Oui, la commission du logement ! 

Mme Dolorès Loly Bolay (HP). En effet, comme l'a dit mon collègue, M. Pagani, vous avez raison de dresser dans les considérants l'état des lieux des immeubles à Genève. Il est effectivement choquant, dans notre Genève internationale, que des immeubles soient laissés à l'abandon depuis 30 ou 40 ans. J'aimerais souligner qu'il existe des lois, dans d'autres pays européens, et pas des moindres, qui forment aujourd'hui la Communauté européenne, des lois qui obligent les propriétaires de bâtiments à rénover - mais à leurs frais - ces bâtiments qui sont parfois laissés à l'abandon.

Je suis d'accord, je vous l'ai dit, avec vos considérants. Il est choquant de voir que des immeubles, dans certains quartiers de la Ville, voire dans certaines communes, sont laissés à l'abandon. C'est une forme d'exclusion pour les personnes qui y habitent. Cela reflète aussi une mauvaise image de notre ville internationale. Toutefois, lorsqu'on en arrive à l'invite, on ne peut plus être d'accord avec vous. Car votre invite est la porte ouverte à tous les abus. Que signifie-t-elle ? Que c'est l'Etat qui viendra apporter son argent ! Les gens vont tranquillement attendre la manne de l'Etat pour faire quelque chose. Comme cela a été dit tout à l'heure, il existe un fonds de rénovation dont une partie de l'argent est prélevée sur le loyer pour effectivement rénover ces immeubles.

On ne peut donc pas être d'accord avec votre invite. Tout l'arsenal est déjà mis en place aujourd'hui. Nous sommes cependant d'accord de renvoyer cette motion à la commission du logement. Je crois que cela a été proposé. Il y aura là un véritable travail de commission à faire pour apporter des améliorations à votre invite. 

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Cette motion est ce que l'on pourrait appeler une motion d'intention. De là à sa réalisation, le travail en commission risque d'être très long. Il faudra, en commission - je vais vous énumérer une liste qui est loin d'être exhaustive, c'est ce qui m'est venu à l'esprit - déterminer des critères précis, mais surtout des priorités. Est-ce que l'on pense à un quartier en particulier, à une zone en particulier ? Ces priorités seront-elles indispensables ou entreprendra-t-on des petits travaux ici et là ? Il faudra ensuite et surtout tenir compte de la capacité financière du propriétaire. Il faudra également collaborer avec les services publics communaux, les services de voirie, les services d'entretien, les îlotiers, etc. Il faudra également éviter tout doublon avec le bonus à la rénovation. Et bien d'autres choses encore qui, dans votre motion, ne sont pas précisées, si ce n'est dans l'exposé des motifs, où vous proposez d'intervenir dans des cas clairement précisés. Il se trouve, en ce qui concerne l'invite, qu'il y a des précisions à apporter. Elle n'est de loin pas précise et au contraire extrêmement vague.

Comme disent les motionnaires dans l'exposé des motifs, il ne s'agit pas là de formule magique. Je suis heureuse de vous l'entendre dire ! Cette motion doit être comprise dans le sens d'un effort global d'amélioration de la sécurité et de la qualité de vie des habitants de notre canton.

J'esquisse quand même un petit sourire en guise de conclusion, pour vous dire, Mesdames et Messieurs les motionnaires du parti démocrate-chrétien, que cette motion, qui vient d'un parti qui n'hésite pas à dire à longueur d'année que l'Alternative cherche à déresponsabiliser les citoyens. On ne peut pas dire, Mesdames et Messieurs les motionnaires, que votre motion cherche vraiment à responsabiliser les propriétaires d'immeuble !

M. Olivier Vaucher (L). Juste quelques mots par rapport à certains des préopinants. Je voudrais tout d'abord rappeler que le parc des immeubles de Genève est le plus vétuste de Suisse. Si cet état de fait est notoirement connu, c'est qu'il y a certainement une raison. Je ne pense pas que cette raison, Monsieur Pagani, s'explique par le fait que les gens n'assument pas leurs responsabilités. Pour moi, la raison en est le train de lois extrêmement lourd, entre autres et principalement la LDTR, qui contraignent les propriétaires à ne pas pouvoir, même dans une petite mesure, répercuter les frais que les transformations engendrent. Entre parler de spéculation et parler d'impossibilité d'entreprendre des travaux faute de pouvoir en récupérer, même à long terme, une partie, il faut savoir que beaucoup de propriétaires ne peuvent matériellement pas, à Genève, transformer leurs immeubles. Dans d'autres cantons, les lois sont différentes. Ils n'ont pas des lois aussi astreignantes que la nôtre et celle que j'ai mentionnée. C'est la raison principale pour laquelle nous avons, à Genève, une dégradation de notre parc immobilier aussi importante.

J'aimerais aussi rappeler, pour Mme la députée Bolay qui a évoqué certains pays de la Communauté européenne, que la France, elle, pour pouvoir relancer à un moment donné son économie et relancer un secteur qui a aussi été très sinistré, celui du bâtiment, a permis, par une loi, d'acquérir des immeubles que les propriétaires n'avaient pas les moyens d'entretenir, suite à des successions ou autres, au prix du jour, au prix du marché. Il ne s'agissait pas d'un dumping, mais d'une sorte d'étatisation. Cela a au moins permis de remettre sur le marché d'énormes quantités de travaux, de rénovations. Il y a donc des possibilités. Je pense que la motion déposée par le parti démocrate-chrétien permettra d'étudier en commission du logement un certain nombre de solutions à ce problème et qui ne sont pas celles que certains des préopinants ont évoquées.

M. Etienne Membrez (PDC). Il n'est pas question de faire le débat aujourd'hui, mais je voudrais simplement dire que les motionnaires avaient davantage en vue les locataires que les propriétaires. Il va sans dire que je peux et que l'on doit regretter qu'il puisse y avoir des propriétaires défaillants.

Cela dit, je pense que cette motion - la discussion en témoigne - pose un vrai problème. En ce qui me concerne, je ne m'oppose pas du tout à ce qu'elle soit renvoyée en commission. 

M. Laurent Moutinot. Sans allonger inutilement les débats, Mesdames et Messieurs les députés, il faudra effectivement répondre en commission aux nombreuses questions pertinentes posées par Mme la députée Bugnon. Il y en a cependant encore deux qu'il faudra forcément se poser. Dans notre système, qui dit subvention, dit contrôle. C'est là qu'il y aura probablement quelques difficultés, mais je n'imagine pas que vous envisagiez des subventions sans contrôle. Il y a un deuxième problème, c'est la gestion des fonds. Le département des finances est extrêmement sceptique sur la méthode du fonds. L'ICF également. Par conséquent, sur le plan de la technique financière pure, il y aura lieu d'être attentif.

L'articulation avec le bonus à la restauration devra être étudiée. Ce serait une complication du système que de devoir multiplier les étapes dans un processus pour obtenir l'ensemble des subventions possibles. Mais sur le fond, si nous pouvons avoir des immeubles bien entretenus et que nous trouvions une solution raisonnable pour y parvenir, je me réjouis d'avance !

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission du logement.