Séance du
vendredi 23 juin 2000 à
17h
54e
législature -
3e
année -
9e
session -
36e
séance
M 1359
EXPOSÉ DES MOTIFS
Actuellement, face au nombre croissant de détentions de jeunes à la prison de Champ-Dollon et au manque de solutions alternatives à l'internement, la nécessité de mettre à disposition des lieux de détention réservés exclusivement aux mineurs est devenue urgente.
Rappelons pour mémoire qu'un nouveau bâtiment de détention de mineurs vient d'être construit à la Clairière, à la suite du crédit libéré par le Grand Conseil à cet effet, mais la capacité de celui-ci n'est pas beaucoup plus importante que celle de l'ancien bâtiment, soit une vingtaine de détenus. De sorte que la Clairière ainsi que les foyers de placement pour jeunes délinquants doivent continuer à sélectionner les entrées de manière drastique et discriminatoire, avec pour conséquence que des mineurs continuent à être emprisonnés à Champ-Dollon. De plus, il semble qu'une incarcération à la prison de Champ-Dollon, même si elle est contrôlée, soit vécue comme valorisante par les adolescents face à leurs camarades, ce qui peut ainsi créer, sur le long terme, des dommages plus grands encore.
Or l'établissement de Champ-Dollon n'est prévu légalement que pour l'accueil exceptionnel de mineurs. Pourtant, en 1998, il a accueilli 115 mineurs de 15 à 18 ans (filles et garçons) et actuellement encore ces chiffres n'ont pas beaucoup variés. De plus, cet établissement ne dispose ni d'équipement ni de ressources humaines pour gérer une prise en charge adéquate.
Ce travail ne peut être entrepris que par des éducateurs spécialisés capables d'offrir, au sein d'une structure adaptée, un appui éducatif et des activités utiles dans la perspective d'une future vie d'adulte.
C'est pourquoi, la présente motion entend s'opposer à l'affectation prévue de l'ancien bâtiment de la Clairière à des détenus sous régime de mesures de contrainte et a pour but que celui-ci conserve son affectation de maison de détention pour mineurs afin d'augmenter la capacité de la Clairière et par là éviter la détention de mineurs, sauf cas exceptionnels, à Champ-Dollon.
Nous tenons à signaler pour terminer que nous ne sommes pas les premiers à nous inquiéter de la situation des mineurs incarcérés à Champ-Dollon et que le groupe GEODE (groupe d'étude et d'observation des droits de l'enfant) publiait il y a plus d'une année un rapport alarmant à ce sujet.
Au bénéfice de ces explications, nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, que vous réserverez un bon accueil à la présente motion.
Débat
M. Rémy Pagani (AdG). Je constate que le débat précédent a été passionné. Le présent débat ne devrait pas l'être moins. Il concerne les ados et les mineurs, plus d'une centaine par année, enfermés dans un établissement pour adultes. J'entends par là la prison de Champ-Dollon. J'avais interpellé Mme Brunschwig Graf et M. Ramseyer au mois de décembre de l'année passée, et même bien avant, pour leur demander ce qu'ils comptaient faire pour mettre un terme à ce non-sens et à cette aberration consistant à placer ensemble des délinquants mineurs et des adultes plus aguerris. Il m'avait été répondu que le département de l'instruction publique envisageait toutes les solutions pour mettre un terme à cette situation. D'autre part, j'avais aussi interpellé voici quelques mois M. Ramseyer dans les couloirs de ce parlement pour lui demander si le phénomène était encore d'actualité. M. Ramseyer avait alors indiqué qu'il n'y avait plus que quatre ou cinq mineurs à Champ-Dollon, alors que les derniers éléments dont je dispose montrent que la statistique n'a pas baissé. On est toujours au niveau d'une centaine d'adolescents par année qui sont malheureusement envoyés à Champ-Dollon, parce que nous ne satisfaisons pas à la demande, si j'ose dire, au besoin d'éducateurs dans notre République.
Nous estimons que cette situation est intolérable. Je demande d'ailleurs la lecture de deux lettres à ce sujet, qui nous ont été adressées par la Ligue suisse des droits de l'homme et par la commission d'enquête que nous avons mise sur pied pour ce qui concerne l'ensemble des affaires de Champ-Dollon. Ces deux lettres réclament à cor et à cri les mesures que nous allons adopter ces prochains mois. La situation est la suivante. Nous avons besoin d'un signe politique fort. C'est pourquoi nous vous demandons d'accepter la motion et de la renvoyer telle quelle au Conseil d'Etat, parallèlement au renvoi en commission du projet de loi 8268 visant à interdire purement et simplement la détention de jeunes mineurs à Champ-Dollon et à imposer au département concerné des modalités concrètes d'application de façon à mettre un terme à cette aberration. Ce projet de loi devrait être traité en urgence à la commission judiciaire. Nous pourrions alors envisager l'utilisation de l'ancienne Clairière, sa mise en conformité. L'ancienne Clairière serait ainsi utilisée en synergie avec la nouvelle Clairière, entrée en fonction ces derniers jours. Nous pourrions réaffecter l'ancienne Clairière à la prise en charge de ces mineurs.
Le président. Nous procédons comme convenu à la lecture, demandée par M. Pagani, des lettres adressées au Grand Conseil par la commission d'experts instituée par la résolution R 413 et par la Ligue suisse des droits de l'homme.
Commission d'experts, p. 1
p.2
Ligue des droits de l'homme
Mme Christine Sayegh (S). Le droit pénal des mineurs et la maîtrise de ce droit sont très importants pour notre société. Le rôle du juge des mineurs n'est pas un simple rôle de juge pénal. Il doit en effet aider les jeunes à s'insérer socialement. Il ne s'agit pas d'une réinsertion, mais d'une insertion sociale. C'est même une justice souvent négociée. La privation de liberté concerne ici les adolescents, les jeunes âgés entre 15 et 18 ans, voire 14 ans, parfois les enfants dans quelques cas graves et pour les besoins de l'instruction. Cette mesure de privation de liberté peut avoir des conséquences importantes sur le psychisme de ces jeunes personnes. C'est la raison pour laquelle il leur faut non seulement un encadrement, mais il leur faut également des lieux appropriés. Nous constatons aujourd'hui, lorsque des jeunes sont détenus à Champ-Dollon, qu'ils se mettent en fin de compte en valeur du fait d'avoir été privés de liberté dans un établissement accueillant des majeurs. C'est grave. Cela signifie que la mesure éducative ou la prévention ne sont pas du tout respectées, ni réalisées. En cas de promiscuité avec les majeurs, leur exemple attire le jeune, parce qu'il ne peut pas résister au majeur qui le domine en âge et en expérience. Et lorsque l'expérience se situe au niveau de la délinquance, c'est grave !
C'est la raison pour laquelle il est urgent de ne plus placer de jeunes mineurs à Champ-Dollon, ou très exceptionnellement lorsqu'il n'y a vraiment pas de place ailleurs et qu'ils ont près de 18 ans. Cela doit cependant rester une exception.
Vous avez sans doute lu le rapport du pouvoir judiciaire genevois. Nous enregistrons très peu de récidives. Nous parvenons à encadrer tous ces jeunes qui, souvent, lorsqu'ils ont commis une infraction pénale, reflètent avant tout un malaise dans leur intégration sociale.
Je crois savoir que M. le conseiller d'Etat Gérard Ramseyer acceptera cette motion. Je souhaiterais, même s'il doit s'agir d'une situation temporaire pour la Clairière puisqu'il y a d'autres engagements à respecter, que celle-ci soit laissée à la disposition de la détention des mineurs, quitte à trouver une autre solution par la suite. Il ne faut pas en rester à la situation actuelle, qui s'avère vraiment dramatique, notamment le week-end pour les juges de permanence.
M. Olivier Vaucher (L). Notre groupe a précédé cette motion depuis plusieurs mois déjà, voire depuis une année. Nous avions alors expliqué qu'il serait indispensable de prendre des dispositions pour que la Clairière, qui a bénéficié à l'époque d'un budget d'agrandissement et dont les travaux sont malheureusement à présent terminés, fasse l'objet d'une réflexion globale. Tous les moyens étaient à disposition pour pouvoir y aménager davantage de chambres. On n'a pas voulu le faire pour différentes raisons. Nous le regrettons vivement. En effet, permettre à des jeunes de côtoyer les grands du crime à Champ-Dollon, pour rouler ensuite des mécaniques vis-à-vis d'autres jeunes, c'est peut-être une bonne chose pour certains, mais il serait préférable qu'ils bénéficient d'un programme socio-éducatif à la Clairière. Notre groupe ne peut donc que soutenir une motion comme celle-ci, ce d'autant plus que le conseiller d'Etat en charge du département concerné a déjà fort bien avancé dans les travaux allant dans ce sens-là.
Je voulais juste rappeler que nous nous étions préoccupés de ceci bien antérieurement à cette motion.
M. Gérard Ramseyer. Il va de soi que cette motion est la bienvenue. Mais j'aimerais attirer votre attention sur le fait que ce parlement ne peut pas voter tout et son contraire en trois ans. Je m'explique.
A la demande du Tribunal de la jeunesse et de l'office fédéral de la justice, nous avions à l'époque transformé Montfleury pour favoriser la mixité au niveau de la détention des mineurs. Pourquoi ? Parce que cet établissement permettait ce type de détention et parce que c'était celui qui offrait le plus de places et les meilleures possibilités d'accompagnement psycho-social. La renonciation à utiliser l'actuelle Clairière pour la détention des mineurs s'imposait notamment par le fait que les installations sanitaires dans les cellules ne correspondaient pas aux règles pénitentiaires usuelles en Europe et que l'on ne pouvait plus, à terme, détenir des mineurs dans cette maison. Ce constat est toujours d'actualité. Alors pourquoi a-t-on utilisé la Clairière pour autre chose ? C'est parce que la Clairière est adaptée à la détention administrative des étrangers moyennant quelques modifications des volumes. Ce type de détention ne requiert pas que les cellules soient fermées. On peut par conséquent avoir accès à des installations sanitaires communes dans les couloirs, ce qui n'est pas possible si ce sont des cellules fermées.
C'est pour cette raison que Genève s'est engagée depuis longtemps à mettre l'établissement de la Clairière à disposition du concordat romand sur l'exécution de la détention administrative des étrangers. Ce concordat est signé, nous avons requis l'avis du Tribunal de la jeunesse, nous avons transformé la Clairière en lieu de détention administrative. Ce lieu de détention administrative est actuellement subventionné à hauteur de 85 % par la Confédération et ce subventionnement ne porte que sur l'établissement dans sa destination de détention administrative. Alors, Madame la députée, autant j'applaudis la motion, autant j'aimerais immédiatement vous faire part de mes doutes quant à l'emploi de la Clairière. A ma connaissance, mais je vais le vérifier, la transformation est terminée. Le concordat est signé et les travaux ont en partie déjà été subventionnés par la Confédération.
Nous avons très certainement d'autres possibilités, peut-être dans d'autres maisons ou alors dans le cadre de la réforme qui se conduit actuellement au niveau de la prison pour trouver un bâtiment juxtaposé qui permettrait de répondre positivement à votre demande.
J'aimerais apporter encore un élément de réponse à M. Pagani, lequel explique que, selon ses propres renseignements, les chiffres que je cite, datant de trois mois, ne sont pas justes. Ce qui est stupide. Les chiffres changent en effet tout le temps. Nous avions peut-être cinq ou dix mineurs il y a trois mois. Il y en a peut-être trente aujourd'hui et il n'y en aura peut-être plus que sept la semaine prochaine. Le nombre de détenus change tous les jours. On ne peut donc pas dire tout d'un coup qu'il y a une situation de crise. Cette situation, extrêmement évolutive, est connue depuis plusieurs années à Genève.
En conclusion, oui à la motion, oui à l'effort que vous soutenez et que nous avons déjà entrepris depuis plusieurs mois. Merci au soutien que vous apportez à la réforme de la prison que nous conduisons actuellement à Champ-Dollon, mais aussi dans les maisons de détention. En commission, nous pourrons aisément voir s'il n'y a pas une solution plus intelligente que celle de casser une deuxième fois une maison que l'on vient de réaménager. Je pense que vous êtes tous d'accord pour que nous en discutions paisiblement et sereinement, mais avec conviction, en commission.
M. Rémy Pagani (AdG). Merci pour les informations qui nous sont données. Simplement, notre volonté était bien évidemment de discuter très rapidement de ce problème en commission judiciaire. Toujours est-il qu'il n'y a pas, pour nous, des hauts et des bas. Il y a une moyenne depuis trois ans, qui est à peu près de 100 à 120 jeunes qui passent à Champ-Dollon. C'est inadmissible. Je parle de chiffres sur l'année. Au niveau des informations à ma disposition, en ce qui concerne l'ancienne Clairière, les travaux de démolition intérieure de ce bâtiment vont commencer. Je propose de les laisser se poursuivre. Que l'on décide que ce soit pour les mesures de contrainte ou que ce soit pour y remettre des jeunes, l'ancienne Clairière n'est plus adaptée, ni pour les uns , ni pour les autres. En septembre, nous aurons tout loisir de discuter ensemble de l'avenir de ce lieu et de voir, comme vous le proposez, si d'autres lieux pourraient être mis à la disposition des jeunes. Nous pourrons bien évidemment, vu l'avancement des travaux de l'ancienne Clairière, décider aussi de son affectation, car les travaux de reconstruction interne ne devraient, à ma connaissance, pas commencer avant septembre ou octobre. Si vous êtes d'accord, on en restera là.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1359)
sur la détention de mineurs dans des lieux adaptés