Séance du
jeudi 20 janvier 2000 à
17h
54e
législature -
3e
année -
4e
session -
2e
séance
PL 8170
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article 1
La loi sur l'exercice des droits politiques, du 15 octobre 1982, est modifiée comme suit :
Art. 3, al. 1 (nouvelle teneur)
1 Sont électeurs et électrices en matière communale les citoyens et citoyennes jouissant de leurs droits politiques qui sont domiciliés dans la commune depuis 3 mois au moins ou qui, étant contribuables dans cette commune, ont souhaité y exercer leurs droits politiques ; le délai d'attente de 3 mois ne s'applique pas aux ressortissants de la commune.
Art. 5, al. 1 (nouvelle teneur)
1 Les électeurs et électrices, à l'exception des Suisses et Suissesses de l'étranger, sont inscrits d'office sur les rôles électoraux, tenus à jour par l'office. L'office bénéficie de la collaboration de l'administration fiscale cantonale pour déterminer les communes où les électeurs sont contribuables.
Art. 16 Choix du domicile politique (nouveau)
1 L'électeur peut, sur demande, exercer ses droits politiques communaux dans une commune genevoise autre que celle de son domicile, dans la mesure où il y est contribuable.
2 Dans ce but, il doit effectuer une déclaration à l'office. Cette modification de domicile politique devient effective immédiatement, sous réserve de la date de clôture des rôles électoraux avant un scrutin, et reste valable jusqu'à la fin de l'année civile en cours, à moins qu'un changement de domicile politique ne soit réalisé sur la base d'une autre disposition légale.
3 La déclaration doit être renouvelée chaque année.
Article 2 Entrée en vigueur
Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Nombre de citoyens de notre canton ont des liens avec de multiples communes, soit qu'ils habitent dans une commune et travaillent dans une autre, soit qu'ils possèdent des biens dans une commune autre que celle de leur domicile… mais ces citoyens ne peuvent exercer leurs droits politiques que dans la commune de leur domicile.
Ainsi, ce sont plusieurs dizaines de milliers de personnes qui travaillent en Ville de Genève, tout en habitant dans une autre commune du canton, et qui, selon la législation en vigueur, ne peuvent pas participer à la vie politique de la Ville de Genève.
Le droit constitutionnel exigeant l'unicité du droit de vote et l'égalité entre les citoyens, il n'est nullement concevable de donner à ces citoyens un droit de vote supplémentaire. Mais, il serait tout à fait conforme au droit fédéral de permettre aux citoyens qui le souhaitent de renoncer à l'exercice de leurs droits politiques dans leur commune de domicile au profit d'une autre commune dans laquelle ils ont des intérêts (travail, propriété, etc.) et à laquelle ils paient des impôts.
Nous proposons donc que le citoyen habitant dans une commune du canton et étant contribuable dans au moins une autre commune du canton puisse demander son inscription au rôle électoral de cette commune.
Afin d'éviter des problèmes de contrôle en cas de disparition du lien d'intérêt (changement du lieu de travail, vente d'un immeuble, etc.), nous suggérons que la déclaration soit renouvelée chaque année par le citoyen intéressé. Nous renonçons donc à la déclaration « perpétuelle », pour ne pas contraindre l'administration à vérifier régulièrement si les conditions d'inscription des divers citoyens annoncés sont toujours remplies.
Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir examiner ce projet de loi avec toute l'attention requise.
Préconsultation
M. Bernard Lescaze (R). Ce projet de loi surprend peut-être certains députés. En effet, un projet de loi qui avait le même but, à savoir de répondre au problème des habitants de certaines communes qui ne peuvent pas voter à Genève sur des sujets qui les intéressent alors qu'ils payent une partie de leurs impôts en Ville de Genève, avait été proposé par le parti libéral. Malheureusement, la proposition libérale n'était pas conforme à l'égalité des citoyens puisqu'elle aurait donné un double droit de vote à certains de ces citoyens.
Le projet de loi radical, auquel nous vous demandons de faire bon accueil, permet d'éviter cette difficulté en offrant à l'électeur la possibilité de voter dans la commune de son choix, pour autant qu'il ait un lien de rattachement, outre sa commune de domicile, avec la commune dans laquelle il souhaiterait pouvoir exercer son droit de vote, à savoir qu'il y soit contribuable - et il y a plusieurs manières d'être contribuable dans une commune. Ce projet de loi aura de surcroît l'avantage d'être eurocompatible dans la mesure où plusieurs pays européens connaissent en effet la liberté du domicile électoral différent du domicile politique ordinaire.
Dans ces conditions, il nous paraît que ce projet de loi est facilement compatible avec la législation genevoise, et nous vous demandons de le renvoyer à la commission des droits politiques.
Mme Christine Sayegh (S). A la lecture de ce projet de loi, on peut se demander si on va remplacer l'exercice des droits politiques par l'exercice des pouvoirs économiques en matière communale...
En effet, ce projet de loi répond à un souhait, au souhait de celles et ceux qui travaillent ou possèdent un bien immobilier dans une autre commune que celle où ils habitent. Ainsi, on voudrait dénaturer l'exercice des droits politiques et permettre de les exercer là où on paye le plus d'impôt par le truchement de la péréquation fiscale intercommunale. On peut se demander si les droits politiques sont également frappés par le phénomène de la globalisation, permettant à certains de choisir leur domicile politique et pas à d'autres.
Au stade de la préconsultation, je n'irai pas plus avant dans mes explications, mais je doute que l'affirmation des auteurs estimant que ce projet de loi est conforme au droit fédéral résiste à l'examen. La nouvelle Constitution fédérale, entrée en vigueur le 1er janvier 2000, reprend dans son article 39 l'ancienne teneur et précise que les droits politiques s'exercent au lieu du domicile. S'il est exact que tant la Confédération que les cantons peuvent prévoir des exceptions, celles-ci ne paraissent pas s'étendre au lieu de travail, puisque la loi fédérale dit clairement que le domicile politique est la commune où l'électeur habite, et prévoit effectivement une exception pour les gens du voyage qui peuvent voter dans leur commune d'origine.
Nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission de ce projet de loi, dont la conformité au droit supérieur devra être examinée prioritairement au fond.
M. Rémy Pagani (AdG). Nous ne pensions pas intervenir, puisque nous croyions que ce projet de loi allait tomber dans les oubliettes, en commission. Malheureusement, certains députés ont jugé opportun de passer du temps pour discuter de ce projet de loi...
Bien évidemment, nous sommes opposés à ce projet de loi, mais nous ne nous opposons pas à son renvoi en commission, contrairement à ce que faisait la droite lorsqu'elle était majoritaire... (Exclamations.)
En effet, jusqu'à maintenant, nous n'avons jamais décidé du sort d'un projet en plénière, à part pour un objet sur lequel, d'ailleurs, nous étions tous ou presque d'accord - sauf les libéraux - à savoir le rapport du Conseil d'Etat sur la division en huit secteurs de la Ville de Genève. C'est l'unique projet que nous avons discuté en plénière ! Tous les autres projets ont été renvoyés en commission, et c'est bien le renvoi en commission que notre parti votera.
Cela étant, nous trouvons tout de même un peu spécieux que certaines personnes, qui profitent des avantages de la campagne, qui vont s'expatrier dans de beaux quartiers comme Cologny, par exemple, trouvent tout d'un coup opportun de changer de commune électorale pour voter en Ville de Genève, parce qu'ils aimeraient bien avoir un parking à la place Neuve... Ce procédé est tout à fait antidémocratique ! On vote à l'endroit où l'on habite, c'est tout ! Je rappelle que le droit actuel est clair à ce sujet : il permet à chacun d'entre nous de s'établir dans une commune et de participer après trois mois, si mes souvenirs sont exacts, à la vie politique de cette commune.
Ce projet de loi nous paraît complètement aberrant - même si ce n'est pas le point de vue des libéraux qui veulent le beurre, l'argent du beurre et le papier du beurre - sur le plan d'une saine gestion démocratique de nos institutions.
M. David Hiler (Ve). Nous nous opposerons fermement à ce projet de loi, en commission et lors du retour au plénum, quelle que soit sa conformité avec le droit fédéral, qui n'est pas le problème qui nous préoccupe le plus.
En revanche, il s'agit d'un de ces nombreux projets de lois qui montrent qu'il y a tout de même une difficulté qui tient au statut fiscal assez particulier du canton de Genève, dont le but historique était de permettre à la Ville de Genève d'assurer un certain nombre de tâches cantonales. C'est bien pour cela que, contrairement à ce qui se fait dans le reste de la Suisse, on paye la moitié des impôts dans la commune de domicile et l'autre partie dans la commune où l'on travaille.
Je peux comprendre - pas pour une raison de places de parking, évidemment - que les personnes qui payent une part non négligeable de leurs impôt communaux là où elles travaillent, quelle que soit la commune - il y a en effet des personnes qui travaillent à Carouge, à Meyrin; elles ne travaillent pas toutes en Ville de Genève - pensent qu'elles devraient pouvoir se prononcer sur certains objets.
La méthode du Conseil d'Etat pour résoudre le problème n'était pas bonne - nous l'avions dit - et la méthode radicale ne l'est pas davantage. De plus - deuxième défaut - elle vise probablement un autre objectif et - troisième défaut - elle ne permet pas de rouvrir le débat institutionnel sur le rôle respectif de la Ville et du canton.
Toutefois, puisque tout le monde est d'humeur démocratique, nous allons renvoyer ce projet en commission, mais j'espère simplement que cette dernière aura la sagesse de ne pas entrer en matière lors de la première séance !
M. Claude Blanc (PDC). Comme vient de le dire M. Hiler, tout le monde étant d'humeur démocratique, nous allons renvoyer ce «machin» en commission...
Une voix. Oh !
M. Claude Blanc. Pour ma part, si je le pouvais, je ne le renverrai pas en commission !
Une voix. Pourquoi ?
M. Claude Blanc. Parce que je ne pense pas qu'il le mérite !
Mesdames et Messieurs les députés, nous avions eu affaire, il y a quelque temps, à un projet de loi libéral que M. Lescaze a bien fait de nous rappeler parce que nous l'avions oublié... Ce projet de loi libéral visait ni plus ni moins qu'à rétablir dans notre canton ce que j'appellerai le vote censitaire : celui qui paye vote, celui qui ne paye pas ne vote pas... C'est très ancien. Il a fallu que la démocratie progresse beaucoup pour que soit supprimé le vote censitaire, mais les libéraux, eux, tentent d'y revenir !
M. Lescaze pense que ce n'est pas tout à fait juste mais que ce problème mérite d'être étudié. Il nous propose donc un autre projet original - original, ça, permettez-moi d'en douter ! En effet, cette manière de procéder est assez courante - elle nous fait bien rire tout en nous choquant - dans un pays qui nous est très proche : la France, où n'importe qui peut voter n'importe où et où, de surcroît, un habitant de la Corrèze peut être maire de Paris sans que personne ne s'en préoccupe ! Mais, en Suisse, ce n'est vraiment pas dans nos habitudes. J'imagine que ce projet de loi radical doit sortir de la même officine que celle qui avait déjà concocté les projets de lois liberticides sur la liberté de religion... Cette officine, tout le monde le sait, est celle d'un avocat assez connu, dont le passeport suisse est encore tout frais : il s'agit d'un Français de vieille obédience radical-socialiste IIIe République, comme il le reconnaît d'ailleurs lui-même ! Alors, si c'est pour instaurer chez nous des lois radicales IIIe République que vous essayez de nous proposer de tels projets, vous pouvez repasser ! Nous ne sommes pas la IIIe République ! Et nous n'avons pas du tout l'intention de copier les Français sur ce point !
Pour être un peu plus sérieux, j'ai tout de même essayé d'imaginer ce que donnerait ce projet dans une commune comme la mienne, qui compte vingt mille habitants et qui a une certaine structure sociale. Je ne veux pas dire que tous les habitants se connaissent, mais, par l'intermédiaire des associations, les gens finissent peu à peu par être au courant des besoins des uns et des autres. Cette commune a la chance d'offrir un certain nombre d'emplois, qui s'élève à peu près aux deux tiers du total de sa population. C'est-à-dire que si on accordait la possibilité aux douze mille personnes qui travaillent à Meyrin sans y habiter de voter à Meyrin - alors que la vie sociale de cette commune ne les intéresse pas du tout, puisqu'elles habitent ailleurs et y viennent uniquement pour gagner leur vie - elles seraient en mesure de changer fondamentalement les options des autorités communales...
Une voix. Mais non, puisque ça ne les intéresse pas !
Une voix. Des conneries, on s'en fout ! (Exclamations.)
M. Claude Blanc. Oui, Monsieur Lombard, elles seraient en mesure d'agir sur le nerf de la guerre, c'est-à-dire le centime additionnel, et de priver, de ce fait, les habitants de Meyrin de l'argent nécessaire à l'organisation de leur vie sociale ! Ce projet est vicieux ! Ce projet est mauvais ! M. Hiler est d'accord de le renvoyer en commission : renvoyons-le ! Mais, en tout cas, en ce qui me concerne, je ne suis pas d'accord !
M. Jacques Béné (L). L'intervention de M. Pagani ne me choque guère, puisque l'Alliance de gauche est toujours contre tout ! (Exclamations.) Nous en prenons note, mais nous ne sommes pas très étonnés, il faut le dire...
Je suis par contre un peu plus surpris de l'intervention de M. Blanc, par rapport à l'attitude des représentants du PDC en commission, lors de l'examen du projet libéral. Celui-ci visait en fait à laisser le droit de vote au contribuable sur plusieurs communes, mais il aurait très bien pu être amendé et ressembler comme deux gouttes d'eau au projet radical. Je constate que les radicaux ont repris cette idée, et bien leur en a pris... Je le répète, je suis étonné de l'intervention de M. Blanc, notamment lorsqu'on sait qu'il y a 70% d'abstentionnistes... Cela fait déjà 70% des électeurs qui ne feront pas cette démarche, puisqu'ils se désintéressent de la politique ! Bien leur en sied, vu les débats nourris de ce parlement, notamment l'intervention de M. Pagani, pour un projet qui paraît pourtant intéressant. Mais je peux bien comprendre que M. Pagani ne s'y intéresse pas...
Par contre, je me réjouis des propos de Mme Sayegh. En effet, le groupe socialiste n'était pas entré en matière lors des travaux de commission pour examiner le projet libéral, mais il semble qu'aujourd'hui nous puissions en discuter. Dans le cadre du droit de vote des étrangers, l'un des arguments avancés par le parti socialiste était notamment de dire que les étrangers payant des impôts dans notre canton, il n'y avait par conséquent pas de raison qu'ils n'aient pas le droit de vote. Nous allons dans le même sens : on ne voit pas pourquoi les personnes qui payent des impôts sur une commune n'auraient pas la possibilité d'obtenir le droit de vote.
Je vous donne mon exemple : je travaille en Ville de Genève et j'habite dans une commune de la banlieue. Eh bien, je passe le plus clair de mon temps en Ville de Genève; mon lieu de domicile ne me sert qu'à dormir. Alors, je ne vois pas pourquoi je n'aurais pas le droit, si je le souhaite, de voter dans la commune dans laquelle j'exerce l'essentiel de mes activités.
J'espère donc que, contrairement au projet libéral qui n'a pas reçu votre approbation, nous pourrons en discuter sereinement en commission et que nous pourrons entrer en matière grâce, notamment, au groupe socialiste.
Ce projet est renvoyé à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil.