Séance du
jeudi 28 octobre 1999 à
17h
54e
législature -
2e
année -
11e
session -
45e
séance
M 1301
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
qu'il faut permettre à toute personne travaillant dans l'administration cantonale et les établissements subventionnés de garder son emploi ou un emploi équivalent suite à un accident ou une maladie ;
qu'il faut tout mettre en oeuvre afin de donner les moyens de garantir la réinsertion professionnelle des personnes ne pouvant plus reprendre l'emploi qu'elles ont dû quitter pour des raisons de santé ;
qu'il ne faut pas attendre que la situation se dégrade jusqu'au délai de 720 jours d'absence pour débuter une réinsertion professionnelle ;
qu'il faut pouvoir utiliser les compétences de chacun et chacune ;
qu'il ne faut pas envoyer automatiquement sans examen attentif de chaque situation particulière ces personnes à l'Assurance d'Invalidité (A.I.) sans tenir compte de leur nouvelle situation physique sur le plan psychique et personnel ;
à clarifier rapidement les marches à suivre selon les services et départements en vue de commencer le processus de réhabilitation en tenant compte du nouvel état physique ou psychique découlant d'un accident ou d'une maladie ;
à proposer un travail adapté et en accord avec l'employé-ée concerné-ée dans les délais les plus brefs mais avant la fin des 720 jours d'absence ;
à créer une commission paritaire à laquelle, en cas de difficulté, le personnel peut faire appel. Son principal rôle serait d'évaluer la nouvelle situation et garantir un emploi. Elle devrait être composée de représentants de l'employeur (Office du personnel de l'Etat ou Ressources humaines de l'établissement ou Service du personnel) et des organisations syndicales ;
à permettre que la personne concernée et son médecin traitant participent concrètement aux débats de la commission paritaire ;
à appliquer concrètement l'article 26, alinéa 2 de la loi relative au personnel de l'administration cantonale qui demande expressément de ne pas mettre fin aux rapports de service sans avoir essayé de réinsérer l'intéressé-ée dans l'administration ou dans des établissements subventionnés ;
à garantir, dans la fonction publique, un emploi : après la reconversion tenant compte de la nouvelle situation et en accord avec la personne concernée ;
à garantir le statut de fonctionnaire durant la période de reconversion ;
à faire en sorte que les personnes ayant un handicap momentané ou permanent :
aient un accès garanti et possible au bâtiment de l'administration cantonale et à leur place de travail,
EXPOSÉ DES MOTIFS
Depuis bientôt trop longtemps, nous sommes obligés de constater que l'alinéa 2 de l'art. 26 de la loi relative au personnel de l'administration cantonale n'est pas appliqué correctement et qu'il est allègrement contourné afin de se décharger des situations délicates venant d'absences de longue durée consécutives à un accident ou une maladie. Cet article demande expressément de ne pas mettre fin aux rapports de service sans avoir essayé de réintégrer l'intéressé-ée dans l'administration ou dans l'établissement,
Cette politique de la « langue de bois » laisse des personnes dans des situations qui entraînent une perte d'argent notable pour l'Etat. Encore plus grave, elle crée une perte d'identité pour la personne concernée et peut entraîner des problèmes psychiques ; ce qui est inacceptable. C'est une perte de temps, d'argent et un manque de respect pour les personnes malades et accidentées.
Il faut permettre à ces personnes de garder leur emploi en leur garantissant une réinsertion professionnelle de qualité qui tienne compte de leur nouvelle situation physique, psychique et de leur avis personnel.
Une solution serait de prendre des mesures pour garantir une réinsertion professionnelle et que les dossiers de ces personnes soient traités avant le délai de 720 jours d'absence.
La situation certes n'est pas simple, c'est pourquoi en plus de renforcer les structures existantes, il est nécessaire de créer une commission paritaire qui analysera les situations de manière rationnelle et humaine. Elle devrait être composée de représentants de l'employeur (Office du personnel de l'Etat ou Ressources humaines de l'établissement ou Service du personnel) et des organisations syndicales.
C'est pour tous ces motifs que nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés(es) de réserver un bon accueil à cette motion et de la renvoyer à la commission des affaires sociales.
ANNEXE
Alinéa 1 Le Conseil d'Etat ou le conseil d'administration peut mettre fin aux rapports de service lorsqu'un fonctionnaire n'est plus en mesure, pour des raisons de santé ou d'invalidité, de remplir les devoirs de sa fonction.
Alinéa 2 Il ne peut être mis fin aux rapports de service que s'il s'est avéré impossible de reclasser l'intéressé dans l'administration ou dans l'établissement.
Alinéa 3 L'incapacité de remplir les devoirs de service, à moins qu'elle ne soit reconnue d'un commun accord par le Conseil d'Etat ou le conseil d'administration, la caisse de prévoyance et l'intéressé, doit être constatée à la suite d'un examen médical approfondi pratiqué par le médecin-conseil de l'Etat ou de l'établissement en collaboration avec le médecin de la caisse de prévoyance et le ou les médecins traitants.
Débat
M. Régis de Battista (S). On pense généralement que les victimes d'accident ou de maladie grave sont réinsérées automatiquement dans la société. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Trouver des solutions pour entamer une nouvelle vie n'est pas facile et c'est malheureusement trop souvent une course d'obstacles impossible pour les personnes malades.
Il me semble que l'Etat a un rôle primordial à jouer dans la mise en place de mécanismes de réinsertion simples et efficaces et qu'il a une responsabilité face à ces personnes en difficulté qui viennent de divers secteurs de notre société. La maladie ou l'accident peuvent toucher tout le monde et c'est pour cela que cette motion vous est présentée. Son objectif principal est de lancer le débat afin de trouver des solutions rapides, en appliquant correctement - ce qui n'est pas forcément le cas - les lois qui sont déjà en vigueur et en tenant compte - et c'est peut-être cela qui est nouveau - de l'avis des différentes personnes concernées, notamment les personnes malades ou accidentées.
Je ne vais pas faire le débat de fond maintenant, à moins que d'autres personnes le lancent. Concrètement, nous proposons de renvoyer directement cette motion à la commission sociale afin de faire un débat sur ce sujet et de comprendre la problématique. Nous avions pensé la renvoyer à la commission des finances, mais comme cette dernière est surchargée la commission sociale serait peut-être plus à même de traiter rapidement ce sujet.
M. Claude Blanc (PDC). Les derniers mots de M. de Battista me font bondir. En effet, proposer de renvoyer à la commission sociale un problème qui concerne le statut du personnel de la fonction publique, c'est vraiment de l'ironie, c'est le moins qu'on puisse dire ! Tous les projets qui concernent le statut de la fonction publique doivent aller à la commission des finances, qui n'est pas aussi chargée que vous le dites, Monsieur de Battista : quand elle aura terminé ses travaux sur le budget, elle sera tout à fait disponible et je ne pense pas qu'il soit nécessaire de traiter cette motion avant la fin du mois de novembre.
M. Armand Lombard (L). Deux mots sur cette proposition de motion. Il me semble qu'au-delà des solutions plus ou moins concrètes qu'elle suggère, elle pose une question principale sur la réinsertion des personnes qui ne sont plus aptes, ou pas encore aptes à retravailler, à occuper un emploi.
Il nous paraît que ces personnes se trouvent devant deux possibilités quand elles peuvent se remettre à travailler, selon un schéma qu'on retrouve à tous les niveaux, chez les réfugiés des pays en guerre, lors des redémarrages d'entreprises, dans les situations de chômage, etc. Le choix se situe entre une réinsertion d'assistance et une réinsertion de stimulation. Les propositions de M. de Battista me font penser que cette motion va dans le sens de la première. Or, nous nous méfions du côté purement assistance, aide sociale : tant que cela ne va pas, tant que tu es malade, on te soutiendra, on t'aidera, on te donnera des sous... Ce n'est pas une solution pour sortir quelqu'un de sa maladie, de la triste situation dans laquelle il est, car il ne fait, dans ce cas, que continuer à la subir. Et nous, l'Etat, le service public, l'assistance, continuons, avec cette forme d'aide, à le considérer comme quelqu'un d'inférieur : le pauvre, il n'y est pas encore tout à fait, on va donc continuer à l'aider !
Quant à nous, nous préférons l'autre solution, qui n'est peut-être pas extrêmement éloignée quant aux moyens utilisés, mais qui est éloignée dans son esprit, à savoir la prise en considération d'un individu avec son potentiel, avec ses chances de se réinsérer, auquel on offre des projets qui lui permettent de le faire. Si cela ne va pas on l'aide, si cela ne va toujours pas on l'aide encore, mais il y a un moment où il doit prendre sur lui ; on ne peut en faire un individu responsable, qui a envie de vivre et de s'en sortir, si on le laisse dans une situation de dépendance.
C'est là où nous serons extrêmement attentif dans la discussion de ce projet. J'espère que vous verrez cette différence, parce que je crois qu'elle est importante à prendre en compte, non pas dans une optique Alliance de gauche d'un côté et libéralisme de l'autre, mais simplement dans l'optique de voir comment se relève une personne dans le malheur.
Pour prendre un exemple, on constate que, sur le plan humanitaire, l'assistance est prise en charge sur le terrain par la Croix-Rouge, alors que la réinsertion est prise en charge plutôt par la CNUCED. Je ne sais pas si l'un ou l'autre d'entre vous a assisté à un récent séminaire sur ces problèmes de réinsertion humanitaire dans les pays de l'ex-Yougoslavie : en l'occurrence, le débat portait exactement là-dessus et je crois sentir qu'il se retrouve dans le petit projet de M. de Battista.
M. Rémy Pagani (AdG). M. Lombard a une piètre idée de ce qu'est le service social. Il prétend que le service social n'encourage pas l'indépendance et l'autonomie des gens. Or, tout le monde, dans le milieu du service social et des travailleurs sociaux, vous dira que l'image que vous en avez ne correspond pas du tout à ce qui se pratique. C'est peut-être ce qui se pratiquait au début du siècle, avec celles qu'on appelait «les petites soeurs des pauvres», mais ce n'est plus ce qui se pratique aujourd'hui.
Toujours est-il que cette proposition de motion soulève un certain nombre de problèmes qu'il faudrait une fois pour toutes prendre à bras-le-corps. Dans l'administration - comme dans le privé d'ailleurs - lorsque certains collaborateurs ne sont plus «efficaces», on les met dans un petit coin de l'administration, où ils se sentent tellement dévalorisés qu'ils somatisent, tombent malades, retournent contre eux leur incapacité, passent à l'assurance-maladie et enfin, ô miracle, à l'AI ! Que ce soit dans le privé ou dans le public, cette démarche est éminemment scandaleuse, ce d'autant plus qu'elle met en péril l'ensemble des prestations de l'assurance-invalidité. On sait en effet que, durant ces dernières années, les bénéficiaires de l'AI ont beaucoup augmenté, du fait aussi du chômage.
Dans certains cas, on va même plus loin. A l'université par exemple, un professeur - cela existe même chez les professeurs ! - a été mis à l'AI de façon anticipée en quelque sorte. En effet, la CIA a mis en place un système pour anticiper la mise à l'AI. Ainsi, quelqu'un qui, théoriquement, aurait dû être mis à l'AI au bout de deux ans se voit quasiment mis à l'AI d'avance grâce à la rente CIA. C'est absolument aberrant, d'autant plus qu'il est possible de trouver des arrangements. En effet, il y a au sein de l'Etat un panel de services suffisamment vaste pour proposer des changements de postes - nous le faisons au niveau syndical - mais évidemment il faut secouer un peu nos structures. Il est possible par exemple qu'un département prête à un autre département durant quatre ou cinq mois la personne qui sort d'un moment difficile et qui sera ainsi remise en selle. J'ai fait de nombreuses expériences qui m'ont confirmé les avantages de cette pratique professionnelle de réinsertion. Elle est tout à fait favorable et en plus elle est très économique pour nos assurances sociales.
Je vous invite donc à renvoyer cette proposition de motion à la commission des finances. J'invite en outre le Conseil d'Etat à mettre en place une structure sociale - une structure sociale moderne, Monsieur Lombard - qui permette de faciliter ce genre d'échange entre départements, afin de remettre le pied à l'étrier de nombreux collaborateurs qui ont servi la collectivité pendant des années - car je le rappelle : ce sont bien souvent des collaborateurs qui ont plus de vingt ou vingt-cinq ans de service.
M. Armand Lombard (L). Je serai bref, puisque cette motion sera discutée en commission. Quand vous parlez comme un ange, Monsieur Pagani, je vous suis : je suis d'accord avec tout ce que vous venez de dire. Mais ce n'est pas vraiment vous, du moins pas vous dans ce plénum ! Vous ne parlez pas comme cela d'habitude et d'ailleurs votre texte ne parle pas comme cela : il ne parle que de garantie d'emploi, de garantie du statut de fonctionnaire, de garantie de tout, plus quelque chose avec ! Là, je retrouve votre socialisme de vieille femme du XIXe siècle, mais ce n'est pas ainsi qu'on sort un individu de la dèche ou de la mouise. On l'en sort parce qu'on lui fait confiance, pas parce qu'on lui donne des garanties. C'est la raison pour laquelle la moutarde me monte un peu au nez et c'est pourquoi nous nous opposerons à cette motion !
M. Régis de Battista (S). Suite aux différentes remarques qui ont été faites, nous admettons qu'effectivement le renvoi à la commission des finances serait plus judicieux.
M. René Longet (S). Je voudrais clarifier quelques points. Je suis un des signataires de cette motion et je n'ai absolument pas reconnu, dans la démarche qui est proposée ici, la caricature que M. Lombard vient d'en faire.
Si vous prenez les invites de la motion en page 2, vous verrez qu'il est question de mobilité, d'aide, d'appui à l'autonomie, qu'il est question de permettre aux personnes concernées d'être efficaces dans un environnement qui leur convienne mieux. Que peut-on faire d'autre que cela, à moins de vouloir ajouter à l'angoisse de leur maladie, l'angoisse de se savoir exclus de tout retour dans leurs fonctions ? Ou alors dites clairement que les gens qui sont malades, on ne veut plus les revoir une fois guéris !
Notre intention est de permettre à des gens qui ont été bien portants et qui vont mal, des gens qui ont une difficulté, qui ont eu un accident, qui vivent une situation qui les éloigne durablement de leur travail, de se remettre sur les rails et d'éviter la solution de facilité qu'est l'assurance-invalidité. Tout le monde sait qu'il y a là un problème : nous estimons que les solutions proposées sont correctes, cohérentes et justes et j'aimerais donc qu'on ne reste pas sur l'idée caricaturale qui a été lancée ici.
Mme Micheline Calmy-Rey. Ce que demande cette motion concerne pour une partie le travail du service de santé du personnel de l'Etat, qui est chargé de la gestion de ces situations. C'est une mission que ce service accomplit d'une façon permanente. Le service de santé n'est toutefois qu'un des maillons de la chaîne des partenaires concernés. Pour que le reclassement soit plus efficace, il conviendrait de définir une politique de mobilité interne plus contraignante pour les chefs de service, de sorte que priorité soit accordée au reclassement des personnes dont la capacité de travail le permet.
Parmi les personnes absentes pour une longue durée, il faut distinguer deux catégories de personnes. D'une part, les personnes qui abandonnent très vite tout espoir de reprendre une activité professionnelle, que ce soit de manière délibérée ou en raison de la gravité de leur maladie. Il paraît illusoire de vouloir tenter de les remettre au travail. D'autre part, les personnes qui souhaitent ardemment poursuivre leur activité professionnelle dans un poste adapté à leur handicap physique ou psychique. Or, nous nous trouvons, dans ce cas particulier, confrontés non seulement à des difficultés techniques en termes de mobilité, mais aussi au cloisonnement et au manque de souplesse de l'administration. En effet, il devrait être utile de pouvoir tester ces personnes en conditions réelles.
Pour le surplus, l'Etat ne dispose pas actuellement de budget permettant de prévoir des essais de reclassement ou de réinsertion professionnelle. Des postes de travail devraient pouvoir être réservés, avec l'enveloppe budgétaire d'accompagnement, pour les personnes qui s'occupent de ces réinsertions.
Je ne me prononce pas sur les moyens à mettre en oeuvre qui sont proposés par les motionnaires. Là-dessus, je pense qu'il serait utile d'avoir une discussion en commission, en fonction des expériences actuelles du service de santé de l'Etat. Je vous remercie donc de bien vouloir renvoyer cette motion en commission des finances, pour que nous puissions poursuivre le dialogue.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des finances.