Séance du
vendredi 18 décembre 1998 à
17h
54e
législature -
2e
année -
2e
session -
60e
séance
M 1250
Vu l'importance des fonds engagés par l'Etat dans la compagnie d'aviation SWA ;
vu la déconfiture financière de cette compagnie ;
vu les assurances qui avaient été données, notamment par le Conseil d'Etat ;
vu la proposition de motion 1199 sur l'envol de Swiss World Airways ;
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève
invite le Conseil d'Etat
à lui présenter un rapport sur :
le montant total des aides directes et indirectes consenties par l'Etat de Genève et l'aéroport international de Genève à la SWA (participations financières, subventions, mise à disposition de locaux, paiement de salaires, dont celui du président de la société, etc.) ;
les garanties que l'Etat avait obtenues de la SWA avant de libérer ses participations financières ;
l'analyse de marché qui avait été effectuée ;
la surveillance qu'il a exercée quant à l'évolution de cette compagnie aérienne ;
le montant des fonds propres avancés par les promoteurs de la SWA ;
le montant des dépenses effectuées par la SWA en une année.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Les députés de l'AdG ont déposé au début de l'année une motion 1169 sur la SWA mettant en évidence le manque de transparence de cette compagnie aérienne, ses déclarations fantaisistes mettant en doute le sérieux de son projet et la légèreté avec laquelle des fonds publics avaient été engagés.
Certes, nous estimons que les pouvoirs publics doivent favoriser des entreprises nouvelles permettant la création d'emplois, mais ils doivent néanmoins faire preuve d'une prudence élémentaire, notamment lorsqu'il s'agit d'activités présentant des hauts risques, ce qui est notamment le cas dans le transport aérien où les compagnies aériennes se livrent à une concurrence sans merci et où les chances de s'introduire dans le marché sont extraordinairement difficiles.
Le projet de créer une compagnie aérienne affectée à des vols intercontinentaux, dont le marché est limité pour une ville de la taille de Genève, était une entreprise très aléatoire et les responsables de l'aéroport, qui connaissaient le chiffre des passagers prenant des vols long-courriers, devaient le savoir.
Le lancement de la SWA s'est manifestement inscrit dans une mauvaise tentative de répliquer à la décision de Swissair, à laquelle on s'attendait depuis plusieurs années, de renoncer à l'escale de Genève pour ses long-courriers qui n'y embarquaient qu'un petit nombre de passagers. Certains ont voulu créer un climat émotionnel, qui a été exploité par des « bluffeurs » dont on aimerait savoir quels fonds propres ils ont investi personnellement dans cette aventure, au lieu de rechercher des solutions avec Swissair, qui n'a pas renoncé à la légère aux vols long-courriers faisant escale à Genève, et le développement de liaisons à moyenne distance correspondant mieux au potentiel de notre aéroport.
Vu l'importance des fonds engagés par l'Etat, sans avoir sollicité l'approbation du Grand Conseil, le Conseil d'Etat se doit de donner un rapport circonstancié sur cette malencontreuse affaire et notamment comment la SWA, qui prétendait tout récemment encore que tout allait bien alors qu'elle était déjà au fond du gouffre, a pu dépenser semble-t-il une trentaine de millions de francs en une année avec seulement trois mois de vols, ce qui paraît à peine croyable !
L'Alliance de Gauche, après quelques hésitations, a renoncé à déposer une motion sitôt après les premiers vols demandant au Conseil d'Etat un rapport régulier sur le taux d'occupation des avions de la SWA, plus particulièrement en première classe et classe business et sur le cash-flow dégagé, pour ne pas donner l'impression de rechercher des difficultés à cette compagnie aérienne au moment où elle débutait enfin son activité, admettant qu'il fallait lui laisser une chance. Il est toutefois important de savoir si le Conseil d'Etat a suivi de près la rentabilité de ces vols, qui semblent avoir été un véritable gouffre financier.
L'Alliance de Gauche est acquise à une aide au démarrage de nouvelles entreprises, tout particulièrement de petites et moyennes entreprises qui constituent la base de notre tissu économique, mais considère qu'il faut tirer les leçons des erreurs commises par le Conseil d'Etat dans l'affaire de la SWA afin d'éviter de nouvelles mésaventures de ce genre, en étant tout particulièrement prudent à l'égard de gros projets à risques fortement subventionnés qui nécessitent un contrôle rigoureux et suivi.
Au bénéfice de ces explications, nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, que la présente motion recevra bon accueil de votre part.
Débat
M. Christian Grobet (AdG). J'aimerais rappeler que, lors de la dernière législature, l'Alliance de gauche avait déposé des projets de lois visant à concrétiser l'initiative populaire dite «La Suisse». Nous préconisions notamment que l'Etat de Genève soutienne activement la création d'entreprises dans notre canton. C'est après de nombreux débats et à la suite de nos projets de lois que, finalement, un certain nombre de mesures législatives ont été adoptées, qui n'allaient pas aussi loin que nous le souhaitions. J'aimerais réaffirmer ici notre position favorable à ce que l'Etat apporte un appui à des nouvelles entreprises susceptibles de créer des emplois.
Cela étant dit, il est évident que nous considérons que cet appui - sous quelque forme qu'il soit - notamment et plus particulièrement s'il s'agit d'un soutien financier, doit être accordé avec une attention soutenue pour s'assurer que les deniers des contribuables sont utilisés efficacement et correctement. Je crois que l'affaire de la SWA implique que nous tirions une leçon sur la façon dont l'Etat est intervenu pour aider à la création de cette entreprise. Car c'est, hélas, un véritable fiasco, mais un fiasco qui - à notre avis - était prévisible.
Lors de sa création, nous avons été frappés par le fait que les promoteurs de cette compagnie - qui se targuaient d'être des entrepreneurs, des chantres du libéralisme économique, des partisans de la concurrence à tout crin - adressent leur premier appel de fonds aux pouvoirs publics. Il y a là quand même quelque chose d'un peu curieux... Il faudrait tout de même, lors de la création d'une entreprise, surtout de cette importance, avoir des capitaux auxquels l'Etat peut éventuellement apporter un complément. Or, la compagnie s'est d'abord adressée aux collectivités publiques et, ensuite seulement, a convoqué une assemblée d'actionnaires avec des partenaires privés qui, finalement, n'ont pas du tout mis sur la table les fonds escomptés. Il y avait là déjà matière à réflexion.
Nous avons tout de suite vu le manque de sérieux des promoteurs lorsqu'ils ont prétendu, alors qu'ils n'avaient pas encore d'avions, qu'ils allaient commencer leurs vols à partir du 1er décembre 1997. Par ailleurs, ils mettaient en accusation l'Office fédéral de l'air d'une manière que l'on peut qualifier aujourd'hui de «tragique» - on voit ce qui est arrivé lors de la catastrophe du vol Swissair en septembre dernier - en se plaignant que l'Office fédéral traînait les pieds pour délivrer l'accréditation. Ils connaissaient pourtant - plus particulièrement M. Rochat qui a travaillé à la direction de l'aéroport - les délais nécessaires à l'obtention d'un tel accord. Il est évident qu'en matière aéronautique il est indispensable que l'office compétent vérifie tous les aspects de sécurité d'un aéronef.
Déjà à ce moment-là, nous avons pu constater que les promoteurs non seulement manquaient de transparence, mais surtout qu'ils avaient fait un certain nombre de fausses déclarations. Par la suite, au début de cette année, ils ont déclaré qu'ils allaient tirer les leçons de leur coup de bluff, qu'ils feraient preuve de transparence, de rigueur... Mais ils ont finalement poursuivi sur la même lancée. Il faut se méfier de gens qui ne disent pas la vérité ! Il est assez paradoxal d'entendre M. Rochat déclarer récemment à la presse, en sortant du tribunal, que maintenant il ferait preuve de transparence, admettant que, jusque-là, ça n'avait pas été le cas en laissant croire que la compagnie se portait très bien alors qu'elle était en perdition.
L'Etat a eu l'imprudence d'accepter - nous l'avons dit depuis le début - que M. Rochat joue ce double rôle en portant les deux casquettes de membre de la direction de l'aéroport et de directeur-président de la SWA. M. Rochat était particulièrement bien placé pour connaître les taux de fréquentation des vols long-courriers à partir de Genève. Ce n'est pas un hasard si Swissair a arrêté ses vols long-courriers à partir de Genève. Un certain nombre de ces vols faisaient escale à Cointrin en provenance de Zurich et y embarquaient un nombre très limité de passagers; cette prestation de Swissair n'a pas pu être maintenue.
Lorsque j'étais au Conseil d'Etat, on savait que la création de ce hub se ferait à Zurich. Malheureusement, la direction de l'aéroport ne s'est pas préparée à cette hypothèse avec une stratégie de rechange. Elle a préféré dramatiser la situation, créer un climat défavorable et, finalement, jouer sur des circonstances qui ont permis à des aventuriers de créer une entreprise en faisant appel aux deniers publics.
Par ailleurs, nous avons le sentiment que les activités de cette entreprise n'ont pas été suivies comme elles auraient dû l'être par l'Etat pour s'assurer du sérieux de ce planning. Nous avions déjà, il y a neuf mois, soulevé certaines incongruités s'agissant des dépenses et des commandes de prestige de la SWA.
Il est indispensable aujourd'hui de faire le bilan de cette affaire et d'essayer d'y voir clair. En premier lieu, à partir du moment où l'argent du contribuable a été utilisé, il nous faut savoir exactement de quelles sommes il s'agit. Il y a eu achat d'actions. Nous avons du reste dénoncé ce système d'actions privilégiées au profit de promoteurs qui avaient dix fois plus de voix que les actionnaires ordinaires. Ce n'était pas non plus une situation saine et l'Etat n'aurait pas dû l'accepter. Il y a eu un certain nombre d'autres prestations - semble-t-il - à travers les fonds d'encouragement à la création d'entreprises, de la part également de l'Aéroport de Cointrin. Ainsi, concernant la mise à disposition de M. Rochat, son salaire est-il toujours payé par l'aéroport ? Nous aimerions avoir quelques précisions quant au coût de l'opération.
En second lieu, l'Etat a-t-il véritablement suivi cette affaire dès le début ? Nous avons beaucoup hésité à déposer une motion au mois de septembre, Monsieur Lamprecht. Lors du débat, vous avez dit qu'il fallait faire confiance et ne pas aller à l'encontre de ceux qui prennent l'initiative de créer une nouvelle entreprise. Nous avons voulu faire preuve de retenue mais, malgré tout, nous voyions mal comment cette entreprise pouvait fonctionner avec des tarifs aussi bas par rapport aux charges mensuelles. Cela impliquait forcément une grand nombre de passagers en première classe et en classe business. Nous voulions demander - ce n'est pas trop tard - quel était le taux d'occupation des différentes classes. Notez que, même si l'avion avait été plein, je pense qu'il n'aurait pas été rentable vu les charges considérables afférentes. Et tout le monde sait qu'un leasing revient très cher.
Ce qui nous frappe aujourd'hui, c'est que l'on pensait naïvement qu'une partie du capital-actions servirait à financer l'acquisition d'aéronefs; ce qui n'a finalement pas été le cas. Et l'on apprend ensuite qu'en moins d'une année 30 millions auraient été dépensés, alors que l'avion n'a volé que trois mois. Est-ce vrai ? Cela paraît ahurissant ! On peut tout de même se poser des questions sur la façon dont cette société a été gérée.
Par voie de conséquence, en dehors de tout esprit de polémique... (Exclamations.) ...nous pensons qu'il faut tirer les leçons de cette affaire. Nous voulons savoir maintenant comment cette société a été finalement gérée, quel est le montant exact qui a été dépensé en une année et à combien s'élève le montant versé par la collectivité. Je me souviens que, lorsque M. Lamprecht est entré en fonctions, il ne connaissait pas les détails de ce dossier et c'était parfaitement normal. Il a été étonné du fait que la souscription du capital-actions ne soit pas passée devant le Grand Conseil. Nous, les députés, avons été tenus totalement à l'écart des différents financements apportés à cette compagnie, contrairement au Conseil municipal de la Ville qui a, lui, pu se prononcer. A l'époque, nous nous sommes du reste opposés à ce que la Ville participe à la souscription de ce capital-actions. Heureusement qu'un conseiller municipal, soucieux des intérêts de la Ville, a eu la bonne idée...
M. Michel Balestra. Un conseiller libéral, d'ailleurs !
M. Christian Grobet. Oui et cela démontre que nous ne sommes pas les seuls à nous soucier d'une gestion correcte des affaires. A mon sens, le Conseil d'Etat nous doit un rapport, et surtout nous voulons l'entendre nous assurer qu'à l'avenir il suivra de plus près l'aide financière accordée à de nouvelles entreprises, notamment lorsqu'il s'agit de sommes importantes.
Mme Dolores Loly Bolay (AdG). Le feuilleton SWA n'en finit plus de révéler de nouvelles surprises : salaires exorbitants et indécents, l'heure des règlements de comptes a sonné ; millions dilapidés à consulter des chasseurs de têtes grassement payés ; uniformes cousus à prix d'or, etc. Apparemment, certains se seraient rempli les poches - des salaires de 53 000 F par mois ont été articulés pour certains, et un de 100 000 F pour un conseiller national bien connu - sauf bien sûr les collectivités publiques qui, elles, ont été menées en bateau - en avion, devrais-je dire - depuis le début de cette affaire !
Dans notre motion déposée le 8 mars dernier, nous avions déjà dit tout le mal que nous pensions du projet SWA. Aujourd'hui, nos pires craintes se sont révélées parfaitement exactes. Si on en croit certains journaux, nous avons été même en dessous de la vérité. Aujourd'hui, SWA tombe dans le burlesque le plus grotesque. La facture est lourde, trop lourde. Pour seulement trois mois de vol, la compagnie a dépensé une trentaine de millions dont cinq proviennent du canton de Genève. Sans compter qu'une centaine d'employés sont désormais au chômage, des employés qui ont tout donné pour la compagnie SWA et qui se sentent oubliés par les responsables qui, eux, préfèrent se déchirer par voie de presse. Sans compter les plaintes pénales, les poursuites des actionnaires défaillants devant les tribunaux, les accusations en tous genres, etc.
Pendant de longs mois, on s'est demandé si SWA pourrait enfin voler un jour, car on nous avait annoncé le premier vol pour novembre 1997, puis pour décembre 1997, ensuite pour le mois de mars 1998. Enfin, le jour tant attendu est arrivé le 10 septembre dernier, mais pas pour longtemps. L'épopée s'est avérée vraiment très éphémère. S'est-on demandé pourquoi Swissair avait supprimé ses vols ? Les initiateurs de ce projet avaient-ils fait une analyse de marché pour savoir quelle pourrait être la rentabilité de SWA, sachant que le lancement d'une compagnie aérienne est une opération à hauts risques ; que les possibilités de succès sont limitées en raison de la concurrence terrible qui règne dans le domaine du transport aérien ; que Swissair, qui plus est, n'avait pas renoncé à la légère aux vols long-courriers faisant escale à Genève ?
Les collectivités publiques ont été les dindons de la farce. Elles ont été abusées jusqu'au bout, car jusqu'au bout les responsables ont prétendu que SWA se portait à merveille. Pour illustrer mes propos, il y a un mois M. Peter Leichmann, directeur général, disait au «Temps», je cite : «Nous avons atteint un taux de remplissage des avions légèrement supérieur à 50% et, courant octobre, les ventes et réservations marquent un progrès très net.» Ce même directeur général, qui avait élaboré le business plan, nous avait dit lors de son audition à la commission de l'économie, je cite : «Pour la deuxième année, le business plan prévoit un bénéfice important de 16% et 33% pour la troisième année, soit respectivement 22 et 33 millions de bénéfice.» C'était le 28 septembre dernier. C'était sans compter sur le désintérêt total des investisseurs privés qui n'ont pas daigné investir un kopeck dans un projet qui, dès le départ, était voué à l'échec.
Raison pour laquelle, au nom de l'Alliance de gauche, je vous demande le soutien à cette motion. Je vous remercie.
M. Jean-Claude Vaudroz (PDC). Dans le contexte de l'époque, les démocrates-chrétiens ont soutenu la participation de l'Etat à la création de cette compagnie. Aujourd'hui, dans des circonstances analogues, nous serions encore enthousiastes à l'idée de pouvoir participer au lancement d'une telle entreprise, dont la viabilité nous avait été clairement démontrée, à l'époque, par le chef du département.
La motion qui est déposée aujourd'hui nous interpelle, compte tenu d'un certain nombre d'éléments que nous avons pu lire et entendre par presse interposée. Il apparaît extrêmement important au parti démocrate-chrétien que toute la lumière soit faite sur la gestion de cette entreprise, d'autant plus que notre canton s'était très largement engagé dans sa création.
Notre président Carlo Lamprecht, avec qui nous avons déjà eu l'occasion d'en parler, est lui-même déjà en train de faire toute la lumière sur la gestion de cette entreprise. Nous pouvons avec conviction soutenir cette motion, de manière que ce parlement puisse avoir les idées claires sur les malversations éventuelles qui ont pu avoir lieu durant ces deux ans dans la gestion de SWA.
M. David Hiler (Ve). Je dois avouer que ce qui me reste sur l'estomac, c'est le processus de décision ! Je me rappelle comment les choses se sont passées à la commission des finances : on est venu nous dire que le Conseil d'Etat voulait un vote de cette commission - à l'époque, c'était l'ancienne législature - si bien qu'un clivage s'est fait jour automatiquement. A une majorité qui était celle du moment, le principe d'un financement a été agréé par la commission des finances. Sans un seul document : on ne nous a strictement rien distribué ! Malgré cela, un nombre suffisant de commissaires l'ont voté. Il est possible que des dossiers aient circulé dans d'autres cercles que celui de la commission des finances ; ce qui est certain, c'est que tel n'a pas été le cas à la commission des finances et cela est peu admissible. Ce qui l'est encore moins, c'est qu'une collectivité publique puisse investir avec d'autres collectivités publiques sans exercer un contrôle extrêmement serré à l'intérieur du conseil d'administration.
Cette compagnie n'a obtenu que des fonds publics. Les pouvoirs publics - sans doute parce qu'ils craignaient un peu ce qui allait arriver - ont jugé bon de ne pas s'investir dans le conseil pour contrôler ce qui se passait. Cela n'est pas possible. On peut créer des sociétés d'économie mixte - je ne crois pas que l'aviation soit un secteur privilégié pour ce type d'économie dans le monde d'aujourd'hui, mais on peut l'imaginer. Le gouvernement doit cependant assumer pleinement ses responsabilités et nommer des gens pour effectuer un contrôle. Ainsi, si l'aventure échoue économiquement, on peut se dire qu'on a essayé, que cela n'a pas marché, et que ce sont des choses qui arrivent, mais cela évitera de se faire rouler dans la farine !
Ce que je reproche au Conseil d'Etat actuel - pour le reste, c'est de l'histoire ancienne; c'était essentiellement l'affaire de M. Maitre - c'est de n'avoir pas pris les mesures nécessaires pour exercer ce contrôle. Vous comprendrez dans ces conditions que d'ici à ce que nous réinvestissions de l'argent dans une compagnie quelle qu'elle soit, il y a de l'eau qui va couler sous les ponts ! Aujourd'hui avec le copinage régnant - car il faut bien dire les choses comme elles sont - il semble impossible d'investir et d'effectuer un contrôle sérieux de l'argent investi. Il était tout de même possible, en étant représenté au conseil d'administration, de savoir quels étaient les petits cadeaux qui circulaient. Je crains vraiment, sauf explications très détaillées, que nous ne devions en tirer les conséquences. J'ai demandé à l'un ou l'autre conseiller d'Etat pourquoi nous n'étions pas représentés ; il m'a été répondu que personne ne voulait finir en prison ! C'est intéressant, mais il aurait peut-être fallu arrêter l'expérience avant.
M. Armand Lombard (L). Pour notre groupe, l'affaire SWA est l'histoire du non-suivi d'un projet qui ne devrait plus se reproduire. L'essai est peut-être raté; espérons que ce n'est pas définitif, mais c'est en tout cas mal parti. La communauté genevoise a besoin d'entreprises nouvelles et d'investisseurs enthousiastes. Ils ne doivent évidemment pas employer les moyens utilisés dans le cas de la SWA, mais agir selon des critères clairement définis.
Cela va peut-être être une expérience malheureuse, mais il faut savoir en tirer les conséquences. M. Hiler dit qu'il ne faut pas recommencer; au contraire, il faut recommencer, mais d'une autre manière. En effet, sans les partenaires que peuvent être l'Etat sur le plan financier et d'autres investisseurs, nous ne parviendrons pas à relancer notre économie avec des entreprises valables. Avant de démarrer une entreprise, il faut faire des études préalables, étudier notamment le marché et son approche. La presse l'a suffisamment relaté : ces démarches n'ont pas été conduites d'une manière approfondie ou l'ont été d'une façon négative vis-à-vis de Swissair. En plus de l'approche du marché, il faut connaître la vocation d'une équipe. On ne laisse pas démarrer une entreprise dont on ne connaît pas la vocation, c'est-à-dire les motivations profondes de ceux qui la dirigent.
Il eût peut-être fallu, au début, situer ces motivations, situer les directions dans lesquelles l'équipe souhaitait aller - pour autant qu'il y ait eu une équipe - et établir ensuite un plan de trésorerie. Bien entendu, selon un contrôle très superficiel des informations qui nous ont été données, un plan de trésorerie a dû être étudié : en général on calcule les trésoreries négatives pour les premiers mois, les premiers trimestres ou les premières années. La somme des trésoreries négatives - en simplifiant un peu - donne les fonds propres nécessaires à l'entreprise. Quand l'entreprise n'a plus de fonds propres au bout de six mois, c'est que ce calcul a été mal fait.
Au sein des institutions existant à Genève, que ce soit Start-PME, que ce soit la Fondetec pour la Ville, ou d'autres institutions, on ne dispose pas aujourd'hui d'un suivi du financement. Même si le financement était bon au départ - émettons cette hypothèse - lorsque M. Maitre a pris en charge cette affaire, il fallait néanmoins un suivi de ce financement. On ne peut pas, en effet, décider de lancer une entreprise un jour et l'abandonner par la suite.
Par conséquent, nous devons penser au suivi, inexistant ou totalement insuffisant, et réfléchir sur l'engagement de l'Etat. Ce n'est pas une mauvaise chose que l'Etat participe de temps à autre au lancement d'une entreprise et qu'il soit l'un des partenaires qui donne de l'impulsion pour aller de l'avant, mais à l'évidence il doit chercher à construire une entreprise durable et avant tout rentable. Cela permet de créer des emplois et surtout de les maintenir.
Dernier point : un partenariat est nécessaire, mais jamais - d'ailleurs n'importe quel investisseur privé pourrait le dire dans cette enceinte - un investisseur n'agit seul sans consulter d'autres investisseurs. Il y a des exceptions, mais l'Etat, lui, doit agir en partenariat et chercher d'autres investisseurs. Ces personnes forment une équipe, un conseil administration et ne se laissent pas imposer un conseil déjà existant, on ne sait pas exactement comment ni pourquoi...
La période des fêtes aidant, mon groupe sera en mesure de vous soumettre un projet sur ces quelques pistes, qui propose une série de critères applicables lors du démarrage ou du suivi d'une nouvelle entreprise. En effet, il est regrettable, voire pathétique pour notre collectivité genevoise, qui essaie de se développer, de «patauger» tellement au départ, alors que les mesures à prendre sont parfaitement claires.
Nous sommes bien entendu d'accord de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat
Mme Véronique Pürro (S). Ainsi que l'ont indiqué les deux orateurs de l'Alliance de gauche, la commission de l'économie a déjà eu l'occasion de se pencher sur ce sujet. Je suis du reste la rapporteure de la motion de l'Alliance de gauche.
Dans le cadre de nos travaux, nous avons eu l'occasion de recevoir le directeur général et le président de la compagnie. Lors de leur audition, nous avons eu exactement la même impression que celle qui nous avait été rapportée par M. le conseiller d'Etat, lorsqu'il avait répondu à l'interpellation de M. Charles Beer, à savoir que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, chiffres et plaquettes à l'appui ; les bénéfices allaient être engrangés et nous pouvions avoir confiance en cette compagnie !
Suite à ces déclarations, nous avions décidé d'amender la proposition de l'Alliance de gauche en libellant des invites beaucoup plus générales qui chargeaient le Conseil d'Etat d'établir un rapport annuel et demandaient que, dans des situations de ce type, le rôle de l'Etat soit également défini. Même si les travaux de la commission sont terminés, je pense qu'il ne serait pas inintéressant que nous les reprenions à l'occasion de cette motion qui sera - je l'espère - renvoyée à la commission de l'économie. Il faut que toute la lumière soit faite sur ce qui s'est passé. Comme l'ont dit M. David Hiler et M. Armand Lombard, nous devrons discuter et essayer de nous mettre d'accord sur le rôle de l'Etat et sur les critères du partenariat.
Le groupe socialiste souhaite que cette proposition de motion soit renvoyée à la commission de l'économie.
M. Carlo Lamprecht. Lorsqu'il est question de capital-risque lors de la création d'une entreprise, il y a le capital et le risque. C'est vrai, le Conseil d'Etat a pris ce risque il y a deux ans. Je crois l'avoir déjà dit ici : j'aurais agi de même, comme d'autres cantons l'ont fait. C'était peut-être une réaction affective, lorsque Swissair nous a quittés, de penser qu'en Suisse romande nous étions capables de créer une compagnie d'aviation pour maintenir les vols vers les Etats-Unis. La plupart d'entre nous dans cette enceinte et à l'extérieur avons vivement souhaité que cette création ait lieu. Cette ligne vaut-elle la peine d'être mise en opération ? Est-elle rentable ou non ?
Trois repreneurs, au moins, sont déjà prêts à reprendre le capital et à reprendre une ligne à des conditions bien entendu totalement différentes et sans l'appui des collectivités publiques. Cela signifie que la création de cette ligne n'était pas forcément un rêve, mais une réalité importante pour Genève. Bien entendu, je l'ai déjà souligné, si SWA avait travaillé plus sérieusement, si la gestion de l'entreprise avait été meilleure, peut-être aurait-elle pu réussir ce que d'autres pourraient réussir. Je l'espère, car le voeu du canton et de cette région, lorsque Swissair nous a quittés, était d'avoir des lignes intercontinentales
Il faut savoir que Swissair ne viendra pas à Genève comme cela; il faudra véritablement qu'elle trouve quelques lignes qui soient rentables. Vous l'avez dit, Monsieur Grobet, si Swissair ne vient pas, pourquoi d'autres compagnies viendraient-elles ? Je puis vous assurer qu'il y a du monde au portillon, ce qui veut dire que l'idée n'était pas si farfelue. Mais il y avait de quoi être surpris en lisant dans la presse - dans «Bilan», pour ne pas le citer - que la compagnie s'envolait, qu'elle faisait des bénéfices, que tout était extraordinaire, alors qu'au mois de novembre le conseil m'avait demandé 3 millions pour le lundi suivant, car il n'y avait plus d'argent dans les caisses pour payer les salaires.
Voyez-vous, Mesdames et Messieurs, j'ai aussi le sentiment d'avoir été trompé par l'équipe dirigeante. Tout ce lavage de linge sale étalé dans la presse par rapport à cette compagnie démontre effectivement qu'il y a lieu d'en savoir un peu plus. Je suis très heureux, pour ma part, que cette motion soit renvoyée au Conseil d'Etat. Nous pourrons ainsi vous donner nos impressions et nos informations sur cette affaire.
Bien sûr, lorsqu'on est venu me réclamer les 3 millions en question, j'ai tout d'abord demandé à voir les comptes de la compagnie. Ceux-ci étaient succincts, mais on affirmait que les investisseurs étaient là. Cette information circulait partout et M. Rochat l'a même confirmée à la télévision le soir où tout s'écroulait. Je ne me suis pas contenté de cela. J'ai demandé qu'une enquête ait lieu sur place et le service du contrôle des finances du Conseil d'Etat est donc allé faire la lumière sur ces comptes. A l'issue de cette enquête, un rapport a été rédigé et communiqué au Conseil d'Etat. Ce document est aujourd'hui dans les mains du procureur général, car nous souhaitons aussi avoir connaissance de ce qui s'est passé et savoir s'il y a eu malversations dans cette affaire.
J'ai souvent eu l'occasion de répondre à des interpellations en commission de l'économie. Comme l'a dit Mme Pürro, il est très difficile de répondre sur certains points. En effet, le président lui-même et le directeur général ont été reçus par la commission de l'économie et, dès que l'avion a commencé à voler, nous avons pensé que c'était une affaire qui commençait à tourner; c'était une étape. Encore fallait-il savoir si cela allait durer et quels étaient les tarifs. Ceux-ci avaient été fixés pour casser la concurrence et pour remplir l'avion. Ce qui n'a pas été examiné, c'est le marché de l'autre côté de la ligne, en l'occurrence New York. Ce marché n'a pas été exploré comme il aurait dû l'être pour rentabiliser la ligne.
Mesdames et Messieurs, j'ai le sentiment, comme vous, d'avoir été trompé. D'emblée j'ai pris la décision de dire publiquement à cette compagnie que les collectivités publiques avaient assez investi et qu'il n'était pas question de donner davantage.
J'aimerais revenir sur le contrôle effectué par l'Etat. Aujourd'hui, lorsque nous octroyons des crédits par Start-PME ou par d'autres organismes financiers, nous ne revendiquons pas non plus de faire partie du conseil d'administration, car nous ferions partie des conseils d'administration de toutes les compagnies que nous aidons, ce qui n'est pas notre rôle. D'autres cantons, tel celui de Vaud qui a aussi investi, auraient pu également revendiquer un siège au conseil d'administration. Nous étions, en définitive des actionnaires majoritaires, issus des collectivités publiques mais au même titre que les autres actionnaires. Le Conseil d'Etat a décidé de ne pas être représenté dans ce conseil d'administration. Il aurait pu l'être dès le départ, mais il ne l'a pas fait, de même que les autres cantons. C'est peut-être cela que l'on peut nous reprocher.
Je suis très heureux d'accepter cette motion. Je peux vous assurer que vous aurez toutes les réponses nécessaires et que toute la lumière sera faite dans cette affaire. Je ne peux pas vous en dire davantage aujourd'hui car, pour l'instant, les informations sont très contradictoires. La justice est saisie et elle nous rendra également compte de ses conclusions.
Le président. Il est proposé de renvoyer cette motion à la commission de l'économie. Y a-t-il d'autres propositions ? Monsieur Beer, vous avez la parole.
M. Charles Beer (S). Nous avions discuté dans notre groupe l'opportunité de renvoyer cette motion soit au Conseil d'Etat, soit de préférence en commission de l'économie. Finalement, vu les invites et le sérieux de la situation, nous préférons la renvoyer au Conseil d'Etat pour qu'il fasse le rapport lui-même. Je souhaite néanmoins amender - je ne l'ai pas fait par écrit, ce dont je vous prie de m'excuser - une invite de la motion. J'interviendrai en temps opportun.
Le président. Présentez votre amendement tout de suite; nous vous écoutons avec intérêt.
M. Charles Beer. Je voudrais donner l'information suivante, qui me semble particulièrement sérieuse et importante : la compagnie SWA, dans le sérieux de sa gestion, a trouvé les moyens, dans les difficultés qu'elle traverse, de violer la législation concernant la protection des salariés, tout particulièrement s'agissant des licenciements collectifs. Ceux-ci n'ont en effet pas été annoncés. Par conséquent, je suggère - indépendamment de tout ce qui peut relever d'autres sanctions - de modifier la quatrième invite comme suit :
«- la surveillance qu'il a exercée quant à l'évolution de cette compagnie aérienne et en particulier le respect de la législation concernant la protection des salariés».
M. Christian Grobet (AdG). Je souhaite demander le renvoi immédiat de cette motion au Conseil d'Etat. Nous regrettons que la précédente motion n'ait pas été renvoyée immédiatement au Conseil d'Etat car, aujourd'hui encore, nous n'avons pas le rapport de la commission. La situation est claire mais peu limpide à la fois. Elle est claire dans la mesure où l'entreprise s'est, hélas, arrêtée de fonctionner. Elle est peu limpide, car un certain nombre de faits ne nous sont pas connus. Nous aimerions notamment, j'insiste sur ce point, recevoir des indications précises sur le marché des vols long-courriers, Monsieur Lamprecht. Nous serions très heureux qu'il y ait des repreneurs pour cette compagnie, mais nous avons tellement été menés en bateau dans cette affaire que, lorsque les responsables actuels nous disent connaître d'éventuels repreneurs, on ne peut hélas pas donner grand crédit à ces propos...
A l'instar de Swissair qui a arrêté, et qui avait un intérêt commercial avec une liaison Zurich-Genève, toutes les compagnies américaines qui, depuis quinze ans, ont voulu assurer des vols New-York - Genève ont dû cesser. Lyon n'a pas de vol vers les Etats-Unis ou le Canada. Cela pour démontrer simplement que la concurrence et le dumping sont particulièrement forts et que ce créneau est extrêmement difficile. Il ne faudrait pas aujourd'hui donner de faux espoirs. C'est pour cela qu'il est important de savoir - la direction de l'aéroport possède ces chiffres - combien de passagers partaient de Genève, afin que nous puissions connaître la situation.
Il faut renvoyer cette proposition de motion au Conseil d'Etat. A mon avis, le Conseil d'Etat a eu raison de ne pas faire partie du conseil d'administration. Je regrette que M. Rochat, avec sa double casquette, y soit représenté dans des fonctions qui ne sont du reste pas très claires... Vous n'avez, par ailleurs, pas indiqué si M. Rochat était toujours à la direction de l'aéroport, quelle part de son temps il consacre aux affaires de l'aéroport et comment il est payé. Il faudrait éclaircir ce point. Dans ces opérations d'aide financière, il est très délicat de faire partie du conseil d'administration, car cela implique d'assumer des responsabilités. En revanche, lorsqu'une aide est accordée, on peut exiger du bénéficiaire qu'il se soumette au contrôle du service financier de l'Etat. Comme vous l'avez dit, celui-ci est formé de gens compétents qui auraient pu, s'ils avaient suivi le déroulement de l'affaire, informer régulièrement le Conseil d'Etat. (L'orateur est interpellé par M. Lombard). Ecoutez, Monsieur Lombard, vous qui êtes banquier, vous savez comme moi qu'un certain nombre de choses auraient été probablement découvertes.
Mme Véronique Pürro (S). J'aimerais préciser à l'intention de M. Grobet - qui n'est pas membre de la commission de l'économie, il faut le préciser - que si le rapport a tardé, comme il le laisse entendre, ce n'est pas parce que le rapporteur a pris son temps, mais parce que l'Alliance de gauche nous avait annoncé qu'elle allait déposer une motion. Il s'agissait même à l'époque d'une motion urgente, ce qui n'a finalement pas été le cas. La commission, à l'unanimité, a décidé que le rapport ne serait pas déposé sur la première motion pour que la discussion puisse se poursuivre avec l'arrivée de la deuxième motion. Je voulais simplement apporter ces quelques précisions, afin d'éviter de fausses rumeurs.
M. René Koechlin (L). A l'instar de M. Grobet, je tiens à dire combien il est important de souligner l'importance de cette importante motion, qui traite un sujet vraiment important, et combien il est important qu'on la vote ! (Rires.)
Le président. Mesdames et Messieurs, nous sommes en présence d'un amendement complétant la quatrième invite qui se lit donc comme suit :
«- la surveillance qu'il a exercée quant à l'évolution de cette compagnie aérienne et en particulier le respect de la législation concernant la protection des salariés».
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
Mise aux voix, cette motion ainsi amendée est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1250)
sur le taux de fréquentation et le cash flow de la SWA
Vu l'importance des fonds engagés par l'Etat dans la compagnie d'aviation SWA ;
vu la déconfiture financière de cette compagnie ;
vu les assurances qui avaient été données, notamment par le Conseil d'Etat ;
vu la proposition de motion 1199 sur l'envol de Swiss World Airways ;
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève
invite le Conseil d'Etat
à lui présenter un rapport sur :
le montant total des aides directes et indirectes consenties par l'Etat de Genève et l'aéroport international de Genève à la SWA (participations financières, subventions, mise à disposition de locaux, paiement de salaires, dont celui du président de la société, etc.) ;
les garanties que l'Etat avait obtenues de la SWA avant de libérer ses participations financières ;
l'analyse de marché qui avait été effectuée ;
la surveillance qu'il a exercée quant à l'évolution de cette compagnie aérienne et en particulier le respect de la législation concernant la protection des salariés ;
le montant des fonds propres avancés par les promoteurs de la SWA ;
le montant des dépenses effectuées par la SWA en une année.
15. Proposition de résolution de Mmes et MM. Alberto Velasco, Laurence Fehlmann Rielle, Jeannine de Haller, Luc Gilly, Antonio Hodgers, Régis de Battista, Dominique Hausser et Dolorès Loly Bolay pour le respect des droits humains au Chiapas (Mexique). ( )
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'Etat du Chiapas est caractérisé par la pauvreté extrême et l'exclusion d'une partie de ses habitant(e)s. Ainsi, 66,7 % de sa population souffrent de malnutrition, 69 % d'analphabétisme (en majorité des femmes), 56 % des habitations ne connaissent pas l'eau courante et 67 % sont privées d'électricité. C'est la population indienne, 1 200 000 personnes sur une population de 3 600 000 habitants, qui serait le plus touchée par cette marginalisation. C'est dans ce contexte de misère, d'atteinte aux droits humains et de précarité à tous les niveaux, qu'a eu lieu le soulèvement de la population derrière le mouvement zapatiste. Depuis lors, la présence massive de l'armée fédérale dans la zone (1/3 de l'effectif national) a généré une situation de tension, d'insécurité et de généralisation de la violence. Les menaces et les assassinats sont monnaie courante et demeurent, dans la plupart des cas, impunis. C'est ainsi que 45 personnes furent massacrées, dont 21 femmes et 9 enfants, à Acteal le 22 décembre 1997. Les coupables sont à ce jour impunis. La présence et la prolifération de groupes paramilitaires dans la zone ont forcé des milliers de personnes à abandonner leurs terres devant la peur et les menaces, entraînant ainsi la destruction d'une économie de subsistance. Dans ce contexte, 20 000 paysans ont dû abandonner leur foyer et vivent dans des conditions déplorables dans la montagne, exposés aux intempéries dans des abris de fortune, souvent sans nourriture, sans eau potable et sans médicaments.
Les femmes font l'objet de sévices de la part des militaires et paramilitaires entraînant des souffrances tant au niveau psychologique que physique. Dénoncer un abus sexuel peut impliquer un rejet de la communauté et/ou de la famille.
Dans un système dominé par la corruption et le racisme, le droit à la justice est quasiment inaccessible. Ainsi, la population indienne est amenée à s'adresser aux ONG ou aux organisations religieuses dans le cadre des démarches légales.
La fraude électorale, facilitée par l'inaccessibilité des institutions politiques, et l'absence de structures participatives sont des obstacles à la participation politique.
A ce jour, le gouvernement mexicain n'a toujours pas mis en vigueur les engagements pris à San Andrés, pour garantir une nouvelle relation entre les peuples indiens du pays, la société et l'Etat. Signées depuis plus de deux ans, ces propositions qui devaient être envoyées au Parlement afin d'être ratifiées, sont toujours en souffrance. Ces accords contenaient une reconnaissance pour les Indiens des droits suivants :
- Politiques : reconnaissance de leur propre gouvernement et de leur propre système électoral.
- Juridiques : décider des formes de scrutins locaux et administrer la justice.
- Sociaux : décider de leurs propres formes d'organisation sociale.
- Economiques : déterminer leur propre organisation en ce qui concerne le travail, la jouissance de leurs ressources naturelles (notamment le droit à la propriété collective de la terre), impulser la production et l'emploi des peuples indiens.
- Culturels : pour garantir les droits culturels particuliers aux Indiens.
- Pluralisme : respect de la diversité de tou(te)s les Indien(ne)s du pays et élimination de la discrimination en général.
- Intégrité : les programmes et leur application doivent s'adresser à des composantes sociales sans discrimination.
- Subsistance : il est important que les programmes et leur application ne nuisent ni au milieu social, ni aux ressources des peuples indigènes et respectent l'environnement et la culture de ces peuples.
Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, en soutenant cette résolution, vous permettrez de manifester notre attachement aux valeurs démocratiques et notre volonté de contribuer à l'établissement d'une paix durable au Chiapas.
C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de lui réserver un bon accueil et de la renvoyer directement au Conseil d'Etat.
Débat