Séance du
jeudi 5 novembre 1998 à
17h
54e
législature -
2e
année -
1re
session -
44e
séance
M 1145-A
Cette motion du groupe libéral, déposée le 10 juin 1997, a patienté une année avant d'être traitée par la Commission des affaires sociales, sous la présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny. Elle a été traitée en 5 séances, entre le 28 avril et le 2 juin 1998, avec la présence et la participation de M. le conseiller d'Etat Guy-Olivier Segond, président du DASS, de M. Michel Gönczy, directeur de l'action sociale et de M. Paul-Olivier Vallotton, directeur de cabinet.
Cette motion vise à uniformiser l'octroi des différentes prestations sociales dans le canton de Genève. Depuis les années 1930, différentes prestations sociales, en espèces et sous la forme d'appui ou de soutien, se sont développées dans notre canton et dans ses différentes communes. Les différentes prestations étant allouées par différents services, et sans concertation entre eux, il s'ensuit qu'un certain nombre de ces prestations peuvent être attribuées simultanément au même bénéficiaire - faisant alors double usage - alors qu'un autre, ne sachant où s'adresser, dans le dédale des différents offices sociaux, se retrouvera démuni et sans aide.
Les signataires de cette motion demandent au Conseil d'Etat de faire un inventaire exhaustif et une étude des différentes prestations sociales offertes sur le territoire cantonal, que ce soit par le canton, la Ville de Genève ou les communes, puis de les réorganiser et de les centraliser auprès de l'Hospice Général qui est, depuis 1996, responsable de coordonner la politique sociale du canton.
Le but serait de mieux répartir les tâches entre les différents services, ce qui devrait permettre d'utiliser de manière optimale les ressources du secteur social, public et privé, d'éviter les doublons injustes et d'allouer à nos concitoyens dans le besoin des allocations équitablement réparties entre eux.
Cette rationalisation devrait aussi permettre de faire des économies bienvenues en cette période difficile pour l'Etat de Genève et de faciliter l'accès et les démarches qui permettent d'obtenir des subsides ou des allocations d'aide sociale, ainsi que la circulation de l'information entre les bénéficiaires et les différents intervenants.
Auditions
M. .
Selon l'AVIVO, l'assistance des personnes en difficulté est un devoir de la société. M. Ecuyer taxe cette motion de touffue, confuse, manquant de réalisme et dépassée depuis les efforts considérables fournis à Genève pour regrouper les différents services d'aide aux personnes âgées. L'OCPA assure un minimum vital décent en octroyant un revenu annuel de 21 000 francs par an en plus des frais de maladie et de loyer qu'il prend entièrement à sa charge. M. Ecuyer considère que cette motion est dirigée contre les allocations municipales versées mensuellement par la Ville de Genève à ses habitants âgés et retraités, allocations qui se chiffrent à 155 francs par personne par mois et à 230 francs par couple et qui ne sont ni déclarées à l'administration fiscale, ni comprises dans le calcul du revenu minimum pour obtenir les prestations complémentaires.
Il reconnaît cependant qu'il peut y avoir des doublons avec les subsides LAMAL qui sont d'une part accordés par la Confédération pour les primes d'assurance-maladie et d'autre part inclus dans les prestations complémentaires offertes par l'OCPA. D'autres doublons sont possibles avec les allocations logement qui sont versées d'un côté par l'OCPA et de l'autre par le service d'aide sociale de la Ville de Genève, service qui fournit en plus des logements à loyers subventionnés aux nécessiteux.
MM. Michel Rossetti, conseiller administratif de la Ville de Genève et Philippe Aegerter, directeur du Département des affaires sociales
La Ville de Genève verse 4 prestations financières différentes à ses habitants nécessiteux : des allocations sociales municipales, régulières, complémentaires ou ponctuelles, et les prestations sociales municipales. Ces dernières sont versées automatiquement aux bénéficiaires de l'OCPA, sur simple demande, et sans même tenir compte du revenu ou de la fortune de ces personnes, ce qui représente environ 9 millions de francs par année. Cela crée des inégalités sociales car les personnes âgées sont bien mieux traitées et soutenues que les familles nombreuses, monoparentales ou pauvres.
M. Rossetti pense qu'il faudrait introduire des critères plus sélectifs à l'octroi de ces prestations, ce que font déjà d'autres communes dans le canton. Il cite comme exemple que si l'on appliquait en Ville de Genève les critères de la commune de Meyrin, seules 86 personnes bénéficieraient encore de ces prestations mensuelles régulières contre 5 000 actuellement. Il est prêt à supprimer cette allocation municipale et à confier l'assistance financière régulière à l'Hospice général.
Cependant, il tient à ce que les communes conservent des services sociaux, afin d'assurer l'indispensable travail de proximité, de prévention et de lutte contre l'isolement et l'exclusion socio-culturelle. Ce travail pourrait se faire en réseau et au sein des CASS.
MM. Pierre Hiltpold, président de l'Association des communes genevoises et Michel Hug, secrétaire général de l'ACG
Il faut bien distinguer les aides financières allouées régulièrement des aides ponctuelles qui sont des "; coups de pouce " que les communes offrent à leurs habitants, jeunes ou âgés, qui sont momentanément dans le besoin. Les communes tiennent aussi à assurer le travail de proximité et de prévention sur le terrain qu'elles connaissent bien et à accompagner leur collectivité.
La mise en place des CASS suscite beaucoup d'inquiétudes, de changements et de bouleversements, ainsi que de nombreux problèmes : les locaux doivent être mis à disposition par les communes et sont difficiles à trouver, il faut clarifier la formation et la mission de chaque acteur et maintenir la complémentarité entre l'action sociale des communes et celle de l'Hospice général. Les disparités régionales sont grandes et il faudra encore du temps pour mettre en réseau les différents collaborateurs qui seront pourtant bientôt sous les ordres d'un employeur unique.
M. .
L'Hospice général n'est pas habilité à assumer la coordination de l'aide sociale, mais il détient la forme et le mandat de l'assistance publique dans le canton de Genève. Il offre des prestations financières et de soutien social aux personnes dans le besoin, que ce soit pour des raisons sociales, parce qu'elles n'ont plus droit au chômage, ou encore à celles qui sont dans des situations conjugales ou familiales précaires, ainsi qu'aux toxicomanes et aux sans-abris.
Les communes offrent une aide plus ponctuelle et individualisée à leurs habitants (familles, étudiants, personnes âgées). Comme ce sont les clients eux-mêmes qui doivent informer les différents services qu'ils consultent des prestations dont ils bénéficient par ailleurs, il est possible que certains subsides soient octroyés à double si l'information ne circule pas. Les enquêtes - faites de façon aléatoire ou à la demande - permettent parfois de repérer ceux qui trichent.
Avec la mise en place des CASS, il y a des problèmes de redondance et de répartition des tâches entre les différents services. On note donc des doublons non seulement dans le versement de prestations financières, mais aussi en matière de frais de personnel et de fonctionnement.
Selon M. Cuenod, le système d'aide sociale devrait être à l'avenir plus simple d'accès, plus cohérent et plus équitable.
M. Bernard Gruson, président du Bureau de la Commission cantonale de l'aide à domicile
Les dysfonctionnements du système socio-sanitaire genevois sont dus à une organisation faite en fonction d'une logique administrative et bureaucratique des services, et non pas au service du client.
Il y a des initiatives privées en plus des services publics, sans communication ni concertation entre eux.
Il est donc impératif de réorganiser les centres sociaux, de sortir du clivage institutionnel et de dépasser les guerres de chapelle et de territoire, afin de pouvoir offrir une prise en charge pluridisciplinaire et coordonnée médico-sociale et non pas qu'une prestation financière la plus avantageuse pour l'usager.
Selon M. Gruson, il faudra du temps pour aboutir à des changements satisfaisants et pour surmonter les difficultés et les conflits actuels, mais l'organisation dans le domaine social et de la santé aura tout à gagner de la clarification des missions de chacun et de son harmonisation.
Travaux de la commission
M. Segond distingue 5 problèmes actuels dans l'attribution des prestations sociales. Il existe à peu près une quinzaine de prestations d'aide sociale financières dans notre canton, attribuées par autant de services distincts, ainsi que de systèmes informatiques, le tout coûtant environ 400 millions de francs par an.
Le premier problème est d'ordre technique et nécessite d'unifier la saisie des données sur un seul système informatique et de constituer un dossier unique par client, voire même une carte à puce que posséderait chaque consultant.
Le deuxième obstacle est juridique car il existe certaines lois qui sont cantonales et d'autres qui sont fédérales.
Le troisième est politique car les différents partis ne sont pas d'accord entre eux sur la politique sociale à appliquer dans notre canton.
Le quatrième problème est économique : l'octroi des prestations d'aide sociale se calcule à Genève sur le revenu imposable, c'est-à-dire une fois toutes les déductions fiscales effectuées, et non pas sur le revenu brut qui est beaucoup plus représentatif et qui est celui qui sert d'ailleurs de référence pour le calcul des prestations fédérales. Pour obtenir des informations fiables sur le revenu brut des contribuables genevois, il faudra attendre la mise en fonction du nouveau système informatique de l'Administration fiscale dont la réforme est en cours.
Le cinquième et dernier problème est celui des relations entre le canton et les communes. Le personnel communal est moins qualifié que le personnel social cantonal et il y a des problèmes de coordination et de circulation des informations, ainsi que des doublons entre les différents services, ce qui entraîne des inégalités de traitement.
M. Segond espère que la mise en place des CASS et du service d'aide à domicile unique permettra d'avoir à l'avenir une action coordonnée et intégrée.
Un commissaire demande à plusieurs reprises plus de transparence dans le calcul de l'attribution du droit aux différentes prestations sociales, ainsi que la définition de critères précis dans les communes et sur tout le territoire cantonal, ceci afin d'établir des règlements clairs et équitables. Il propose aussi de répartir l'assistance sociale en attribuant l'aide individuelle et financière à l'Hospice Général et l'action collective et sur le terrain aux communes. Il dépose les amendements suivants aux invites de la motion :
invite le Conseil d'Etat
2. à engager rapidement une véritable concertation avec les communes, l'HG, l'AGAD, le Sascom, l'OCPA et le personnel de ces services, afin de définir une répartition des tâches (aides psycho-sociales individuelles, aides financières, prévention, animation, soins, etc.) entre ces différents acteurs de l'action sociale. Cette nouvelle répartition des tâches devrait répondre aux critères suivants :
• être identique sur l'ensemble du territoire ;
• être facilement compréhensible par les usagers ;
• éviter que deux services offrent des prestations similaires aux mêmes usagers potentiels.
3. à étudier les transferts de charge induits par cette réorganisation et négocier une juste répartition entre Etat et communes de ces transferts.
Après discussion au sein de la Commission des affaires sociales sur l'impossibilité de l'Etat d'imposer aux communes une seule et même politique d'aide sociale, et sur les besoins différents d'une commune à l'autre, ainsi que leur volonté de préserver leur identité propre, on supprimera l'idée "; d'être identique sur l'ensemble du territoire ".
De même, les commissaires se mettront d'accord sur le fait de laisser les services sociaux privés à l'écart de la loi, ce d'autant plus que la plupart d'entre eux sont autonomes financièrement et donc libres de décider quelle politique d'aide sociale ils souhaitent pratiquer.
Finalement, M. Vallotton suggère aux députés de se mettre rapidement d'accord afin de pouvoir joindre cette motion 1145 au rapport du Conseil d'Etat sur l'application de la nouvelle loi sur l'aide à domicile qui doit nous parvenir en septembre prochain, afin de pouvoir les traiter ensemble.
Lors de la séance du 2 juin 1998, la présidente de la commission soumet un projet d'amendement aux invites de la motion qui tient compte des différentes remarques formulées au cours des travaux par les commissaires.
Vote et conclusion
Tous les groupes se rallient à cette proposition et les 3 invites du projet sont adoptées au vote par l'unanimité des membres présents.
Mesdames et Messieurs les députés, nous vous recommandons d'accueillir favorablement et de voter rapidement cette motion.
Débat
M. René Ecuyer (AdG). Nous nous sommes ralliés aux conclusions du rapport de la commission et vous invitons à le soutenir. Nous n'avions pas accueilli d'un très bon oeil cette motion libérale, en raison de ses motivations, à savoir que beaucoup de députés - et même certains auteurs de la motion - pensent qu'une foule de gens mangent à tous les râteliers, qu'ils profitent de toutes les aides communales, cantonales, qu'ils en abusent et qu'il y aurait passablement de doublons. Or, je vous rappellerai que M. Segond - qui a été interpellé plusieurs fois à ce sujet concernant des personnes qui auraient beaucoup profité - a en définitive signalé qu'il avait rencontré trois cas qui se sont révélés exacts. La motion qui vise à uniformiser les prestations sur le plan cantonal n'est pas un mal en soi, si ce n'est que je ne vois pas d'une manière très favorable une uniformisation par le bas.
Par exemple, la Ville de Genève octroie des prestations en argent et cela heurte passablement de députés qui pensent que la commune de Genève en fait trop et qu'il faudrait se limiter aux prestations financières du canton. Or, je pense que les communes ont également une petite contribution à apporter en faveur des aînés de leur commune. En fin de compte, nous vous invitons à voter le rapport de la commission et ses conclusions qui nous paraissent excellentes.
Mme Janine Berberat (L), rapporteuse ad interim. Je voudrais quand même rappeler à M. Ecuyer que l'idée de la proposition de motion des libéraux n'était pas d'accuser les gens d'être des profiteurs, mais de souligner quand même qu'il y avait des cas - disons des sortes d'automatismes - qui rendaient possible que la même somme soit distribuée trois fois. Je vous rappelle, par exemple, que pour les subsides on s'est aperçu que certaines personnes touchaient trois fois l'aide pour les assurances-maladie. Il y avait là quand même quelque chose à dénoncer. C'était le but de cette motion. L'idée n'est évidemment pas de culpabiliser ou de rendre les gens tous coupables mais d'être attentif à ce que les aides aillent finalement aux bonnes personnes et qu'elles ne soient pas cumulables pour les uns et inexistantes pour les autres.
M. Bernard Annen (L). Je ne veux pas répéter ce que Mme Berberat vient de vous dire, mais ajouter que les auteurs de cette motion ne sont pas totalement satisfaits de la réponse que la commission leur a apportée. Néanmoins, le groupe libéral s'abstiendra lors du vote dans la mesure où il y a un réel problème. Car, Monsieur Ecuyer, si je peux vous suivre dans votre raisonnement, je crois que vous devez vous souvenir que même si dans les cercles que vous défendez - ce pour quoi je vous félicite - il y a des abus, c'est au détriment de ceux que vous voulez défendre. C'est dire qu'à un moment donné il vous faut avoir la certitude la plus grande possible que tout ce qui est attribué est réellement juste.
Lorsqu'on vient nous dire, comme il n'y a pas si longtemps - je ne sais pas si M. Segond pourra nous le confirmer ou pas - qu'il y a des personnes qui touchent des loyers et subventions à double par la Ville de Genève d'une part et par l'Etat d'autre part, je crois qu'il y a là quelque chose qui n'est pas normal. C'est dire qu'il faudrait, de mon point de vue, répondre à cette motion pour centraliser les aides. Cela nous permettra, Monsieur Ecuyer, de faire un maximum pour les gens qui en ont réellement besoin; c'était cela le but.
Ce guichet unique, nous le souhaitons et nous espérons que, d'une manière ou d'une autre, l'Etat de Genève y parviendra.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1145)
pour des prestations sociales coordonnées et répondant aux besoinsde la population genevoise
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
- qu'il est nécessaire, devant les difficultés que rencontre un nombre croissant de personnes démunies, qu'une aide sociale adaptée et active soit offerte pour l'ensemble du canton, et cela en coordination avec les communes ;
- que, depuis de nombreuses années, les prestations sociales sur le territoire de la Ville de Genève sont dispensées par les divers services communaux et cantonaux en parallèle, et de manière le plus souvent non concertée ;
- que, compte tenu des problèmes financiers que traversent nos collectivités publiques, il est indispensable d'utiliser les deniers publics de manière optimale ;
- qu'en 1996, une modification de l'article 14 de la loi cantonale sur l'assistance publique donne compétence à l'Hospice général "; d'appliquer la politique sociale définie par le Grand Conseil et le Conseil d'Etat " et que, par conséquent, cette institution est désormais habilitée à assurer une coordination de l'aide au niveau cantonal,
invite le Conseil d'Etat
- à faire l'inventaire des différentes prestations sociales (aides financières, soutien social individuel, prévention, animation, soins, etc.) offertes par le canton et les communes ;
- à clarifier en conséquence, en concertation avec les partenaires concernés, la répartition des tâches respectives qui leur incombent, en vue d'améliorer la qualité et l'efficacité de l'action sociale et d'assurer à la population un système qui soit plus cohérent, compréhensible et soucieux de l'égalité de traitement ;
- à étudier, puis à négocier le cas échéant, la mise en oeuvre de cette réorganisation.