Séance du
jeudi 25 juin 1998 à
17h
54e
législature -
1re
année -
10e
session -
30e
séance
R 374
EXPOSÉ DES MOTIFS
Notre pays et notre canton préparent les festivités pour commémorer le 150e anniversaire de la Constitution fédérale. Genève, dont le rayonnement international est porteur de justice, de paix, de respect des peuples et du citoyen, ne peut rester insensible aux déclarations des Nations Unies en 1985, du Parlement européen en 1987 et plus récemment à la loi votée par le Parlement français, reconnaissant officiellement le génocide arménien.
Il est aujourd'hui plus que jamais urgent de rappeler les massacres dont a été victime le peuple arménien en Turquie. La mémoire de ce drame de l'histoire doit, comme d'autres drames, rester présente dans la conscience de tous les citoyens, tous ceux et celles à qui un mandat politique a été confié, afin qu'en Europe, et sur l'ensemble de notre planète, de tels agissements ne se reproduisent plus. Ce n'est qu'en déclarant publiquement ces faits intolérables, c'est en luttant contre l'amnésie faussement rassurante qui frappe un peu rapidement les collectivités que la concrétisation de la déclaration des droits de l'homme a une chance de se réaliser et le respect de chacun d'être pris en considération.
Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, en soutenant cette résolution, vous permettrez de réaffirmer l'amitié entre la Suisse, Genève en particulier, et le peuple arménien, de manifester notre attachement aux valeurs démocratiques et notre volonté de contribuer à l'établissement d'une paix durable en Europe et dans le monde. Aussi, nous vous remercions de lui réserver un bon accueil.
Débat
Mme Christine Sayegh (S). Je vous remercie de bien vouloir traiter cette résolution en urgence.
En effet, il y a urgence à reconnaître officiellement le génocide dont a été victime la population arménienne, une urgence d'autant plus grande que le 24 juillet prochain nous rappellera que ce génocide remonte à septante-cinq ans.
Le Traité de Lausanne, signé à l'époque, mettait un terme au conflit gréco-turc. Non seulement il occultait l'existence de l'Arménie, mais il effaçait l'extermination programmée, particulièrement en 1915, des Arméniens par les autorités ottomanes.
La communauté arménienne nous a informés que des festivités seraient probablement organisées pour célébrer le septante-cinquième anniversaire du Traité de Lausanne. Le moment est donc venu de rendre justice au peuple arménien et aux descendants des victimes de cette extermination.
La Suisse n'a pas, quant à elle, occulté la réalité des souffrances du peuple arménien. Elle a notamment soutenu l'école arménienne de Begnins, fondée en 1921. Cette école a reçu, en 1924, la visite du conseiller fédéral Giuseppe Motta et de l'ancien président de la Confédération, alors président du CICR, Gustave Ador. A cette occasion, Giuseppe Motta rappela que chacun des enfants était une tragédie vivante. Ces enfants n'avaient pas d'état civil et ils ont parfois vu leurs parents et leurs grands-parents tomber assassinés.
Gustave Ador, quant à lui, appelait au soutien physique et moral de ces jeunes Arméniens déracinés, sans famille, sans nom, afin qu'ils puissent conserver ce qu'ils possédaient, à savoir la vie et leur titre d'Arménien.
Au moment où nous inaugurons la Maison des droits de l'homme, il y a lieu de mettre en lumière, tout aussi officiellement, les sombres périodes de l'Histoire. La Suisse et Genève, berceaux de la Société des Nations, puis de l'ONU, ont un devoir de mémoire qui est, aujourd'hui, de dénoncer la tragédie du peuple arménien.
Nous vous demandons de soutenir cette résolution invitant le Conseil fédéral et le Conseil d'Etat à reconnaître, par une déclaration solennelle et publique, le génocide commis en 1915 par le gouvernement ottoman à l'encontre du peuple arménien. Je vous en remercie.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée. Elle est renvoyée au Conseil fédéral et au Conseil d'Etat.
Elle est ainsi conçue :
Résolution(374)
sur le génocide des Arméniens
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:
- que le 1er août 1920, l'Arménie a été reconnue comme un Etat libre par le Traité de Sèvres ;
- que le gouvernement ottoman refusa d'appliquer ce traité et que le ministre de l'intérieur de la Turquie, Talaat Pacha, décréta l'extermination de tous les Arméniens habitant en Turquie ;
- que, de 1915 à 1917, 1 500 000 Arméniens, femmes, hommes, enfants et vieillards, furent massacrés par l'armée turque ;
- que le 23 juillet 1923, soit il y a 75 ans, la Turquie signait avec les alliés le Traité de Lausanne qui rayait l'Arménie de la carte ;
- que plus de 5000 Suisses et Suissesses sont d'origine arménienne et qu'ils attendent depuis plus de 70 ans un geste politique reconnaissant le génocide arménien ;
- que cette revendication est légitime et que cette légitimité vient d'être confirmée par l'Assemblée nationale française laquelle a adopté à l'unanimité, le 29 mai 1998, le projet de loi reconnaissant publiquement le génocide arménien de 1915 ;
- que la Suisse a la ferme volonté d'adhérer à la Convention internationale du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide et qu'elle doit manifester clairement sa position face aux massacres subis par le peuple arménien ;
invite le Conseil fédéral et le Conseil d'Etat
à reconnaître dans les meilleurs délais par une déclaration solennelle et publique le génocide commis en 1915 par le gouvernement ottoman à l'encontre du peuple arménien et qui a fait 1,5 million de victimes.