Séance du
jeudi 23 avril 1998 à
17h
54e
législature -
1re
année -
7e
session -
14e
séance
R 361 et objet(s) lié(s)
Proposition de résolution(361)
pour une révision urgente de la législation en matière de stupéfiants
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
- l'article 93, al. 2 de la constitution fédérale et l'art. 156 de la loi genevoise portant règlement sur le Grand Conseil ;
- le rejet sans appel de l'initiative "; jeunesse sans drogues " (moyenne suisse 70%, Genève > 82%) ;
invite les Chambres fédérales et le Conseil fédéral
- à réviser dans les plus brefs délais la loi sur les stupéfiants en prenant comme point de départ les propositions faites par la commission d'experts sur la révision de la loi sur les stupéfiants (commission Schild) ;
invite le Conseil d'Etat
- à s'associer à la démarche et à appuyer fermement et par tous les moyens à sa disposition cette initiative cantonale.
Proposition de motion(1161)
pour un développement de la politique en matière de drogues visant à une amélioration de la prévention des dépendances et à la diminution des risques liés aux drogues
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève
considérant :
- le rejet sans appel de l'initiative "; Jeunesse sans drogue " ;
- le principe d'opportunité autorisé par la loi sur les stupéfiants ;
- les recommandations de la commission fédérale d'experts sur la révision de la loi sur les stupéfiants (commission Schild) ;
invite le Conseil d'Etat
1. à ne plus poursuivre la consommation, la possession et l'acquisition pour sa consommation personnelle de stupéfiants ;
2. à élaborer de surcroît, dans le cadre de la législation fédérale actuelle, une politique cantonale visant à renforcer la prévention des problèmes potentiels liés à la consommation de psychotropes - en particulier de cannabis et autres produits dérivés du chanvre - et des effets néfastes du marché illégal.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Préambule
Nul besoin de longs discours pour justifier une révision rapide la législation suisse en matière de stupéfiants.
Cette loi étant fédérale, ce sont les autorités fédérales qui doivent aujourd'hui mettre en chantier cette révision. Il est de la compétence du Grand Conseil et du Conseil d'Etat de déposer auprès des autorités fédérales législatives et exécutives une initiative cantonale les invitant à entamer cette révision et de leur suggérer clairement le sens que devra prendre cette révision. Cette démarche se présente sous la forme de la résolution qui est soumise au Grand Conseil.
Même en étant très rapide, cette démarche fédérale prendra un certain temps. De plus il importe que le canton de Genève poursuive sa réflexion dans le domaine de la politique en relation avec les drogues. En avril 1995 le parlement a adopté, sur la base du rapport du président de la commission mixte, une motion confirmant les efforts entrepris jusqu'alors et invitant le Conseil d'Etat à développer diverses activités concrètes dans le domaine de la prise en charge médicale et sociale des personnes ayant des problèmes liés à la consommation de stupéfiants.
Il importe de poursuivre ces efforts, mais également d'élaborer de nouvelles stratégies déjà dans le cadre de la législation fédérale. Cela devra permettre premièrement une application cantonale de la majorité des recommandations de la commission fédérale d'experts sur la révision de la loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants (dite commission Schild) dont le rapport a été publié en février 1996 et deuxièmement un élargissement de la réflexion de la commission en ce qui concerne le cannabis. Et c'est le but de la motion associée à la résolution.
Développement
La commission Schild est d'avis que les objectifs prioritaires de toute politique en matière de drogue doivent consister à éviter l'apparition de la dépendance et de ces conséquences ainsi qu'à maintenir et si nécessaire à améliorer la situation sociale et l'état de santé des consommateurs de drogues.
La Confédération a élaboré une politique visant à :
1. La prévention des dépendances ;
2. La prise en charge médicale et sociale diversifiée (de l'aide à la survie à l'abstinence en passant par toute une palette de prestations) ;
3. La répression de la criminalité associée aux stupéfiants.
Il faut reconnaître que le développement du deuxième est remarquable et les expériences et innovations dans ce domaine ont été importantes sur l'ensemble du territoire.
Divers efforts ont été entamés en matière de prévention des dépendances, mais ces actions restent limitées et il y a trop souvent encore confusion entre consommation et dépendance.
La répression de la criminalité reste trop fortement axée sur les consommateurs et pas suffisamment sur les comportements réprimés par le code pénal ; elle est de plus précisée en ce qui concerne les stupéfiants dans une loi fédérale.
L'intégration préconisée est encore à un stade très préliminaire non en raison de blocage ou de refus de dialogue entre les différents partenaires, mais principalement en raison du cadre légal qui ne permet tout simplement pas d'appliquer simplement des évidences démontrées par diverses expériences et analyses scientifiques.
Ce sont entre 340 et 460 millions (données 1994) qui sont engagés par an pour la prise en charge médicale et sociale dans des programmes largement évalués et ayant montré un certain nombre de progrès importants, et les problèmes afin de les améliorer.
Ce sont 500 millions (données 1991) qui sont dépensés par an pour la répression dont une grande partie consiste à poursuivre et à opprimer les consommateurs les plus fragilisés et précarisés ou des jeunes en quête d'une expérience sans risque pour leur santé ou pour leur intégration sociale. Il ne s'agit pas ici de reprocher à la police et à la justice d'appliquer la loi, ni de ne pas comprendre la diversité d'interprétation du principe d'opportunité. Il s'agit simplement de constater que selon le lieu, le policier ou le juge, des situations identiques sont traitées différemment. Mais les données à disposition ne montre avec cette stratégie aucune évolution dans un sens favorable visant à réduire les risques.
Ce sont 30-35 millions (données 1994) qui ont été engagé pour la prévention. On peut alors sans peine comprendre que les actions entreprises ne pourront être que modestes.
Ces estimations qui ne prennent pas en compte les interventions non spécialisées mais qui pourraient avoir une influence, ni les coûts indirects ; ceci n'empêche en aucune manière de se rendre compte des ordres de grandeur.
On réalise immédiatement que des efforts doivent être aujourd'hui en matière de prévention des dépendances et un effort important est nécessaire pour réduire les problèmes de dimension économique et sociétale liés aux drogues. Ce complément est indispensable pour renforcer et stabiliser tant la politique fédérale que cantonale.
La commission Schild dans ce sens recommande l'intégration des dispositions relevant du droit des médicaments dans la future loi fédérale sur les agents thérapeutiques, ce qui inclus la quasi-totalité des substances actives mentionnées dans la liste des stupéfiants. La commission malgré son souhait semblait à l'époque peu optimiste quant au calendrier ; mais peut-être qu'aujourd'hui peut-on être plus optimiste ?
Une solution transitoire et une révision partielle de la loi sur les stupéfiants peuvent résoudre certaines difficultés dans l'intermédiaire. Ces procédures transitoires sont actuellement en discussion et devraient être mises en oeuvre au début 1999. Une révision de la loi sur les stupéfiants devrait être mise en consultation ces prochaines semaines.
La commission insiste sur le rôle de la confédération et des cantons et communes pour développer les programmes de prévention des dépendances et d'adopter des stratégies diversifiées et innovatrices comme cela été le cas dans le champ de la prise en charge.
La commission considère que la pénalisation de la consommation ne se justifie pas : elle n'a pas d'effet sur la prévention des dépendances et elle ne permet guère d'infiltrer le milieu des trafiquants et a même des effets négatifs sur la politique de la santé. En outre, elle s'insère difficilement dans le système des valeurs du système juridique suisse. Il est par conséquent nécessaire de dépénaliser la consommation et les actes préparatoires associés et ceci pour tous les stupéfiants.
Sur la base de ce rapport et dans le cadre de la loi actuelle sur les stupéfiants, il est possible d'élaborer plus avant la politique cantonale en la matière.
Tout comme au niveau fédéral, des engagements très importants ont été faits dans le domaine de la prise en charge.
Les invites de la motion doivent être entendues et comprises comme une mise en application cantonale aussi rapidement que possible des recommandations de la commission Schild tout en ne sortant pas du cadre légal fédéral.
Par exemple, afin d'appliquer de fait la dépénalisation de la consommation (pour tous les stupéfiants) et des actes préparatoires (acquisition et possession), il est parfaitement possible d'utiliser le principe d'opportunité de manière étendue et d'en assurer une application uniforme par les autorités judiciaires et policières du canton de Genève.
Les autorités cantonales ont mis sur pied à fin janvier 1998, une unité de police visant à réprimer le crime organisé et ont salué la proposition du conseil fédéral visant à élargir les compétences de la confédération dans ce domaine. Cependant pour assurer une lutte contre la criminalité (moyenne ou grande), il importe d'appliquer d'autres mesures qui auront un effet négatif sur le marché noir et qui de plus permettraient de diminuer des risques associés à la consommation de stupéfiants.
Dans ce sens une réflexion doit être menée autour du cannabis ; plusieurs expériences ou projets en Europe et en Suisse se sont mis en place ces dernières années. Bien qu'illégale au sens étroit de la loi, l'expérience menée durant une partie 1997 à Genève fournit des pistes intéressantes, qu'il vaut la peine d'examiner, dans la mesure où les éléments contextuels et locaux sont des paramètres importants dans la réussite ou l'échec de projets d'intervention dans le domaine de la drogue (Plusieurs études récentes le mettent en évidence).
De même, une approche pragmatique doit se mettre en place face à l'usage de psychotropes synthétiques, qui bien que restant un problème relativement marginal puisse avoir des conséquences sévères selon les produits vendus sous le label "; Ecstasy ".
Le rapport du Conseil d'Etat sur cette motion, qui sera transmis dans les 6 mois au plus au Grand Conseil, comme le précise la loi, comprendra non seulement la formulation de grands principes, mais également les objectifs opérationnels, les mesures concrètes existantes, à réorienter ou à développer, les différents acteurs impliqués pour chacune des mesures, le calendrier de mise en oeuvre des propositions, de même que les implications financières (ré allocation de ressources, augmentation ou au contraire diminution des dépenses, au niveau global).
Compte tenu de ce qui précède, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons à accueillir favorablement cette motion et cette résolution et à les adresser directement aux Autorités fédérales et au Conseil d'Etat.
Débat
M. Dominique Hausser (S). Ces projets de résolution et de motion tendent à poursuivre et à développer les orientations politiques acceptées par ce Grand Conseil voici trois ans.
Toutefois, j'avoue ma surprise de les voir inscrits sous le département de justice et police et des transports, alors qu'ils concernent tout autant, sinon plus, le département de l'instruction publique et celui de la santé et de l'action sociale.
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble de l'exposé des motifs. Je me contenterai de souligner quelques points à partir d'exemples concrets.
Nul besoin de vous rappeler que la loi sur les stupéfiants est fédérale. Sa dernière révision date de 1975. En 1989, la sous-commission méthadone de la Commission fédérale des stupéfiants avait recommandé de la revoir à nouveau, notamment pour dépénaliser la consommation de l'ensemble des psychotropes, la sanction pénale n'apportant que la désapprobation morale et sociale de leur consommation abusive.
Suite à l'adoption, en juin 1994, de la plate-forme commune interpartis approuvée par les partis socialiste, radical et démocrate-chrétien suisses, le Conseil fédéral a constitué, à fin 1994, une commission d'experts pour réviser la loi fédérale sur les stupéfiants du 3 octobre 1951. Après avoir travaillé pendant une année, cette commission a rendu son rapport au Conseil fédéral en décembre 1995, rapport publié et diffusé en février 1996.
Les experts ont suggéré et argumenté diverses modifications de cette loi. Or, depuis deux ans, les autorités fédérales n'ont pas bougé. Notre projet de résolution entend leur rappeler l'urgente nécessité de réviser cette loi sur la base des recommandations faites et largement soutenues par celles et ceux qui ont longuement oeuvré dans ce domaine.
C'est pourquoi je vous invite à soutenir ce projet et à le renvoyer à l'autorité fédérale.
Les modifications législatives nécessitant beaucoup de temps, il est nécessaire de poursuivre et de renforcer la politique pragmatique et les interventions tendant à réduire les risques liés aux drogues. C'est le but de la motion.
Nous pouvons nous féliciter, à Genève, d'un soutien médical et d'une prise en charge sociale de qualité. Il ne faut cependant pas nous endormir sur nos lauriers. Nous devons veiller à un suivi attentif et à une adaptation des prestations en fonction des problèmes, des besoins, des demandes et des priorités.
L'objectif principal de la motion est la prévention des risques liés à la consommation des drogues. Il s'agit de cibler une population avant même qu'elle ne demande un appui médical, thérapeutique ou social.
Voici trois exemples :
1. En dehors des chiffres connus de la mortalité et de la morbidité dues à la consommation de tabac et d'alcool, le principal problème lié aux psychotropes concerne les femmes de 45 à 60 ans qui recourent aux sédatifs, somnifères - voire aux amphétamines pour compenser les effets des premières substances - tout en s'adonnant à une consommation alcoolique cachée, excessive, voire abusive. Ce grave problème, encore tabou, mérite que l'on développe des interventions appropriées.
2. La consommation de produits de synthèse a augmenté ces dernières années. Même si celle des produits sous la dénomination «ecstasy» reste encore marginale, nous ne pouvons l'ignorer. Les tablettes d'ecstasy contiennent de nombreuses substances qui vont du DMA à l'aspirine, en passant pas les antibiotiques et les bêtabloquants. La quantité des substances actives varie de 1 à 20. Dès lors, nous pouvons imaginer les conséquences dramatiques de leur absorption, puisqu'on ignore ce que l'on consomme véritablement. Le canton de Berne l'a bien compris. Il a développé un concept qui tend à nouer le dialogue avec les consommateurs potentiels et offre la possibilité de tester en quinze minutes le contenu des pilules vendues lors de soirées dansantes. Cette expérience mériterait d'être faite dans notre canton.
3. La consommation de cannabis est importante. Sans la dramatiser, il importe d'envisager des interventions pour en réduire les conséquences les plus négatives. Comme tout psychotrope, le cannabis influence les comportements et il s'agirait, en particulier, d'inviter les consommateurs à gérer leur consommation, c'est-à-dire s'en abstenir avant d'aller travailler, de se rendre à l'école ou de prendre le volant, etc. Le marché illégal favorise la diffusion de produits dont le contenu peut être très variable, alors que la quantité de substances actives implique une gestion relativement complexe. Fumer du cannabis génère des problèmes similaires à ceux du tabac; ce faisant, on peut plus facilement en gérer les effets quasi immédiats, ce qu'une absorption par voie orale ne permet pas de faire.
Ces trois exemples montrent l'impérieuse nécessité, pour le canton de Genève, de renforcer de manière notable le volet de la prévention des risques.
Permettez-moi encore d'aborder le thème de la répression du consommateur. Une fois de plus, je répète que la punition pénale n'a entraîné aucune diminution de la demande et encore moins celle de l'offre. La loi sur les stupéfiants, en vertu de l'article 19A, permet de renoncer à une poursuite pénale. A Genève, contrairement à ce qui se passe dans les autres cantons, la majorité des consommateurs arrêtés par la police ne sont pas déférés devant la justice, mais systématiquement mis à l'amende. Il n'en demeure pas moins qu'une analyse, plus fine, menée par l'Office fédéral de la police en 1994, révèle que, si la procédure est différente, le résultat est identique dans tous les cantons. La proportion des consommateurs passant par la prison ou mis à l'amende est quasiment la même.
Le pourcentage de consommateurs de cannabis amendés, par rapport à leur groupe, est plutôt faible comparé à celui des consommateurs d'autres psychotropes. Mais ce sont souvent les mêmes qui se font contrôler et cela démontre le peu d'efficacité de cette mesure. Elle ne limite pas le marché illégal et, par conséquent, n'en réduit pas les effets.
Il faut être pragmatique et renoncer à des mesures inefficaces pour en rechercher d'autres qui permettent d'atteindre notre objectif réaffirmé en 1995 : la réduction des problèmes liés aux drogues.
Je suis certain que le Conseil d'Etat, avec l'appui de la commission mixte, fera diligence pour répondre à cette motion que je vous invite à soutenir.
M. Pierre Froidevaux (R). Les initiants nous proposent essentiellement quatre axes de réflexion :
1. Réviser la loi fédérale, afin d'assurer son application uniforme dans l'ensemble du pays.
2. Ne plus poursuivre les toxicomanes consommateurs.
3. Inscrire, comme agents thérapeutiques, les produits dérivés du chanvre.
4. Mieux soutenir la prévention.
A titre plus personnel que représentatif de mon groupe, j'aurais tendance à suivre la plupart de vos propositions. Avoir le courage politique de débattre publiquement de ces douloureux problèmes ne peut que servir l'intérêt général.
Est-ce que tout est sain ? J'aurais tendance à le croire, mais il serait préférable de mieux nous en convaincre en faisant examiner vos projets par la commission de la santé.
Je ne souhaite pas prolonger le débat en dehors d'un seul point qui m'apparaît être le plus important et le plus complexe : votre souhait de voir la prévention de la toxicomanie mieux soutenue.
Lors de la précédente législature et à l'occasion de la mise en place des programmes d'aide à la survie, nous avions discuté de la nécessité d'étudier les causes profondes de la toxicomanie.
Lors de son audition, Mme le docteur Annie Mino nous avait appris que 90% des femmes toxicomanes avaient subi un acte sexuel non consenti, avant leur puberté. Cette blessure infligée à une enfant, le plus souvent par une personne de son entourage, est une cause de graves troubles psychiques. Si, de plus, la situation est masquée par l'entourage, l'enfant ou l'adolescente n'ont aucune chance de pouvoir l'exprimer et gardent leur blessure secrète.
Dès lors, comment peuvent-elles concevoir de devoir rejoindre le monde des adultes, alors que ceux-ci ont commis un crime indicible ? Comment peuvent-elles accepter leur devenir de femme ? Ce passage de l'état d'enfant à celui d'adulte s'accompagne de doutes obligés qui conduisent, dans bien des cas, à une anxiété pathologique. Abandonnées par leur cadre familial, elles ne pourront avoir recours, pour se calmer, qu'à des produits illicites qui circulent précisément dans leur milieu, dès un âge critique atteint.
Il y a trois ans, nous n'avions pu aller aussi loin, certains députés ayant craint de culpabiliser la cellule familiale. J'observe que les auteurs de ces projets inscrivent le phénomène de drogue «dans les problèmes de dimension économique et sociétale». L'exemple très culpabilisant que je viens de citer, où la cause directe est familiale, relève d'un fait de société et, par conséquent, d'un problème politique. Tous les jours, nous assistons à des progrès dans la reconnaissance de la maltraitance et de la négligence d'enfants. Nous devons continuer de lutter dans ce sens.
La deuxième cause reconnue par les auteurs de ces projets est d'origine économique. Seul le retour au plein emploi pourra améliorer la situation générale. Aussi ne puis-je que formuler mes voeux pour que la nouvelle majorité soutienne, en toutes circonstances, la création de places de travail.
M. Gilles Godinat (AdG). Je ne reviendrai pas sur les points soulignés par mes collègues, notamment sur la nécessité d'une prévention intelligente en matière de consommation de substances quelles qu'elles soient.
Ma première réflexion, en ma qualité de citoyen, est que quiconque examine la politique en matière de prévention d'abus de substances ne peut être que frappé par l'incohérence, pour ne pas dire l'hypocrisie, démontrée par les diverses politiques appliquées. Il n'y a pas si longtemps, la consommation de certaines substances était encouragée : je pense au tabac, à l'alcool, aux analgésiques. D'autres, par contre, sont proscrites, voire réprimées avec brutalité. En examinant froidement la situation, on relève un manque de cohérence dans les mesures appliquées.
Maintenant, c'est au tour du professionnel de la santé d'intervenir. Pourquoi ce manque de cohérence ? Parce que, dans la définition légale des stupéfiants, des zones restent floues. C'est pourquoi je souhaite un débat qui fasse montre de rigueur scientifique. Comme souligné par le professeur Peters, de Lausanne, il faudrait avoir le courage, comme l'a eu le CIPRET dans un excellent travail, de décrire les réels dangers de chaque substance, afin que tout le monde en soit clairement informé. Et cela sans faux débat ! Or, actuellement, la prise de certaines substances est dramatisée, alors que la consommation d'autres est banalisée.
Reconnaissons qu'il demeure encore des zones d'ombre dans les milieux médicaux quant à la définition de ces substances. La classification américaine s'est révélée plus aisée en relevant simplement l'addiction, le phénomène psychologique de dépendance à certains produits, c'est-à-dire en insistant davantage sur la dépendance aux produits plutôt que sur les produits eux-mêmes. C'est là une démarche fondamentale pour tout thérapeute qui veut aider un patient : il doit travailler sur la relation de dépendance.
Toujours sur le plan professionnel, je tiens à apporter publiquement ici le témoignage de certains patients qui consomment régulièrement du cannabis. Pourquoi le font-ils ? Ils le font pour se soigner. J'ai noté des effets curatifs et bénéfiques dans le domaine des douleurs articulaires chroniques, des migraines, des spasmes musculaires douloureux, à certains stades de douleurs chroniques et des états anxieux chroniques. En tant que médecin, je puis témoigner que le cannabis peut exercer un effet bénéfique dans ces pathologies. (Applaudissements.)
Mme Barbara Polla (L). Je distingue deux pôles dans ce débat, et non quatre axes comme M. Froidevaux, à savoir la résolution, d'une part, et la motion, d'autre part.
Je me contenterai d'une remarque formelle sur la résolution. Il me paraît difficile d'inviter les Chambres et le Conseil fédéral à réviser, dans les plus brefs délais, la loi sur les stupéfiants, alors qu'une votation populaire doit avoir lieu sur l'initiative Droleg, le pendant ultra-libéral, si je puis dire, de l'initiative dite «Pour une jeunesse sans drogue». Il serait bien plus efficace de s'en tenir à la législation fédérale, sachant que cette votation, comme celle de l'initiative «Pour une jeunesse sans drogue», suscitera un nouveau débat sur la question, de nombreuses prises de position et des possibilités législatives. Par conséquent, il me paraît actuellement inadéquat de vouloir modifier au plus vite la loi sur les stupéfiants, car sa révision dépendra du vote populaire de l'initiative Droleg.
J'en viens à la motion. Son titre est prometteur puisqu'il propose de développer une politique en matière de drogues visant à une amélioration de la prévention des dépendances et à la diminution des risques liés aux drogues.
Nous partageons évidemment ces objectifs. Comme les initiants, nous pensons que même si la politique genevoise est particulièrement efficace en la matière - une raison, parmi d'autres, de l'opposition des libéraux à l'initiative «Pour une jeunesse sans drogue» - rien ne doit être négligé quand il s'agit d'augmenter les capacités de prévention et de diminution des risques. En référence à la deuxième invite de la motion, nous serons intéressés à contribuer à l'élaboration d'approches législatives pragmatiques tendant à améliorer encore la prévention et la diminution des risques. Je pense aussi que la commission de la santé est tout à fait apte à en débattre puisqu'elle a déjà traité du sujet.
En revanche, au nom du groupe libéral, je m'oppose fermement à la première invite. La motion propose des moyens de prévention et cette invite propose de dépénaliser la consommation, la possession et l'acquisition pour la consommation personnelle !
Je démens ce qui a été affirmé, à savoir que ce Grand Conseil se serait prononcé affirmativement à cet égard. Je suis formelle : le groupe libéral ne s'est jamais prononcé en faveur de la dépénalisation. La réflexion et les débats tenus au sein de notre parti sur l'initiative «Pour une jeunesse sans drogue» l'ont amené à la refuser parce que nous avons estimé que rien ne devait être négligé pour aider à la survie, à l'exception de la dépénalisation et de la libéralisation.
Je vous rappelle que Ruth Dreifuss - qui préconisait le rejet de l'initiative au nom de l'Office de la santé publique - a insisté, dans ses nombreux messages, sur le fait que ce refus ne supposait, en aucun cas, la dépénalisation ou la libéralisation de la consommation de drogues.
Nous sommes absolument convaincus que la poursuite pénale de l'acquisition et de la consommation de drogues constitue un moyen préventif très important. Nous ferions encourir un risque démesuré à notre jeunesse et à l'ensemble de la population genevoise si nous acceptions la première invite.
Il est vrai que les personnes qui consomment des drogues dites douces n'en arrivent pas forcément à consommer des drogues dites dures. Par contre, il est tout aussi vrai et établi que la majorité de la jeunesse dépendante des drogues dures a commencé par consommer des drogues dites douces.
Dans nos écoles, les jeunes qui consomment des drogues dites douces sont la première cible des dealers. Idem pour l'ecstasy dont on dit que c'est une drogue douce sans danger. Ce n'est qu'après coup, et c'est le cas de l'ecstasy, que l'on se rend compte que la consommation de ces drogues prétendument douces entraîne des effets très graves et permanents sur la santé, notamment sur la santé mentale.
Vous avez raison, Monsieur Froidevaux, de souligner les problèmes sociaux et économiques liés à la consommation de drogue. Mais avant tout, cette consommation a lieu parce que la drogue se vend et fait gagner beaucoup d'argent à ceux qui en font le commerce.
Je n'écarte donc pas les problèmes évoqués par M. Froidevaux, mais pour nous la prévention pénale reste et restera un instrument important pour prévenir la toxicomanie, notamment chez les jeunes qui sont les plus touchés.
M. Chaïm Nissim (Ve). Moi, j'aime bien fumer de l'herbe ! J'ai commencé à le faire à 14 ans et cela fait maintenant trente-quatre ans que je fume deux ou trois joints par mois. J'adore ça ! Comme je ne consomme ni tabac, ni alcool, je suis convaincu d'être en meilleure santé, avec mes quelques joints, que de nombreuses personnes ici présentes qui boivent beaucoup et fument tout autant.
J'ai commencé dans un pays à forte minorité musulmane. Cela m'a permis de relativiser les problèmes de prohibition, les musulmans interdisant l'alcool, mais tolérant, voire permettant le shit. Les interdits varient et cela confirme ce que mon collègue Godinat a dit à propos de la dramatisation du shit.
Je crois, Monsieur Ramseyer, que vous êtes en grande partie responsable de cette dramatisation avec les actions menées par votre département contre la Cave à chanvre et le Delta 9. Voilà des lieux où la vente était contrôlée, où des gens proposaient un produit de qualité à un prix bas. Vous avez cherché à criminaliser ces gens. Ce n'était pas habile, à mon avis, parce que ce faisant vous avez fait montre du même état d'esprit qui régnait à l'époque d'Al Capone, aux Etats-Unis, lors de la prohibition de l'alcool qui a enrichi les bookmakers.
C'est pourquoi je me permettrai d'ajouter une invite à la résolution...
Une voix. Fais-le en commission !
M. Chaïm Nissim. Je veux bien le faire en commission, mais il semble que l'Alternative proposera un renvoi direct au Conseil d'Etat... (Protestations.) C'est bien ça, Monsieur Hausser ? Quoi qu'il en soit, je déposerai en commission cette deuxième invite que je vous lis maintenant :
«- à autoriser la mise en place de lieux de vente contrôlés par l'Etat afin de permettre la consommation de chanvre et de ses dérivés aux adultes résidant en Suisse.»
Mme Marie-Thérèse Engelberts (PDC). Sans avoir la même provenance culturelle et l'expérience de M. Nissim en la matière, j'aborderai la question sous un autre angle.
Pas tout le monde n'a la possibilité, comme Michaux, d'écrire sous l'influence de la drogue. Le poète en avait la maîtrise, la force et la liberté.
Pour nous, démocrates-chrétiens, ces propositions de résolution et de motion ne sauraient être acceptées en l'état. Elles doivent être renvoyées à la commission de la santé qui devra examiner les questions que nous nous posons, et cela sans rien dramatiser.
Ces questions ont trait à l'évaluation actuelle et exhaustive des connaissances scientifiques, lesquelles font l'objet de nombreux débats contradictoires. Elles concernent aussi les expériences concrètes, pragmatiques, conduites dans différents pays d'Europe, en matière de dépénalisation et de libéralisation, de même que l'établissement des rapports et des conséquences entre consommation et dépendance. En la matière, les textes scientifiques ne convergent pas, c'est le moins que l'on puisse dire !
Maintenant, je pose une question plus personnelle. Comme mère de famille d'adolescents et de jeunes adultes, je me demande, seule ou en famille, quelle est ma capacité à pouvoir les informer, les éduquer, les seconder, faire de la prévention, leur permettre d'accéder à un libre arbitre responsable, leur faire acquérir un propre discernement, si un minimum de structures extérieures, sans cesse remises en question, n'existe plus. Personnellement, je souhaite un débat sur le type de contraintes extérieures à mettre en place. Les forces individuelles ne sont pas illimitées et notre débat me semble n'être destiné qu'aux privilégiés.
Au risque de paraître ringarde aux yeux de certains, je prends le risque d'émettre mes doutes, mes craintes, face à l'insécurité due aux déclarations des tenants de la légalisation de la consommation des drogues.
Dans le domaine thérapeutique, ces substances sont sous contrôle et, par conséquent, ne posent pas de problème. S'il est vrai que l'interdit n'exclut pas les débordements, s'il est vrai que la pénalisation, souvent mal ciblée, est peu efficace en matière de prévention, la libéralisation telle que proposée aujourd'hui ne peut apporter la liberté qu'à ceux qui peuvent déjà la maîtriser. Mais la dépendance est pour les autres et c'est de ceux-là dont nous aimerions parler en commission. La dépendance - faut-il le rappeler ? - est avant tout une souffrance.
M. Régis de Battista (S). Dans un domaine aussi important, le Conseil fédéral doit connaître les positions cantonales afin d'orienter sa politique. La même démarche a été faite par les cantons de Zurich et de Bâle-Campagne. Des initiatives seront prochainement déposées afin que le Parlement fédéral entre rapidement en matière et ouvre le débat.
A mon avis, c'est «là» le rôle d'un député et des représentants des autorités genevoises. Je crois que la pénalisation et la répression ont suffisamment montré leur échec. Pour résoudre un problème aussi grave pour notre jeunesse, le politique doit participer à la prévention. Et c'est dans ce sens que la résolution et la motion sont pertinentes.
Renommée pour exercer une prévention dans bien des domaines, Genève ne peut que soutenir ce type de propositions. Il est donc raisonnable de les renvoyer d'urgence au Conseil d'Etat, lequel est à même de prendre ses dispositions. C'est à nous, députés, d'orienter la politique du président du Conseil d'Etat, afin de ne pas réitérer les malheureux incidents évoqués par mon collègue Chaïm Nissim.
M. Christian Ferrazino (AdG). Je ne voulais pas intervenir, mais les propos de Mme Polla ne peuvent être laissés sans réponse.
Madame Engelberts, je ne suis pas un fumeur de joints, contrairement à mon collègue Nissim. Par contre, je suis sensible à certains arguments, notamment à ceux du docteur Godinat qui nous a expliqué que certains stupéfiants peuvent être bénéfiques sur le plan thérapeutique. Aussi je m'étonne, Madame, que vous ne le reconnaissiez pas, vu votre qualité professionnelle. Dès le moment où vous admettrez que de telles substances, placées sous contrôle, peuvent être bénéfiques, vous devrez faire le chemin avec nous et vous détacher des propos ahurissants de Mme Polla qui recommande, au nom du groupe libéral, d'aller à l'encontre de la première invite de la motion visant à dépénaliser les consommateurs de stupéfiants.
Madame Polla, nous n'en sommes plus là et la police a mieux à faire qu'à perdre son temps en poursuivant des consommateurs de stupéfiants. Vous avez recouru à des propos doctes, d'inspiration médicale, pour nous expliquer que dépénaliser cette consommation n'était pas la meilleure des choses à faire. Je vous réponds au niveau du bon sens. Pensez-vous que c'est la bonne solution que de continuer à enfermer des gens, à les mettre à l'amende, parce qu'ils consomment des stupéfiants ? Je vous dis, ainsi qu'à M. Ramseyer qui se plaint fréquemment du manque de moyens de la police pour accomplir les tâches qui sont les siennes, qu'il vaudrait mieux, pour celle-ci, de concentrer ses efforts sur les vrais crimes et les vrais délits plutôt que d'arrêter les consommateurs de stupéfiants pour noircir X pages de papier - c'est intéressant ! - et les transmettre au procureur général qui, à son tour, réexaminera le dossier et noircira du papier - de plus en plus intéressant ! - pour infliger une sanction.
Quasiment tout le monde s'accorde à reconnaître que la police a mieux à faire que de pourchasser des consommateurs de stupéfiants. Ne serait-ce que pour cette seule raison, nous devons renvoyer cette motion au Conseil d'Etat en l'invitant à faire ce que certains cantons ont déjà fait, à savoir ne plus poursuivre lesdits consommateurs.
M. Dominique Hausser (S). Si M. Nissim avait lu le rapport de la commission Schild, il se serait abstenu de déposer son amendement dont la teneur entre dans les propositions de la commission d'experts sur la révision de la loi sur les stupéfiants.
Par conséquent, le groupe socialiste s'abstiendra sur cet amendement qui n'apporte rien à la résolution.
De plus, je rappelle que le canton ne peut déroger à une loi fédérale pour mettre en pratique des actions illégales.
Il importe, au niveau cantonal, de réfléchir aux moyens, et c'est là tout le sens de la motion. Il est nécessaire d'inviter le Conseil fédéral et les autorités fédérales à réviser la loi sur les stupéfiants afin de pratiquer une politique plus pragmatique et plus cohérente.
Je laisse au groupe libéral le choix de sa décision. Néanmoins, je rappelle à Mme Polla que le Grand Conseil a été très clair en ce qui concerne la répression. La quatrième invite de la motion votée à l'époque concernait la répression du grand trafic relevant de la responsabilité du département de justice et police et des transports. Elle doit recevoir la place qu'elle mérite dans une politique globale, conçue pour permettre aux personnes toxicomanes de bénéficier des autres volets de la politique gouvernementale. Notre parti avait ajouté - sans modifier pour autant les invites après un long travail des commissions sociale et de la santé - que cela devait permettre une politique globale en matière de drogue, de manière générale, et pas seulement des personnes malheureusement déjà dépendantes de psychotropes.
Mme Barbara Polla (L). Monsieur Ferrazino, le groupe libéral est convaincu, au niveau juridique, qu'il est intéressant, important, essentiel, en matière de prévention, de poursuivre pénalement la consommation de drogue.
Je suis particulièrement préoccupée par les jeunes qui constituent la cible majeure visée par les trafiquants. Or que font-ils, dans leur grande majorité, pour payer la drogue qu'ils consomment ? Ils en vendent eux-mêmes ! Par conséquent, pénaliser la consommation c'est pénaliser la vente et agir directement en faveur de la prévention.
Nous sommes contre la vente et la consommation pour les raisons que j'ai exposées. Bien que je trouve peut-être courageux de la part de M. Nissim d'exposer ses habitudes, je ne m'y arrêterai pas, et le groupe libéral rejettera son amendement.
Nous sommes prêts, à la commission de la santé, à suivre toutes les investigations supplémentaires amenant à une meilleure prévention, à examiner tous les problèmes sociaux et à leur trouver les meilleures solutions. En revanche, nous ne sommes pas prêts à considérer, de quelque manière que ce soit, la dépénalisation de la consommation.
Si nous acceptons le renvoi de la motion à la commission de la santé, nous nous opposons, par contre, à son renvoi au Conseil d'Etat. Si la question devait se poser au moment du vote, je demanderais l'appel nominal.
M. Christian Ferrazino (AdG). D'après ce que vous dites, Madame Polla, le groupe libéral est pour la pénalisation parce que vu la cherté de la drogue il faut nécessairement en vendre pour en consommer.
Ce constat aurait pu amener votre groupe à une autre conclusion. La cherté de la drogue obligeant le consommateur à en vendre, il aurait pu se dire qu'en baissant son prix cette obligation disparaissait.
Je partage entièrement le point de vue de notre ami Nissim qui nous propose - si j'ai bien compris, car je suis novice dans ce domaine ! - des lieux de vente sous contrôle de l'Etat. Cela présenterait un double avantage que vous aurez saisi tout comme moi, Madame Polla ! Un prix qui ferait que les gens ne seraient plus obligés de vendre pour consommer, et la qualité ! On connaît une régale du sel et ça n'a pas l'air de vous gêner ! Peut-être que pour certains le sel des stupéfiants a plus de saveur que celui que vous utilisez pour votre cuisine, Madame Polla !
Je suis prêt à suivre M. Nissim si son amendement exprime cette idée. J'ignore si le canton de Genève est compétent pour la concrétiser, mais nous pourrions l'exprimer en tant que volonté politique. Si le canton de Genève n'est pas compétent, nous pourrions intervenir au niveau des autorités fédérales pour qu'elles appliquent cette solution qui présente le double avantage que je viens de souligner.
M. Chaïm Nissim (Ve). Monsieur Ferrazino, vous avez parlé de la poursuite des consommateurs. Ce n'est pas tout à fait exact. Dans les cas que j'ai cités, la police a poursuivi les vendeurs.
J'en viens à ma proposition d'amendement. Plutôt que d'inviter le Conseil d'Etat «à autoriser la mise en place, etc.», nous pourrions l'inviter «à étudier la mise en place, etc.». S'agissant d'une résolution, le Conseil d'Etat est libre de l'appliquer ou pas.
La résolution comporte deux invites, l'une étant adressée aux Chambres fédérales et au Conseil fédéral, l'autre au Conseil d'Etat. Mon amendement constitue donc une deuxième invite au Conseil d'Etat.
Monsieur Hausser, je doute de votre sincérité quand vous dites que mon amendement ne serait pas valable au niveau de la loi fédérale. Je suis convaincu qu'un canton dispose d'une marge de manoeuvre pour libéraliser. Les cantons de Zurich et de Bâle-Campagne ont donné l'exemple. Cette marge de manoeuvre existe donc bel et bien, mais il manque au Conseil d'Etat la volonté politique de l'utiliser.
Je maintiens mon amendement en le modifiant comme suit :
«- à étudier la mise en place de lieux de vente, etc.»
Mme Barbara Polla (L). Monsieur Ferrazino, je tiens à vous rappeler notre serment qui est de travailler pour le bien de la patrie qui nous a confié ses destinées. Pour tous les sujets dont nous traitons, et pour la toxicomanie plus encore, il est donc des limites que la plaisanterie ne saurait dépasser.
Proposer de vendre à Genève la drogue la meilleure et la moins chère en comparant cela à la libéralisation du marché du sel est tout simplement inadmissible !
Nous avons tendance à oublier, au sein de ce Grand Conseil, que nous ne sommes pas les seuls à vivre sur cette terre. Si la libéralisation de la drogue était envisagée, elle ne pourrait avoir lieu qu'à l'échelon mondial.
Je refuse d'imaginer que notre canton devienne un lieu où se rendraient tous les gens intéressés par le scoop Ferrazino : «A Genève, nous avons la drogue la moins chère, la meilleure, et, en plus, c'est l'Etat qui l'offre !» (Applaudissements.)
M. Christian de Saussure (L). Nous avons suffisamment de drogues et de psychotropes hélas légalisés. Nous avons l'alcool et le tabac. Nous disposons de la morphine, strictement contrôlée, pour lutter contre la douleur. Elle produit un effet thérapeutique certain, peut-être similaire à celui que pourraient déployer le haschich et le cannabis s'ils étaient distribués sous contrôle médical. Nous avons aussi les benzodiazépines. Je n'hésite donc pas à dire que médecins et pharmaciens sont des dealers légaux. Néanmoins, j'aimerais simplement vous faire remarquer une chose:
Quel que soit le psychotrope utilisé - tabac, alcool, cannabis ou autre - il est «essayé», la première fois, par les adolescents de 12 à 15 ans. Pourquoi les jeunes consomment-ils de la drogue ? Parfois par mal-être, mais très souvent pour transgresser un interdit.
Bien que ne m'inquiétant pas particulièrement des effets du haschich, je souhaite, néanmoins, qu'il demeure dans l'illégalité précisément pour induire la transgression. Si on banalise le haschich et qu'on le rende facilement accessible, les jeunes, qui recherchent la transgression, recourront à l'héroïne ou à la cocaïne. D'où des conséquences particulièrement dramatiques.
Il est prématuré de renvoyer la résolution et la motion au Conseil d'Etat. Il faut, au préalable, que la commission de la santé ait une discussion de fond.
M. Gérard Ramseyer, président du Conseil d'Etat. Je ne désire pas me laisser entraîner dans une polémique.
Monsieur le député Hausser, j'observe que vous ne parlez que du haschisch, alors que votre texte passe en revue tous les stupéfiants. J'en déduis que vos propos concernent aussi bien le haschisch que l'héroïne et la coke.
Vous donnez des chiffres alors que votre bibliothèque en possède d'autres exprimant le contraire. Si vous le désirez, je peux vous faire profiter de la mienne. Vous constaterez qu'elle contient autant de volumes pour que de volumes contre.
De plus, vous sous-estimez les problèmes, ce qui est tout aussi facile que de les surestimer. Ce qui fait que ce débat me paraît vain en dehors d'aspects patents.
La résolution 361 vise à inciter l'autorité fédérale à réviser la loi fédérale sur les stupéfiants sur la base des propositions faites par la commission Schild. Cette étude est en cours et vous le savez, Monsieur le député. Les experts sont auditionnés.
Monsieur le député, on vous a dit, à Berne, que cela prendra beaucoup de temps et c'est bien là votre souci. Certes, cela prendra du temps, parce que l'Organe international de contrôle des stupéfiants, qui appartient à l'ONU, a critiqué très vertement la politique suisse en la matière. Par conséquent, la Confédération sera très prudente avant d'envisager la dépénalisation. Or cet organe international travaille, réfléchit et s'informe tout comme vous. Par conséquent, vous n'avez pas d'exclusivité dans ce domaine.
Nous aurons bientôt à débattre de l'initiative Droleg. Personnellement, je la combattrai, mais je ne serai pas tout seul : je serai avec Mme Dreifuss dont l'appartenance politique devrait vous dire quelque chose.
Quant à la motion 1191, elle tend à ne plus poursuivre pénalement les personnes qui détiennent des stupéfiants. En l'occurrence, toutes les drogues sont concernées et pas seulement les douces.
Je vous informe de ce que vous savez déjà. Le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour statuer sur cette première invite. La décision de renoncer ou non à ouvrir une information pénale est une décision de politique criminelle. Or, à Genève, cette politique est de la compétence du procureur général, lequel procureur a pris la peine de répondre à votre motion dans un article publié, le 19 mars, dans «Le Temps». A la question : «Le Conseil d'Etat peut-il intervenir ?», il a répondu «Non ! Le Conseil d'Etat n'a rien à dire. Ces décisions appartiennent au législateur fédéral, puis, pour ce qui concerne l'application, aux autorités judiciaires cantonales.» A la question : «Donc, vous n'appliqueriez pas les invites de la motion ?», M. le procureur général a répondu : «Je ne pourrais pas le faire même si je le voulais. Et je précise que je ne le veux pas.»
A Genève, la politique criminelle juridique est de la compétence du procureur général qui définit les priorités, peut renoncer à poursuivre, ce dont il ne se prive pas. Le fait de renoncer à poursuivre, d'une manière générale, tous les consommateurs sans exception va plus loin et n'entre plus dans le cadre de décisions pouvant être prises par M. le procureur général.
Monsieur le député Godinat, vous avez rappelé, à juste titre, que des substances sont diabolisées par rapport à d'autres totalement banalisées. Comment vous donner tort ! C'est la vérité même. Mais plutôt que tout banaliser, ne pensez-vous pas que l'on pourrait un peu plus diaboliser d'un côté et moins de l'autre ? Un abandon total ne vous apparaît-il pas comme un abandon dans tout le sens du terme ?
J'aimerais rendre ce Grand Conseil attentif au fait que de manière consensuelle, tous partis confondus, les milieux politiques genevois se louent de la politique genevoise en matière de drogue. Ils se vantent, sur le plan romand et suisse, du bon résultat obtenu à Genève. Avec cette résolution et cette motion, vous prenez la responsabilité, Monsieur le député, de mettre fin à quelque chose qui fonctionne. Je vous laisse cette responsabilité.
M. Christian Ferrazino (AdG). J'ai l'impression que vous êtes un peu dur d'oreille, Monsieur le président Ramseyer. Par conséquent, je m'exprimerai avec une certaine force.
Monsieur le président, nous n'acceptons pas que vous remettiez la responsabilité sur le procureur général en disant que, la politique criminelle étant de son ressort, vous n'avez aucune compétence en tant que chef de la police.
Faut-il vous rappeler, Monsieur le chef de la police, que s'il y a un chef c'est bien vous, et qu'un chef donne généralement des instructions ?
Le président. Je vous rappelle que le débat, maintenant, ne porte plus que sur le renvoi en commission.
M. Christian Ferrazino. La raison d'un renvoi au Conseil d'Etat et non en commission nous est fournie par le fait que M. Ramseyer, en sa qualité de chef de la police, peut donner des instructions à sa police en disant que sa première priorité n'est pas de pourchasser les consommateurs de stupéfiants, parce qu'il en a d'autres. Et si la police ne noircit pas des pages de papier en pourchassant les consommateurs, le procureur général n'aura pas de travail à effectuer. Par conséquent, il ne sera pas placé devant le dilemme que vous venez d'évoquer. Pour qu'il se prononce, il faut que la police ait préalablement procédé à des arrestations.
C'est pourquoi cette motion rappelle à votre police qu'elle a d'autres priorités que de poursuivre les consommateurs de stupéfiants. Raison pour laquelle, nous vous invitons à renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat.
Motion 1191
Le président. Nous voterons le renvoi de la motion en commission de la santé demandé par M. Christian de Saussure. C'est cela qui prime en vertu de l'article 78 du règlement.
La proposition de renvoyer la motion à la commission de la santé est mise aux voix.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
Cette proposition est rejetée par 43 non contre 39 oui.
Résolution 361
Le président. Je vous lis l'amendement de M. Chaïm Nissim qui consiste en une deuxième invite au Conseil d'Etat :
«- à étudier la mise en place de lieux de vente contrôlés par l'Etat afin de permettre la consommation de chanvre et de ses dérivés aux adultes résidant en Suisse.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté.
Résolution 361 et motion 1191
Le président. Nous mettons aux voix, par appel nominal, le renvoi simultané de la résolution et de la motion au Conseil d'Etat.
M. Dominique Hausser (S). Monsieur le président, la résolution doit être renvoyée directement au Conseil fédéral.
Le président. La procédure prévoit de renvoyer cette résolution au Conseil d'Etat qui la transmettra au Conseil fédéral. Cela apparaît d'ailleurs dans le texte même de la résolution. Est-ce exact ? L'appel nominal (Appuyé.) a été demandé par Mme Polla, nous allons y procéder.
Celles et ceux qui acceptent cette proposition de renvoi répondront oui, et celles et ceux qui la rejettent répondront non.
Cette proposition de renvoi est rejetée par 44 non contre 43 oui.
La proposition de résolution et la proposition de motion sont rejetées.
Ont voté non (44) :
Bernard Annen (L)
Florian Barro (L)
Luc Barthassat (DC)
Roger Beer (R)
Jacques Béné (L)
Janine Berberat (L)
Madeleine Bernasconi (R)
Claude Blanc (DC)
Thomas Büchi (R)
Juliette Buffat (L)
Christian de Saussure (L)
Marie-Françoise de Tassigny (R)
Gilles Desplanches (L)
Hervé Dessimoz (R)
Jean-Claude Dessuet (L)
Hubert Dethurens (DC)
Daniel Ducommun (R)
Pierre Ducrest (L)
John Dupraz (R)
Henri Duvillard (DC)
Marie-Thérèse Engelberts (DC)
Bénédict Fontanet (DC)
Pierre Froidevaux (R)
Jean-Pierre Gardiol (L)
Nelly Guichard (DC)
Claude Haegi (L)
Janine Hagmann (L)
Michel Halpérin (L)
Yvonne Humbert (L)
Bernard Lescaze (R)
Armand Lombard (L)
Olivier Lorenzini (DC)
Alain-Dominique Mauris (L)
Jean-Louis Mory (R)
Geneviève Mottet-Durand (L)
Jean-Marc Odier (R)
Barbara Polla (L)
Stéphanie Ruegsegger (DC)
Walter Spinucci (R)
Micheline Spoerri (L)
Pierre-François Unger (DC)
Olivier Vaucher (L)
Jean-Claude Vaudroz (DC)
Pierre-Pascal Visseur (R)
Ont voté oui (43) :
Esther Alder (Ve)
Charles Beer (S)
Fabienne Blanc-Kühn (S)
Marie-Paule Blanchard-Queloz (AG)
Dolores Loly Bolay (AG)
Anne Briol (Ve)
Christian Brunier (S)
Fabienne Bugnon (Ve)
Pierre-Alain Champod (S)
Bernard Clerc (AG)
Jacqueline Cogne (S)
Jean-François Courvoisier (S)
Pierre-Alain Cristin (S)
Anita Cuénod (AG)
Caroline Dallèves-Romaneschi (Ve)
Régis de Battista (S)
Jeannine de Haller (AG)
Alain Etienne (S)
Laurence Fehlmann Rielle (S)
Christian Ferrazino (AG)
Magdalena Filipowski (AG)
Luc Gilly (AG)
Gilles Godinat (AG)
Marianne Grobet-Wellner (S)
Christian Grobet (AG)
Dominique Hausser (S)
David Hiler (Ve)
Antonio Hodgers (Ve)
René Longet (S)
Louiza Mottaz (Ve)
Chaïm Nissim (Ve)
Danielle Oppliger (AG)
Rémy Pagani (AG)
Véronique Pürro (S)
Jean-Pierre Restellini (Ve)
Elisabeth Reusse-Decrey (S)
Albert Rodrik (S)
Martine Ruchat (AG)
Christine Sayegh (S)
Alain Vaissade (Ve)
Pierre Vanek (AG)
Alberto Velasco (S)
Salika Wenger (AG)
Personne ne s'est abstenu
Etaient excusés à la séance (5) :
Nicolas Brunschwig (L)
Erica Deuber-Pauli (AG)
Pierre Marti (DC)
Pierre Meyll (AG)
Françoise Schenk-Gottret (S)
Etaient absents au moment du vote (7) :
Michel Balestra (L)
Liliane Charrière Debelle (S)
René Ecuyer (AG)
Alexandra Gobet (S)
Mireille Gossauer-Zurcher (S)
René Koechlin (L)
Louis Serex (R)
Présidence :
M. Jean Spielmann, premier vice-président.
7. Ordre du jour.
M. Pierre Vanek (AdG). J'interviens sur un point d'application du règlement. Pouvant en tout temps interrompre le débat...
Le président. En tout temps, Monsieur le député, mais avec l'appui des deux tiers de l'assemblée.
M. Pierre Vanek. Je suis désolé de vous contredire, Monsieur le président. L'article 79A prévoit qu'un député tout seul peut, en tout temps, interrompre le débat pour inviter le Bureau à faire appliquer le règlement. C'est ce que j'entends faire en attirant votre attention sur l'intention de mon collègue Rémy Pagani qui voulait, tout à l'heure, déposer une motion d'ordre pour que le PL 7836, inscrit sous le point 52 de notre ordre du jour, soit traité demain à 20 h 30 pour des motifs qu'il aurait voulu exposer.
Or, l'article 79 prévoit une motion d'ordre pour l'interruption immédiate d'un débat, vote à l'appui, ou pour ne plus donner la parole aux députés. Il ne s'agit pas de cela. N'étant pas expérimenté, Monsieur Pagani s'est trompé.
Il s'agit de l'application de l'article 97 du règlement, intitulé «Maîtrise du Grand Conseil», qui stipule que le Grand Conseil est maître de son ordre du jour et peut en tout temps le modifier.
A la lumière de ces explications, nous pouvons considérer que la proposition de notre collègue est acceptée. Sinon, nous pouvons de nouveau procéder à un vote, auquel cas je le proposerai à la majorité simple, ce dont je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Les députés inexpérimentés ont quand même l'occasion de lire intégralement l'article 79. S'ils l'ont fait, ils auront constaté que l'alinéa 2 stipule que la motion d'ordre doit être immédiatement mise aux voix. Cela a été fait. Et qu'elle ne peut être acceptée qu'à la majorité des deux tiers des députés présents. Cela n'a pas été le cas.
Comme il s'agit d'un point que vous souhaitez voir traiter demain, à 20 h 30, je vous propose de présenter votre demande quand nous passerons à l'ordre du jour de ladite séance. Le Grand Conseil appréciera à ce moment-là.