Séance du jeudi 19 février 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 5e session - 6e séance

R 353
9. Proposition de résolution de Mmes et MM. Régis de Battista, René Longet, Alain Vaissade, Caroline Dallèves-Romaneschi, Luc Gilly, Erica Deuber-Pauli, Bernard Lescaze, Marie-Françoise de Tassigny, Armand Lombard, Janine Berberat, Pierre Marti et Marie-Thérèse Engelberts : Un geste de reconnaissance pour le Tibet ! ( )R353

Débat

M. Régis de Battista (S). Je suis heureux de vous présenter cette résolution qui propose une action concrète pour un peuple continuellement opprimé.

Cette résolution n'émane pas seulement de ses signataires. Elle est aussi le fait d'associations défendant la cause du Tibet et celle des droits de l'homme.

Elle appelle à l'aide de tous les Tibétains, qu'ils soient exilés à Genève, ailleurs en Suisse, ou qu'ils vivent sous l'occupation chinoise.

Le Tibet se trouve dans une impasse qui ne permet d'autre alternative que le génocide linguistique et religieux. Les arrestations sont arbitraires, les condamnations sans jugement et la torture pratiquée. Le mot «génocide» peut paraître trop fort, mais il sonne juste à l'oreille des spécialistes de la religion et de la culture tibétaines.

La Commission internationale des juristes, qui a son siège à Genève, a publié un rapport extrêmement alarmant en décembre 1997. Je ne commenterai pas ses considérants, mais j'attire votre attention sur deux invites de la résolution :

La première invite ne se résume pas à demander un simple geste d'accueil. Il est important que le gouvernement tibétain en exil, avec le Dalaï-lama, soit reconnu officiellement par la Suisse comme étant celui d'un pays opprimé. C'est pour cette raison que nous demandons au Conseil d'Etat de le recevoir officiellement. Ce serait une première dans notre pays. Il n'a jamais été possible de franchir ce pas, au niveau national, et je crois que Genève a l'opportunité, actuellement, de faire ce geste, puisque c'est un canton international par excellence, ouvert à la paix, au dialogue et à la prévention des conflits.

La quatrième invite concerne la mise en place de la représentation tibétaine à Genève. En l'occurrence, c'est au Conseil d'Etat de voir ce qu'il peut faire directement avec les personnes concernées. Nous souhaiterions vraiment que l'appui soit concret et n'apparaisse pas seulement dans une résolution destinée à être classée.

Je vous demande de soutenir cette résolution. Ce serait bien de lui donner suite en 1998, année du jubilé de la Déclaration des droits de l'homme.

Mme Caroline Dallèves-Romaneschi (Ve). Je voudrais souligner l'occasion offerte à Genève de démontrer son engagement en faveur des droits de l'homme. Nous en avons souvent parlé, de même que de la sauvegarde de divers droits individuels, mais aujourd'hui il est possible de donner un signe symbolique fort par le biais de cette résolution en faveur du Tibet.

Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que la Suisse a toujours entretenu des liens très particuliers avec le Tibet. Ce pays est géographiquement beaucoup plus grand que le nôtre, mais voisin en nombre d'habitants. C'est également un pays des neiges. Environ deux mille de ses ressortissants vivent en Suisse, notamment dans ce refuge qu'est le Mont-Pélerin, et l'un des bureaux européens des Tibétains en exil se trouve à Genève.

A titre anecdotique, je vous signale que Kalimpong, en Inde, autre lieu de refuge des Tibétains en exil, a longtemps abrité un couvent des pères de Saint-Maurice.

Voilà bien des raisons pour lesquelles la Suisse entretient des liens privilégiés avec le Tibet !

Ce haut personnage qu'est le Dalaï-lama doit être considéré non seulement comme un chef spirituel déjà mondialement reconnu, mais aussi comme un chef temporel. Le Dalaï-lama était le roi de son pays avant d'en être honteusement chassé par les forces d'occupation chinoises. Les Tibétains l'ont choisi pour les représenter et c'est cette légitimité que nous devons reconnaître. Rappelons que le Dalaï-lama a reçu, en 1989, le prix Nobel de la paix, ce qui a amplifié encore son aura.

Le Tibet est un pays occupé. Il n'y existe plus aucune liberté individuelle et religieuse. Quiconque a passé par ce pays a pu se rendre compte des horreurs et des terribles exactions qui y sont commises par l'armée et l'administration chinoises. C'est également le cas pour les autres provinces annexées par la Chine. Par exemple, on procède à des exécutions sur la place publique au Turkestan chinois.

Toutefois, non seulement la Suisse entretient des liens économiques avec cette grande puissance qu'est la Chine, mais elle lui prête main-forte pour construire un barrage mégalomaniaque, participant de la sorte à la programmation de futures catastrophes écologiques et sociales.

Aujourd'hui, nous avons l'occasion extraordinaire de montrer l'exemple au reste de la Suisse et au monde. Nous, canton de Genève, qui nous voulons capitale des droits de l'homme, serons l'une des premières collectivités au monde à reconnaître le Dalaï-lama comme un chef temporel et à soutenir la mise en place de son statut diplomatique.

Cette décision, si nous la prenons, aura une résonance certaine en faveur des Tibétains dont nous devons soutenir le dur combat.

M. Alain-Dominique Mauris (L). C'est en décembre 1997 que la Commission internationale des juristes rendait son rapport intitulé «Tibet, droits de l'homme et primauté du droit».

Ce rapport recommande la tenue d'un référendum au Tibet pour que les Tibétains se déterminent sur leur statut, le tout sous la supervision des Nations Unies. Nous nous étonnons que cette consultation n'ait pas encore eu lieu.

Ce rapport recommande à la communauté internationale, à laquelle nous appartenons, de se rallier à la volonté du peuple tibétain que nous estimons être valablement représenté par son gouvernement en exil. La reconnaissance de ce gouvernement fera que nous nous abstiendrons d'encourager l'installation d'autorités étrangères sur le territoire du Tibet.

Si notre mandat de parlementaire ne nous permet pas de nous immiscer dans les relations diplomatiques, nous pouvons néanmoins intervenir pour promouvoir la communication et les échanges qui favorisent la coexistence pacifique des peuples.

Dans son discours devant le parlement européen, le Dalaï-lama a rappelé son attachement aux négociations avec la Chine pour trouver une solution acceptable par les deux parties.

La terreur qui s'abat à nouveau sur ce peuple pacifique ne peut nous laisser indifférents. Par conséquent, je vous demande de soutenir cette résolution qui veut donner au gouvernement tibétain en exil la reconnaissance qui lui permettra de mener à bien ces négociations.

Pour conclure, je cite une lettre d'un Tibétain, directement expédiée du Tibet et parvenue miraculeusement jusqu'à nous : «Quels que soient son pays, son parti politique, que l'on soit simple particulier ou homme politique, on doit essayer d'aider et de sauver le Tibet.»

M. Rémy Pagani (AdG). Notre groupe soutiendra cette résolution. Nous présenterons cependant une proposition d'amendement. Qu'il soit bien clair que nous sommes contre l'occupation chinoise et pour l'autodétermination du peuple tibétain. En ce sens, il est juste que ce peuple considère le Dalaï-lama comme son représentant.

Le considérant «- que le peuple tibétain fut gouverné de manière indépendante durant de nombreux siècles» dément la réalité historique : ce peuple a été gouverné par un régime féodal.

Notre amendement consiste à supprimer ce considérant qui amalgame indépendance et féodalité. Il ferait tache dans le paysage !

Nous vous remercions d'accepter cette proposition d'amendement.

Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Le beau film «Sept ans au Tibet» brosse une fresque réaliste du joug chinois subi par les Tibétains. Les images de ce film, si vous l'avez vu, sont sans doute encore dans vos mémoires. Elles vous inciteront à soutenir cette proposition de résolution.

Je suis sûre que le Conseil d'Etat entendra nos voix et recevra le représentant temporel et spirituel du peuple tibétain. Grâce à son accueil, le Conseil d'Etat transmettra au Dalaï-lama le soutien du peuple genevois à ce peuple qui souffre de l'exil. En retour, il bénéficiera de la sagesse et de la philosophie de ce personnage venu des hauts sommets.

Nous vous remercions de soutenir cette résolution au nom des droits de l'homme.

Le président. Nous avons reçu un amendement, déposé par Mme la députée Marie-Thérèse Engelberts, qui consiste à remplacer, dans la première invite, les termes «...représentant le gouvernement tibétain en exil» par :

«...vu sa qualité de chef spirituel du peuple tibétain».

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Le président. Monsieur Pagani, je ne peux pas mettre aux voix votre amendement parce qu'il se rapporte à un considérant et que l'on ne vote pas sur les considérants. Votre demande figurera cependant dans le Mémorial.

Mise aux voix, cette résolution est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat.

Elle est ainsi conçue :

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève

considérant :

- la situation dramatique que vit le Tibet depuis son occupation en 1951 par la République Populaire de Chine ;

- que la population tibétaine (six millions), suite aux répressions subies, compte plus d'un million de morts ;

- que plusieurs centaines de milliers de tibétains sont partis en exil à Dharamsala (Inde), et qu'ils continuent de le faire encore régulièrement ;

- que les droits fondamentaux du peuple tibétain ont été violés par la privation de l'exercice des libertés de religion et d'expression, la pratique des arrestations arbitraires et des condamnations sans jugement, la destruction des monuments religieux et culturels, la pratique de la torture ;

- que les transferts de population originaires de la République Populaire de Chine dans le territoire du Tibet s'efforcent de rompre l'homogénéité ethnique du pays ce qui représente un véritable génocide, linguistique, religieux et culturel ;

- que le Panchem Lama, Gedhun Choekyi Nyima, détient le triste record du plus jeune prisonnier politique car il est séquestré par les autorités chinoises ;

- que le peuple tibétain fut gouverné de manière indépendante durant de nombreux siècles ;

- qu'il s'est doté d'une structure étatique spécifique à partir de 1911, et que les institutions tibétaines sont aujourd'hui gérées par le gouvernement tibétain en exil dont le siège est à Dharamsala ;

Le Grand Conseil demande au Conseil d'Etat :

1. de recevoir officiellement, lors de son prochain passage à Genève, la délégation et le Dalaï-lama, représentant le gouvernement tibétain en exil ;

2. de recommander aux autorités fédérales la mise en place de son statut diplomatique à Genève ;

3. de recommander l'ouverture d'échanges économiques et culturels avec le gouvernement tibétain en exil ;

4. d'accorder un appui à la représentation du gouvernement tibétain en exil.