Séance du vendredi 23 janvier 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 4e session - 3e séance

M 897-A
21. Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Dominique Belli, Bénédict Fontanet, Armand Lombard, Claude Blanc, Pierre Kunz, Alain-Dominique Mauris, Nicolas Brunschwig, Yvonne Humbert et Micheline Spoerri concernant le placement de chômeurs par des bureaux de recrutement privés. ( -) M897
Mémorial 1994 : Annoncée, 370. Développée, 805. Adoptée, 822.

En date du 25 mars 1994, le Grand Conseil avait renvoyé cette motion au Conseil d'Etat, en invitant ce dernier:

- à utiliser les bureaux de recrutement du secteur privé pour le placement des chômeurs sur le marché du travail;

- à favoriser la collaboration entre l'office cantonal de l'emploi et les bureaux de recrutement.

*

*MM*

En fait, cette motion reprend une action déjà engagée au moment de son dépôt. Dans la mesure où il a fallu tenir compte des limites juridiques imposées par la législation fédérale sur l'assurance-chômage (LACI), les suites concrètes à la motion ont demandé nécessairement un temps de mise en place et des correctifs dans l'expérience entreprise. En effet, l'expérience genevoise visait à instaurer une procédure généralisable à tous les bureaux privés de placement; elle a donc tout naturellement exigé une certaine durée d'essai pour valider un système garantissant un fonctionnement satisfaisant.

Nous sommes en mesure aujourd'hui de présenter le bilan des actions et mesures prises et expérimentées en matière de collaboration entre l'office cantonal de l'emploi (OCE) et les bureaux de recrutement privés exerçant leur activité sur le territoire du canton de Genève. Une approche historique permettra d'en mieux suivre le déroulement.

Ebauche d'une expérience genevoise

S'inscrivant dans ce mouvement d'ouverture vers le secteur privé, le canton de Genève, respectivement le département de l'économie publique (DEP) et l'office cantonal de l'emploi (OCE), avait jugé utile, dès le milieu de l'année 1993, de tenter une forme de collaboration pratique entre l'Etat et les entreprises de placement privés (EPP).

Pour ce faire, le DEP avait pris contact durant l'automne 1993 avec quelques EPP pour évoquer le principe d'une collaboration et en fixer les modalités de fonctionnement. Dans ce contexte, un projet de charte avait été élaboré et soumis auxdites EPP, toutes membres de l'organisation faîtière nationale (FSEPT). Au surplus, comme cela se pratique habituellement en matière de politique de l'emploi, le bureau du Conseil de surveillance du marché de l'emploi (CSME), représentatif des partenaires sociaux genevois, avait été consulté pour donner son avis sur le principe de la collaboration. Un consensus n'avait cependant pas pu être dégagé.

En décembre 1993, le Conseil d'Etat insistait sur la nécessité de prendre des mesures ciblées de lutte contre le chômage, «notamment en accélérant les procédures de placement et en développant une collaboration entre l'OCE et les agences de placement privées, sur la base d'un contrat de prestations».

Rapport Arthur Andersen

En mars 1994, l'OFIAMT rendait publiques les conclusions de la firme Arthur Andersen sur son étude spécifique intitulée «Réforme du service public de l'emploi en Suisse».

Or, au nombre des conclusions, figurait notamment un modèle de collaboration avec des EPP. Quand bien même, à cette époque, la législation fédérale sur l'assurance-chômage (LACI) ne contenait encore aucune disposition juridique allant dans ce sens, des essais de coopération avaient déjà vu le jour dans quelques cantons (Valais, Vaud et Saint-Gall); en outre, sur une base extralégale, l'OFIAMT pouvait déjà admettre une forme partielle de dédommagement financier pour travaux accomplis.

Expérience proprement dite

En s'inspirant des conclusions du rapport Arthur Andersen précité, le DEP a souhaité entamer une expérience de collaboration OCE/EPP, dans le but de tester toutes les voies possibles de réinsertion des chômeurs.

C'est ainsi qu'en septembre 1994, une expérience pilote a été lancée avec quelques entreprises toutes membres de la section genevoise de la FSEPT, organisation faîtière nationale, portant sur les conditions de collaboration pour une durée de 3 mois. L'OCE s'engageait pour sa part à fournir, selon demande expresse des EPP participantes, des listes de candidatures anonymes, dans les secteurs secondaire et tertiaire et pour des professions ciblées et limitées à des personnes aux qualifications démontrées. En cas de convenance pour un dossier, l'EPP en informait le placeur de l'OCE, qui, à son tour, prenait contact avec le chômeur pour une mise en relation avec l'entreprise «finale».

Dans une deuxième phase expérimentale, dès juin 1995 jusqu'à fin octobre 1995, des critères plus pointus de collaboration ont été élaborés, notamment la communication du nom de l'entreprise «finale» si la candidature était jugée bonne. Il s'agissait en effet de s'assurer que les prescriptions légales en matière de suivi du placement étaient bien respectées. La collaboration OCE/EPP a été poursuivie avec de nouveaux aménagements, en particulier l'obtention de l'accord préalable dès l'inscription du chômeur pour la divulgation de son nom aux EPP participantes.

Une troisième et dernière période de test a été engagée d'octobre 1996 à fin juin 1997. Les résultats de ce dernier test, portant sur février-juin 1997, sont évoqués ci-après.

A signaler qu'entre le démarrage de la collaboration OCE/EPP, dès l'automne 1994 et la 3e période de test, les conditions et exigences posées ont été affinées en fonction de l'expérience. Les points essentiels de cette collaboration ont été l'obtention de l'accord des chômeurs dès leur inscription à l'OCE en vue de la transmission de leur profil personnalisé et identifié, ainsi que la fourniture de listes non discriminatoires quant à l'âge, la durée du chômage, la nationalité, etc.

S'il est vrai que l'OCE a bien joué le jeu avec les EPP, le retour d'informations utiles n'a pas vraiment suivi. En particulier, le parcours et l'évolution du placement de certains chômeurs n'ont pas toujours pu être vraiment bien saisis par les organes de l'assurance-chômage.

Résultats de l'expérience et appréciation

Les résultats en termes de placements fixes ne correspondent pas aux attentes et ne justifient pas l'investissement engagé dans cette opération.

A titre d'exemple, sur la dernière période de test (février-juin 1997), l'OCE a fourni aux 3 entreprises privées plus de 500 dossiers de candidats issus de professions jugées à fort potentiel de placement, préalablement triés selon leur profil et actifs dans des domaines bien ciblés ou dont l'âge se situe autour des 40 ans. Or, sur ce total, seulement 10 placements fixes ont pu être réalisés; ce résultat est décevant au vu de l'ampleur des moyens mis à contribution de part et d'autre. En comparaison mensuelle, l'OCE place régulièrement plus de 500 personnes inscrites comme demandeurs d'emploi. Seul le contact des conseillers en placement publics et privés peut être considéré comme un élément positif, bien que dans une mesure limitée (voir connaissance du marché de l'emploi de certains secteurs économiques).

De plus, les conclusions de cette tentative de collaboration OCE/EPP font apparaître un manque de retour systématique d'informations utiles aux conseillers en placement de l'OCE pour la bonne gestion des dossiers dont ils ont la charge. La question d'une poursuite de l'expérience engagée se posait sérieusement.

Nouveau concept fédéral

Comme il a été dit plus haut, la loi fédérale sur l'assurance-chômage (LACI) ne prévoyait pas expressément le principe d'une collaboration entre les offices régionaux du travail (ORP) et les EPP jusqu'à fin 1995.

Or, depuis la 2e révision partielle de la LACI, entrée en vigueur le1er janvier 1996, les articles 85, alinéa 1, lettre a, et 85 b, alinéa 2, LACI disposent que la collaboration entre les ORP et les placeurs privés doit être encouragée dans le but de réintégrer le plus rapidement et durablement possible les demandeurs d'emploi sur le marché du travail.

Par conséquent, se fondant sur cette nouvelle base juridique, l'OFIAMT a conclu en date du 15 janvier 1997 une convention avec les deux organisations faîtières suisses (FSEPT et FSCP) concernant la collaboration entre les ORP et les agences de placement privées, ainsi que la mise à disposition des données des demandeurs d'emploi figurant dans le système informatique PLASTA aux agences de placement privées.

Ainsi, depuis le printemps 1997 et conformément à une circulaire ad hoc du 24 mars 1997, les données personnelles de tous les demandeurs d'emploi enregistrés dans PLASTA sont dorénavant mises à disposition des placeurs privés (EPP) sous une forme dépersonnalisée (à savoir sans donnée d'identité ni adresse) via Internet. L'application est protégée par une procédure d'identification et un mot de passe; l'accès n'est donné qu'aux placeurs privés titulaires d'une autorisation cantonale ou de l'OFIAMT.

Cette procédure n'exige donc plus de tri préalable de dossiers, l'élaboration de listes et la fourniture de ces dossiers aux EPP. Celles-ci effectueront elles-mêmes leur sélection et demanderont aux conseillers en placement de l'OCE les coordonnées individuelles des candidats à un poste à repourvoir - dans la mesure où ils auront donné leur accord et où lesdites EPP se seront engagées à faire connaître la suite de la présentation d'un dossier de candidature.

L'OFIAMT prévoit maintenant que cette première application Internet soit améliorée et élargie en fonction des expériences faites. Un premier élargissement concret consistera à intégrer des demandeurs d'emploi avec données d'identité et adresse, c'est-à-dire à enregistrer leurs données sous une forme personnalisée. Pour des motifs de protection des données, bien évidemment seul le demandeur d'emploi concerné sera habilité à décider s'il veut ou non autoriser cette publication - cette autorisation étant donnée sous forme de déclaration écrite et signée. Aucune pression ne doit être exercée sur le demandeur d'emploi; il doit donner son autorisation librement et volontairement.

N. B. - Pour sa part, le canton de Genève a fait savoir à l'OFIAMT qu'il s'opposait à la diffusion sur Internet des identités des chômeurs dans la deuxième phase prévue ci-dessus, même si les chômeurs donnent leur accord. En effet, il n'est pas sûr que tous les chômeurs mesurent la portée de la diffusion de leurs situations et coordonnées sur un réseau mondial accessible à tous. Il existe d'autres moyens d'accéder à un réseau d'offres d'emploi international.

Observations finales

Compte tenu des explications fournies au travers de ce rapport, le Conseil d'Etat est d'avis que l'expérience de collaboration avec le service privé de l'emploi (EPP) n'a pas donné les résultats escomptés et que, dès lors, la poursuite de cette expérience n'est pas opportune sous la forme engagée à Genève depuis 1993.

A fortiori, considérant que la législation fédérale fournit dorénavant une base juridique adéquate pour tester des applications sur Internet en matière de placement, tous les offices suisses du travail et toutes les EPP agréées peuvent maintenant se raccorder au nouveau système contrôlé par l'OFIAMT. Le canton de Genève lui aussi saisira donc cette possibilité, avec les aménagements et les réserves utiles à un fonctionnement optimal et à l'obtention de résultats probants. C'est dans ce sens que l'OCE informera ses partenaires privés, notamment en énonçant des «règles du jeu» visant à donner un maximum de chances aux demandeurs d'emploi ainsi qu'à obtenir un juste retour d'informations destinées à un suivi adéquat des demandeurs d'emploi.

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.